« J’ai cru qu’ils enlevaient toute trace de toi » de Yoan Smadja (Belfond, 2019)

Quelle claque ! Dimanche dernier ont débuté les commémorations des 25 ans du génocide des Tutsi au Rwanda et je n’ai pas cessé de parcourir les articles mémoriels et les reportages. En lisant ce livre, je n’ai pu que constater la qualité de sa documentation et le talent que possède Yoan Smadja pour écrire une histoire aussi difficile, mais nécessaire pour la transmission aux générations qui, comme moi, étaient alors des enfants grandissants dans un pays en paix.


Quatrième de couverture : « Printemps 1994. Le pays des mille collines s’embrase. Il faut s’occuper des Tutsi avant qu’ils ne s’occupent de nous.

Rose, jeune Tutsi muette, écrit tous les jours à Daniel, son mari médecin, souvent absent. Elle lui raconte ses journées avec leur fils Joseph, lui adresse des lettres d’amour… Jusqu’au jour où écrire devient une nécessité pour se retrouver. Obligée de fuir leur maison, Rose continue de noircir les pages de son cahier dans l’espoir que Daniel puisse suivre sa trace.

Sacha est une journaliste française envoyée en Afrique du Sud pour couvrir les premières élections démocratiques post-apartheid. Par instinct, elle suit les nombreux convois de machettes qui se rendent au Rwanda. Plongée dans l’horreur et l’indicible, pour la première fois de sa vie de reporter de guerre, Sacha va poser son carnet et cesser d’écrire…

Dans ce premier roman bouleversant d’humanité, Yoan Smadja raconte le génocide des Tutsi du Rwanda à travers le regard de deux femmes éblouissantes, Rose et Sacha qui, sans le savoir, et par la seule force de leur plume, vont tisser le plus beau des liens, pour survivre à l’inhumain. »

pro_reader_120.pngMerci à NetGalley pour l’accès à ce livre en service de presse.


Les personnages choisis par Yoan Smadja sont essentiels pour capter différents moments de cette histoire tragique. Sacha et Benjamin sont des journalistes européens qui, par hasard et par instinct vont se retrouver au Rwanda dès le déclenchement du génocide ; Daniel est un proche de Paul Kagame, alors à la tête du FPR et aujourd’hui président du Rwanda ; Rose et son fils, Joseph, sont les civils, abandonnés par la diplomatie française ; Hervé, le médecin et les militaires internationaux, forcés d’abandonner du terrain.

On pourrait croire, après ces rapides présentations, que le texte est complexe et difficile à appréhender. Il n’en est rien. L’écriture est claire et fluide, les dialogues se croisent pour mieux se répondre et le plus dur est souvent dit en peu de mots, notamment par les personnages de Rose dont la délicatesse et la puissance maternelle nous déchirent, et de Sacha, dont les articles sont des cris, des appels aux oreilles européennes qui ont du mal à entendre. Ce roman est une quête, une course contre la montre et contre la mort pour Daniel : il doit retrouver sa femme et son fils à tout prix alors que le pays s’embrase et sombre dans la folie. Un amour puissant et absolu. Prêt à tout pour protéger. Un amour qui hurle.

Ce qui est complexe, c’est la capacité qu’à l’homme à tuer ses frères, ses voisins, ses enfants. La difficulté est d’accepter la réalité sans, bien entendu, pouvoir se représenter réellement tellement sa violence dépasse l’entendement. Mais je suis persuadée que Yoan Smadja, avec cette histoire, donne des clés de compréhension accessibles et marque son récit de nuances qu’il est important de souligner : tous les Hutu n’ont pas été des meurtriers et certains en ont payé le prix fort, les retours par avion étaient bien restreints à une partie de la population, des pays occidentaux ont fait le choix de retirer la majeure partie des troupes de maintien de l’ordre, le génocide n’est pas né en avril 1994 mais est le résultat de nombreuses années de stigmatisation et de propagande, etc.

C’est un livre dur mais dans lequel la personnalité des personnages nous permet de toujours nous accrocher pour avancer, de croire qu’une fin meilleure est possible, que la résilience a ses chances. À la question de savoir si la littérature peut s’emparer de sujets graves comme celui-ci, pour participer à maintenir la mémoire, c’est indéniable. À lire.

Pour en savoir plus

 


Ils/Elles l’ont aussi lu et chroniqué : Pas de chroniques trouvées pour le moment.


 

Et vous, quels récits sur le génocide au Rwanda conseillez-vous ?

9 réflexions sur “« J’ai cru qu’ils enlevaient toute trace de toi » de Yoan Smadja (Belfond, 2019)

  1. Sur ce génocide, j’ai lu, dans des styles très différents, Ejo, recueil de nouvelles de la franco rwandaise Beata Umubyeyi Mairesse, qui dit surtout l’après, et comment on surpasse -ou pas- un tel drame, et le terrible essai de Jean Hatzfeld, Une saison de machettes, témoignages des bourreaux, absolument glaçant. Il a écrit un autre titre où il donne la parole la parole aux victimes, que je n’ai pas encore lu (il faut laisser passer un peu de temps entre ce genre de lectures très éprouvantes).

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    • Je note ces références, Jean hatzfeld est en effet incontournable (et je ne l’ai pas encore lu… ^^’), je pense lire sa trilogie sur le génocide durant mes vacances. 🙂 Merci encore ! 🙂

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    • C’est en effet un récit très très très fort et j’ai vraiment beaucoup apprécié son niveau de documentation. Heureuse de lire que ça a été un coup de cœur pour toi ! 😀

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    • Je te souhaite (c’est bizarre de le dire comme ça) une bonne lecture ! Il est absolument prenant et il sensibilise de façon juste, je trouve, à l’horreur du génocide à travers plusieurs point de vue. Une forte découverte ! 🙂

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        • Avec plaisir ! 🙂 Prends le temps de respirer au cours du récit, parce que c’est assez difficile, mais le récit est prenant et l’auteur est vraiment bien documenté, donc c’est de la fiction qui sert aussi la connaissance du contexte historique. 🙂

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