📖 « La chambre de Mariana » d’Aharon Appefeld (L’olivier, 2008)

Me voilà bien embêtée alors que je dois écrire la chronique de ce livre qui m’a autant émue que gênée… Un début d’année avec Aharon Appelfeld contrasté mais néanmoins marquant car derrière ce texte se tient un enfant ayant survécu à la Shoah et il est impossible de ne pas y chercher la propre expérience de l’auteur, même parcellaire.

Quatrième de couverture : « Avant de fuir le ghetto et la déportation, la mère d’Hugo l’a confié à une femme, Mariana, qui travaille dans une maison close. Elle le cache dans un réduit glacial d’où il ne doit sortir sous aucun prétexte. Toute son existence est suspendue aux bruits qui l’entourent et aux scènes qu’il devine à travers la cloison. Hugo a peur, et parfois une sorte de plaisir étrange accompagne sa peur. Dans un monde en pleine destruction, il prend conscience à la fois des massacres en train de se perpétrer et des mystères de la sexualité. »

Hugo et sa mère sont enfermés dans un ghetto. Les rafles et les déportations s’accélèrent, la menace est de plus en plus pressante. La mère d’Hugo tente en vain de le placer à la campagne, dans une famille de paysans moyennant rétribution, mais ses plans n’aboutissent jamais. En dernier recours, elle confie Hugo à une ancienne camarade d’école prête à l’aider : Mariana.

Mariana vit dans une maison close et Hugo va désormais y vivre aussi, caché dans un réduit attenant à la chambre de cette femme dont il ne sait rien et qu’il va peu à peu apprendre à connaître… Dans ses accès de colère, dans sa douceur maternelle, dans sa mélancolie inconsolable, dans sa dépendance à l’alcool, dans sa sensualité.

Sans nouvelles de sa mère qui, après l’avoir confié à Mariana, est partie en quête d’une cachette dans les villages environnants, il entend et apprend ce qui se passe à l’extérieur : la chasse aux Juifs dans les moindres recoins des habitations, les exécutions publiques. A l’intérieur : la façon dont Mariana est traitée par les hommes, leur violence et leur mépris ; le risque d’être à la mercie d’autres personnes de la maison close et donc de risquer la délation à chaque instant. Le danger devient par la suite réel pour Mariana. Coupable d’avoir été prostituée, d’avoir reçu des Allemands lorsque les Russes prennent le contrôle de la ville.

J’ai été très touchée par Hugo et sa solitude, sa façon d’invoquer ses proches pour les garder en vie et se sentir moins seul, dans son réduit glacial et sombre. J’ai aimé la façon dont Aharon Appelfeld nous parle de la prostitution et de ces femmes pour lesquelles on sent une réelle compassion et de la considération. Mais un point de bascule entre Hugo et Mariana m’a fait clairement et définitivement dépasser la limite du malaise.

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Et vous, avez-vous lu ce roman ou un autre d’Aharon Appelfeld ?

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« Auschwitz, ville tranquille » de Primo Levi (Albin Michel, 2022)

Traduit de l’italien par Louis Bonalumi, Martine Schruoffeneger, André Mauge
et René de Ceccatty

Pour ce 27 janvier, journée de commémoration internationale dédiée à la mémoire des victimes de la Shoah, jour qui marque également les 77 ans de la libération du camp d’Auschwitz-Birkenau, je souhaite mettre en avant Primo Levi (1919-1987), lui-même victime et témoin.

Quatrième de couverture : « Témoin essentiel de la barbarie nazie, Primo Levi n’a cessé de raconter Auschwitz tout en cherchant à comprendre les ressorts d’une inhumanité dont ses deux livres majeurs, Si c’est un homme et La Trêve, ont rendu compte avec une lucidité inégalée. L’expérience du camp qui hante et nourrit son œuvre s’y exprime de manière diverse.

Ainsi, les dix nouvelles qui composent ce recueil, rassemblées pour la première fois, et complétées par deux poèmes, illustrent la variété des formes littéraires que revêt l’œuvre de Primo Levi. L’approche scientifique du monde à laquelle l’incitait sa formation de chimiste se confronte à des domaines tels que la science-fiction, le fantastique, ou à son goût pour la poésie, peut-être l’un des seuls moyens d’exprimer l’ineffable. Préfacés par René de Ceccaty, ces récits convoquent la voix ô combien subtile et nécessaire d’un homme de vérité et invitent à redécouvrir toutes les facettes d’un des grands écrivains du XXe siècle. »

Ce recueil a été pensé en un mélange de nouvelles – pour certaines inédites – parlant d’Auschwitz et de la Shoah de façon directe comme indirecte. Primo Levi, en plus d’être écrivain, fut chimiste. Cette sensibilité scientifique se retrouve dans une partie de ses nouvelles.

En effet, ce recueil est pluriel : il mêle la poésie et la nouvelle ; et dans les nouvelles, il vient alterner des textes très réalistes et factuels de la vie à Monowitz-Buna (Auschwitz-III) et d’autres qui touchent à la science-fiction. Mais tous, d’une manière ou d’une autre, viennent témoigner et dénoncer l’idéologie nazie et sa froide application. Les nouvelles réalistes sont tirées de la vie de Primo Levi et parmi elles, c’est la culpabilité – et sa sincérité – qui est interrogée ainsi que le fait d’apporter des réponses à des familles dont l’arbre généalogique est amputé.

En plus de nous parler de l’époque, il dit l’après tout en projetant – grâce à la fiction – ce que pourrait être une idéologie similaire à l’avenir.

Le témoignage incontournable de Primo Levi, Si c’est un homme, fut l’un des premiers. Certaines nouvelles y font écho, montrant que contrairement à ce que certaines personnes pensent (ou disent bien fort) il y a encore des choses dire de la Shoah et nous n’avons pas dépassé la nécessité de la mémoire.

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Et vous, quel livre partagez-vous sur l’histoire et la mémoire de la Shoah ?

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« 10 jours dans un asile » de Nellie Bly (Editions du Sous-sol, 2015)

Si je vous en parle aujourd’hui c’est parce que ce 27 janvier marquera les 100 ans de la disparition de cette autrice et journaliste qui marqua sa profession et ses lecteur·rice·s.

Quatrième de couverture : « Engagée en 1887 au journal New World du célèbre Joseph Pulitzer, Nellie Bly se voit confier une mission pour la moins singulière : se faire passer pour folle et intégrer un asile, le Blackwell’s Island Hospital sur Roosevelt Island à New York.

Intrépide, courageuse et soucieuse de dénoncer les conditions des laissées-pour-compte, elle accepte le défi et endosse le rôle. Elle reste dix jours dans l’établissement et en tire un brûlot. D’abord publié en feuilleton, ce reportage undercover met en lumière les conditions épouvantables d’internement des patientes ainsi que les méthodes criminelles du personnel. L’oeuvre de Nellie Bly, jusqu’alors inédite en France, marque la naissance du journalisme dit infiltré et préfigure les luttes pour l’émancipation des femmes. »

Trois reportages sont réunis dans ce livre. Le premier et le plus important en termes de nombre de pages est l’infiltration que connut Nellie Bly dans un asile – dans l’aile des femmes – afin de témoigner des conditions de vie, du manque d’humanité de la majorité des salariés et des maltraitances quotidiennes subies par les dites malades. Car au-delà même de l’encadrement et de l’indignité de celles et ceux qui sont sensés soigner et rassurer, Nellie Bly montre une société qui enferme les femmes, victimes de maladies mentales ou saines d’esprit. A partir du moment où le comportement froissait la société et ses mœurs, ou encore quand la femme était de trop pour un homme ou une famille, l’enfermement pour folie existait bel et bien.

Le reportage de Nellie Bly, publié en 1887, fit beaucoup de bruit à l’époque et permis de rendre visibles des délits, des crimes, des manquements graves. Des décisions politiques furent prises, mais nous savons bien que la prise en charge de la santé mentale dû faire encore de grands progrès…

Ce récit est suivi de deux courts reportages : l’un dans un service de recrutement de domestiques, l’autre dans une usine. Chacun a pour objectif de confirmer des rumeurs et de mettre en avant des injustices sociales (et des causes féministes).

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Et vous, quel livre de non-fiction conseillez-vous ?

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« Ce prochain amour » de Nora Benalia (Hors d’atteinte, 2022)

Ce roman s’ouvre sur des considérations testiculaires. Une entrée en matière qui annonce que le contenu sera franc, cru et qu’on appellera une couille une couille.

Quatrième de couverture : « Une femme se laisse convaincre de renoncer à son métier, fait des enfants, les élève seule, survit à une multitude de violences quotidiennes et ordinaires et s’entend de surcroît répéter à tout bout de champ que le courage est un truc de bonhomme. Qui parviendrait à rester calme dans ces conditions ? Certainement pas Nora Benalia, dont Ce prochain amour est le premier roman publié. »

Nora Benalia se met (plus ou moins ?) en scène dans ce roman pour raconter des relations aux hommes. Parmi elles, il y a celle avec un ex-mari qui fut gorgée de violences et, de fait, d’un manque criant d’amour. L’autrice raconte un monde avant #metoo dans lequel les femmes savaient entre elles, à voix basse, les violences que chacune subissait. Ces femmes prétendues folles par leur bourreau ou rendues folles par les violences quotidiennes. Un monde peu habitué à voir une femme divorcer et élever seule ses enfants. Un monde qui jugeait la femme pour l’échec d’un mariage.

Mais c’est aussi du monde d’aujourd’hui dont elle parle. Un monde dans lequel la parole est un peu plus libre (bien qu’encore difficile à prendre) mais qui persiste à mal comprendre la situation des femmes et en particulier des mères célibataires.

De sa libération d’un homme violent à la recherche d’un nouvel amour, le personnage de ce roman témoigne également des blessures persistantes, de la nécessaire reconstruction comme de la notion de désirabilité.

Une lecture engageante pour une bonne partie mais qui s’est conclue – avec moi – par un essoufflement.

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Et vous, quel primo romancier·e voulez-vous partager ?

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❤ « Sourvilo » d’Olga Lavrentieva (Actes Sud BD, 2020)

Traduit du russe par Polina Petrouchina

Après avoir découvert avec forte émotion Requiem d’Anna Akhmatova, ce roman roman graphique se positionne un peu comme un écho au recueil de poésie. Nous sommes plongés dans la terreur stalinienne, confrontés aux arrestations arbitraires, aux disparitions et aux familles, celles et ceux qui restent et son laissé·e·s dans l’ignorance.

Quatrième de couverture : « En Russie, les grand-mères sont la mémoire vivante de l’histoire tragique de leur pays. Svetlana Alexievitch raconte d’ailleurs qu’enfant, sa grand-mère lui avait appris à écouter ce qu’on avait pas le droit de dire.

Valentina Sourvilo, 94 ans, se raconte à sa petite fille : une enfance heureuse à Leningrad, brutalement interrompue par l’arrestation de son père, en 1937. Puis viennent l’assignation à résidence à la campagne, la mort de sa mère, et le retour dans sa ville natale, qui va être assiégée pendant plus de deux ans. C’est le tristement célèbre Siège de Leningrad. La faim, le froid, la peur, les bombardements et les fusillades, la trahison des amis mais, aussi, parfois, la surprise d’une main tendue… À travers le témoignage exceptionnel de sa grand-mère Valentina, c’est le destin de tout un pays que nous raconte Olga Lavrentieva, qui, grâce à une maîtrise stupéfiante, donne ses lettres de noblesse au roman graphique russe. »

C’est en donnant la parole à sa grand-mère qu’Olga Lavrentieva dévoile tout une partie de l’histoire russe. Un partie des victimes de la Grande Terreur instaurée par Staline concernera des personnes d’origine polonaise. Ce sera le cas du père de Valentina Sourvilo. Arrêté sur de fausses accusations, la famille est expulsée de son logement et est envoyée dans une région éloignée de Leningrad.

De cet évènement à l’époque contemporaine, Valentina esquisse presque un siècle d’histoire russe en montrant l’injustice d’un système qui l’a malmenée de longues années. Elle dit aussi cette peur qui s’est inscrite en elle et qui ne l’a jamais quittée. Une peur née de l’arrestation de son père, de la perte de sa mère, de la guerre et du siège de Leningrad, des malheurs qui l’ont longuement accablée.

Je me suis laissée entraîner dans les soubresauts de cette histoire dans l’histoire, séduite par un scénario efficace et un témoignage profondément touchant. Un livre qui peut être lu en regard de la poésie d’Anna Akmatova, qui dit l’attente, le silence, le coeur qui meurt de chagrin, la douleur du temps qui passe sans nouvelles des proches, l’entière incertitude des lendemains. En complément de ces deux ouvrages, je me suis offert Envers et contre tout d’Euphrosinia Kersnovskaïa.

Ce livre est le premier d’Olga Lavrentieva qui soit traduit en français et j’ai hâte de pouvoir découvrir d’autres des œuvres.

Cette lecture a été faite dans le cadre du challenge #autricesdumonde de janvier, organisé par Claire de Des pages et des lettres.

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Et vous, appréciez-vous l’histoire dessinée ?

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❤ « Requiem » d’Anna Akhmatova (Interférences, 2005)

Traduit du russe et illustré par Sophie Benech

Anna Akhmatova (1889-1966) a connu les répressions politiques en URSS de l’époque stalinienne. Elle prouve la force de la poésie pour dire la douleur et l’épuisement, pour dire aussi la colère et la détermination – en particulier des femmes – sans oublier la volonté de faire lumière et de rendre ainsi un peu justice aux victimes.

Quatrième de couverture : « En Russie, à la fin des années trente, parmi les millions d’innocents arrêtés qui disparaissent dans les cachots et dans les camps, il y a le fils d’Anna Akhmatova, un des grands poètes russes du siècle. Elle compose alors des poèmes qu’elle n’ose même pas confier au papier : des amis sûrs les apprennent par cœur et, pendant des années, se les récitent régulièrement pour ne pas les oublier.

En évoquant sa tragédie personnelle, Akhmatova parle au nom de toutes les victimes, et aussi de toutes les femmes qui, comme elle, ont fait la queue pendant des semaines et des mois devant les prisons. Ses vers formés des pauvres mots recueillis sur leurs lèvres, comptent parmi les plus poignants de la littérature russe.

Les dizaines de millions de voix étouffées et brisées qui, grâce à elle, traversent l’espace et le temps pour parvenir jusqu’à nous, résonneront encore longtemps dans la mémoire de la Russie. »

Durant la terreur stalinienne, le premier mari d’Anna Akhmatova a été exécuté, son fils a été arrêté et longuement emprisonné à plusieurs reprises, son troisième mari fut envoyé dans un camp où il mourut. Elle fut écartée de la vie littéraire et personnellement menacée. Ses textes ne pouvaient être conservés pour des questions de sécurité, ce furent donc ses amis qui les apprirent et les retinrent jusqu’au jour où ils purent être couchés sur papier.

Ici, Anna Akhmatova dit avec force l’injustice de l’enlèvement de proches, la difficulté de ne pouvoir avoir de nouvelles, le cruel mutisme de la prison, la folie que peut créer en soi la disparition d’un être aimé. Elle dit le bruit des bottes, les cliquetis des serrures des cellules, les cris des femmes et des mères qui attendent face à la prison.

Il faut lire ces poèmes pour nous souvenir et rendre hommage à ces femmes qui ont attendu, pleuré et défendu leurs maris, leurs fils, leurs frères, leurs pères. Des femmes courageuses mais piétinées par un pouvoir totalitaire et paranoïaque. Il faut lire ces poèmes pour nous souvenir et rendre hommage aux millions de personnes innocentes qui furent arrêtées, emprisonnées et envoyées en Sibérie.

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Et vous, quel livre sur la terreur stalinienne conseillez-vous ?

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« Loin de Douala » de Max Lobe (Zoé, 2018)

Cela fait plusieurs mois que je souhaite découvrir Max Lobe et, parmi sa bibliographie, ce roman était celui que je voulais absolument découvrir en premier.

Quatrième de couverture : « Jean et Simon sauront-ils retrouver Roger ? Ce dernier a fui une mère colérique pour courir après un rêve, devenir une star du football. Quitter Douala, passer par le Nigeria pour finir en Europe : cela s’appelle faire le boza. Les péripéties de Jean et Simon aux trousses de Roger ont tout du voyage initiatique : ils découvrent le Nord du Cameroun, une région à la nature somptueuse, quoique sinistrée par Boko Haram et la pauvreté, goûtent aux fêtes. Mais le petit Jean se confronte aussi à l’éloignement d’avec la mère et à l’apprentissage d’une identité sexuelle différente. Max Lobe, avec sa gouaille et son humour, excelle à donner la parole à ses personnages, à restituer les atmosphères qui règnent dans la rue, les trains, les commissariats, les marchés ou les bars mal famés. »

Impression post-lecture à chaud : je suis ravie d’avoir été au bout de mon envie et je compte bien poursuivre ma découverte des romans de Max Lobe. La promesse de sa Phall’Excellence, paru en 2021, est au chaud dans ma PAL.

Roger, jeune homme camerounais, fugue de son foyer et sa vie familiale conflictuelle et meurtrie pour rejoindre l’Europe réaliser son rêve de devenir footballeur. Son frère, Jean, et un ami proche, Simon, partent à sa recherche sur les routes du boza. En arrière-plan du périple qui sera aussi un voyage initiatique pour Jean : les exactions du groupe terrorisée Boko Haram font chaque jour un peu plus de victimes, la découverte de premiers émois sexuels.

Un roman actuel, plein d’une gouaille savoureuse et d’une langue imagée, qui nous emmène saisir l’énergie de villes camerounaises et l’ambiance d’un pays vivant mais qui est aussi en proie au terrorisme, à la corruption, au départ de ses jeunes et, pour une partie de la population, à la manipulation spirituelle par intérêt pécunier.

En suivant ces deux jeunes, nous découvrons un pays et différentes forces en présence, des jeux de pouvoir et – ce que j’ai particulièrement aimé – une vitalité folle, notamment des personnages féminins.

Je ne peux qu’attirer votre attention sur la photographie de couverture. Si la couverture joue rarement un rôle dans mes envies de lecture, cette photographie m’a totalement attirée au premier regard. Il s’agit d’un portrait d’Omar Victor Diop, photographe sénégalais qui se met en scène autour de différentes thématiques, dont celle de la diaspora – ici en lien avec des rêves de ballon rond.
Vous pouvez découvrir son travail sur son site internet ou en vous offrant son livre (disponibles aux éditions 5 Continents, paru en 2021). Un travail magnifique.

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Ils/Elles l’ont aussi lu et chroniqué : Les libraires masqués du grenier

Et vous, quel·le auteur·ice camerounais·e conseillez-vous ?

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« Mon ombre » de Christine Falkenland (Actes Sud, 2000)

Traduit du suédois par Lena Grumbach et Marc de Gouvenain

Petite exception à mes vacances de blog de ce mois de décembre pour vous partager ma chronique du challenge bimestriel Un mot, des titres organisé par Azilis. Pour cette session, le mot très inspirant choisi était ombre. J’ai décidé, dans ce cadre, de découvrir une autrice suédoise que je ne connaissais pas, l’occasion également de partir en Scandinavie, région que je littexplore assez peu.

Quatrième de couverture : « Dans une petite île scandinave, une femme vieillissante se raconte. Un mari qui ne la désirait pas, pour qui elle ne fut que l’ombre de sa première épouse, une enfance brisée par une chute la laissant à jamais handicapée, et l’enfermement psychologique décuplé par l’insularité. Mais sa mémoire ne s’arrête pas là ! Son exigence peut-être, sa résistance sûrement lui permettent de déjouer les pièges de l’aigreur et du cynisme, de maîtriser la violence générée par la solitude et la jalousie. Quand enfin quelqu’un la considère, quand la fille de la première épousée s’attache à elle, quand cette adolescente la choisit comme confidente, tout semble basculer, la vie s’éclaire, l’instinct maternel, la complicité féminine se conjuguent et s’enflamment.

A travers ce personnage féminin aux multiples facettes, Christine Falkenland fait preuve ici d’une remarquable maîtrise narrative et d’une puissance romanesque incontestable tout en s’attachant au territoire psychologique avec une étonnante acuité. »

Ce roman raconte l’histoire d’une femme. Une vie marquée par un accident de jeunesse indélébile qui impacta ses espoirs d’amour et de mariage. Pourtant, un jour elle rencontre un homme parfaitement correct et courtois qui lui demande sa main. Mais cet homme est veuf et aimait – aime toujours – d’un amour absolu sa défunte épouse. La place à prendre n’est peut-être pas vraiment celle d’une épouse.

C’est l’histoire d’une femme en mal d’amour qui oscille entre raison et folie, qui se perd et s’enferme dans ses sentiments contradictoires. Un texte traversé par des combats sentimentaux, se disputant entre l’amour et la haine, la jalousie et le besoin d’exister pleinement. Moi-même, à la lecture, j’ai tangué entre différents sentiments contrastés, à la fois empathique et repoussée par cette femme qui, parfois, crée son propre malheur.

Si ce livre est très bien écrit et alterne avec aisance les épisodes passés et les situations actuelles à la manière du flux des souvenirs et des contrariétés présentes d’une vieille femme, je ne poursuivrais pas ma découverte de l’œuvre de Christine Falkenland, ses autres romans poussant a priori la gênance un peu trop loin pour moi.

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Ils/Elles l’ont aussi lu et chroniqué : Pas d’autres chroniques trouvées pour le moment.

Et vous, quel livre auriez-vous choisi avec le mot « ombre » ?

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👁 « Anna Politkovskaïa. Journaliste dissidente » de Francesco Matteuzzi et Elisabetta Benfatto (Steinkis, 2016)

Traduit de l’italien par Marie Giudicelli.

Le 7 octobre 2006, en fin d’après-midi, Anna Politkovskaïa est froidement assassinée dans la cage d’escalier de son immeuble. Après des années de menaces répétées, l’exécution a eu lieu. Depuis, aucun coupable n’a été désigné. Ce qui est sûr, c’est qu’Anna Politkovskaïa gênait les plus hautes instances, celles-là mêmes qui ne craignent rien… sauf les journalistes et écrivain·e·s.

Présentation de la maison d’édition : « Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus que de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie.

Cette phrase d’Albert Londres était pour Anna Politkovskaïa une ligne de conduite.

Née à New-York, enfant privilégiée de la Nomenklatura, la jeune Anna choisit le journalisme. L’année 1999 marque un tournant. Elle couvre le conflit en Tchétchénie pour Novaïa Gazetta et met, dès lors, le pied dans un engrenage qui va conduire à son assassinat sept ans plus tard.

C’est en Tchétchénie que débute le récit de ce roman graphique, hommage à une journaliste courageuse et à une femme déterminée qui fut et reste la voix de la Russie qui résiste. »

Les faits que met régulièrement au jour Anna Politkovskaïa sont sidérants, à peine croyables et égratignent directement Vladimir Poutine et les gouvernements. Pour eux, cela ne peut pas durer. Parmi les journalistes il y a les bons, ceux qui veulent du bien à leur pays et ne cherchent pas à le décrédibiliser, et il y a les mauvais, ceux qui s’en prennent à lui et le critiquent. Les mauvais, il faut les faire taire : de l’intimidation à l’assassinat, il y a à la fois le choix des armes et l’impunité des commanditaires.

Pour le pouvoir russe, Anna Politkovskaïa était une mauvaise journaliste car elle faisait son travail, recherchait, vérifiait l’information et écrivait ce qu’elle voyait, ce qui était tangible. Que ça plaise ou non. Généralement la deuxième option.

Depuis la prise de pouvoir de Vladimir Poutine une explosion d’assassinats de journalistes a été constatée.

Ce roman graphique est un hommage au courage d’Anna Politkovskaïa en plus de revenir sur certaines affaires marquantes qu’elle a couvertes et révélées dans la presse : des prises d’otages, des attentats et la deuxième guerre de Tchéchénie. Le récit se clôt sur un entretien très riche entre Francesco Matteuzzi et Paolo Serbandini, qui a connu la journaliste.

Plusieurs des livres d’Anna Politkovskaïa sont encore disponibles, de quoi me rendre curieuse et poursuivre ma découverte de cette femme qui ne voulait ni se taire ni s’en laisser conter par les gouvernements russes.

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Ils/Elles l’ont aussi lu et chroniqué : La bibliothèque du Dolmen

Et vous, quel·s livre·s sur des journalistes menacé·e·s ou assassiné·e·s conseillez-vous ?

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« Quand les courges étaient en fleurs » de Dragoslav Mihailović (Gallimard, 1972)

Dragoslav Mihailović est né en novembre 1930 – bon anniversaire à lui ! – et, à l’âge de dix-neuf ans, fut envoyé dans un camp de rééducation du fait des purges titistes. De ce roman, paru en 1968 en Yougoslavie, une pièce de théâtre sera tirée et censurée après la première représentation. Des propos qui ont donc chatouillé et dérangé le pouvoir en place. Vous vous en doutez : ma curiosité est piquée !

Quatrième de couverture : « Dès sa publication, en 1968, ce roman a reçu en Yougoslavie un succès significatif. L’auteur nous entraîne dans les quartiers périphériques de Belgrade avec ses jeunes voyous, dans le monde de la rue où la violence a ses lois et se teinte souvent d’un curieux romantisme. Avec un naturel qui semble parfois toucher à la désinvolture, Mihailović nous apprend quel fut le cadre réel dans lequel toute une génération tenta de vivre au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale.

Ce récit plein d’une vie naïve et violente est écrit dans une langue savoureuse. »

Les quatrièmes couverture restent à jamais figées dans l’époque de publication des livres qu’elles représentent et c’est bien le cas avec celle-ci. Car du curieux romantisme annoncé il y a surtout une profonde violence – notamment à l’encontre des femmes – que montre et dénonce l’auteur lui-même en même temps qu’il décrit des attitudes et considérations clairement sexistes et courantes, ancrées dans une époque.

Personnellement, le fait qu’un texte colle à son époque ne me pose aucun souci, bien au contraire. Ce fut le cas ici. Evidemment certains passages dérangent, mais ce serait une erreur de vouloir les effacer ou les cacher sous le tapis. Car ils nous disent : voici ce que furent les années d’après-guerre en Yougoslavie au coeur des quartiers populaires ; voici comment un auteur positionné contre la dictature communiste de Tito a choisi de les raconter. Du coup, je trouve le résultat aussi intéressant que, parfois, malaisant.

Venons-en aux faits, à l’histoire ! Nous rencontrons Liouba, le narrateur, en Suède où il a émigré et fondé une famille. De son présent il en vient à nous dévoiler les raisons de sa fuite de Yougoslavie. Nous allons alors y découvrir un quotidien rude, violent, cru pour ne pas dire sordide et rendu un tant soit peu palpitant par la chasse aux gonzesses ainsi que par la boxe.

Dans cet environnement à l’ambiance déjà viciée, le régime communiste du maréchal Tito va faire sentir son pouvoir et briser une famille comme une autre, à l’image de l’arbre qui cache la forêt. C’est bien en filigrane que la répression politique est amenée, ce n’est pas le sujet central mais il est tellement visible malgré tout. Il saute aux yeux et à la gorge par les conséquences que doivent subir les individus compromis – ou non.

Liouba part pour l’armée, il va y développer ses aptitudes de boxeur et devenir un champion alors qu’un drame a lieu. Comme si la situation n’était pas assez navrante, la vengeance va s’exprimer. Et de quelle façon ! Là, je passe pour un monstre mais j’adore les histoires de vengeance dans la fiction.

Dragoslav Mihailović nous parle de plusieurs deuils dans ce roman : celui de proches, celui de promesses d’avenir, celui d’un pays, celui du passé. Dans une langue populaire et truculente, Liouba nous raconte son histoire et sa vie, lui qui est malade de son exil, malade de sa Yougoslavie perdue.

Un roman qui en appelle d’autres pour que je me fasse un avis un peu plus précis sur l’auteur et son univers littéraire. Malheureusement, je n’ai pas trouvé d’autre traduction française de son œuvre. Si elle témoigne de la vie sous la dictature du maréchal Tito, se fait à la fois chronique sociale et critique politique, j’espère que des titres jusqu’ici oubliés des maisons d’édition feront un jour leur apparition. En tout cas, je suis contente d’avoir fait cette découverte un peu vintage. Ce ne sont pas les envies qui manquent face au catalogue des éditions Gallimard !

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Ils/Elles l’ont aussi lu et chroniqué : Pas d’autres chroniques trouvées pour le moment.

Et vous, aimez-vous dénicher des romans oubliés ?

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👁 « Hong Kong, cité déchue » de Lau Kwong-shing (Rue de l’échiquier, 2021)

Traduit du chinois par Bertrand Speller.

Hong Kong n’est plus l’exception qu’elle était et qui permettait aux opposants chinois d’avoir un cadre de protection, un espace d’expression. Hong Kong n’est plus l’exception qu’elle était et toute sa population est désormais soumise au système autoritaire et ultra contrôleur chinois.

Quatrième de couverture : « Pendant des jours, des semaines, des mois, ils ont défilé dans les rues, leur dignité pour seule armure face à la tyrannie. Chacune de leurs banderoles affichait le même mot d’ordre, désormais interdit par l’oppresseur : LIBÉREZ HONG KONG. »

Nous avons suivi à travers le monde le combat des Hongkongais pour la défense de leurs droits et libertés ainsi que pour leur souhait de démocratie. Nous avons vu avec un chaud sentiment de fraternité et une peur au ventre – comment ne pas craindre un nouveau Tiananmen – les foules défier l’autorité en place et les forces de l’ordre. Avec toujours de l’inventivité dans la façon d’affronter tête haute le pouvoir et de la détermination, la population a bravé des violences extrêmes. Si aujourd’hui Hong Kong n’est plus, je crois que les Hongkongais qui marchaient face aux gaz lacrymogènes, aux balles en caoutchouc et aux matraques méritent une immense admiration. Certain·e·s y ont laissé leur vie, d’autres ont été blessé·e·s à vie, tabassé·e·s, emprisonné·e·s et j’en passe.

Celles et ceux qui luttaient d’une autre façon, notamment avec les mots la méritent tout autant. Car la presse et la littérature d’opposition n’a plus voix au chapitre à Hong Kong. Des responsables éditoriaux et des journalistes ont été arrêtés pour jugement ou forcés de fermer leurs rédactions.

C’est pour cela que j’ai souhaité parler de ce document, de ce documentaire graphique dans le cadre du mois pour l’écrivain en prison.

J’ai trouvé peu d’informations sur la situation actuelle et les pressions en cours à l’encontre de Lau Kwong-shing mais elles doivent être bien réelles. L’auteur a fait le choix, alors que son travail était florissant, de mettre son talent de dessinateur au service de la cause prodémocratique et du devoir de transparence. Car nous découvrons que le fameux un pays, deux système est du passé depuis un certain temps. Les violences policières, notamment, sont aussi courantes que grandissantes. Et c’est en voyant le visage d’une jeune femme qui aura perdu à jamais un œil lors d’une manifestation que Lau Kwong-shing va prendre sa décision : montrer la réalité de Hong Kong, ce qu’elle a été, ce qu’elle est et ce qu’elle risque de devenir.

L’ouvrage est principalement composé de planches illustrées accompagnées de textes contextualisant et expliquant les faits. Des crayonnés en noir et blanc, réalisés en fonction de l’actualité, qui portent une réelle urgence en eux. Dans un style à la fois précis et marqué par l’univers des mangas, Lau Kwong-shing nous fait découvrir Hong Kong par l’intérieur des manifestations et des injustices, des manigances politiques et policières. Mêlant son histoire personnelle – dans laquelle Hong Kong a pris la place du paradis de l’enfance – et l’actualité socio-politique, l’auteur livre un constat alarmant pour la population comme pour les avancées démocratiques et le respect des droits humains dans certaines régions du monde.

En plus de découvrir beaucoup d’informations sur la vie des Hongkongais et la pression de Pékin sur eux, Lau Kwong-shing nous appelle à la vigilance permanente, rappelant que des droits acquis peuvent être enlevés aux peuples et que c’est un devoir qui revient à ces derniers de ne pas laisser faire sans agir.

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Et vous, connaissez-vous un autre livre parlant de la situation de ces dernières années à Hong Kong ?

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👁 ❤ « L’aurore » de Selahattin Demirtaş (Points, 2019 ; réed. 2021)

Traduit du turc par Julien Lapeyre de Cabanes.

Je me doutais que ce recueil me plairait mais je ne pensais pas être aussi touchée, aussi secouée, aussi percutée. Dès la fin de ma lecture j’ai commandé à mes libraires le second recueil de l’auteur : Et tournera la roue. Je le commence alors que cet article paraît, je vous en parlerai donc sous peu.

Deux recueils écrits en prison par un homme, Selahattin Demirtaş, qui y est encore coupé du monde et risque une peine absurdement longue pour des chefs d’accusation fallacieux qui arrangent les intérêts du pouvoir en place.

Quatrième de couverture : « Des rêves piétinés de Seher aux yeux noirs de Berfin, de Nazo qui fait des ménages à Mina, la petite sirène engloutie, toutes ces femmes, qu’elles soient mères, adolescentes ou filles, affirment leur liberté à tout prix. Selahattin Demirtaş livre ici un récit à la fois tragique et plein d’espoir sur la Turquie contemporaine.

Selahattin Demirtaş est un Kurde de Turquie. Il est incarcéré depuis le 4 novembre 2016 en Turquie et encourt une peine de 183 ans. Entre 2014 et 2018, il a été le leader incontesté du HDP (Parti démocratique des Peuples), un parti d’opposition progressiste pro-kurde et féministe dont il reste un activiste important depuis sa cellule. En prison, il est devenu écrivain notamment avec L’Aurore, traduit dans une douzaine de langues. Il est nommé pour le prix Nobel de la paix en 2019. »

Treize nouvelles pour dire la situation des femmes en Turquie, pour dire la situation de la population sous le régime de Recep Tayyip Erdoğan. Un régime autoritaire qui verse donc dans les crises paranoïaques. Résultat : des actes extrêmement oppressifs et violents ainsi que des emprisonnements et des jugements arbitraires.

Lire Selahattin Demirtaş c’est comprendre les tensions qui habitent la Turquie d’aujourd’hui, qu’elles traversent des vies personnelles ou la vie globale du pays. L’auteur nous montre les victimes des systèmes : institutionnels, économiques, familiaux. Il nous montre aussi la résistance, le courage, la détermination comme des souffles d’espoir. Inutile de dire que Selahattin Demirtaş publie des textes courageux dans ce qu’ils montrent et dans le fait qu’ils n’allègeront pas les charges retenues contre lui par le régime.

Chaque nouvelle a de quoi glacer le sang ou marquer les esprits et je garde avec moi certains personnages qui les habitent. Comme la jeune Seher, victime parmi les victimes. Les textes sont courts et impactent par la surprise des situations qu’ils dépeignent, je ne souhaite donc pas développer davantage mon commentaire.

N’attendez plus et découvrez Selahattin Demirtaş. Emprisonné pour que sa voix ne puisse plus porter et qu’elle s’éteigne. L’une des résistances possibles de notre part à l’oppression du régime turque sur ses opposants, en tant que communauté civile étrangère, est de la découvrir et de la partager.

Note : Le journal Le Monde vient de faire paraître un hors-série sur la Turquie qui a l’air passionnant. Je vais faire en sorte de le lire pour alimenter plus concrètement – si c’est pertinent – ma prochaine chronique sur le sujet.

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Et vous, quelle littérature turque s’opposant au régime en place conseillez-vous ?

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« Irmina » de Barbara Yelin (Actes Sud, 2014)

Traduit de l’allemand par Paul Derouet.

Je n’ai pas pu profiter du réseau des médiathèques comme je l’aurais voulu depuis un an et demi et quel plaisir de pouvoir y retourner sereinement ! Parmi mes premiers emprunts, ce livre qui me faisait de l’oeil depuis des mois et des mois. Un roman graphique de près de 300 pages, bel objet littéraire qui vient interroger une trajectoire individuelle dans l’histoire collective allemande des années 1930 et 1940.

Quatrième de couverture : « Inspiré d’une histoire vraie, le parcours d’une femme allemande des années 1930 à 1980. Un drame poignant sur le conflit entre l’intégrité personnelle et les compromis auxquels peut conduire l’ambition. À travers des images suggestives et pleines d’atmosphère, l’évocation d’une carrière pleine de fractures, exemplaire de la complicité que beaucoup ont nouée avec le régime hitlérien, en détournant les yeux et parce qu’ils y trouvaient avantage. »

Irmina est une jeune femme allemande qui va chercher l’émancipation en Angleterre. Etudiante dans une école la formant au secrétariat et à la dactylographie, elle a de grandes ambitions et souhaite faire ce dont elle a envie, comme elle en a envie. C’est dans ce pays qu’elle va faire la rencontre d’Howard, originaire de la Barbade (alors colonie de l’empire britannique). Un amour va naître, faisant fi des convenances racistes de l’époque, car Howard est noir.

Forcée de rentrer en Allemagne où le parti national-socialiste a pris le pouvoir, Irmina va se retrouver confrontée à des déconvenues et à des choix.

A travers ce portrait de femme, inspiré par les carnets de sa propre grand-mère, Barbara Yelin explore l’adhésion passive à un système fasciste et génocidaire. Avec Irmina, elle montre comment des frustrations autocentrées peuvent rendre aveugles, comment une soif d’ascension sociale peut se faire complice d’un modèle abject. C’est ce profil de passivité qui intéresse ici. Comment tant d’Allemands ne pouvaient-ils pas savoir ce qui se passait réellement, comme il a été dit à la sortie de la guerre ? Pourquoi ne voulaient-ils pas savoir serait plus juste. Car il s’agit bien de regards détournés qui, couverts par cette fameuse passivité, ont permis en partie l’inimaginable et l’irréparable.

Une réflexion passionnante sur les vies civiles en périodes de tensions et en temps de guerre. Presque un appel à la vigilance dans nos propres comportements : ne pas se laisser berner par de trop belles promesses, conserver des valeurs morales.

Un style graphique impressionnant dans ses plans larges de paysages et ses planches sur doubles-pages, moins convainquant dans sa représentation rapprochée des visages et des expressions.

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Et vous, quel livre avec un personnage principal moralement critiquable conseillez-vous ?

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❤ « Que sur toi se lamente le Tigre » d’Emilienne Malfatto (Elyzad, 2020)

Tout début 2021 j’ai lu un roman pour lequel j’ai été incapable de trouver les mots. Alors, quand ça ne veut pas, je ne force pas. Les mots viendront quand ils seront prêts. C’est à l’occasion du visionnage du reportage En Irak, le combat des femmes pour leur liberté, réalisé par Lucile Wassermann et Jack Hewson et diffusé sur France 24, que j’ai senti qu’il était temps de secouer mon lexique interne pour faire jaillir ces fameux mots.

Quatrième de couverture : « Dans l’Irak rural d’aujourd’hui, sur les rives du Tigre, une jeune fille franchit l’interdit absolu : hors mariage, une relation amoureuse, comme un élan de vie. Le garçon meurt sous les bombes, la jeune fille est enceinte : son destin est scellé. Alors que la mécanique implacable s’ébranle, les membres de la famille se déploient en une ronde d’ombres muettes sous le regard tutélaire de Gilgamesh, héros mésopotamien porteur de la mémoire du pays et des hommes.

Inspirée par les réalités complexes de l’Irak qu’elle connaît bien, Emilienne Malfatto nous fait pénétrer avec subtilité dans une société fermée, régentée par l’autorité masculine et le code de l’honneur. Un premier roman fulgurant, à l’intensité d’une tragédie antique. »

C’est l’histoire d’une femme et d’un homme qui s’aiment. C’est l’histoire de l’homme tué à la guerre et de la femme qui découvre sa grossesse. C’est une histoire d’honneur aussi absurde que réaliste dans laquelle la famille envisage le crime pour laver la honte. Mais quelle honte ?

En alternant les points de vues nous découvrons des positions qui ont soif de violence, d’autres qui déplorent la situation à venir mais, que voulez-vous, c’est comme ça… d’autres ne comprennent pas mais ne voient pas les alternatives. Des voix qui décrivent un tragédie et s’y inscrivent.

Ce roman est terrible et dit les menaces qui entravent les femmes, le poids de la loi tribale qui supplante la loi de l’Etat, comme le dit si bien le reportage. Cette loi tribale qui est revenue à une pratique parfois radicale de l’Islam, qui est revenue à une oppression très marquée des femmes et à la négation de leurs droits et de leurs libertés.

C’est l’histoire d’une terre saoule à la nausée d’avoir trop bu le sang des femmes. Un sang versé par la main des hommes mais aussi par celle de femmes qui s’intègrent à l’organisation sociale et familiale sans la remettre en question.

Un premier roman qui a été sélectionné et lauréat de nombreux prix : Goncourt du Premier Roman 2021, Prix Hors Concours des Lycéens, Prix Ulysse du livre, Prix Zonta Olympe de Gouges, Mention spéciale des lecteurs Prix Hors Concours, Lauréate du Festival du Premier Roman de Chambéry 2021, Finaliste du Prix Régine Desforges.

Comment ne pas penser également à la nouvelle Seher de Selahattin Demirtaş, extrait de son recueil L’aurore ? Si vous avez aimé ce roman et que vous ne connaissez pas les nouvelles de Selahattin Demirtaş, je ne peux que vous recommander de le découvrir.

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Ils/Elles l’ont aussi lu et chroniqué : Lire en buvant un caféEmi LitValmyvoyou litMumu dans le bocageJu lit les motsJoelleBooksLa parenthèse de CélineLire&vousLe boudoir de NathLes lectures de CannetilleLes jardins d’HélèneDomi C lireZazy litAu fil des livresLyvresTant qu’il y aura des livresSin City

Et vous, quelle•s œuvre•s sur les crimes dits d’honneur conseillez-vous ?

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« Chambres intimes » de Cristina Spanó (Bang, 2014)

Et si vous repensiez à un foyer important dans votre vie et que vous réfléchissiez à des moments tout aussi importants qui y ont eu lieu… Qu’est-ce que ça donnerait ? Qu’est-ce que ça dirait de vous et de votre histoire familiale ?

Quatrième de couverture : « Camila est une jeune femme italienne qui revient dans la maison de son enfance pour les vacances pour visiter ses parents qui y vivent toujours. Chaque pièce de la maison lui remémore des souvenirs enfouis de sa jeunesse ce que le livre nous raconte chapitre après chapitre, pièce par pièce. Grâce à tous ces fragments intimes, le lecteur reconstruit petit à petit sa vie, et l’observe. Il la voit à 16 ans, fumer une cigarette avec un ami en cachette de ses parents, découvrir l’amour et la mort, ou partir chercher un travail à l’étranger.

Camila est une fille normale indécise et complexée, son père est un ouvrier et sa mère de nationalité algérienne immigrée en Italie travaille comme femme de ménage. Camila va grandir dans ce contexte familial prospère, alors que dehors existe une crise économique très forte entre fermetures d’usine, chômage et expropriation. Malgré le peu d’éducation de ses parents, elle a pu comprendre la réalité de la vie.

La maison est, non seulement un lieu, mais elle devient un mélange de sentiments attachés à elle, où chaque chapitre est un souvenir de l’une des chambres. »

Un appartement et la vie d’une famille qui s’y dessine. Nous y découvrons Camila, de l’enfance à la trentaine. Elle nous fait découvrir sept pièces en sept temps pour exprimer des moments clés de son histoire qui s’ancre aussi dans l’histoire italienne très contemporaine, avec ses difficultés économiques et sociales.

Du côté des illustrations, nous avons de la douceur, une palette de couleurs douces avec des pointes plus vives et chaudes. Un peu comme les souvenirs eux-mêmes, qui se floutent tout en ayant des points de précision, qui s’habillent d’approximatif et en même temps de clarté dans les sentiments.

Des histoires intimes qui se ressentent et qui invitent à un voyage dans les espaces de notre histoire et de nos propres foyers. Avec nos moments de bonheur et de tristesse.

Je n’avais jamais entendu parler de ce roman graphique avant de faire mes recherches pour le challenge et je me suis laissée pleinement séduire par l’idée que des lieux portent une mémoire et une histoire, par l’idée que les lieux nous marquent dans notre histoire. Une vision qui m’inspire particulièrement comme belle opportunité narrative de parler d’histoire intime de façon originale et avec une distance pudique.

Peut-être pas un coup de coeur mais un réussite malgré tout.

Cette lecture a été faite dans le cadre du challenge #autricesdumonde organisé par Claire de Des pages et des lettres.

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Et vous, êtes-vous sensible à l’exploration de l’intime en littérature ?

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« La station Saint-Martin est fermée au public » de Joseph Bialot (Fayard, 2004 ; Libretto, 2013)

Joseph Bialot est né en 1923 à Varsovie dans une famille juive qui quittera la Pologne pour s’installer en France en 1930. Engagé dans la résistance, il sera déporté en 1944 à Auschwitz-Birkenau. Il sera un survivant. Joseph Bialot s’est éteint en 2012.

Quatrième de couverture : « Un homme marche dans Paris. Il a été ramassé quasi mort à la fin de la Seconde Guerre mondiale par des soldats américains sur une route parsemée de cadavres et porte un matricule sur l’avant-bras gauche. S’il a tout oublié de l’enfer traversé, il ne sait plus non plus ce que fut sa vie d’avant la déportation. A-t-il une famille ? Des enfants ? Un métier ? Doté par défaut d’un prénom de hasard, il réapprend à vivre dans une capitale française qui, comme lui, veut panser ses plaies. Bribes et souvenirs lui reviennent au fur et à mesure de ses déambulations et des quartiers traversés. Un nom frappe sa mémoire : celui d’une station de métro. Son passé est là, tout près, il le sent. Pourra-t-il enfin renouer les fils d’une mémoire occultée ? »

Auteur de romans policiers, il est également connu pour son texte autobiographique C’est en hiver que les jours rallongent (paru en 2002) qui revient sur sa déportation. Le roman dont je vous parle aujourd’hui a paru en 2004 et, s’il s’agit d’une fiction, il est évidemment nourri de l’expérience personnelle de l’auteur.

Des Jeep avancent sur des routes de l’Est. Des routes couvertes de linges étranges. Des hommes. Parmi eux se trouve un vivant.

Ne se souvenant de rien, l’homme baptisé Alex va devoir réaliser un travail intense pour se retrouver. Les souvenirs qui ressurgissent lors de séances médicalement encadrées sont ceux du camp, à travers eux le lecteur découvre également ce qui a été.

La construction narrative donne un sentiment de porosité entre la fiction et le témoignage. Nous souhaitons infiniment qu’Alex retrouve son histoire – et, espérons, sa famille -, nous devons parcourir le vide et le remplir avec lui, affronter ce que sa conscience a voulu effacer.

A partir de la quête d’un homme, Joseph Bialot montre également une France d’après-guerre nuancée qu’il est très intéressant de souligner. Celle qui cherche les absents, celle qui découvre ce qui a été, celle qui a encore son lot d’antisémites.

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Et vous, connaissez-vous cet auteur ?

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« Cachés » de Mirranda Burton (La Boîte à bulles, 2013)

Traduit par Vincent Henry

Née en Nouvelle-Zélande, Mirranda Burton est installée depuis plusieurs années en Australie. C’est dans ce pays qu’elle a animé des ateliers pour adultes en situation de handicap.

Présentation de l’éditeur : « Mirranda Burton a animé, plusieurs années durant, une classe d’art réservée aux adultes présentant des problèmes psychologiques ou intellectuels (autisme, mongolisme…). L’occasion pour elle de sortir des sentiers battus et de s’ouvrir à l’inconnu, en rupture de tous ses repères habituels.

Dans son ouvrage Cachés, elle nous conte ses rencontres avec différents élèves aussi surprenants qu’attachants. Il y a Eddie qui, consciencieusement, accumule des points noirs sur sa feuille de papier, Steve le trisomique qui adore dessiner, à sa façon et au tableau, les prévisions météorologiques, Julie qui semble si absorbée dans son œuvre qu’elle ne voit plus le reste du monde…

Une galerie de portraits qui vous vont droit au cœur. »

Ce roman graphique témoigne de l’expérience de l’autrice comme animatrice d’atelier d’expression artistique dans une institution accueillant des personnes en situation de ghandicap en journée. Cette activité particulièrement libre – voire libératrice – permet de parler de plusieurs rencontres qu’elle a pu y faire. Trois portraits autour desquels orbitent d’autres personnes, qu’elles soient publics de l’institution ou salariés.

Mirranda Burton porte un regard ouvert sur les autres – désireux de comprendre et de partager avec celles et ceux qui l’entourent – mais aussi critique à l’encontre d’une société australienne qui n’est pas la seule à cacher certains membres de sa population, à les dénigrer et à mal prendre en compte leurs besoins.

En suivant ce témoignage teinté de reportage, nous nous attachons autant que nous nous insurgeons face aux restrictions, au manque de considération, à la négation des besoins réels des personnes. Ce livre donne une visibilité aux êtres tout en maintenant une part de mystère, d’inconnue sur les univers que ces hommes et ces femmes habitent parfois.

L’art comme thérapie, l’art comme mode et espace d’expression qui se libère des mots.

J’ai souhaité sortir des romans pour le challenge #autricesdumonde d’août et je suis contente d’avoir découvert ce roman graphique à cette occasion, le seul de l’autrice à être traduit en français à ce jour.

Je n’ai pas été particulièrement séduite par les illustrations, regrettant un peu la froideur du noir et blanc, mais la lecture a malgré tout été agréable et émouvante.

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Et vous, aimez-vous varier les genres littéraires ?

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« La capacité de survie » de Kim Sung-hee (Çà et là, 2021) • Rentrée littéraire

Traduit du coréen par Lim Yeong-hee

Ce manhwa nous fait découvrir, page après page, les réflexions d’une femme sur la société coréenne et sa propre situation : à travers son mal-être c’est celui d’un pays que nous percevons.

Présentation de l’éditeur : « Une femme coréenne en proie à des doutes existentiels dans une société ultralibérale qui laisse de nombreuses personnes dans la précarité.

Yeong-jin, jeune quarantenaire, enseigne dans un lycée privé protestant de Séoul. Elle est confrontée à des violences sociales de toutes parts. Non titulaire, elle se sent obligée, pour conserver son poste, d’accepter tout ce que lui demande son employeur. Submergée de travail – elle s’occupe aussi des enfants de sa sœur pendant ses vacances – elle souffre de n’avoir aucune reconnaissance de sa hiérarchie. Son petit ami travaille dans une association d’aide aux travailleurs migrants qui se font exploiter par les agriculteurs coréens dans des conditions qui frôlent l’esclavagisme. Sa mère continue à faire les ménages bien qu’ayant l’âge de la retraite. Et Yeong-jin vient de subir un hystérectomie… La violence de la société libérale l’affecte de plus en plus et l’amène à se poser des questions sur son rapport au travail, sur sa relation avec ses parents et sur l’avenir de son couple. »

Entre des problèmes de santé aux répercussions importantes et une précarité dont il est difficile de sortir malgré les études et les compétences, l’autrice nous propose un récit extrêmement réaliste qui nous pousse à nous interroger nous-mêmes sur les personnes et le monde qui nous entourent. Entre ce qu’il faut accepter et ce contre quoi il faut se lever, ce qu’il faut remettre en question et dont il ne faut plus se rendre complice.

Parmi tous ces questionnements il y a la fameuse capacité de survie, celle dont l’autrice précise que la société a une dette envers elle. Car cette capacité est celle qu’ont les individus à faire face, à se battre et à donner encore et encore à une société ingrate malgré les difficultés et les sacrifices. C’est un constat amer même si cette capacité traduit des forces individuelles : on ne devrait pas en arriver là.

A partir de la personne de Yeong-jin ce sont aussi d’autres vies et d’autres injustices et complications qui se révèlent : d’avoir travaillé toute sa vie et de ne pouvoir prendre sa retraite, d’avoir des difficultés à élever des enfants et à ne pas répondre à l’image d’une maternité épanouie, d’immigrer pour trouver du travail et se retrouver coincé, exploité, maltraité. C’est aussi un regard sur la famille qui est porté, avec ce moment où on réalise que nos parents commencent à vieillir.

Kim Sung-hee livre une image que je ne connaissais pas de la Corée et que je trouve donc très intéressante.

Si je n’ai pas réussi à être séduite pas le style graphique de l’autrice et que j’ai trouvé la qualité de la narration parfois inégale, j’ai malgré tout adhéré à sa motivation et aux sujets qu’elle explore. Parfois la force de l’intention me fait dépasser ma retenue, c’est le cas ici et je serai au rendez-vous de ses prochaines traductions.

Cette lecture entre dans le cadre du Challenge coréen organisé par le blog Depuis le cadre de ma fenêtre

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Et vous, quel·s livre·s sur la société contemporaine coréenne conseillez-vous ?

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❤ « La pierre tombale » de Oh Jung-hi (Picquier, 2004)

J’avais découvert Oh Jung-hi avec son roman L’oiseau paru en 2005, qui parlait de deux enfants laissés seuls dans la misère. Un texte qui m’avait marqué par son sujet ainsi que par la langue de l’autrice. Il fallait donc que je renouvelle l’expérience.

Quatrième de couverture : « Haeryông, petit port au nord de la Corée. C’est ici que se joue l’histoire d’une famille en cet été de seconde guerre mondiale qui s’achèvera avec la mise en place du gouvernement communiste. Tous les jours, Hyôndo, petit garçon de neuf ans, est à son poste de guet dans le quartier où se trouve une pierre tombale, témoin de la violence de l’histoire, tandis que son monde bascule en même temps que celui des grands. »

Hyôndo est un jeune garçon qui va assister à l’effondrement de son monde. Nous sommes en 1945, la Corée est envahie par le Japon et la guerre touche à sa fin. Et la paix promis aura une saveur particulièrement amère.

Ce roman est presque une nouvelle, faisant à peine une centaine de pages, et pourtant il aborde énormément d’aspects de la guerre et de l’après-guerre en Corée, montrant que des événements tragiques s’étant déroulés au Japon ont impacté la population coréenne déplacée pour le travail.

A hauteur d’enfant nous découvrons la vie d’un village portuaire fracturé entre familles coréennes et japonaises, les discriminations vécues dès le plus jeune âge, l’horreur des séquelles des bombes atomiques et de la prise d’opium, la mise en place d’une politique communiste qui prend violemment pour cible les propriétaires. Jusqu’à la question qui traumatisera de nombreuses familles : rester ou partir ?

Chose surprenante, en fermant ce roman je n’ai pas ressenti de coup de coeur . Pourtant, plus j’y repense et plus mes émotions s’emballent. Un coup de coeur curieusement à retardement qui confirme mon envie de continuer à découvrir Oh Jung-hi qui sait voir et transmettre les émotions humaines dans leur immense variété et leur complexité.

Cette lecture entre dans le cadre du Challenge coréen organisé par le blog Depuis le cadre de ma fenêtre ainsi que pour l’automne coréen organisé par @antastesialit.

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Et vous, participez-vous à un challenge en lien avec la littérature étrangère ?

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« Les saveurs du béton » de Kei Lam (Steinkis, 2021)

Kei Lam est une autrice née à Hong-Kong dont la famille a émigré en France alors qu’elle avait 6 ans. C’est à Paris que le père, peintre, rêve de s’installer. C’est en banlieue, à La Noue, qu’ils vont acheter un appartement en HLM.

Quatrième de couverture : « Les Saveurs du béton nous amène en Seine-Saint-Denis. De chambres de bonne en appartements partagés avec d’autres immigrés chinois, Kei et ses parents finissent par passer de l’autre côté du périph’ et deviennent propriétaires d’un trois pièces à Bagnolet. Kei se voit alors confrontée à un nouveau monde, celui de la banlieue, alors même qu’elle entre au collège et, par conséquent, dans l’adolescence. Kei donne une fois encore la parole aux invisibles et explore le quotidien, les rêves et les ambitions de ces enfants d’immigrés ayant grandi en banlieue. Elle s’intéresse en parallèle aux grands ensembles et plus particulièrement au quartier de la Noue, où sa famille a résidé à Bagnolet.

Un récit fort sur l’intégration, mais aussi un point de vue différent sur les cités de banlieue. »

La première autofiction graphique de Kei Lam, Banana Girl – que je n’ai pas encore lue mais rendez-vous est pris – a été publiée en 2017. Une nouvelle fois, je vais faire les choses dans le désordre. Si ce premier travail se concentrait sur la construction d’une personnalité et d’une identité aux multiples influences culturelles, ce second album s’intéresse davantage à la vie dans une cité de la banlieue parisienne en même temps qu’au fait de grandir.

C’est à la fois drôle et réaliste, tendre et révolté tant face aux abus à l’encontre des familles qui y ont investi leurs – parfois maigres – économies, qu’à l’image systématiquement violente et dégradante que l’on veut absolument coller aux habitants de la cité. En parallèle, nous suivons la vie familiale et les années adolescentes de Kei.

La notion de construction de l’identité est également présente et j’ai aimé la façon qu’a Kei Lam de montrer le poids péjoratif de certains mots et expressions de la langue française liés à la Chine et aux Chinois. Des expressions qui, consciemment ou non, construisent une certaine vision d’une partie de la population. Et ce sont les préjugés racistes qui vont conduire à des crimes à l’encontre de personnes d’origine asiatique et vont créer une période d’insécurité, notamment à La Noue.

Autre exemple, Kei Lam nous invite à regarder l’évolution de la représentation des femmes chinoises ou d’origine chinoise dans la culture populaire. Les idées avancent mais ce n’est pas encore ça. J’ai également aimé cette recherche, ce besoin de connaître une histoire familiale qui a du mal à s’exprimer, étant très en demande moi-même sur ce sujet.

Les illustrations sont en noir et blanc et on a pourtant un sentiment de couleurs. Le dessin – que j’ai beaucoup apprécié – est faussement simple tant il est précis et transmet avec finesse les émotions des protagonistes et des instants, son approche parfois naïve terminant de m’émouvoir. Mention spéciale aux expressions de la jeune Kei qui ont fait renaître en moi des airs savoureux de crise d’adolescence heureusement révolue.

En faisant se rencontrer la jeune Kei avec celle qu’elle est aujourd’hui devenue, ce sont de nombreux questionnements que l’autrice fait émerger, en même temps qu’elle décrit son histoire et l’histoire d’un lieu. Une lecture touchante et qui modifiera sans aucun doute certains regards.

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Et vous, quelle oeuvre de la littérature urbaine conseillez-vous ?

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