« Soleil amer » de Lilia Hassaine (Gallimard, 2021) • Rentrée littéraire

Comme beaucoup d’hommes, Saïd est parti pour la France laissant femme et enfants en Algérie. Le projet : aider à reconstruire la France, travailler dur pour aider financièrement la famille tout en rêvant de rentrer au pays natal, un jour.

Quatrième de couverture : « À la fin des années 50, dans la région de l’Aurès en Algérie, Naja élève seule ses trois filles depuis que son mari Saïd a été recruté pour travailler en France. Quelques années plus tard, devenu ouvrier spécialisé, il parvient à faire venir sa famille en région parisienne. Naja tombe enceinte, mais leurs conditions de vie ne permettent pas au couple d’envisager de garder l’enfant…

Avec ce second roman, Lilia Hassaine aborde la question de l’intégration des populations algériennes dans la société française entre le début des années 60 et la fin des années 80. De l’âge d’or des cités HLM à leur abandon progressif, c’est une période charnière qu’elle dépeint d’un trait. Une histoire intense, portée par des personnages féminins flamboyants. »

Lilia Hassaine nous propose de traverser plusieurs décennies au coeur d’une famille dont certains membres dissimulent sciemment un secret. Saïd a réussi à faire venir sa famille en France où ils bénéficient enfin d’un logement en HLM – ce qui n’était pas automatique. Mais le budget est extrêmement serré et la nouvelle grossesse de Naja s’annonce difficile à assumer.

En France, Saïd a aussi son frère Kader et sa belle-sœur, Hélène, qui est française. Heureux, ils ne parviennent cependant pas à avoir l’enfant qu’ils désirent tant.

Les membres de cette famille ainsi que de la communauté qui se crée au sein du HLM vont nous faire vivre la cité et les espoirs qui se muent en difficultés quotidiennes, racisme, violences, frustration. A travers un groupe de personnes aux parcours différents qui finissent par se rejoindre, ce sont aussi les drames qui frappent la jeunesse et les changements générationnels qui sont décrits. Je pense notamment à la perte de la langue des parents, à la volonté de libération qui habite les jeunes filles, au refus des impératifs dictés par le père.

D’une certaine manière, le récit se fait presque l’allégorie de l’Algérie et de la France : sœurs empêchées par les douleurs du passé malgré leurs liens et histoire commune indiscutables. Car la relation franco-algérienne est bel et bien à mes yeux une histoire de famille(s) contrariée.

Ce roman est aussi une histoire de perte, de la maternité refusée, perdue ou interdite. Une sorte d’hommage à la force d’aimer des femmes et des mères ainsi qu’à leurs blessures.

Si vous avez aimé ce roman, je ne peux que vous recommander de découvrir Leïla Sebbar et Mehdi Charef. Et, vous l’aurez compris, si vous aimez ces deux auteurs, je ne peux que vous recommander de découvrir ce roman de Lilia Hassaine.

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Et vous, quel roman mêlant Algérie et France conseillez-vous ?

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« Ensemble » de Luke Adam Hawker (Les Arènes, 2021) • Rentrée littéraire

Peut-être faites-vous partie de ces lecteurs et lectrices qui sont tombé·e·s sous le charme de l’album L’enfant, la taupe, le renard et le cheval de de Charlie Mackesy paru il y a un an chez cette même maison d’édition. Pour ma part, c’est le cas. J’ai donc précommandé cette nouvelle merveille d’illustration que je suis contente de vous présenter malgré une part de réserve.

Quatrième de couverture : « Des nuages noirs assombrissent l’horizon. En les voyant s’approcher, chacun se demande : Quand vont-ils arriver ? Combien de temps cela va-t-il durer ? La tempête bouscule tout. Un homme et son chien font face à l’incertitude, à la séparation, à l’inconnu. Ils nous montrent que l’on peut traverser les moments difficiles autrement et savourer ce qui compte vraiment dans la vie. »

Ouvrir cet album c’est passer un temps incalculable à observer et décortiquer le moindre détail de chaque page tant le travail de dessin est riche. J’en suis encore sans voix tant c’est réussi et tout simplement beau.

Luke Adam Hawker est un artiste britannique formé à l’origine au design. La crise sanitaire – et sociale – vécue en 2020 lui a inspiré ce livre. Alors que l’humanité faisait face à un virus qui la contraignait à s’isoler de façon exceptionnelle, ici la menace est représentée par un d’épais nuages noirs, d’immenses averses, une tempête cachant le soleil.

Dans cette tempête : un homme seul et son chien. Dans l’appartement, dans la rue, dans différentes situations du quotidient mais qui disent bien l’isolement et l’attente de jours meilleurs. Chaque dessin est intelligemment pensé, parfois avec une belle touche poétique, et fera forcément écho à des moments que nous avons vécu, je pense par exemple au vide des rues mais aussi aux rayons de supermachés dévalisés par des réactions de survie excessives.

Petit à petit, la fin de la tempête approche jusqu’aux retrouvailles tants espérées.

Si Luke Adam Hawker est derrière les illustrations, Marianne Laidlaw a élaboré les textes en collaboration avec le dessinateur. Et, si j’ai été plus que subjuguée et étourdie de plaisir par les planches dessinées, j’ai été particulièrement sceptique concernant la vision très gentillette et idéaliste de la trame narrative.

Certains aspects ironiques des illustrations ont disparu des textes et j’ai beau ne pas être quelqu’un de pessimiste – on me qualifie même de naïve -, je pense que délivrer un message positif à des lecteur·ice·s et prétendre l’existence d’un idéal humaniste sont deux choses différentes. Croire que le monde dit d’après est collectif et bienveillant est une erreur, il me semble encore plus individualiste qu’avant et en fuite vis-à-vis du réel. D’où l’importance de conserver un peu d’ironie et de mordant. Je plonge donc essentiellement dans les illustrations et laisse les bons sentiments caricaturaux de côté. Pourtant, j’aime ça d’habitude les bons sentiments…

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Et vous, quel·le dessinateur·ice vous a conquis·e dernièrement ?

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« Infidel » de Pornsak Pichetshote, Aaron Campbell et José Villarrubia (Urban Comics, 2021) • Rentrée littéraire

Je n’avais pas prévu de faire une chronique spécialement adaptée à Halloween car ce n’est pas dans mes habitudes de fêter d’une quelconque façon cette journée mais, lorsque j’ai croisé le chemin de ce comics, j’ai décidé de changer un peu mes habitudes. De la même manière, je ne lis pas de littératures d’horreur mais si on me parle de forces occultes nourries par le racisme et la xénophobie d’une société, j’y vais.

Quatrième de couverture : « Lorsque Aisha, jeune musulmane, emménage dans un nouvel appartement, ses nuits sont perturbées par des cauchemars terrifiants. Elle découvre cependant que les démons qui peuplent ses rêves ne sont pas le produit de son imagination mais révèlent un mal plus grand, tapis derrière dans les murs de cet immeuble où un drame a eu lieu quelques mois plus tôt. À leur tour, les voisins d’Aisha se retrouvent victimes d’entités qui ne se nourrissent pas de la peur, mais de la xénophobie. »

Aisha emménage dans un nouvel appartement avec son conjoint, sa belle-fille et sa belle-mère. L’immeuble a abrité un drame quelques mois plus tôt. Alors que je m’attendais à un meurtre assez classique et habituel dans le genre, j’ai été surprise. Ce comics sait prendre des risques en s’emparant de sujets d’actualité, en nous tendant un miroir dessiné, une façon terrifiante de montrer la réalité avec les outils de la fiction et de l’imaginaire.

Un nouveau drame va avoir lieu.

Au coeur de cette histoire qui se construit entre les appartements, les étages et les murs d’un immeuble : le racisme, la xénophobie et plus particulièrement l’islamophobie qui alimentent la violence d’esprits malfaisants. Ca vous rappelle quelque chose ? C’est un peu comme si on mélangeait CNews avec de la magie noire. Sacrée tambouille. Mais ce que l’on constate c’est que les esprits malfaisants n’ont pas besoin d’être des phénomènes occultes, un pont entre les vivants et les morts, pour faire du mal.

J’ai apprécié : le réalisme et la complexité des conversations, des réflexions et des réactions ; la diversité des personnages principaux comme secondaires ; l’ambiance visuelle et la construction de la tension qui ont été très efficaces sur moi ; la violence qui reste équilibrée sans abus de gore ; la morale, bien évidemment, subtilement présente et pas martelée.

En achetant ce livre je repensais au film Get Out de Jordan Peele, que je trouve remarquable. J’ai été rassurée de voir que c’était la référence avancée dans la préface de l’album, écrite par Tananarive Due. Réaliser un récit engagé c’est souvent prendre le risque de proposer une œuvre cousue de fil blanc, plate malgré ses bonnes intentions. Mais quand l’engagement se pense en même temps qu’une ambiance franche et une histoire percutante, il y a davantage de chances pour que la magie opère et je pense que l’horreur s’y prête particulièrement bien.

Je n’ai pas pris ma tension lors de la lecture mais je peux vous assurer qu’elle a fait quelques bonds. Si vous avez aimé Get Out ou si vous êtes curieux•se de voir ce que peut donner une histoire qui interroge ce qui est le plus terrifiant entre les monstres et les personnes aux pensées haineuses, laissez-vous tenter.

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Et vous, l’horreur porteuse de messages engagés, vous y croyez ?

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« Un secret de rue » de Fariba Vafi (Zulma, 2011)

Quand j’ai choisi ce roman je pensais lire un hommage fictionnel dédié à un père aimé qui est sur le point de s’éteindre. Il n’en est rien. Abou est un homme colérique, violent, jaloux. Un homme assez détestable, paranoïaque et pathétique. Sa violence est la traduction de son insécurité et de son incapacité à contrôler les femmes et filles de sa famille. Un statut patriarcal qui le rend malade et qui se fissure du fait de ne pouvoir subsister face au vent de liberté qui souffle dans son foyer.

Quatrième de couverture : « Abou se meurt. Pas comme un vieil homme. Comme un crocodile. Dans cette veillée, sa fille Homeyra se souvient d’une enfance qui déborde joyeusement, dramatiquement, du foyer à tout le voisinage. Dans ce quartier pauvre, les jeux des enfants, les froissements des tchadors et les exhortations des pères se mêlent en brouilles, en conflits de générations et en connivences ténues.

Cette chronique des mœurs et coutumes iraniennes, dominée par l’arbitraire patriarcal, se déploie au gré de la folle amitié de deux gamines. Azar la petite sauvageonne qui refuse en riant l’éprouvante discipline des adultes. Homeyra qui ne rêve que de fuir le grand deuil de l’amour des mères.

Un secret de rue, c’est toute une mémoire bruissante, pleine d’échos et de couleurs, qui voudrait oublier les blessures du passé en rendant son beau rêve de liberté à l’enfance qui demeure en chacun. »

Après avoir lu une première moitié du roman je me suis arrêtée quelques jours. Et ce temps a été nécessaire pour accepter l’épaisseur sombre de cette histoire. Je devine alors que le secret de la rue dans laquelle vit la jeune Homeyra est lié à de la culpabilité et de la violence. Passé l’étape d’acceptation, j’ai repris ce roman avec beaucoup d’intérêt.

Fariba Vafi a une langue agréablement vive et une capacité remarquable à imbriquer les histoires les unes dans les autres. Il ne faut pas résister mais se laisser porter et chaque pièce du puzzle trouve sa place.

L’autrice nous parle de la vie d’une famille, d’une amitié profonde, d’une rue et des rapports – souvent animés – entre voisin·e·s. Il est question de la place de la femme comme de celle de l’homme, des ruptures générationnelles, du manque d’amour parental, du deuil de l’enfance et du pardon. Il est question d’un drame qui se cache entre les lignes, à chaque coin de page jusqu’à ce que…

Trois choses m’ont particulièrement impressionnée ou marquée dans ce roman : la violence de certains hommes qui n’est jamais loin de la folie ainsi que la droiture et l’humanité d’autres ; la façon haletante dont l’autrice transmet la vie quotidienne qui entoure l’enfance de son personnage principal ; la construction narrative assez éclatée mais qui nous fait toujours retomber sur nos pattes.

Un deuxième roman de Fariba Vafi vient de paraître en français aux éditions Serge Safran, Un oiseau migrateur, j’espère vous en parler prochainement.

Cette lecture a été faite dans le cadre du challenge #autricesdumonde organisé par Claire de Des pages et des lettres.

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Ils/Elles l’ont aussi lu et chroniqué : Pas d’autres chroniques trouvées pour le moment.

Et vous, avez-vous déjà lu de la littérature iranienne ?

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« Mère à mère » de Sindiwe Magona (Mémoire d’encrier, 2020)

Une mère écrit une longue lettre à une autre mère. Chacune porte un infini chagrin en elle. La narratrice est la mère de l’un des accusés, elle s’adresse à celle d’Amy Biehl, jeune femme blanche, étudiante américaine militante anti-apartheid, assassinée le 25 août 1993 à Cap Town.

Quatrième de couverture : « Grand roman de l’apartheid où violence et quête d’humanité demeurent l’héritage de l’histoire. Sindiwe Magona signe un récit bouleversant sous forme de lettre. L’Afrique du Sud y est racontée tout en nuances, complexité et passion. »

Mon fils a tué votre fille, c’est ainsi que le livre commence. Car c’est ainsi et ce ne sera plus jamais autrement.

Pourtant, la narratrice ne peut définir son fils, Mxolisi, uniquement comme un meurtrier. Comment en est-il arrivé là ? Est-il le seul coupable de ses actes ? En tissant cette lettre des fils de sa propre vie et de celle de son fils, c’est l’histoire contemporaine de l’Afrique du Sud et les extrêmes violences de l’Apartheid qui se dessinent, broyant les vies et les destins, brouillant les regards d’une colère de feu allumée et alimentée dès les plus jeunes années. Alors qu’une transition politique est en cours en 1993, le quotidien dans les townships ne change pas.

La colère n’est pas clairvoyante et la colère de la foule la rend totalement aveugle.

Rien n’enlève la douleur, rien n’efface l’acte meurtrier. Mais la nuance s’impose. La société sud-africaine a créé la violence que l’on impute à quelques personnes qui ont commis l’irréversible. C’est une indéniable complexité sociohistorique que nous dévoile avec force Sindiwe Magona.

En 1998 – qui est aussi l’année de publication du roman de Sindiwe Magona dans sa version originale -, à l’occasion de la Commission vérité et réconciliation d’Afrique du Sud, les jeunes accusés seront graciés. La famille d’Amy Biehl accordera son pardon.

Un livre essentiel sur l’histoire de l’Afrique du Sud.

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Ils/Elles l’ont aussi lu et chroniqué : A venir…

Et vous, connaissez-vous cette histoire ?

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« Les impatientes » de Djaïli Amadou Amal (Emmanuelle Collas, 2020)

Trois femmes, troix voix. Ramla, Hindou et Safira sont confrontées à des situations qui ont toutes pour points communs le patriarcat écrasant, le poids des traditions qui assimilent les femmes à des objets, la négation de leur soif de liberté alors même qu’on les exhorte sans cesse à la patience. Mais comment être patiente de vivre, d’être libre et de disposer de son corps ?

Quatrième de couverture : « Trois femmes, trois histoires, trois destins liés. Ce roman polyphonique retrace le destin de la jeune Ramla, arrachée à son amour pour être mariée à l’époux de Safira, tandis que Hindou, sa soeur, est contrainte d’épouser son cousin. Patience ! C’est le seul et unique conseil qui leur est donné par leur entourage, puisqu’il est impensable d’aller contre la volonté d’Allah. Comme le dit le proverbe peul : Au bout de la patience, il y a le ciel. Mais le ciel peut devenir un enfer. Comment ces trois femmes impatientes parviendront-elles à se libérer ?

Mariage forcé, viol conjugal, consensus et polygamie : ce roman de Djaïli Amadou Amal brise les tabous en dénonçant la condition féminine au Sahel et nous livre un roman bouleversant sur la question universelle des violences faites aux femmes. »

Dans la région du Sahel, des mariages sont célébrés. Des mariages qui inspirent aux trois femmes crainte, colère, tristesse. Car ces mariages sont souhaités par les hommes – maris, oncles, pères – mais pas par les femmes elles-mêmes qui vont voir leur vie bouleversée à jamais, souvent pour le pire, contre leur gré.

Révoltant, ce roman met en avant différentes violences et injustices subies par les trois protagonistes principales. Il nous ouvre les yeux sur la place de femmes d’aujourd’hui dans une partie du monde – parmi d’autres – ainsi que sur la pratique de la polygamie.

Si j’ai apprécié la dénonciation des faits, la volonté de les rendre visibles ainsi que la construction narrative à trois regards, je suis un peu restée en retrait. J’ai trouvé que l’autrice n’avait pas tout à fait incarné chacune des femmes, ne leur avait pas donné à chacune une voix assez reconnaissable. Les trois points de vue se succèdent et heureusement car s’ils avaient été tressés je doute que nous les aurions facilement différenciés.

Un roman fort mais qui aura manqué d’un petit quelque chose dans le style pour me convaincre pleinement.

Ils/Elles l’ont aussi lu et chroniqué : A venir…

Et vous, quel roman ayant convaincu de nombreux·ses lecteur·ice·s vous a déçu·e ?

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« Lettres perdues » de Jim Bishop (Glénat, 2021) • Rentrée littéraire

Ma fin de semaine est indéniablement graphique et après maintes hésitations j’ai succombé à celui-ci. Pour ses couleurs, pour ses personnages intrigants et ses illustrations influencées par l’univers de Hayao Miyazaki.

Présentation de l’éditeur : « Comme tous les matins, Iode attend impatiemment cette lettre que le facteur tarde à lui apporter. Surement une blague de ce farceur de poisson-clown qui s’amuse à livrer son courrier aux voisins… Ou peut-être a-t-il simplement été égaré ? Il n’y a qu’un seul moyen d’en avoir le cœur net : se rendre en ville. Embarqué dans sa petite auto vert pomme, Iode fait la rencontre de Frangine, une autostoppeuse au caractère bien trempé qui effectue une livraison pour le compte du mystérieux groupe mafieux la pieuvre. Seulement, lorsque cette dernière décide de lui fausser compagnie, le jeune garçon s’inquiète et décide naïvement de partir à sa recherche. Sans le savoir, Iode vient de mettre les pieds dans une affaire qui le placera au cœur d’un terrible drame.

Sur l’île du soleil où poissons et humains cohabitent, mafieux sans vergognes et policiers incompétents sont monnaie courante. Une cavalcade absurde naviguant entre humour, douceur et drame mélancolique. Un premier roman graphique réalisé par un prodige du dessin nourri au travail de Hayao Miyazaki. Un récit où la rondeur du dessin et la beauté irradiante des couleurs forment paradoxalement une œuvre tragique qui perturbera les âmes les plus sensibles. »

Il n’y a pas que les illustrations qui sont marquées par l’influence du travail de Hayao Miyazaki. Un récit de science-fiction, mêlant une histoire personnelle, des épreuves de la vie et des questionnements écologiques.

Iode attend désespérément une lettre de sa mère exploratrice dans laquelle est a promis de lui dire où la retrouver. Tardant à arriver, Iode se décide à se mettre en route pour la ville afin de demander des renseignements au bureau de poste. En route il croise le chemin de Frangine. Le garçon va alors s’accrocher d’une façon très particulière à la jeune femme. Sauf que cette dernière a une mission secrète a accomplir. La vie de ces personnages ne sera plus jamais la même : ils vivront des péripéties et des épreuves irréversibles qui irradieront jusqu’aux personnages secondaires.

Certes, les illustrations sont empruntes de beaucoup de douceur, les couleurs sont à la fois acidulées et pop comme du colorant de bonbons et il y a régulièrement des marques d’humour mais chaque page construit bel et bien un drame.

Une histoire qui installe un mystère qui saura surprendre et émouvoir quand bien même un partie de l’intrigue se devine. Je me suis faite avoir malgré mes justes suspicions. J’étais convaincue même si le coup de coeur ne s’est malheureusement pas déclaré et j’ai trouvé l’épilogue très bien amené. Une conclusion qui change de ce que la littérature propose généralement, qui marque par son réalisme et qui a clairement répondu à l’une de mes douleurs personnelles.

J’ai réussi à ne pas pleurer, mais il s’en est fallu de peu et ce fut au prix d’un certain effort. De fait, si vous aimez les histoires faisant réquisitionnant vos cordes sensibles tout en étant originales, je ne peux que vous inviter à découvrir ce roman graphique qui saura sans aucun doute se démarquer parmi les nouveautés.

Jim Bishop (de son vrai nom Julien Bicheux) est un jeune bédéaste qui s’est lancé dans ce milieu en 2015. Lettres perdues est son premier album en solo et promet une carrière à suivre de très très près.

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Et vous, aimez-vous les graphiques très colorés quitte à ce qu’ils perdent en réalisme ?

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« Kill Annie Wong » de Swann Meralli, Gaël Henry et Paul Bona (Sarbacane, 2021) • Rentrée littéraire

J’avais eu l’occasion de découvrir Swann Meralli avec Algériennes. 1954-1962, que j’avais apprécié. Mais pouvoir le lire dans de la fiction pure m’a sérieusement chatouillée et c’est avec Gaël Henry aux illustrations et Paul Bona à la couleur que ce souhait se réalise.

Quatrième de couverture : « À Chogsu Siti, mégapole coréenne tentaculaire, au bord de l’implosion, où politique rime avec crime organisé, vit Enzo, 24 ans, muet et tueur à gages ultra performant. Enzo a deux passions dans la vie : Le grand bleu, et la voix d’une mystérieuse chanteuse dont il se repasse le morceau en boucle quand il massacre des anonymes pour le compte de ses clients. Sa dernière mission qui lui vient tout droit du chef de la police : s’en prendre à ce salaud de Mon-Sik, gangster qui veut détrôner la puissante maire aux élections, en attaquant sa petite copine.

Mais voilà, alors qu’Enzo s’apprête à passer à l’action, il s’aperçoit que sa cible est en fait la cantatrice qui se cache derrière la voix qu’il aime tant. Pour Enzo, c’est le dilemme : tuer ou sauver Annie Wong ? »

Je lis presque toujours des œuvres écrites à partir de faits réels, qui explorent l’histoire contemporaine ou des sujets de société examinés par l’angle de la fiction. Ici le contexte est une ville coréenne qui n’existe pas mais qui reprend certains codes de cette culture. L’histoire est un complot politique qui implique une maire un peu pourrie sur les bords, un flic corrompu pour raisons personnelles, un tueur à gages muet, une célèbre chanteuse et son amant aussi violent qu’ambitieux. Un mélange explosif, surtout quand un contrat est mis sur l’une de ces têtes et que le plan ne se déroule pas comme prévu.

Une histoire dynamique, sympathique et touchante, forte de son ambiance singulière et de ses illustrations expressives aux couleurs chatoyantes.

J’y ai retrouvé les ingrédients de ce qui a su m’émouvoir dans certains films de Luc Besson – alors que je ne le porte pas spécialement dans mon coeur, mais reconnaissons-lui certains films réussis. Mais les références ne font pas tout dans cette histoire qui sait vivre indépendamment de l’hommage rendu au réalisateur. La violence est bien dosée et bien représentée, l’ambiance est très efficace et j’ai adoré la psychologie prêtée au personnage d’Enzo.

Une lecture qui m’a fait agréablement changer d’univers littéraire et qui saura, je pense, séduire les amateur·ices du Grand bleu (dont j’ai un souvenir plus que relatif) et de Léon.

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Ils/Elles l’ont aussi lu et chroniqué : SambaBD

Et vous, quelles sont vos dernières belles découvertes faites hors de votre zone de confort ?

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« La Seine était rouge » de Leïla Sebbar (Thierry Magnier, 1999 ; Actes Sud-Babel, 2009)

Afin de commémorer les 60 ans du 17 octobre 1961, jour de honte dans l’histoire française, j’ai choisi de vous parler de deux romans. Hier faisait place à un inédit en français de William Gardner Smith, aujourd’hui je partage un roman de Leïla Sebbar, autrice que j’apprécie profondément. Un roman frontal et sans équivoque sur cette soirée sanglante, publié dès 1999.

Quatrième de couverture : « Paris, 17 octobre 1961. La fin de la guerre d’Algérie est proche. En réponse au couvre-feu imposé aux Algériens par Maurice Papon, alors préfet de police, le FLN organise à Paris une manifestation pacifi que. La police charge : violences, arrestations massives, matraquages, meurtres, Algériens jetés dans la Seine. Nanterre, 1996. Amel a seize ans. Elle entend parfois sa mère et sa grand-mère discuter de choses graves dans une langue, l’arabe, qu’elle comprend mal. Quand elle pose des questions, les femmes se dérobent. Avec Omer, journaliste algérien réfugié, et grâce au film documentaire de Louis, fils d’une Française ayant adopté la cause algérienne, elle cherche à comprendre.

Roman polyphonique dense, essentiel, poignant, La Seine était rouge lève le voile de l’oubli sur l’une des pages les plus douloureuses de l’histoire de la France contemporaine. »

Ce n’est pas la première fois que je remarque qu’un roman publié initialement en littérature adolescente se trouve réédité pour le public adulte. Cela a notamment déjà été le cas avec un texte d’Hubert Mingarelli qui, en effet, peut s’adresser aux deux publics, chacun le lisant à sa hauteur.

Polyphonique et presque pensé avec une logique de montage cinématographique, ce roman nous emmène en quête de la mémoire du 17 octobre 1961 aux côté d’Amel. La jeune femme a éperdument besoin de réponses aux silences familiaux, aux échanges qu’ont sa mère et sa grand-mère en arabe, langue qu’elle ne comprend pas. Quel événement s’est dont passé pour que l’on en parle que de cette façon, presque cachée ? Que s’est-il passé dans ce pays qui est le sien ?

Louis, l’un de ses amis dont la mère a fait partie de la résistance à la guerre d’Algérie en tant que française, a pour projet de réaliser un film documentaire sur les porteurs de valises. Un film qui va libérer la parole de la mère d’Amel. Un film qu’Amel va voir et qui va l’emmener, avec son nouvel ami Omer, dans différentes rues parisiennes…

A la fois puissant et didactique, ce roman parle de la nécessité de la mémoire, de la douleur de celle-ci aussi, tout en mettant en avant les actualités politiques et algériennes d’alors. Nous sommes en 1996, l’Algérie souffre des années noires, de la répression de la population, des assassinats des intellectuels et résistants au régime islamiste. Nous sommes en 1996, en pleine Affaire Papon, à la veille de son procès, qui réveille différentes douleurs et révèlent des dossiers jusqu’alors maintenus fermés.

Lire ce roman aujourd’hui c’est aussi découvrir ce que fut l’écriture de la mémoire de l’histoire contemporaine dans la littérature des années 1990. Vingt-deux ans après, ce roman est toujours remarquable.

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Et vous, quel·s roman·s de Leïla Sebbar conseillez-vous ?

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❤ « Le visage de pierre » de William Gardner Smith (Christian Bourgois, 2021) • Rentrée littéraire

Traduit par Brice Matthieussent • 280 pages • 21,00 €

Si je dois commencer par dire quelque chose c’est qu’il vous faut découvrir ce roman. C’est un texte d’une grande puissance, remarquablement mené et porté par l’intelligence du coeur. Rien que ça.

Quatrième de couverture : « Fuyant les États-Unis et le racisme qui y règne, Simeon, un noir américain, arrive au début des années 1960 à Paris. Ici, les noirs se promènent sans craindre pour leur vie, et la diaspora américaine a pignon sur rue : dans les cafés, on refait le monde entre deux morceaux de jazz, on discute de politique en séduisant des femmes… Tout semble idyllique dans la plus belle ville du monde. Mais Simeon s’aperçoit bien vite que la France n’est pas le paradis qu’il cherchait. La guerre d’Algérie fait rage, et un peu partout, les Algériens sont arrêtés, battus, assassinés. En rencontrant Hossein, un militant algérien, Simeon comprend qu’on ne peut être heureux dans un monde cerné par le malheur : il ne peut pas rester passif face à l’injustice.

Écrit en 1963, Le Visage de pierre fut le seul livre de William Gardner Smith à n’avoir jamais été traduit en français, et l’on comprend pourquoi : pour la première fois, un roman décrivait un des événements les plus indignes de la guerre d’Algérie, le massacre du 17 octobre 1961. Dans cet ouvrage où l’honneur se trouve dans la lutte et dans la solidarité, William Gardner Smith explore les zones d’ombre de notre récit national. »

William Gardner Smith, comme d’autres auteurs afro-américains parmi lesquels nous pouvons citer James Baldwin, s’est installé en France en 1951 et y vivra jusqu’à son décès en 1974, à l’âge de 47 ans.

Avec le personnage de Simeon, William Gardner Smith se crée un alter-ego. A peine installé en France – pour ne plus être contraint par un racisme permanent, pour se sentir libre dans une France qui a la réputation de ne pas l’être… vraiment ? – ce journaliste et peintre va rencontrer la diaspora afro-américaine qui a choisi la vie parisienne. Avec d’autres exilés se crée un groupe multiculturel, aux expériences et points de vue différents. Un groupe vivant, en somme. Il y a notamment le chaleureux mais non moins mélancolique Babe, il y a aussi la belle Maria au regard qui s’éteint et au passé qui la hante. Il y aura aussi Ahmed, celui qui aurait pu être son jumeau, et les amis Algériens qui dirigeront le regard de Simeon sur la haine qui a cours en France.

Tout le roman montre le climat tendu qui règne en France, un climat dans lequel la police fait preuve d’un zèle raciste et de violences particulières à l’encontre des Algériens. Car la perte de l’Algérie sonnera le glas de l’empire colonial français et ça, pas mal de personnes n’arrivent pas à l’accepter, qu’elles soient civiles ou politiques. C’est toute cette contextualisation, cette confrontation à une société français bel et bien raciste qui fait comprendre les motivations, les enjeux et les suites du 17 octobre 1961. Une nuit terrible qu’il nous faut regarder en face.

Dans sa solitude, Simeon est obsédé et malade d’un visage qu’il n’a de cesse de vouloir représenter sur toile sans jamais parvenir à le faire. Des traits durs comme la pierre, des yeux froids, qui expriment un plaisir morbide. Et ce visage a plusieurs fois blessé durement – physiquement comme moralement – Simeon aux États-Unis. Ce visage de pierre, nous le verrons, est malheureusement présent partout.

Ce roman fort et rugueux de réalisme révèle les haines qui habitent le monde sans jamais mettre en concurrence les victimes et les mémoires. Simeon, personnage immensément attachant devra faire un choix, invitant inconsciemment le•la lecteur•rice a faire le sien. Et nous en avons justement un à faire à quelques mois de cette présidentielle qui s’annonce déjà pestilentielle.

Les romans de William Gardner Smith précédemment traduits en français ne sont plus disponibles, j’espère de tout coeur des rééditions.

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Ils/Elles l’ont aussi lu et chroniqué : Lune Depassage

Et vous, quel•s livre•s sur le massacre du 17 octobre 1961 conseillez-vous ?

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❤ « Talashi » d’Alexis Cordesse (Atelier EXB, 2021)

Comment ne pas être remuée par ce projet et accrochée à chaque page, à chaque visage, à chaque pixel du passé dont témoignent les clichés ici rassemblés ? Alexis Cordesse, photographe, a rencontré des syriens et syriennes qui ont fuit leur pays en guerre, a écouté leur histoire et a pu découvrir les photographies qui ont survécu aux routes de l’exil.

Présentation de l’éditeur : « Comment évoquer une tragédie rendue paradoxalement invisible par trop d’images ? 

Le photographe Alexis Cordesse, habitué des zones de guerre, a pris le contrepied en collectant les rares images emportées dans l’exil, dans une valise, sur un téléphone portable, qui témoignent de la mémoire de vies déracinées. Fuir la Syrie en prenant avec soi ses images personnelles est un risque : en cas d’arrestation, les photographies sont saisies, analysées. Les personnes qui y figurent deviennent suspectes pour le régime. Dans un tel contexte, la photographie devient dangereuse. Au fil de ses rencontres, plus d’une centaine en France, en Allemagne et en Turquie entre 2018 et 2020, Alexis Cordesse a écrit les histoires de ces photographies vernaculaires et de ceux qui les lui ont confiées.

La guerre est perçue autrement, à travers le prisme de la parole de l’exilé et la mémoire des images que celui-ci a choisies de garder. La photographie comme trace tangible est mise en tension : que nous dit-elle du vécu, que nous raconte-t-elle de chacun ? Talashi parle de la circulation des images à travers l’expérience de l’exil. Ces photographies ont survécu aux destructions et à l’oubli. Leur présence dit l’absence de celles à jamais disparues.

Talashi est un mot de la langue arabe qui peut se traduire par fragmentation, érosion, disparition. Inscrit dans le hors champ des images d’actualité, ce travail de réappropriation propose un récit sobre et modeste, à la croisée de l’intime et de l’Histoire. Alexis Cordesse »

Vous l’imaginez, c’est un ouvrage tout en sensibilité dont je vous parle aujourd’hui. L’image a un pouvoir incroyable, souvent trop mal utilisé. Ici nous entrons dans l’intime mais en adoptant une approche décente et autorisée.

L’ensemble photographique vient de dizaines de fonds privés et est entrecoupé de textes à la fois humains et factuels (forme très efficace avec moi) qui transmettent des histoires vécues.

J’ai été extrêmement impressionnée, les larmes montant aux yeux devant l’authenticité des documents qui rappellent nos propres photographies familiales et qui soulignent un peu plus à chaque page les absents et les moments qui appartiennent à un monde que la tyrannie a détruit et que les ruines abritent désormais. Le passé est une chose, la déchirure en est une autre.

Ces images sont purement saisissantes. Un visage flou, mal cadré ou des corps à contre-jour : une photographie pas très bien prise dans la vie normale, la dernière trace d’un•e proche par temps de guerre et dans l’exil. Des pixels marqués : la mémoire qui se force pour combler les manques jusqu’à ne plus pouvoir vraiment recréer les traits avec précision en pensée.

Après la lecture et quelques minutes de silence, ce livre m’a semblé être un excellent support pédagogique. Proposer à des jeunes de choisir une photographie et d’imaginer une histoire construite avec des informations réelles sur la Syrie ; les inviter à choisir quelques-unes de leurs propres photographies familiales pour dire leur histoire ; afficher en commun les photographies des élèves et celles du livre et animer un moment d’expression et d’échanges ; les sensibiliser à l’observation afin de souligner la valeur universelle des instants immortalisés et, ainsi, la valeur universelle de la vie et des droits humains.

La photographie est un objet très particulier – que je collectionne et sur lequel j’ai travaillé durant plusieurs années – qui n’a jamais été aussi présente dans l’histoire de l’humanité qu’aujourd’hui. Celle qui est partagée, survolée, aperçue. Ici on regarde, vraiment. Celle qui cherche le buzz, qui veut l’effet de choc collectif. Ici on nous fait voir d’une façon différente, avec l’invisible aussi fort que le visible, avec la présence émouvante de l’intention qui ignore encore l’importance de son geste.

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Et vous, quel est votre rapport à la photographie ?

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« Les noces de Zeyn et autres récits » de Tayeb Salih (Actes Sud, 1996 ; Babel, 2014)

Traduit par Anne Wade Minkowski • 150 p. • 7,00 €

Une chose est sûre, on ne parle pas souvent de littérature soudanaise. Alors j’ai eu envie de le faire. Et je commencerai par le fait de préciser qu’au cours de ma lecture de ce recueil de nouvelles j’ai acheté le second livre – encore – disponible de Tayeb Salih. Du coup, sans surprise : j’ai aimé.

Présentation de l’éditeur : « Une incursion dans la campagne soudanaise où Zeyn, personnage excentrique, va se fiancer avec Ni’ma, la fille d’un grand notable, et susciter, malgré lui, plusieurs miracles pour le plus grand bonheur de tous et pour notre enchantement. »

Tayeb Salih (juillet 1929 – février 2009) est l’un des plus grands auteurs de langue arabe. Alors qu’il se destine à l’agriculture et à l’agronomie, il va avoir l’opportunité de faire des études et de les poursuivre à l’étranger, à Londres. Ce départ du Soudan sera aussi l’origine de l’écrivain. Il sera notamment conseiller à l’UNESCO. Son recueil Saison de la migration vers le nord lui fera gagner une reconnaissance internationale. Un prix littéraire soudanais porte aujourd’hui son nom.

Composé de trois nouvelle – la plus longue donnant son nom au recueil – l’auteur nous emmène dans un Soudan qui n’existe plus vraiment aujourd’hui.

Il nous fait entrer dans les maisons au coeur des familles et des traditions, déambuler dans les rues et assister aux événements qui rythment la vie du village. Tayeb Salih montre les conflits, entre personnes comme avec l’Etat, déroulant ses histoires avec un humour savoureux et espiègle dont je me suis régalée.

Entre relations humaines, organisation de la vie quotidienne de villages isolés, traditions et approches de la religion bien loin de ce qu’elle est aujourd’hui et des préjugés que l’on a désormais de certaines régions, Tayeb Salih nous émeut et nous fait rire. Il propose des personnages marquants, qu’ils soient attachants ou méprisables et nous invite à partager leurs joies et leurs peines.

Une chose est sûre, l’auteur aime son personnage de Zeyn et nous le fait aimer aussi.

La narration – sa construction et son rythme – m’a conquise, le regard de Tayeb Salih sur la vie aussi. Je vous reparlerai donc de cet auteur très vite !

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Et vous, avez-vous déjà littexploré le Soudan ?

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« Le petit Didier » de JoeyStarr (Robert Laffont, 2021) • Rentrée littéraire

Un petit pas de côté par rapport à mes lectures habituelles, ça vous dit ? Monté avant ma naissance, le groupe Suprême NTM se séparait à mon entrée au collège. Bon, du coup… j’ai tout loupé. Mais, appréciant le rap conscient français, je me ponce en boucle leur discographie depuis quelques mois et ne manque pas de savourer leur live au Zénith de 1998 – qui est monumental.

Quatrième de couverture : « J’ai l’impression d’avoir un soleil dans le ventre, mais il ne peut sortir.

Le petit Didier Morville grandit dans la cité Allende à Saint-Denis auprès d’un père autoritaire et mutique. Livré à lui-même, l’enfant observe le monde qui se transforme sous ses yeux et qui l’entoure. Avec les gamins de la cité, il joue, trompe l’ennui, dissimule ses escapades à son père. Sur une bicyclette volée ou dans les cages d’un terrain de foot, il fuit le triste quotidien et goûte à la liberté. En même temps, il continue de se retirer dans sa tanière, discret, caché. Des vents contraires l’animent, le menant parfois là où il ne voudrait pas aller…

Dans ce récit lucide et attachant de son enfance aux contours mouvants, en remontant aux origines, JoeyStarr révèle ce qui a construit son ardente personnalité. »

Mon intérêt est à la fois organique et distancié : je me plaît dans ce passé qui s’anime à mes yeux et à mes oreilles mais je ne suis pas une puriste. Je ne connais que peu de choses personnelles sur JoeyStarr et Kool Shen, je ne suis pas particulièrement curieuse à ce sujet, mais quand on me propose une autofiction sur une enfance dans les cités dont les tours sortent tout juste de terre je suis là.

Ce récit nous parle d’une période qui marquera indéniablement les paroles du titre culte Laisse pas traîner ton fils : « C’est ça que tu veux pour ton fils ? / C’est comme ça que tu veux qu’il grandisse ? / J’ai pas de conseil à donner, mais si tu veux pas qu’il glisse / Regarde-le, quand il te parle, écoute-le / Le laisse pas chercher ailleurs, l’amour qu’y devrait y’avoir dans tes yeux / […] Putain, c’est en me disant j’ai jamais demandé à t’avoir / C’est avec ces formules, trop saoulées, enfin faut croire / Que mon père a contribué à me lier avec la rue. »

Avant JoeyStarr il y a eu Didier Morville. Petit garçon qui vit seul avec son père – croyant sa mère décédée – et qui va quitter une maison grise et vétuste pour un appartement au rez-de-chaussée d’un nouvel immeuble, d’une nouvelle citée. Le quotidien de Didier est composé de beaucoup de solitude alors que son père s’absente souvent, de beaucoup de silences face à ce père taiseux et farouchement désintéressé. Le manque de considération qu’il subit chez lui, Didier va chercher à le compenser ailleurs, dehors. Evidemment.

Il est question de la honte de soi quand le parent n’apporte pas de soins, des difficultés scolaires et des techniques parentales aux antipodes de la philosophie Montessori, de l’éclosion d’un garçon discret auprès des copains et de la bienveillance des parents de ces derniers, des premières défonces à la colle et d’un patchwork de moments d’enfance qui impulsent ce que seront Didier à l’adolescence puis JoeyStarr à l’âge adulte.

Un saut dans le temps et l’espace pour la gamine que j’étais et qui, elle aussi, avait un 9 et un 3 sur son drapeau sans s’en rendre compte alors et sans savoir que vingt ans après en être partie on la renverrait, au détour d’une conversation anodine, à son statut de banlieusarde. Alors autant en être fière sans faire l’erreur de verser dans une vision romantique.

Malheureusement, il m’a manqué du style – notamment explosif – et, si j’ai apprécié la promenade dans les souvenirs du petit Didier, je ne peux que conclure sur le fait que ce livre s’adresse principalement aux amateur•trice•s de NTM plus qu’aux amateur•trice•s de littérature. JoeyStarr le dit lui-même, ce livre a été écrit avec l’aide d’un professionnel, il se positionne ainsi davantage en témoignage qu’en exercice de style.

Je termine sur ce titre de NTM qui figure parmi ceux que je préfère. Puissance et conscience d’un groupe qui marque encore aujourd’hui de son sceau une géographie à la fois locale et nationale, sans oublier les esprits, qu’ils soient amateurs ou détracteurs.

Un autre pas de côté est prévu pour la semaine prochaine, avec un autre type de personnalité. Mon antidépresseur préféré depuis de nombreuses années : Thomas VDB. Je vais d’ailleurs le rencontrer à l’occasion d’une dédicace de son premier roman – lui aussi autobiographique -, je suis un mélange de fébrilité et d’excitation depuis déjà plusieurs jours, ça promet.

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Et vous, team NTM ou pas ?

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❤ « Un pays dans le ciel » d’Aiat Fayez et Charlotte Melly (Delcourt, 2021) • Rentrée littéraire

L’exil est un thème important dans mes lectures, je n’ai donc pas attendu pour me plonger dans cette nouveauté, cherchant seulement à avoir plusieurs heures de libres pour m’y glisser et l’éprouver sans impact extérieur.

Quatrième de couverture : « Un récit d’une extrême richesse qui nous plonge dans une zone méconnue, entre deux territoires, et interroge les notions d’étranger et d’exil dans ses dimensions les moins visibles, les plus surprenantes.

Une nuit, une étudiante arrive chez un écrivain. Pour la garder près de lui, ce dernier relate à la jeune femme son séjour au Bunker. Lieu d’attente et de crainte, les demandeurs d’asile y racontent leur épopée dans le but d’obtenir la protection d’un pays. Se dessine ainsi le parcours d’exilés mais aussi le fonctionnement d’une institution composée d’humains qui doivent décider d’une vie. »

Dès la première page nous sommes invités à lire ce livre en étant dans de bonnes dispositions. Et ce n’est pas anecdotique. J’ai l’habitude de lire des contenus difficiles et j’ai pourtant eu quelques chocs.

Dans ce scénario, Aiat Fayez se crée un double qui héberge une jeune femme venue faire du tourisme à Vienne. Au cours d’une soirée, qui va devenir une nuit, il va lui raconter sa résidence au sein d’un office qui reçoit et interroge les demandeur•se•s d’asile en vue d’obtenir ou non la nationalité française.

Pour cela il faut raconter. Tout raconter des raisons du départ. Raconter les moments de courage, raconter les moments de honte, raconter les moments de souffrance, raconter l’insupportable. En face de ces personnes, des agents qui posent des questions pour avoir le matériau nécessaire à prendre leur décision. Mais tous et toutes n’ont pas le même état d’esprit. Alors, nous comprenons que la décision peut avoir un goût très arbitraire.

Chaque témoignage vient illustrer des situations particulières, des injustices, des violences, des opportunités, des vies très différentes qui espèrent en commencer une nouvelle ou fuir la précédente. Ils montrent la diversité des personnes demandant la nationalité française. J’ai appris beaucoup, j’ai été fortement secouée, prise d’empathie comme mise face à certains témoins qui interrogent franchement la moralité. Quand tu es contre la peine de mort et face à une personne ayant eu des actes criminels hautement condamnables, que faut-il faire ? Lui donner l’asile en sachant qu’un risque existe ou la renvoyer dans un pays où elle est d’ores et déjà condamnée à mort ?

Il faut prendre plusieurs heures pour lire, intégrer et digérer ces plus de 300 pages de témoignages. Je suis persuadée que la lecture de ce roman graphique n’a rien d’anodin et je salue mille fois sa réalisation (je l’ai attendu pendant des mois). Le travail d’illustration de Charlotte Melly est très beau, très communicatif : il magnifie autant qu’il terrifie en fonction du message. J’ai vraiment admiré de nombreuses planches, quelles que soient leurs ambiances.

Je retiens vraiment la capacité qu’a ce roman graphique à nous questionner, questionner les procédures administratives et leurs biais, questionner les refus ainsi que les accords – surtout les refus en ce qui me concerne -, questionner la conscience d’individus qui doivent décider de la vie d’autres personnes.

Remarquable.

Si nous sommes dans une trame fictionnelle, elle est ancrée de plein pied dans la réalité. Un roman graphique qui, sans aucun doute, vous marquera longtemps et alimentera votre vision de l’immigration et des naturalisations aujourd’hui. Il me donne également très envie de découvrir davantage les œuvres d’Aiat Fayez et de Charlotte Melly.

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Et vous, quels sujets vous tiennent à coeur dans la vie et dans les livres ?

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« Le meilleur des jours » de Yassaman Montazami (Sabine Wespieser, 2012 ; Points, 2014)

Il y a des romans qui nous attendent sagement, qui nous intéressent sans que nous les gardions en mémoire. Généralement, ce sont des romans que nous achetons en double. Ce fut le cas pour ce roman de Yassaman Montazami. Il était temps de le découvrir et le challenge #autricesdumonde d’octobre m’en a donné la belle occasion.

Quatrième de couverture : « Il s’appelle Behrouz, le meilleur des jours en persan. C’est mon héros, mon père. Iranien réfugié à Paris, il refuse de travailler. Fantasque, il cuisine le canard à l’orange la nuit, danse sur Boney M et affirme que la princesse Soraya est clitoridienne. Son appartement est le refuge des exilés de la révolution : une épouse de colonel en fuite, un poète libertin, un chef d’entreprise opiomane…

Née à Téhéran en 1971, Yassaman Montazami vit en France depuis 1974. Docteur en psychologie, elle a travaillé de nombreuses années auprès de réfugiés politiques et exerce actuellement en milieu hospitalier. Le Meilleur des jours est son premier roman. »

Voici un court roman pour dire l’amour qui lie une fille à son père et vice-versa. Un amour et une attention que le père aura aussi porté à ses semblables tout au long de sa vie.

En 2006, Yassaman Montazami perd son père, Behrouz, le meilleur des jours en persan. De cet enfant prématuré trop chétif pour survivre à l’opposant politique exilé en France qui accueille des iranien•ne•s en fuite chez lui, l’autrice nous offre une autofiction tout en sensibilité et touchante d’admiration.

De ses souvenirs d’enfance à sa vie de femme, Yassaman Montazami retrace la vie de son père grâce au regard son alter-ego littéraire. Eternel étudiant travaillant une thèse sur la pensée de Karl Marx censée révolutionner la pensée (qui fut source de fierté autant que de douleur) ; éternelle présence rassurante, amusante et rassérénante pour son large entourage, qu’il soit privé de son pays ou confronté aux drames de la vie.

Faire face, rire et avancer. Vivre, aimer et être aimé. Affronter les jours et les nuits, les souvenirs des amis assassinés ou survivants de tortures, la perte de son propre père. Un portrait qui parle autant de l’humanité d’un homme – que chaque lecteur•trice aurait aimé avoir la chance de connaître – que de l’histoire contemporaine, de l’oppression politique, de la diaspora iranienne.

Quand l’absence se fait trop présente, il revient aux vivants de pouvoir offrir une sépulture de mots qui ressuscite les souvenirs. La psychologue qu’est Yassaman Montazami ne contredira sûrement pas les bienfaits de l’écriture dans le travail de deuil. Et si le deuil principal est bien celui du père, c’est aussi celui d’un pays.

Seul roman de l’autrice publié à ce jour, je serai au rendez-vous du prochain.

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Et vous, quel roman sur le deuil du père conseillez-vous ?

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« L’hôtel du cygne » de (Zhang Yueran, 2021) • Rentrée littéraire

Si les littératures japonaise ou coréenne sont régulièrement mises en avant, j’ai l’impression que c’est moins le cas avec la littérature chinoise. Je m’y intéresse depuis un moment et mes lectures passées ne font qu’alimenter mon envie d’en découvrir davantage. Avec ce roman je découvre Zhang Yueran, connue en France pour sa première œuvre traduite : Le clou (Zulma, 2019).

Quatrième de couverture : « Venue du lointain Sichuan, Yu Ling travaille à Pékin depuis dix ans et rêve de changer de vie. Au détour d’un pique-nique, avec son acolyte M. Courge, ils fomentent le kidnapping de Dada, charmant petit garçon de l’élite chinoise dont elle est la nounou. Mais une fois avalées les pattes de crabe du Kamtchatka et les brochettes d’ailes de poulet, le plan tombe à l’eau, adieu la rançon : le grand-père de Dada vient d’être inculpé pour corruption, le père est arrêté, la mère a disparu. Yu Ling se retrouve seule avec l’enfant. Dans la grande villa aseptisée, Dada dresse une tente pour y accueillir tous ceux qui comme lui n’ont pas d’amis : l’Hôtel du Cygne. Dans le huis clos de cette drôle de famille recomposée, Zhang Yueran dresse le portrait tout en nuances de la Chine d’aujourd’hui. »

Alors que Yu Ling et un complice prévoient de kidnapper Dada, le fils de la famille pour laquelle elle est nounou, rien ne va se passer comme prévu.

C’est avec une belle sensibilité que Zhang Yueran explore les souvenirs et les sentiments de Yu Ling, trentenaire aussi blessée par la vie que perdue dans celle-ci. A ses côtés, Dada, petit bonhomme de six ans qui a du mal à sociabiliser et à se faire des amis, ignoré par sa mère autocentrée et qui a tissé un lien très particulier avec sa nourrice. Si le père du garçon est plus tendre et humain, il reste très absent, très occupé. L’enfant et la nourrice : deux personnages aussi attachants qu’attachés l’un à l’autre, qui nous font vivre un beau moment de lecture. Mention spéciale à Dada, particulièrement incarné et rafraîchissant.

Roman sur la survie au quotidien et la solitude, cette lecture serre le coeur autant qu’elle l’ouvre. Grave, drôle ou émouvant, le roman alterne des moments intimistes et poétiques.

Je regrette cependant que ce roman soit si peu critique à l’encontre du gouvernement chinois ou engagé, ce que j’attendais un peu en arrière-plan. Cela est sans aucun doute lié au fait que Zhang Yueran vive en Chine, l’opposition politique y étant sévèrement réprimée. Cependant, on y trouve un regard critique sur les nouveaux riches, sur la pression et certains abus à l’encontre des jeunes talents. Y sont aussi évoqués des choix de vie qui se confrontent, montrant ainsi quelques visages de trentenaires chinoises et leurs aspirations.

Une lecture très agréable qui me donne naturellement envie de découvrir Le clou, qui devrait être plus explicite sur l’histoire contemporaine chinoise et ses stigmates.

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Ils/Elles l’ont aussi lu et chroniqué : Love In BooksLes lectures de ffloladilettanteMarie-Nel lit

Et vous, de quel pays trouvez-vous la littérature pas assez visible ?

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❤ « La brebis galeuse » d’Ascanio Celestini (Le Sonneur, réed. 2021)

Traduit par Olivier Favier • 120 p. • 15,50 €

Vous cherchez à vous prendre une petite claque ? Vous avez été impressionné·e par Le démon de la Colline aux loups de Dimitri Rouchon-Borie ? Vous cherchez un texte qui pourrait s’approcher de ce style direct et incarné tout y allant un peu plus léger sur le côté sordide de l’histoire ? Alors ne cherchez plus, vous êtes au bon endroit.

Quatrième de couverture : « Nicola se souvient de son enfance, alors qu’il vient tout juste de mourir, après trente-cinq années d’internement dans un hôpital d’aliénés.

Explorant l’univers tragi-comique des asiles de fous, La Brebis galeuse s’attaque sans pitié à la société de consommation. Dans la lignée de Pier Paolo Pasolini et Dario Fo, Ascanio Celestini s’érige ainsi, avec humour et poésie, contre un monde où tout s’achète. »

Acteur, réalisateur et auteur italien, Ascanio Celestini a littéralement secoué mes émotions lors de cette lecture. J’ai craqué sur ce livre en pensant qu’il s’agissait d’une nouveauté de la rentrée littéraire, hors il n’en est rien et ce texte a un sacré bagage : initialement pièce de théâtre narratif, il a été transcrit publié en Italie en 2006 avant d’été traduit en français en 2010. En 2011, Ascanio Celestini adapte lui-même en film cette histoire. Du coup, je n’ai qu’une envie : le trouver et le regarder, m’en imprégner encore.

C’est l’histoire de Nicola, qui est né dans les années soixante. Les fabuleuses années soixante. Ces années désirées, ces année craintes. Petit garçon, il nous raconte son enfance et nous apprenons à le connaître d’anecdote en anecdote, d’éclats de rires en inquiétudes et indignations. Un jour, Nicola – toujours enfant – est interné dans un asile. Alors que nous lisons ces lignes, il est désormais mort et nous raconte, simplement, avec ses mots et ses compréhensions, avec son innocence, sa clairvoyance particulière et les blessures qui lui ont été infligées.

Ascanio Celestini nous confie une histoire sur l’enfermement et interroge la folie et la façon dont elle est perçue et traitée par la société. J’ai été très impressionnée, complètement saisie par ce personnage resté en enfance faute d’avoir pu devenir vraiment adulte, fort de son éternelle espièglerie et de son imagination. Ce texte se fait aussi critique de la violence des adultes, de l’institution religieuse et de la société de consommation.

J’ai refermé ce livre et j’ai bondi sur mon ordinateur, espérant que d’autres oeuvres d’Ascanio Celestini soient traduites. Il y en a. Je vous en reparle. Mais, d’ici-là, je vous invite vivement à découvrir La brebis galeuse. Je vous mets au défi de ne pas être ému·e·s, de ne pas passer du rire au sentiment d’effroi.

Cette lecture me donne envie d’explorer des textes, récents ou non, se déroulant ou ayant un lien avec ces lieux autrefois appelés asiles. Ma bibliographie est prête, ne reste plus qu’à sélectionner les livres qui m’attirent le plus, accrocher solidement mon coeur et les lire.

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Et vous, avez-vous une claque littéraire à partager ?

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« Sous le ciel de Kaboul. Nouvelles de femmes afghanes » ouvrage collectif (Le Soupirail, 2019)

J’adore les nouvelles alors, quand le challenge #autricesdumonde nous a proposé de partir en Afghanistan et que je me suis rendue compte de la difficulté de trouver des traductions d’autrices, ce recueil s’est présenté à moi comme un véritable trésor.

Quatrième de couverture : « Douze nouvelles qui nous plongent au coeur d’histoires empreintes d’un quotidien entaché par la guerre où il est question d’amours meurtris, de loups, de corps à la morgue, de femmes enlevées, de talismans, de bombardements, de la condition des femmes et révèlent des écritures, qui souhaiteraient infléchir le destin.

Avec les nouvelles de : Batool Haidari, Khaleda Khorsand, Sedighe Kazemi, Wasima Badghisy, Manizha Bakhtari, Parween Pazhwak, Homeira Qaderi, Alie Ataee, Masouma Kawsari, Mariam Mahboob, Toor-Pekai Qayoom, Homeira Rafat. »

Douze femmes, nées entre 1955 et 1984. Différentes générations de femmes et, pourtant, toutes ont connu leur pays en guerre.

Ce sont des histoires d’individus broyés par la situation de leur pays : le chagrin des mères, des femmes et des filles ; les violences envers les femmes ; l’engagement volontaire ou forcé des hommes et des garçons ; les relations maritales et filiales. Des sujets d’actualité depuis trop longtemps et qui risquent de ne pas cesser de l’être.

Comme dans chaque recueil, j’ai préféré certaines nouvelles à d’autres mais j’ai pris un réel plaisir à découvrir l’univers, le style narratif et littéraire de ces autrices. Dans une langue très contemporaine, parfois très directe, elles nous confrontent à leur réalité. Je suis très reconnaissante d’avoir eu accès à ces textes, ce sentiment est naturellement renforcé par le peu de littérature traduite disponible.

Ces nouvelles ont été collectées par Mohammad Husein Mohammadi. Ce nom a plus que sonné une cloche dans mon esprit car j’ai été très secouée par son propre recueil Les figues rouges de Mazâr (paru en France en 2012 aux éditions Actes Sud). Je ne manquerai pas de vous parler également de recueil sous peu.

La lecture de ce livre a été pour moi l’occasion de découvrir les éditions Le Soupirail qui ont un catalogue très intéressant. Je me suis donc aussi offert le recueil A la pleine lune de la poétesse syrienne Fadwa Souleimane. Je tiens enfin à préciser que leurs choix de conception du livre offrent une lecture extrêmement confortable.

Cette lecture a été faite dans le cadre du challenge #autricesdumonde organisé par Claire de Des pages et des lettres.

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Et vous, quel est le dernier recueil de nouvelles que vous ayez lu ?

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« Une baignoire dans le désert » de Jadd Hilal (Elyzad, 2020)

Gagnant du Grand prix du roman métis en 2018 pour Des ailes au loin – également sélectionné pour le prix de la Porte Dorée en 2019 -, Jadd Hilal revient avec un court roman initiatique qui appelle à la réflexion autant qu’au refus de l’obéissance systématique.

Quatrième de couverture : « Lorsque la guerre fait irruption dans son village, le quotidien d’Adel bascule. Parents divorcés, amis absents, il lui reste heureusement ses deux insectes imaginaires qui lui tiennent lieu de compagnons. Amené à prendre très vite des décisions qui le dépassent, Adel se retrouve dans un camp au milieu du désert où les combattants, ces grandes personnes, ont l’air d’enfants perdus et où le cheikh le force à agir en adulte. L’occasion pour Adel de s’interroger sur le regard que l’on porte sur lui, et de se forger, seul, sa propre identité…

Jadd Hilal signe ici avec fraîcheur le roman d’un apprentissage quelque peu décalé, en miroir de nos interrogations. »

Un garçon, Adel, est confronté à la guerre qui vient ravager son village. Il est séparé de sa mère et de son père, seul avec ses deux amis-insectes imaginaires. Fuyant des hommes menaçants, il se retrouve dans le désert, prisonnier de l’un des deux camps qui s’affrontent.

Je ne peux faire une chronique conséquente sur ce court roman (104 pages) sans en dire trop, je vais donc me limiter à l’essentiel.

La morale au coeur de ce roman initiatique ? La nécessité de se construire une identité, une volonté propre, d’exprimer son opinion et d’être en capacité de s’opposer à ce qui ne nous semble pas juste. Ne pas attendre de l’autre de savoir qui nous sommes, qui nous devrions être et ce que nous devons faire.

En s’affirmant face à l’adversité – faite de toute la complexité humaine -, Adel se découvrira et sortira de l’enfance.

Un court texte qui invite à un petit temps de méditation et de réflexion.

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Ils/Elles l’ont aussi lu et chroniqué : L’horizon et l’infiniLa cause littéraire

Et vous, connaissez-vous le Grand prix du roman métis ?

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❤ « La mort et son frère » de Khosraw Mani (Actes Sud, 2020)

L’auteur, né à Kaboul en 1987, réside en France depuis 2015. Observateur malheureusement intime des drames qui se déroulent dans le pays depuis de nombreuses années, c’est avec un regard pointu et précis qu’il nous livre le roman aux multiples facette d’un drame.

Quatrième de couverture : « Dans l’étrange ville de Kaboul, un matin d’hiver, un jeune homme sort de chez lui pour aller retrouver celle qu’il aime. Dix minutes après, une roquette tombe sur sa maison et tue quatre membres de sa famille. L’attentat, son contexte et ses conséquences sont ensuite évoqués à partir d’une trentaine de points de vue différents, ceux de protagonistes qui de près ou de loin ont un rapport avec le drame, d’un chauffeur de taxi à un chien errant, d’une journaliste de la télévision à l’arbre planté face au bâtiment détruit, d’un terroriste à un gamin des rues, d’un détrousseur de cadavres à la pelle qui creuse pour préparer les tombes.

Ainsi les voix de Kaboul, de l’aube jusqu’à tard dans la nuit, racontent-elles des histoires d’amour, de corruption, de remords, de sexe, de massacres, de pertes, de gains, de mensonges, de cruauté, d’amitié… Une journée dans un coin du monde où la mort n’est qu’une anecdote à peine commentée, vite oubliée. Par sa narration collective, par son style aussi fluide que sobre, le roman touche à l’universel en révélant l’insupportable fragilité humaine. »

Une roquette est tombée sur une maison, il n’y a aucun survivant. Un peu avant la tombée de la bombe, un homme quittait le foyer pour rejoindre sa maîtresse. Dans la maison : ses parents, sa femme et son frère. A partir de son regard, point de départ d’une journée singulière et en même temps terriblement comme les autres dans un pays qui connait des morts prématurées et non naturelles chaque jour.

D’un regard nous partons sur un autre, nous dévions et peu à peu la journée est dépeinte à travers différents angles et à différents moments, tous articulés autour du drame : humains, animaux ou encore arbre, les angle se multiplient et Khosraw Mani tisse un récit polyphonique avec une précision arachnéenne. C’est impressionnant.

L’auteur nous fait approcher une famille en même temps qu’une société dans laquelle on peine à trouver quelques espoirs. Il y a des passages difficilement soutenables mais dans la noirceur, l’espace d’un instant, un geste emprunt d’humanité peut encore apparaître.

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