« Un secret de rue » de Fariba Vafi (Zulma, 2011)

Quand j’ai choisi ce roman je pensais lire un hommage fictionnel dédié à un père aimé qui est sur le point de s’éteindre. Il n’en est rien. Abou est un homme colérique, violent, jaloux. Un homme assez détestable, paranoïaque et pathétique. Sa violence est la traduction de son insécurité et de son incapacité à contrôler les femmes et filles de sa famille. Un statut patriarcal qui le rend malade et qui se fissure du fait de ne pouvoir subsister face au vent de liberté qui souffle dans son foyer.

Quatrième de couverture : « Abou se meurt. Pas comme un vieil homme. Comme un crocodile. Dans cette veillée, sa fille Homeyra se souvient d’une enfance qui déborde joyeusement, dramatiquement, du foyer à tout le voisinage. Dans ce quartier pauvre, les jeux des enfants, les froissements des tchadors et les exhortations des pères se mêlent en brouilles, en conflits de générations et en connivences ténues.

Cette chronique des mœurs et coutumes iraniennes, dominée par l’arbitraire patriarcal, se déploie au gré de la folle amitié de deux gamines. Azar la petite sauvageonne qui refuse en riant l’éprouvante discipline des adultes. Homeyra qui ne rêve que de fuir le grand deuil de l’amour des mères.

Un secret de rue, c’est toute une mémoire bruissante, pleine d’échos et de couleurs, qui voudrait oublier les blessures du passé en rendant son beau rêve de liberté à l’enfance qui demeure en chacun. »

Après avoir lu une première moitié du roman je me suis arrêtée quelques jours. Et ce temps a été nécessaire pour accepter l’épaisseur sombre de cette histoire. Je devine alors que le secret de la rue dans laquelle vit la jeune Homeyra est lié à de la culpabilité et de la violence. Passé l’étape d’acceptation, j’ai repris ce roman avec beaucoup d’intérêt.

Fariba Vafi a une langue agréablement vive et une capacité remarquable à imbriquer les histoires les unes dans les autres. Il ne faut pas résister mais se laisser porter et chaque pièce du puzzle trouve sa place.

L’autrice nous parle de la vie d’une famille, d’une amitié profonde, d’une rue et des rapports – souvent animés – entre voisin·e·s. Il est question de la place de la femme comme de celle de l’homme, des ruptures générationnelles, du manque d’amour parental, du deuil de l’enfance et du pardon. Il est question d’un drame qui se cache entre les lignes, à chaque coin de page jusqu’à ce que…

Trois choses m’ont particulièrement impressionnée ou marquée dans ce roman : la violence de certains hommes qui n’est jamais loin de la folie ainsi que la droiture et l’humanité d’autres ; la façon haletante dont l’autrice transmet la vie quotidienne qui entoure l’enfance de son personnage principal ; la construction narrative assez éclatée mais qui nous fait toujours retomber sur nos pattes.

Un deuxième roman de Fariba Vafi vient de paraître en français aux éditions Serge Safran, Un oiseau migrateur, j’espère vous en parler prochainement.

Cette lecture a été faite dans le cadre du challenge #autricesdumonde organisé par Claire de Des pages et des lettres.

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Et vous, avez-vous déjà lu de la littérature iranienne ?

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« Le petit Didier » de JoeyStarr (Robert Laffont, 2021) • Rentrée littéraire

Un petit pas de côté par rapport à mes lectures habituelles, ça vous dit ? Monté avant ma naissance, le groupe Suprême NTM se séparait à mon entrée au collège. Bon, du coup… j’ai tout loupé. Mais, appréciant le rap conscient français, je me ponce en boucle leur discographie depuis quelques mois et ne manque pas de savourer leur live au Zénith de 1998 – qui est monumental.

Quatrième de couverture : « J’ai l’impression d’avoir un soleil dans le ventre, mais il ne peut sortir.

Le petit Didier Morville grandit dans la cité Allende à Saint-Denis auprès d’un père autoritaire et mutique. Livré à lui-même, l’enfant observe le monde qui se transforme sous ses yeux et qui l’entoure. Avec les gamins de la cité, il joue, trompe l’ennui, dissimule ses escapades à son père. Sur une bicyclette volée ou dans les cages d’un terrain de foot, il fuit le triste quotidien et goûte à la liberté. En même temps, il continue de se retirer dans sa tanière, discret, caché. Des vents contraires l’animent, le menant parfois là où il ne voudrait pas aller…

Dans ce récit lucide et attachant de son enfance aux contours mouvants, en remontant aux origines, JoeyStarr révèle ce qui a construit son ardente personnalité. »

Mon intérêt est à la fois organique et distancié : je me plaît dans ce passé qui s’anime à mes yeux et à mes oreilles mais je ne suis pas une puriste. Je ne connais que peu de choses personnelles sur JoeyStarr et Kool Shen, je ne suis pas particulièrement curieuse à ce sujet, mais quand on me propose une autofiction sur une enfance dans les cités dont les tours sortent tout juste de terre je suis là.

Ce récit nous parle d’une période qui marquera indéniablement les paroles du titre culte Laisse pas traîner ton fils : « C’est ça que tu veux pour ton fils ? / C’est comme ça que tu veux qu’il grandisse ? / J’ai pas de conseil à donner, mais si tu veux pas qu’il glisse / Regarde-le, quand il te parle, écoute-le / Le laisse pas chercher ailleurs, l’amour qu’y devrait y’avoir dans tes yeux / […] Putain, c’est en me disant j’ai jamais demandé à t’avoir / C’est avec ces formules, trop saoulées, enfin faut croire / Que mon père a contribué à me lier avec la rue. »

Avant JoeyStarr il y a eu Didier Morville. Petit garçon qui vit seul avec son père – croyant sa mère décédée – et qui va quitter une maison grise et vétuste pour un appartement au rez-de-chaussée d’un nouvel immeuble, d’une nouvelle citée. Le quotidien de Didier est composé de beaucoup de solitude alors que son père s’absente souvent, de beaucoup de silences face à ce père taiseux et farouchement désintéressé. Le manque de considération qu’il subit chez lui, Didier va chercher à le compenser ailleurs, dehors. Evidemment.

Il est question de la honte de soi quand le parent n’apporte pas de soins, des difficultés scolaires et des techniques parentales aux antipodes de la philosophie Montessori, de l’éclosion d’un garçon discret auprès des copains et de la bienveillance des parents de ces derniers, des premières défonces à la colle et d’un patchwork de moments d’enfance qui impulsent ce que seront Didier à l’adolescence puis JoeyStarr à l’âge adulte.

Un saut dans le temps et l’espace pour la gamine que j’étais et qui, elle aussi, avait un 9 et un 3 sur son drapeau sans s’en rendre compte alors et sans savoir que vingt ans après en être partie on la renverrait, au détour d’une conversation anodine, à son statut de banlieusarde. Alors autant en être fière sans faire l’erreur de verser dans une vision romantique.

Malheureusement, il m’a manqué du style – notamment explosif – et, si j’ai apprécié la promenade dans les souvenirs du petit Didier, je ne peux que conclure sur le fait que ce livre s’adresse principalement aux amateur•trice•s de NTM plus qu’aux amateur•trice•s de littérature. JoeyStarr le dit lui-même, ce livre a été écrit avec l’aide d’un professionnel, il se positionne ainsi davantage en témoignage qu’en exercice de style.

Je termine sur ce titre de NTM qui figure parmi ceux que je préfère. Puissance et conscience d’un groupe qui marque encore aujourd’hui de son sceau une géographie à la fois locale et nationale, sans oublier les esprits, qu’ils soient amateurs ou détracteurs.

Un autre pas de côté est prévu pour la semaine prochaine, avec un autre type de personnalité. Mon antidépresseur préféré depuis de nombreuses années : Thomas VDB. Je vais d’ailleurs le rencontrer à l’occasion d’une dédicace de son premier roman – lui aussi autobiographique -, je suis un mélange de fébrilité et d’excitation depuis déjà plusieurs jours, ça promet.

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Et vous, team NTM ou pas ?

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« Quand le ciel pleut d’indifférence » de Shiga Izumi (Picquier, 2019)

Unique roman de l’auteur traduit en français, sur le papier il avait tout pour me plaire. Un triple drame s’y joue : celui de Fukushima, celui d’une mère dont les jours sont comptés, celui d’une expérience traumatisante vécue durant l’enfance du narrateur. Malheureusement, je suis restée très à distance et je n’ai pas réussi à être réellement touchée par ce roman.

Quatrième de couverture : « Un homme parcourt les rues désertes et les jardins vides d’une petite ville proche de Fukushima, les poches remplies de nourriture pour les chats et les chiens livrés à eux-mêmes. Ce promeneur solitaire est revenu dans son pays natal pour prendre soin de sa mère, à la recherche de souvenirs éparpillés autour d’un amour d’enfance. Pour lui, la catastrophe a déjà eu lieu, il y a trente ans. Au coeur du roman surgit l’image magnifique d’un paon dont la beauté recèle un effroi mystérieux car il est associé à un drame dont l’homme porte la responsabilité — un secret de famille bouleversant. Le moment est venu pour lui de cesser de fuir pour tenter de réparer le passé et se réconcilier avec soi-même. »

Je crois que ce qui m’a laissée en dehors de l’histoire c’est le manque de poésie. Le style de Shiga Izumi est fluide mais très marqué par le langage courant. Un aspect brut qui correspond, je pense, au contexte de l’histoire mais qui ne m’a emportée même si l’auteur a su me toucher au cours de certains passages.

Yoshida Yôhei est revenu dans sa ville natale quelques années auparavant pour s’occuper de sa mère qui a eu un grave accident de santé. Depuis, il vivote. Le 11 mars 2011 un séisme déclenche un tsunami qui conduira à l’explosion de la centrale nucléaire de Fukushima. Une catastrophe naturelle couplée à un drame nucléaire aussi violent que celui de Tchernobyl. Yoshida Yôhei et sa mère vivent dans une ville directement impactée par l’accident nucléaire. La population a été invitée à partir se réfugier le plus loin possible des radiations mais Yoshida est resté sur place. Pour sa mère qui ne peut être déplacée.

Chaque jour il se promène dans la ville partiellement détruite et vidée de tous ses habitants. Dans les ruelles les souvenirs se réveillent. Quand il se retrouve devant la clinique Yasaka, c’est l’enfance qui sort d’un profond sommeil jusqu’à dévoiler un terrible moment de sa jeunesse. La rencontre avec un chien abandonné (le gouvernement a demandé aux habitants de quitter les lieux en y laissant leurs animaux) va mener à une autre rencontre qui pourrait marquer un tournant dans sa vie.

A la fois roman sur la mort, les remords et les incompréhensions familiales, ce texte est également un appel à la responsabilisation de l’humanité et des gouvernements face à la production nucléaire et aux risques qui y sont liés. Shiga Izumi, lui-même originaire d’une petite ville proche de Fukushima, nous montre aussi ce que le gouvernement japonais n’a pas voulu assumer, ce que les populations ont dû vivre.

Le sens de la couverture prend son sens avec force et violence au cours de la lecture. J’aurais aimé que mon sentiment vis-à-vis du texte soit le même à la fin de ma lecture.

Petite remarque qui ne concerne qu’une phrase du roman (mais, vous me connaissez, je ne peux pas m’empêcher de la relever) : j’ai trouvé de mauvais goût la présence d’une référence à la Shoah à l’occasion de souvenirs d’une saison de chasse à la grenouille. Je n’ai pas compris d’où ça sortait et c’est, à mon avis, inapproprié.

Intéressant dans sa démarche ainsi que dans le choix des sujets abordés et des révélations, je ne peux qu’être déçue de n’avoir pas davantage apprécié le style littéraire de l’auteur. Cependant, si une nouvelle traduction de Shiga Izumi est annoncée je lui donnerai une seconde chance, d’autant plus si le récit porte à nouveau un propos engagé comme ce fut le cas ici.

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Et vous, quel roman qui avait tout pour vous plaire… vous a laissé de marbre ?

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❤ « L’été de la sorcière » de Kaho Nashiki (Picquier, 2021)

Quel coup de coeur ! Cette lecture a été purement magnifique ! Je pourrai m’arrêter là et vous inviter de toute urgence à découvrir ce roman (augmenté de trois textes annexes en lien direct avec le roman) mais je vais quand même vous en dire un peu plus.

Quatrième de couverture : « On passe lentement un col et au bout de la route, dans la forêt, c’est là. La maison de la grand-mère de Mai, une vieille dame d’origine anglaise menant une vie solide et calme au milieu des érables et des bambous. Mai qui ne veut plus retourner en classe, oppressée par l’angoisse, a été envoyée auprès d’elle pour se reposer. Cette grand-mère un peu sorcière va lui transmettre les secrets des plantes qui guérissent et les gestes bien ordonnés qui permettent de conjurer les émotions qui nous étreignent. Cueillir des fraises des bois et en faire une confiture d’un rouge cramoisi, presque noir. Prendre soin des plantes du potager et aussi des fleurs sauvages simplement parce que leur existence resplendit. Ecouter sa voix intérieure.

Ce n’est pas le paradis, même si la lumière y est si limpide, car la mort habite la vie et, en nous, se débattent les ombres de la colère, du dégoût, de la tristesse. Mais auprès de sa grand-mère, Mai apprendra à faire confiance aux forces de la vie, et aussi aux petits miracles tout simples qui nous guident vers la lumière.

Ce livre qui prend sa source dans les souvenirs d’enfance de l’écrivaine coule en nous comme une eau claire. »

Mai est une adolescente qui fait une phobie scolaire. Sa mère accepte qu’elle ne se rende plus au collège en attendant qu’elle aille mieux, en attendant de trouver une solution. Pour l’aider à prendre de la distance avec ce qui l’angoisse, elle propose à Mai de passer quelques temps chez sa grand-mère, au milieu de la nature.

C’est alors une superbe relation entre une adolescente et sa grand-mère que l’auteure nous propose. Dans la construction d’une profonde complicité, dans la découverte de pouvoirs intérieurs, Mai va peu à peu s’ouvrir et parler de ce qui l’oppresse et lui pèse sur le coeur. Entre descriptions de la beauté et des bienfaits de la nature et discussions parfois mystérieuses, les deux générations vont créer une relation magnifiquement forte. Ces quelques mois toutes les deux, dans cette maison isolée, marqueront à jamais leur vie.

Dans ces personnages le•la lecteur•trice retrouvera peut-être une part de sa propre enfance et une part des femmes qui l’ont entouré•e. J’ai été véritablement émue de faire le lien entre cette grand-mère et plusieurs personnes de ma famille. L’universalité de ce roman trouve également une source dans l’un de ses sujets centraux : affronter les épreuves de la vie, un sujet qui nous touche toutes et tous, indubitablement.

Kaho Nashiki transcrit avec un talent rare les émotions de l’adolescence et celles liées au deuil et c’est sans étonnement que j’ai découvert qu’elle a travaillé avec un célèbre psychologue japonais, Hayao Kawai, et c’est même lui qui enverra ce roman à un éditeur. Ce sera un succès. Ecrit il y a une vingtaine d’années, je l’ai refermé avec dans le coeur une immense gratitude envers l’auteure ainsi qu’envers les éditions Picquier de nous permettre d’enfin accéder à ce livre.

Porteur de messages positifs amenés avec subtilité et authenticité, ce livre vous marquera pour longtemps et vous fera, j’espère, autant de bien qu’il m’en a fait (malgré les larmes). Un livre à lire et à offrir, sans aucun doute.

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Et vous, quel est votre dernier coup de coeur ?

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❤ « Un enfant » de Thomas Bernhard (Gallimard, 1984 ; réed. 2016)

A l’occasion des 90 ans de la naissance de Thomas Bernhard (le 9 février 1931) et des 32 ans de sa disparition (le 12 février 1989), j’ai souhaité découvrir cet auteur décrit souvent comme l’enfant terrible des lettres autrichiennes. Ce fut une forte rencontre littéraire.

Quatrième de couverture : « Né discrètement en Hollande où sa mère va cacher un accouchement hors mariage, Thomas Bernhard est bientôt recueilli par ses grands-parents qui vivent à Vienne. La crise économique des années trente les force à s’établir dans un village aux environs de Salzbourg où l’enfant découvre avec ravissement la vie campagnarde. Le grand-père, vieil anarchiste, doit aller s’installer à Traunstein, en Bavière. Le jeune Thomas se familiarise avec le monde de la petite ville, commence à s’émanciper, fait l’école buissonnière et ses premières escapades à vélo. Il découvre aussi le national-socialisme et la guerre aérienne.

Le monde enchanté de l’enfance n’est pas celui pourtant du petit Thomas. Persécuté par ses maîtres, souffrant du complexe de l’immigré et du pauvre, il a plusieurs fois la tentation du suicide, tentation qui plus tard hantera aussi l’adolescent et le jeune homme. »

Je cherche, je cherche encore et je ne trouve pas un sujet qui ne m’a pas émue à la lecture de cette autofiction. Thomas Bernhard nous parle de son enfance avec un mélange de naïveté et de clairvoyance qui rend son personnage central, lui-même, extrêmement attachant. On a envie de protéger ce petit garçon : de l’école, du mépris des maîtres, des moqueries des camarades, du fantôme du père, du mal-être qui lui inspire des envies suicidaires, des punitions qui témoignent de l’éducation d’alors et d’un rapport complexe avec sa mère, de son époque.

S’engager dans la lecture de Thomas Bernhard c’est accepter de ne rien contrôler et d’approcher parfois un grand désespoir. Du moins, c’est comme cela que je l’ai vécu. Mais c’est aussi ressentir des sensations décrites avec une justesse impressionnante : je pense notamment à l’extase suivie de l’infinie détresse lors d’une excursion à vélo qui ouvre ce roman. Nous sommes à la fois sur un réalisme cru et un retour à l’enfance qui fait appel à l’infinité des possibles, l’amour inconditionnel, absolu et entier dont seuls sont capables les enfants. Un amour douloureux quand il est mal donné et/ou mal rendu.

Impossible de parler d’amour dans ce texte sans évoquer l’admiration et l’affection qu’a le petit Thomas pour son grand-père. Ce lien qui les unit est magnifiquement fort, les rendant complices au-delà des bêtises (dits crimes) même si le vieil homme ne parvient pas toujours à venir en aide à l’enfant. Le grand-père est celui qui ose dire à l’enfant, celui qui lève le rideau sur les choses quand les autres adultes veulent le laisser baisser, celui qui attire l’attention sur les petites choses de la vie, celui qui fait naître les questions sans forcément donner de réponses, celui qui éveille au monde un garçon qui n’y trouve pas sa place. Pour Thomas, son grand-père est sa seule sécurité.

L’auteur nous parle des amitiés fondatrices perdues, des différentes ruptures dans le temps de l’enfance, de ses traumatismes intimes, familiaux, sociaux, de sa solitude, de l’arrivée puis de l’ancrage du nazisme, de son mélange de peur et d’aversion pour le collectif, pour la masse qui peut être source du meilleur mais aussi du pire.

J’ai été très impressionnée à la fois par le style de Thomas Bernhard et par les souvenirs qu’il choisit de ressusciter, de faire revivre dans ces pages et qui ont fait vibrer quelque chose en moi. Ce petit Thomas, j’ai tant de fois voulu le prendre dans mes bras et lui dire que tout ira bien, qu’on ne lui fera plus de mal. Et pourtant ce n’est jamais larmoyant, loin de là. Vous entendrez à nouveau parler de cet auteur sur le blog, L’origine est déjà en attente de lecture sur ma table de nuit et j’ai hâte de pouvoir découvrir Les Mange-pas-cher ainsi que Place des Héros.

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Et vous, connaissez-vous cet auteur ?

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« Élise » de Fabian Menor (La joie de lire, 2020)

Depuis sa parution je louche sur ce livre à mi-chemin entre album jeunesse et roman graphique jeune public. Je suis très sensible aux livres qui abordent les enfances blessées et les mauvais traitements dont sont victimes les enfants et mineur•e•s, c’est donc sans surprise que je me suis tournée vers ce titre.

Quatrième de couverture : « A une époque où les professeurs ont le droit de lever la main sur les élèves, le quotidien d’Élise ressemble à celui de n’importe quelle petite fille. Enfin presque… »

Intégralement réalisé en noir et blanc, conçu à partir des souvenirs de la grand-mère de l’auteur, nous faisons un saut dans le temps, à la fin des années 1940, alors que le respect physique des enfants n’était pas encore inscrit dans les textes. Le quotidien n’est pas toujours simple, chaque jour une angoisse la poursuit : les brimades dont elle est victime, avec ses camarades, à l’école.

L’institutrice d’Élise a des méthodes qui n’ont rien de pédagogiques mais tout de sadiques. D’humiliations en coups, Élise va essayer d’ouvrir les yeux de ses parents sur ce qui se passe entre les quatre murs de la classe. Mais comment faire porter une voix d’enfant face à celle des adultes ?

Heureusement, Élise peut compter sur son chien et ses autres animaux, avec lesquels elle a un lien très fort, pour panser ses journées. Mais beaucoup de choses vont se passer en peu de temps et Élise va à la fois se rendre compte de ce dont elle est capable et grandir.

Cet album jeunesse propose une immersion dans le monde de la bande dessinée pour les jeunes lecteurs•trices et la sensibilisation de ces mêmes jeunes aux injustices du quotidien, à la possibilité de les affronter et de changer les choses. Un bel hommage de l’auteur à l’enfance parfois maltraitée de sa grand-mère, qui montre aux enfants ce que l’école a pu être par le passé et qui transmet le sens de l’indignation et de la résistance.

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Et vous, quels livres jeunesse sur les violences scolaires recommandez-vous ?

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« Jizo » de Mato et Mr Tan (Glénat, 2020)

Nous avons été nombreux•ses à remarquer cette couverture aux tons clairs-obscurs qui invitent à une méditation mélancolique. Un jeune garçon perdu dans une ville qui devra trouver des réponses avec l’aide d’un étrange compagnon, un moment de lecture émouvant pour les lecteurs•trices à partir de 12 ans (selon moi).

Quatrième de couverture : « Aki ne retrouve plus le chemin pour rentrer chez lui. Tout le monde semble indifférent à cet enfant perdu. Tous… sauf Jizo, un étrange garçon sorti de nulle part. Est-ce un enfant des rues ? Va-t-il vraiment le ramener chez lui ? A-t-il raison de le suivre dans le temple où il l’emmène ? Malgré son grand sourire, Aki peine à faire confiance à son nouvel ami. Surtout qu’une effroyable sorcière chasse les enfants à la tombée de la nuit… »

Ce manga en one-shot et d’un beau format saura atteindre votre coeur sans aucun doute. Adapté à un public jeunesse, les adultes auront également de fortes émotions en suivant les aventures des deux personnages dans une histoire mêlant réalisme, croyances traditionnelles japonaises et fantastique.

Pour ma part, j’ai deviné le climax de l’histoire assez rapidement mais même si cela a enlevé une partie de l’effet dramatique du récit cela ne m’a pas empêchée d’apprécier l’histoire dans son ensemble (et de chougner un bon coup).

Nous sommes ici avec un récit graphique qui aborde une épreuve particulière et son acceptation par un jeune garçon aidé de son nouvel ami énigmatique. Son mélange de poésie et d’action permettra aux jeunes lecteurs•trices de s’approprier la morale pour eux-mêmes mais aussi pour leur entourage, leur proposant une vision fantastique et métaphysique pour répondre à l’une des grandes inconnues de la vie.

Finalement, les auteurs abordent un sujet qui n’est pas évident à traiter auprès de la jeunesse avec talent, entre délicatesse et ambiance shōnen. Le petit plus : le récit se base sur une croyance de la culture japonaise que j’ai pris plaisir à découvrir.

Un manga qui a su m’émouvoir tant dans sa construction qu’avec ses illustrations. Une très belle découverte qui finira entre les mains de mes neveux lorsqu’ils seront assez grands. En attendant je le garde précieusement.

J’en profite pour souligner le plaisir que j’ai pris à lire un one-shot dans ce genre littéraire presque exclusivement composé de séries (celles-ci souvent longues). Personnellement c’est ce que je préfère : les volumes uniques ou les séries courtes.

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Et vous, vous êtes plutôt séries de mangas longues ou courtes ?

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« L’enfant ébranlé » de Tang Xiao (Kana, 2020)

Ce manhua (roman graphique chinois) me faisait envie depuis son annonce de publication. Étant donné qu’il était annoncé pour avril, cela vous donne une idée de mon attente. Un récit d’enfance (vous commencez à me connaître) qui exprime la fin de l’idéalisation du père.

Quatrième de couverture : « Yang Hao, 10 ans, partage son temps entre l’école et les inévitables compositions à rédiger, ses copains, avec qui il joue aux jeux video, et sa vie à la maison. Yang Hao est à l’âge où l’on fait des choses dont on n’est pas toujours fier et dont on aimerait se repentir. L’âge où l’on fait des rencontres que nos parents n’apprécient guère. Son père, absent depuis de long mois pour son travail, est enfin de retour à la maison. Ce père qui va venir le chercher après les cours, celui qui va le protéger des plus grands, celui qui va le comprendre… Du moins, c’est ce qu’imaginait Yang Hao. Mais les choses vont prendre une autre tournure. Une dernière rédaction, avec pour thème décrivez votre père va être l’occasion pour Yang Hao de se confronter à la réalité. Faire descendre de son piédestal son père pour s’en construire un idéal fait de ses rencontres. Yang Hao va tout simplement grandir. »

Yang Hao vit avec sa mère. Son père est parti travailler loin afin de subvenir aux moyens de la famille, le lot de nombreuses familles chinoises, notamment quand les foyers sont à la campagne et que le travail et l’argent sont, a priori, en ville. Proche de ses amis, excellent élève, nous découvrons ce garçon joyeux mais très réservé. On dit que ce trait de caractère vient de son père, ce père justement absent et qui va rentrer à la maison quelques temps, en attendant que le travail reprenne.

Après un premier temps au cours duquel le père et le fils vont se rapprocher, sous-couvert d’une protection non-dite, les liens vont se relâcher. Yang Hao va faire des rencontres qui vont l’interroger sur les autres et sur la vie, une école des émotions auprès de jeunes considérés comme peu recommandables, dont un grand frère. Dans les moments avec le père d’un de ses amis, disponible et heureux de lui apprendre des choses, et dans les expériences avec ses nouveaux amis, le garçon va trouver ce qu’il ne trouve pas auprès de son père.

Ce père distant, égoïste, qui ne s’entend plus avec sa femme (qu’on adore en tant que lecteurs•trices dans sa façon de faire face au patriarcat) et qui a parfois des mots blessants envers Yang Hao.

Ce manhua nous parle de la fin de l’enfance, de ce moment où on réalise que nos parents ne sont pas parfaits et qu’ils ne peuvent pas sauver toutes les situations. Ce moment où on réalise aussi la portée de nos actes, le mal que l’on peut faire aux autres et le sens des remords. Il est aussi question du jugement porté sur les enfants qui décrochent du système scolaire (totalement voué à la patrie), de la mise à l’écart des familles qui ne respectent pas le schéma traditionnel, de ces réputations qui se brisent en un rien de temps.

J’ai beaucoup aimé la pudeur et la délicatesse de Tang Xiao, qui se déploient autant dans la forme que dans le fond. Une très belle découverte qui me laisse espérer la traduction de son précédent roman graphique et de ceux à venir.

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Et vous, quel manhua conseilleriez-vous de lire absolument ?

 

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❤ « Vivants » de Mehdi Charef (Hors d’atteinte, 2020)

Ce livre a été pour moi la source de plusieurs découvertes : celle, marquante, d’un auteur, d’une voix, d’une colère et d’une douceur. Celle d’une maison d’édition marseillaise dont je vais suivre de près les publications. Celle d’une période, d’une responsabilité d’État dont ce dernier se garde bien de parler.

Quatrième de couverture : « J’apprends à mon père à écrire son nom. Il tient bien le stylo entre ses trois doigts, il ne tremble pas. Est-il épaté ou troublé d’écrire pour la première fois de sa vie, à trente-six ans ?

Mon père est de cette génération qu’on a fait venir en France après la Seconde Guerre mondiale, pour reconstruire ce que les Américains et les Allemands avaient bombardé. Que de temps perdu, depuis les années qu’il est là. On aurait pu proposer aux ouvriers algériens des cours du soir, leur montrer ainsi un peu d’estime. Ils devraient tous savoir lire et écrire.

Mon père sourit, ses yeux brillent. Il est là, surpris, ému, parce qu’il voit bien que ce n’est pas si difficile que ça de se servir d’un stylo. À côté de lui, j’entends sa respiration, son souffle.

À quoi pense-t-il ce soir dans notre baraque ? Se dit-il qu’analphabète, il est une proie facile pour ses employeurs, un animal en captivité ?

La colère monte en moi.

Vivants est le sixième roman de Mehdi Charef, qui a notamment publié Le Thé au harem d’Archi Ahmed (1983) et réalisé onze films. Entre souvenirs d’une Algérie qui s’éloigne et expériences d’une France pas toujours accueillante, dans une cité de transit où le provisoire s’éternise, des enfants, des femmes et des hommes fêtent des naissances et des mariages, s’équipent en télévisions et en machines à laver, découvrent la contraception et les ambulances, rient, pleurent, s’organisent, s’entraident… et vivent. »

Mehdi Charef poursuit avec ce récit un voyage dans son enfance, périple mémoriel commencé dans un précédent livre : Rue des Pâquerettes, publié chez le même éditeur en 2019 et qui a reçu le Prix de la Porte Dorée cette année.

Son enfance est marquée par le départ d’Algérie, par l’arrivée en France. Et, comme le dit si bien Kery James : quand on est pauvre, on n’est pas naïf longtemps. Pauvre, oui, mais aussi discriminé, mis de côté, parqué dans une cité de transit qui te fait comprendre que tu n’es pas vraiment accueilli, que tu n’es pas l’égal des autres, en termes de vie quotidienne comme en termes de chances, et que ton destin est tout tracé.

Je ne connaissais pas Mehdi Charef et je suis désormais convaincue que je passerai d’autres soirées en sa compagnie. Son regard sur les choses est doux sans être naïf, il interroge les lecteurs•trices en visant juste, il propose son regard empli d’humanité afin de réveiller la nôtre. Il veut aussi offrir une place aux siens et à ceux qui ont eu un parcours similaire, aux vies courageuses dont on ne parle pas. Mais avec un livre, avec des lecteurs•trices, ces vies laissent une trace, elles sont bien réelles, entendez-les. L’homme a fait un long chemin, s’est battu et a combattu la place que la société française lui avait assignée et il a réussi, avec talent, à retrouver cet enfant en lui, à lui donner la parole.

Vivants est un ensemble de courts chapitres qui revient sur la vie en France, sur les souvenirs d’Algérie, sur ce que Mehdi Charef a quitté et ce qu’il découvre de l’autre côté de la Méditerranée. Il nous parle de son père qui a donné de longues années de sa vie à un pays qui n’a jamais été à la hauteur dès lors qu’il était question de considération et de reconnaissance. Il nous parle de sa mère, du quotidien des femmes, de la barrière de la langue, des plaisirs simples qui relèvent parfois du luxe. Il m’a parlé de sa vie, de la vie et j’ai aimé l’écouter. J’ai eu honte, aussi. Une honte de mon pays, une honte précieuse car elle est de celles qui permettent de remettre les choses en question et d’interroger le présent et l’avenir, de celles qui demandent pardon, de celles qui disent merci.

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« Et arrivées au bout nous prendrons racine » de Kristina Gauthier-Landry (La Peuplade, 2020)

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Me mettant plus sérieusement à la poésie contemporaine depuis quelques mois, j’ai décidé de découvrir ce recueil tout juste sorti, de voyager vers la Côte-Nord, dans la musicalité de ses mots, dans son vent marin et son paysage bleu et rocheux.

Quatrième de couverture : « Il y a le retour prudent sur le chemin des origines, le long de la côte, où les maisons boudent. La poésie mène alors à l’enfance, paraît gourmande, des bleuets en confiture, un coeur de lièvre sous la dent. Ici, les bonheurs disponibles s’empilent sur tout ce dont on ne parle pas, des pères horizon, des mères à la gorge inquiète. Et arrivées au bout nous prendrons racine annonce la réconciliation avec un territoire, ce lichen millénaire parmi lequel s’en vont renaître femme et fille, main dans la main, ébruite ce nord hostile et fertile, fait de grands espaces et de petites choses. De doigts gelés et de pain chaud. Et, surtout, de silence. »

Kristina Gauthier-Landry nous invite dans son enfance, dans des souvenirs tiraillés entre les plaisirs simples et souvenirs heureux et la conscience du territoire limité, de l’ailleurs qui appelle. Une construction que j’ai sentie en creux comme un corps incomplet : être ici et manquer d’ailleurs, être ailleurs et porter la mémoire d’ici. Un écartèlement mélancolique qui cherche ses racines pour mieux les retrouver après les avoir quittées.

La vie au village est marquée par la pêche, elle est le travail des hommes – maris, pères, frères, fils – elle est le repas sur la table et les biens du quotidien, mais elle est aussi le mélange d’angoisse et de joie de voir revenir les bateaux et leurs habitants aux parfums de sel et d’horizon. C’est une vie exigeante avec les hommes, les femmes et les enfants, dans un espace reculé, presque inaccessible où le travail va de pair avec le danger et l’incertitude quant aux lendemains. La question et d’accepter ou non ce quotidien qui se transmet, dont on hérite.

Le quotidien est aussi emprunt de joies infinies propres à l’enfance, de plaisirs gourmands (dans lesquels je me suis retrouvée) à la valeur de trésors, de beautés naturelles, de joies intenses au retour du père, de moments de complicité aux côtés de la mère qui attend. Mais il reste toujours à tuer l’ennui pour oublier le manque de distractions, lister ce que l’on a pour remplir le vide des bonheurs indisponibles.

Une fracture. L’enfance bascule, l’adolescence et la révolte. J’ai senti une brisure intime sans réussir à mettre le doigt dessus, mais déjà l’annonce d’un départ prochain comme refus du chemin de vie tracé par le village, une rupture avec les traditions des lieux et l’angoisse qui les habille de son châle de ciel : infinie et permanente.

Il faut parfois une rupture pour trouver une réconciliation, avec son histoire, son patrimoine, avec soi-même. Partir pour se donner le temps de ressentir le manque.

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« L’oiseau » d’Oh Jung-hi (Seuil, 2005)

L'oiseau Oh Jung-hi

Premier roman lu dans le cadre du challenge coréen organisé par Cristie du blog Depuis le cadre de ma fenêtre, Oh Jung-hi propose aux lecteurs•rices un texte intimiste qui m’a immédiatement fait penser à la situation des enfants séparés de leurs parents dans les campagnes chinoises dont Golo Zhao avait notamment parlé dans Poisons.

Quatrième de couverture : « Une petite fille raconte. La mère est morte. Le père est au loin, sur des chantiers. Elle s’occupe de son jeune frère, Uil. Une jeune marâtre sortie d’un bordel ne fait qu’un bref passage, vite chassée par la violence conjugale. Les enfants, peu à peu, se retrouvent seuls. Sous les regards compatissants mais aveugles ou impuissants d’un voisinage misérable et d’une société brisée, la fillette, peu à peu, reproduit sur le petit garçon la violence du père sur la figure maternelle. Le monde tendre de l’enfance est inexorablement fissuré, l’humanité pulvérisée laisse apparaître l’abîme côtoyé par l’enfant en chacun de nous. »

La solitude et l’isolement sont au coeur de ce roman. Deux enfants dont le père se déleste auprès de la famille, celle-ci les accueillant comme une corvée. Un jour, le père revient les chercher et annonce qu’il a une nouvelle femme. La vie devrait pouvoir reprendre mais la violence du père et l’ennui de la nouvelle femme dans ce nouveau rôle marital vont mener la jeune aînée (narratrice du roman) à s’occuper seule de son petit frère Uil. Mais quand on est une enfant on ne peut être un substitut de mère.

Voir les jours passer à travers les yeux de la petite fille, comprendre à travers sa naïveté la réalité des situations, les risques pris, les dangers qui rôdent, la violence qui germe également en elle, a été poignant. Et toujours cet espoir de l’enfance, mais pourra-t-il vraiment tenir ?

Si le roman se concentre sur cette situation dramatique qui chaque jour avance un peu plus vers un dénouement tragique, l’auteure explore d’autres thématiques : la violence d’un père, la pauvreté de façon générale, l’homophobie, les croyances populaires, les familles brisée par des accidents de la vie, la jeunesse abandonnée et marginalisée, l’aide sociale qui voit ce qu’elle veut voir.

En peu de pages Oh Jung-hi parle simplement d’une part de la société abandonnée dans laquelle les enfants sont les premières victimes. S’il n’a pas été un coup de cœur, ce roman m’a marquée par la simplicité des mots utilisés pour décrire la complexité et la dureté des situations que vont vivre les deux enfants. Une simplicité qui porte une justesse et qui m’invite à découvrir d’autres romans de cette auteure.

Pour en savoir plus

Challenge coréen


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Et vous, connaissez-vous cette auteure et son œuvre ?

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❤ « Les liens du sang – Tomes 2 à 6 » de Shuzo Oshimi (Ki-oon, 2019-2020)

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A l’occasion de la lecture du dernier tome paru de cette série j’ai réalisé que je n’avais pas chroniqué les précédents tomes. Quelle erreur ! Car ce manga est aussi addictif que dérangeant et ce sixième volume ne fait que confirmer la lourdeur de l’ambiance qu’a réussi à créer Shuzo Oshimi.

Quatrième de couverture du 1er tome : « Une relation familiale toxique, scellée dans le sang !

Vue de l’extérieur, la famille du jeune Seiichi est des plus banales : un père salarié, une mère au foyer, une maison dans une ville de province… L’adolescent va à l’école, joue avec ses amis, est troublé quand il pose les yeux sur la jolie fille de la classe. Tout est normal… ou presque. Il ne s’en rend pas compte lui-même, mais sa mère le couve beaucoup trop. »

Je ne peux que le répéter : cette série est l’un de mes gros coups de coeur de l’année 2019 et l’intérêt se confirme tome après tome. Sa force, à mes yeux, réside dans plusieurs faits : l’histoire est menée d’une main de maître, alternant moments de tension immense, portés par une lenteur et des plans rapprochés oppressants, et passages plus vifs mais toujours porteurs d’une certaine violence ; les dessins absolument magnifiques et les expressions des visages qui vont jusqu’à une torsion visuellement douloureuse ; le traitement du sujet qui peut plaire à des lecteurs réguliers de mangas mais aussi séduire des personnes qui n’en lisent pas.

Chaque tome précise et développe cette histoire toxique entre une mère possessive et manipulatrice et son fils qui découvre de premiers émois, qui grandit tout en cherchant sa place dans l’intimité du foyer. A cela, ajoutez un événement morbide gardé secret et vous aurez un résultat particulièrement dérangeant mais traité d’une façon très équilibrée.

Je suis assez sensible et j’ai eu beaucoup de compassion pour Seiichi qui cherche à s’épanouir tout en étant victime de sa mère, prisonnier d’un amour gênant, témoin d’un accident traumatisant. Je ne peux que me demander à chaque page comment il va s’en sortir. Je serai donc au rendez-vous de chaque tome pour connaître le fin mot de cette histoire qui me tient en haleine.

Que vous lisiez des mangas ou non, si vous aimez les récits axés sur le suspens et la psychologie, sur les dysfonctionnements familiaux, cette série est faite pour vous.

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Ils/Elles l’ont aussi lu et chroniqué : Livre est-ce de la nuitMon coussin de lectureLes deux artistesMinimouth LitLa bibliothèque de CélineSonge d’une nuit d’été


 

Et vous, quelle•s série•s manga suivez-vous particulièrement ?

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« Deuils » d’Eduardo Halfon (Quai Voltaire, 2018 ; Le Livre de Poche, 2020)

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J’ai entendu parler de cet auteur il y a maintenant plusieurs mois et j’avais hâte de le lire. J’ai rencontré une plume qui m’a très vite touchée, un sens de l’enfance et du questionnement des origines marquant.

Quatrième de couverture : « Il s’appelait Salomón. Il est mort à l’âge de cinq ans, noyé dans le lac d’Amatitlán. C’est ce qu’on me racontait, enfant, au Guatemala.

Le narrateur éponyme d’Eduardo Halfon voyage au Guatemala à la recherche de secrets qui le hantent. Il tente de démêler le vrai du faux parmi les histoires contradictoires et interdites de la famille de son père. Et plus particulièrement l’histoire de son oncle Salomón qui s’était noyé, enfant, dans le lac Amatitlán. De quoi Salomón est-il vraiment mort ? Plus il avance, plus le narrateur comprend que la vérité réside dans son propre passé enfoui, dans la brutalité du Guatemala des années 1970 et son exil en Floride.

Un roman profond et émouvant, qui appuie la réputation de son auteur, un de ces écrivains qui savent dire beaucoup en peu de mots. »

Une histoire muette habite la famille de l’auteur : le décès d’un enfant de cinq ans. Cet enfant, s’il ne s’était pas noyé serait devenu son oncle. D’une photographie trouvée alors qu’Eduardo était enfant à la recherche de réponses de l’âge adulte, l’auteur appelle les souvenirs, les impressions, les convictions et les zones d’ombres de la mémoire.

Ce roman est la recherche de la vérité en même temps qu’une quête familiale. Il s’agit de donner une histoire plus concrète à ce disparu qui fut un sujet tabou pour la famille, une douleur quotidienne, un silence qui pouvait en dire beaucoup.

Entre les moments remontés du passé et le présent de la recherche, Eduardo va trouver des réponses à ses questions mais également celles qu’il ne se posait pas. D’un enfant, la mémoire disparus tragiquement est convoquée.

L’auteur nous parle d’un sujet qui touche de nombreuses familles : les tabous et les histoires couvertes d’un voile, confuses pour les générations qui suivent et pour qui il manque les pièces de l’arbre généalogique. Il nous parle aussi de ce que l’on croit comprendre lors de l’enfance, des confusions, des constructions de vérités, du glanage d’informations pour recréer la vie de l’absent.

Entre douceur et une franchise à l’humour parfois mordant, Eduardo Halfon nous invite dans un roman intimiste, passionnant. Inutile de vous préciser que je vais me jeter sur ses autres romans. Ma priorité, celui qui m’a fait connaître son nom : Le boxeur polonais.

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Et vous, quelle enquête familiale avez-vous aimée ?

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❤ 👁 « L’âge du fer » d’Arja Kajermo, illustré par Susanna Kajermo (Editions do, 2019)

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Ce roman est celui qui m’a fait m’intéresser de très près aux Editions do. J’aime les récits d’enfance car ils sont le berceau de toute une vie, car ils sont aussi souvent emprunts de mélancolie, car ils nous invitent à retrouver un regard parfois perdu. Arja Kajermo m’a beaucoup émue et je n’attends qu’une chose : un autre roman pour lequel je serai au rendez-vous dès le jour de sa sortie.

Quatrième de couverture : « L’Âge du fer est à la fois un conte et un roman du passage à l’âge adulte. Une histoire racontée du point de vue d’une enfant qui a grandi dans la Finlande, puis la Suède, des années 50. L’Âge du fer, parce que la vie dans la ferme familiale est rudimentaire et difficile mais aussi en référence aux éclats d’obus entrés dans les jambes du père. L’Âge du fer, parce que la petite fille pense que ce fer a affecté non seulement les jambes de son père, mais son coeur aussi. Et même celui de toute la famille. Dans L’Âge du fer, l’apparente simplicité du style contraste avec la force d’une histoire qui oblige doucement mais inexorablement à reconnaître, sous le paysage magique et les fables populaires, l’impact psychologique de la pauvreté, de la violence domestique, de la marginalisation et de l’immigration. »

S’il s’agit d’un roman de fiction, l’histoire reprend néanmoins des éléments que l’auteure a connus. La naissance et la petite enfance en Finlande, la vie dans une petite ferme rurale, le départ pour la Suède avec sa famille alors qu’elle n’était pas bien grande. La fiction puise ici clairement dans le réel et ajoute de la force au propos.

Arja Kajermo nous emporte dans un voyage dans le temps, direction la Finlande rurale des années 50, dans une famille qui n’a pas beaucoup de moyens, ne vit pas dans un grand confort et n’a pas non plus un cadre familial rassurant et sécurisant. Mais la petite fille affronte les jours et les difficultés. Sauf que dans la ferme où le confort est rudimentaire, les tensions familiales et économiques auront des conséquences par-delà les frontières, sur les liens qui les unissent. Du jour au lendemain, tout ce que l’enfant aura connu sera bouleversé.

Il est question de conditions sociales, d’ambitions qui nous portent plus loin au risque de perdre ce que l’on a, de la figure d’un père dur et intimidant, de séparations, d’exil, d’intégration alors que les autres vous regardent de biais. La pauvreté est aussi présente que les espoirs et la langue d’Arja Kajermo adoucit les jours et les nuits de la petite au fil des jours, des mois.

Je ne veux pas vous en dire plus pour vous laisser le plaisir de découvrir cette histoire d’enfance qui, personnellement, m’a émue autant qu’elle m’a fait voyager dans le temps et dans l’espace. Une magnifique découverte.

Cette chronique est enfin l’occasion de souligner le plaisir que l’on peut prendre à voir apparaître des illustrations au fil du récit. Je n’ai pu que constater, dans des groupes de discussions littéraires, des remarques violentes et méprisantes à l’encontre de la littérature graphique/illustrée. Ce mépris, je leur laisse. A mes yeux le dessin porte aussi un propos et vient en complémentarité du texte et le travail de Susanna Kajermo le démontre avec talent et sensibilité. La littérature générale mériterait de proposer plus de textes qui proposent cette complémentarité texte-image.

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Et vous, quels romans illustrés recommandez-vous absolument de lire ?

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« Les fantômes d’Issa » d’Estelle-Sarah Bulle (L’École des Loisirs, 2020)

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J’avais beaucoup aimé découvrir Estelle-Sarah Bulle avec son premier roman, Là où les chiens aboient pas la queue, c’est donc avec peu d’hésitation que je me suis tournée vers ce roman pour la jeunesse.

Quatrième de couverture : « Il y a des secrets qu’on s’empresse de répéter, même si on a promis le contraire. Et puis il y en a d’autres qui poussent dans un jardin tellement secret qu’on ne veut pas les partager. C’est le cas d’Issa. Son secret, elle le cache si bien qu’il ne sort que la nuit, quand des cauchemars la réveillent en sursaut malgré la petite lampe allumée près du lit. Que faire ? Bien sûr, Issa devrait se confier, mais à qui ? Pas à ses parents – ils mourraient de honte. A des amis, alors ? Mais s’ils ne comprenaient pas… Reste son journal. Maintenant qu’elle a 12 ans, Issa peut revenir en arrière et tout écrire. Peut-être que coucher son cauchemar sur le papier le fera diminuer dans sa tête ? »

Mes lecture habituelles m’ont fait projeter sur ce roman des hypothèses complètement faussées et j’ai été vraiment surprise en découvrant l’intrigue. Pas de déception, mais de la surprise, réellement. L’auteure aborde la culpabilité, les fantômes d’un drame qui hantent une jeune fille qui n’en peut plus de garder un secret qui la ronge. Issa est une jeune fille qui ne se fond pas dans la masse, elle n’est pas populaire, elle est dans son monde. Un monde assombri, un monde auquel elle tente de survivre après ce jour où…

Décryptant un cadre familial avec des parents qui ne veulent pas se faire remarquer (et la peur d’Issa de leur avouer ce qu’elle tait), un cadre scolaire où la jeune fille peine à s’intégrer, une amitié forte qui pourrait libérer, Estelle-Sarah Bulle parle de la culpabilité qui dévore mais aussi de l’acceptation des erreurs d’enfance, de l’importance de parler pour essayer de (se) réparer. De l’acceptation de soi, aussi. Pour moi, elle parle enfin des réactions violentes que la mise à l’écart peuvent engendrer. Avoir mal et faire mal. Quand l’émotion prend le pas sur la raison.

Je n’ai pas été transportée par ce roman mais je dois bien avouer que j’avais très envie d’en connaître le dénouement. Un bon moment mais sans plus. Je salue cependant la construction du personnage principal qui parvient à porter presque toute l’histoire ainsi que l’utilisation de la littérature pour trouver des réponses, pour s’aider.

Malgré une petit réserve quant à ce roman pour la jeunesse, je serai au rendez-vous du prochain roman d’Estelle-Sarah Bulle, avec à nouveau, une agréable curiosité.

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Ils/Elles l’ont aussi lu et chroniqué : Lire et vousLes mots de la finMes pages versicolores


 

Et vous, accompagnerez-vous Issa dans la libération de sa mémoire ?

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« Blue Pearl » de Paula Jacques (Gallimard jeunesse, 2020)

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Impossible de laisser passer ce roman jeunesse ! Sensibiliser les nouvelles générations au passé dont les stigmates sont encore visibles me tient tellement à cœur que je me suis jetée sur ce roman qui revient sur l’histoire de l’esclavage aux États-Unis et ses premiers pas vers son abolition.

Quatrième de couverture : « Je m’appelle Eliza Burlington. Je suis née esclave de Sir Thomas burlington dont la plantation se trouvait à six miles environ de Suffolk, dans l’État de Virginie. Je lui ai appartenu pendant une douzaine d’années au même titre qu’un chien, une mule ou un meuble de maison.

Le jour où la poupée de son enfance ressurgit dans sa vie, c’est tout le passé de Lizzie qui remonte à la surface, d’un seul coup. La Grande Maison des propriétaires où sa mère cuisinait, Laura May, sa cruelle petite maîtresse, le charme de Luther, le jeune rebelle, et puis ce nouveau régisseur, casseur de nègres. On disait qu’à cinq cents kilomètres de là, l’esclavage était aboli… »

Paula Jacques crée son histoire à partir d’un objet très intéressant : une poupée noire fabriquée par la mère de la narratrice, une femme appartenant à une famille d’exploitants, au même titre qu’un meuble, esclave. Ces poupées ont fait l’objet d’une exposition récemment et je dois dire qu’il faudrait que je me renseigne encore davantage sur ce précieux témoignage qui rend encore plus vif le sujet abordé ici, car impossible de dissocier la poupée de l’enfance, même si elle ne représente pas uniquement cela.

A l’ouverture du roman, Lizzie est devenue une vieille femme. Un jour, quelqu’un frappe à sa porte et lui montre une poupée. Aucun doute, c’est la sienne, celle que sa mère lui avait confectionné pour cet anniversaire, celui d’il y a bien longtemps mais qu’elle ne pourra jamais oublier. Les souvenirs affluent et le lecteur va remonter le temps en compagnie de Lizzie, enfant du 19ème siècle, esclave d’un maître moins pire que certains mais qui reste un homme qui possède des hommes sans que cela ne lui pose problème.

La vie quotidienne, le rapport aux maîtres et à la jeune maîtresse à peine plus âgée que Lizzie, les peurs et les rumeurs d’une guerre qui finira par se déclarer comme Sécession. Puis, un déclencheur. Celui qui va tout faire changer pour la mère et la fille.

J’ai aimé ce portrait de jeune fille, mais aussi de femme car la mère de Lizzie occupe une place importante dans le récit. J’ai trouvé l’écriture de Paula Jacques adaptée à la sensibilité du sujet ainsi qu’à l’âge des lecteurs. J’ai cependant trouvé qu’il manquait un peu de nuance concernant Abraham Lincoln et la situation sociale des années 1920, le présent de Lizzie, devenue une vieille femme. J’aurais juste aimé une précision : tout ne s’est pas joué en un combat, la lutte pour l’égalité n’était pas au bout de ses peines.

Ce roman reste une entrée intéressante sur ce sujet pour les lecteurs à partir de 12 ans, il ne manquera pas de faire émerger des questions, d’amorcer une conversation qui nous concerne tous.

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Et vous, quel autre livre pour la jeunesse conseillez-vous sur ce sujet ?

❤ « Allé, mémé ! » de Gilles Baum et Amandine Piu (Amaterra, 2020)

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J’attendais avec impatience la parution de cet album jeunesse car je connais la délicatesse de Gilles Baum et j’avais envie de la découvrir illustrée par Amandine Piu, toute aussi touchante dans ses traits et ses couleurs. Une réussite pour les petites lectrices et les petits lecteurs, mais aussi pour les grands qui en tourneront les pages pour l’histoire du soir (mais pas que).

Quatrième de couverture : « Mémé est énorme et elle n’est pas commode. Quand je vais chez elle, je traîne des pieds. Aujourd’hui elle a décidé d’enlever les roulettes de mon vélo. Quand, enfin, je fais un premier tour sans tomber, mémé a les larmes aux yeux. Alors, je comprends tout… »

Nous découvrons une petite fille un peu intimidée par sa mémé qui n’est pas la plus chaleureuse des mémés. Mais que se cache derrière cette rigidité qui fait parfois peur à la petite fille ?

Le jour est venu d’enlever les petites roues au vélo de la petite fille. Nos souvenirs (frais ou moins frais) remontent : la peur, la recherche d’équilibre et les chutes. Si ça peut vous rassurer, je suis toujours à la limite de la chute quand je monte sur cet engin. Mais, finalement, le vélo fini par tenir sur ses deux roues. Et, alors, mémé n’est plus si dure, elle est même émue aux larmes. Et à bien y réfléchir, on ne l’a jamais vue sur un vélo, mémé…

Deux histoires, deux générations éloignées mais proches dans un moment d’apprentissage symbolique de l’enfance. La détermination d’une grand-mère et l’amour d’une petite fille qui saura redonner le sourire à son aïeule créant ainsi une complicité.

Voilà ce que nous propose cet album, qui nous rappelle aussi que faire du vélo, pour les femmes, peut aussi être synonyme de lutte pour ses droits. Cette liberté d’aller et venir, de sentir le vent sur ses joues et de disposer de son corps dans l’espace public.

Un très bel album tout en douceur (d’une toute aussi belle maison d’édition lyonnaise) qui confie qu’il n’y a pas d’âge pour réaliser ses rêves et qu’il ne faut pas avoir peur de se lancer vers l’inconnu. Tu peux le faire.

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Et vous, quel album de Gilles Baum préférez-vous ?

❤ « Mutafukaz’Puta Madre – Intégrale » de Run et Neyef (Ankama, 2017)

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Attention, ceci est une alerte coup de cœur ! Et cela faisait bien longtemps que mon petit palpitant n’avait pas autant chaviré. De la violence, des questions de société, de la vengeance, du poil, du tatouage et de la testostérone à ne plus savoir qu’en faire. Bienvenue dans ce spin-off consacré à El Diablo !

Quatrième de couverture : « Niland, Californie. Entre les mobil-homes pourrissant au soleil et la poussière du désert qui s’infiltre partout, le petit Jesus, 12 ans, essaie de grandir tant bien que mal sans modèle paternel. Un soir d’Halloween, il observe dans le terrain vague en face de chez lui un être étrange, à tête de citrouille. Personne d’autre ne voit Spooky, comme il le baptisera plus tard. Mais Spooky a une drôle d’influence sur Jesus, et l’incite régulièrement à commettre des actes de délinquance. Et lorsque la mère découvre le corps sans vie de son demi-frère de 2 ans, Jesus doit faire face aux enquêteurs alors que toutes les preuves l’accablent. »

J’ai décidé de tout faire à l’envers : après le dernier spin-off en date, Loba Loca, je remonte le fil avec celui-ci. Il faut dire que la série mère me faisait un peu peur (mais depuis avoir annoncé que j’attendrais un moment avant de la commencer, je me la suis achetée…). Et, vraiment, je crois que j’en suis encore plus dingue que de Loba Loca !

Ce comics se concentre sur la vie d’un personnage en particulier : El Diablo (de son vrai nom Jesus), dieu de la lucha mais qui, ici, ne le sait pas encore. Nous revenons sur son enfance emprunte d’injustice, sur le système judiciaire et pénitencier américain qui ne manque pas de mettre en colère (c’est la version polie de ma pensée), sur la vie qui doit reprendre et la difficile réintégration, sur les gangs et leurs déboires, mais aussi sur l’amour et l’espoir.

Run et Neyef nous proposent un travail ultra léché et équilibré, rythmé et percutant qui ne saurait laisser personne indifférent. C’est l’histoire d’un garçon que personne ou presque n’a protégé… C’est l’histoire d’un monde qui n’est pas beau à voir mais qui accueille, parfois, un rayon de soleil synonyme de lendemain.

L’éventail d’émotions par lesquelles les auteurs nous font passer mérite grandement ce coup de cœur, j’ai eu beaucoup de mal à tourner la dernière page tellement je m’étais attachée à Jesus, mais aussi fondue dans cet univers graphique et littéraire de haute qualité. Bref, si vous hésitez encore, succombez à la tentation.

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Et vous, prévoyez-vous un petit détour sur les pas d’El Diablo ?

« Je ne suis pas fou » d’André Marois (Héliotrope, 2019)

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Petite découverte anxiogène pour ce début d’année venteux et gris : de quoi mettre de l’ambiance à mes moments de détente littéraire. Un livre de peu de pages (128) mais qui n’a pas besoin de plus pour installer doute et malaise, fort inconfort et, au final, une lecture qui marque comme un coup sur une peau bien trop fragile.

Quatrième de couverture : « Chaque soir, c’est pareil : maman prépare une tarte aux pommes et l’enfourne. Papa et moi regardons les nouvelles à la télé. Après l’émission, un cri retentit toujours de la cuisine, puis le bruit d’une chute. Mon père et moi nous précipitons. La tarte est renversée sur le sol ; maman explique qu’elle l’a fait tomber à cause du moule qui était brûlant. Papa s’allume une cigarette sans rien dire et part à la recherche de son cendrier. Chaque soir c’est pareil, et mes parents font comme si de rien n’était. Je crois qu’ils veulent me rendre fou.

Dans ce roman glaçant, un jeune garçon voit sa maison devenir le théâtre d’une lutte pour sa survie et doit parer les coups diaboliques de ceux dont il attend pourtant le réconfort. »

Un jeune garçon nous invite dans son quotidien, en quelque sorte comme uniques témoins de la vie qu’il subit. Ses parents veulent le rendre fou et il résiste, il observe et fait en sorte de ne pas réagir afin que les adultes ne le soupçonnent pas de comprendre. A nous de nous positionner : a-t-il raison ou est-il dans un état paranoïaque ? Du doute à la conviction, nous sommes positionnés en adultes qui doivent croire ou non la parole de l’enfant.

Peu à peu l’air s’épaissit et les actes glaçants se succèdent. Nous vivons avec ce jeune et triste héros (car le courage ne lui manque pas) les épreuves, nous avons peur avec lui, nous lui soufflons des pensées réconfortantes, nous ne comprenons pas les rouages du piège qui l’entoure mais ne pouvons que faire face.

Efficace, ce livre l’est. Mais quelle finalité à cette folie ? Poussé jusqu’à un extrême qui est un arbre qui cache une forêt, il nous tord le ventre et l’esprit autour de la maltraitance faite aux enfants. Des scènes absurdes dont on cherche le sens ne mettent que plus en évidence que rien ne justifie les violences physiques et/ou psychologiques.

Ce livre a été ma première rencontre avec André Marois, auteur qui écrit beaucoup de romans noirs pour adultes comme pour la jeunesse. Je ne peux que confirmer, c’est très sombre. Si vous souhaitez vous y frotter je ne peux que vous y inviter, mais tout en vous prévenant qu’il secoue et qu’il vous faudra prendre une grande inspiration avant de vous lancer. Car l’air viendra à manquer.

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Et vous, connaissez-vous cette maison et avez-vous d’autres livres à en recommander ?

« Un enfant comme ça » d’Antoine Bréda (La Boîte à Bulles, 2019)

Ce roman graphique correspond typiquement à ce que je recherche en ce moment : une histoire qui nous parle d’humanité avec sensibilité et des illustrations qui se distinguent par leur singularité. Et cette singularité graphique fait écho à la différence de Charles, que ses parents ne comprennent pas et qu’ils vont emmener voir une personne qui mesure la bêtise des enfants.


Quatrième de couverture : « Charles est un petit garçon différent. Peut-être à cause de ses lunettes à cordon ? Ou alors parce qu’il ne met pas les animaux de la ferme à l’intérieur des barrières ? Avec un père qui ne comprend pas et une mère apeurée, Charles grandit et devient malgré lui un adulte. Mais même ainsi, Charles est différent. Trop peut-être, puisque malgré tout l’amour qu’il a en lui, personne ne semble vouloir accepter ce curieux mutisme de l’âme. Cette fragilité aveugle et cette délicatesse silencieuse qui l’anime. L’auteur nous emmène ici dans le quotidien à nu d’un être dénué de malice faisant face à la réalité dans son insidieuse cruauté. La vie telle qu’elle est sans artifice, à travers le regard simplet sans être sot de Charles. Un portrait qui appelle à la tolérance de l’autre et qui rappelle que malgré nos différences, nous sommes tous des êtres sensibles et que tous nous avons besoin qu’une oreille attentive nous comprenne. Un livre qui touche, qui bouscule tout en douceur et qui au final, fait du bien ! »


A priori Charles est bête (parole de spécialiste), mais c’est pas grave, on va le placer avec d’autres enfants comme lui, encadrés par un enseignant formé à des méthodes savamment pensées pour le faire rentrer dans le moule, bien comme il faut. Si ça résiste ? On forcera un peu. On n’a jamais vu un cube passer par un trou circulaire ! Un moule, donc, qui ne lui correspond pas mais qui convient à la masse, alors ce doit être le bon, celui qui rend heureux.

Et si… Et si ce n’était pas le cas ? Et si nous étions en capacité d’accepter les enfants avec leurs spécificités, leurs particularités, ce qui les rend unique ? Et si nous n’aliénions pas leur monde en voulant le calquer sur des logiques d’adultes pressés par l’efficacité et la productivité ?

Charles est devenu un adulte qui se fond dans la masse mais qui ne s’intègre pas pour autant. Transparent, coincé dans une bulle, coincé en lui, il passe à côté de sa vie. Et lorsque le petit Julien, son fils, est surpris à mettre les animaux en dehors de l’enclos comme lui à son âge, la malédiction de l’enfant jugé bête par les spécialistes de l’enfance tend à se perpétuer…

Ce roman graphique aborde avec sensibilité la différence d’un enfant que ses parents vont tenter de rendre normal (concept qui m’échappe). Mais il se concentre surtout sur la vie d’adulte de Charles, car il a fait un bout de chemin mais se confronte à de nouvelles difficultés face auxquelles il se retrouve perdu, désemparé. Entre la violence du monde qui l’entoure et quelques mains tendues, c’est un récit touchant que nous livre Antoine Bréda sur l’acceptation de soi et des autres.

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Ils/Elles l’ont aussi lu et chroniqué : Pas de chronique trouvée pour le moment.


 

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