« Ce prochain amour » de Nora Benalia (Hors d’atteinte, 2022)

Ce roman s’ouvre sur des considérations testiculaires. Une entrée en matière qui annonce que le contenu sera franc, cru et qu’on appellera une couille une couille.

Quatrième de couverture : « Une femme se laisse convaincre de renoncer à son métier, fait des enfants, les élève seule, survit à une multitude de violences quotidiennes et ordinaires et s’entend de surcroît répéter à tout bout de champ que le courage est un truc de bonhomme. Qui parviendrait à rester calme dans ces conditions ? Certainement pas Nora Benalia, dont Ce prochain amour est le premier roman publié. »

Nora Benalia se met (plus ou moins ?) en scène dans ce roman pour raconter des relations aux hommes. Parmi elles, il y a celle avec un ex-mari qui fut gorgée de violences et, de fait, d’un manque criant d’amour. L’autrice raconte un monde avant #metoo dans lequel les femmes savaient entre elles, à voix basse, les violences que chacune subissait. Ces femmes prétendues folles par leur bourreau ou rendues folles par les violences quotidiennes. Un monde peu habitué à voir une femme divorcer et élever seule ses enfants. Un monde qui jugeait la femme pour l’échec d’un mariage.

Mais c’est aussi du monde d’aujourd’hui dont elle parle. Un monde dans lequel la parole est un peu plus libre (bien qu’encore difficile à prendre) mais qui persiste à mal comprendre la situation des femmes et en particulier des mères célibataires.

De sa libération d’un homme violent à la recherche d’un nouvel amour, le personnage de ce roman témoigne également des blessures persistantes, de la nécessaire reconstruction comme de la notion de désirabilité.

Une lecture engageante pour une bonne partie mais qui s’est conclue – avec moi – par un essoufflement.

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Et vous, quel primo romancier·e voulez-vous partager ?

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« Loin de Douala » de Max Lobe (Zoé, 2018)

Cela fait plusieurs mois que je souhaite découvrir Max Lobe et, parmi sa bibliographie, ce roman était celui que je voulais absolument découvrir en premier.

Quatrième de couverture : « Jean et Simon sauront-ils retrouver Roger ? Ce dernier a fui une mère colérique pour courir après un rêve, devenir une star du football. Quitter Douala, passer par le Nigeria pour finir en Europe : cela s’appelle faire le boza. Les péripéties de Jean et Simon aux trousses de Roger ont tout du voyage initiatique : ils découvrent le Nord du Cameroun, une région à la nature somptueuse, quoique sinistrée par Boko Haram et la pauvreté, goûtent aux fêtes. Mais le petit Jean se confronte aussi à l’éloignement d’avec la mère et à l’apprentissage d’une identité sexuelle différente. Max Lobe, avec sa gouaille et son humour, excelle à donner la parole à ses personnages, à restituer les atmosphères qui règnent dans la rue, les trains, les commissariats, les marchés ou les bars mal famés. »

Impression post-lecture à chaud : je suis ravie d’avoir été au bout de mon envie et je compte bien poursuivre ma découverte des romans de Max Lobe. La promesse de sa Phall’Excellence, paru en 2021, est au chaud dans ma PAL.

Roger, jeune homme camerounais, fugue de son foyer et sa vie familiale conflictuelle et meurtrie pour rejoindre l’Europe réaliser son rêve de devenir footballeur. Son frère, Jean, et un ami proche, Simon, partent à sa recherche sur les routes du boza. En arrière-plan du périple qui sera aussi un voyage initiatique pour Jean : les exactions du groupe terrorisée Boko Haram font chaque jour un peu plus de victimes, la découverte de premiers émois sexuels.

Un roman actuel, plein d’une gouaille savoureuse et d’une langue imagée, qui nous emmène saisir l’énergie de villes camerounaises et l’ambiance d’un pays vivant mais qui est aussi en proie au terrorisme, à la corruption, au départ de ses jeunes et, pour une partie de la population, à la manipulation spirituelle par intérêt pécunier.

En suivant ces deux jeunes, nous découvrons un pays et différentes forces en présence, des jeux de pouvoir et – ce que j’ai particulièrement aimé – une vitalité folle, notamment des personnages féminins.

Je ne peux qu’attirer votre attention sur la photographie de couverture. Si la couverture joue rarement un rôle dans mes envies de lecture, cette photographie m’a totalement attirée au premier regard. Il s’agit d’un portrait d’Omar Victor Diop, photographe sénégalais qui se met en scène autour de différentes thématiques, dont celle de la diaspora – ici en lien avec des rêves de ballon rond.
Vous pouvez découvrir son travail sur son site internet ou en vous offrant son livre (disponibles aux éditions 5 Continents, paru en 2021). Un travail magnifique.

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Et vous, quel·le auteur·ice camerounais·e conseillez-vous ?

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❤ « Que sur toi se lamente le Tigre » d’Emilienne Malfatto (Elyzad, 2020)

Tout début 2021 j’ai lu un roman pour lequel j’ai été incapable de trouver les mots. Alors, quand ça ne veut pas, je ne force pas. Les mots viendront quand ils seront prêts. C’est à l’occasion du visionnage du reportage En Irak, le combat des femmes pour leur liberté, réalisé par Lucile Wassermann et Jack Hewson et diffusé sur France 24, que j’ai senti qu’il était temps de secouer mon lexique interne pour faire jaillir ces fameux mots.

Quatrième de couverture : « Dans l’Irak rural d’aujourd’hui, sur les rives du Tigre, une jeune fille franchit l’interdit absolu : hors mariage, une relation amoureuse, comme un élan de vie. Le garçon meurt sous les bombes, la jeune fille est enceinte : son destin est scellé. Alors que la mécanique implacable s’ébranle, les membres de la famille se déploient en une ronde d’ombres muettes sous le regard tutélaire de Gilgamesh, héros mésopotamien porteur de la mémoire du pays et des hommes.

Inspirée par les réalités complexes de l’Irak qu’elle connaît bien, Emilienne Malfatto nous fait pénétrer avec subtilité dans une société fermée, régentée par l’autorité masculine et le code de l’honneur. Un premier roman fulgurant, à l’intensité d’une tragédie antique. »

C’est l’histoire d’une femme et d’un homme qui s’aiment. C’est l’histoire de l’homme tué à la guerre et de la femme qui découvre sa grossesse. C’est une histoire d’honneur aussi absurde que réaliste dans laquelle la famille envisage le crime pour laver la honte. Mais quelle honte ?

En alternant les points de vues nous découvrons des positions qui ont soif de violence, d’autres qui déplorent la situation à venir mais, que voulez-vous, c’est comme ça… d’autres ne comprennent pas mais ne voient pas les alternatives. Des voix qui décrivent un tragédie et s’y inscrivent.

Ce roman est terrible et dit les menaces qui entravent les femmes, le poids de la loi tribale qui supplante la loi de l’Etat, comme le dit si bien le reportage. Cette loi tribale qui est revenue à une pratique parfois radicale de l’Islam, qui est revenue à une oppression très marquée des femmes et à la négation de leurs droits et de leurs libertés.

C’est l’histoire d’une terre saoule à la nausée d’avoir trop bu le sang des femmes. Un sang versé par la main des hommes mais aussi par celle de femmes qui s’intègrent à l’organisation sociale et familiale sans la remettre en question.

Un premier roman qui a été sélectionné et lauréat de nombreux prix : Goncourt du Premier Roman 2021, Prix Hors Concours des Lycéens, Prix Ulysse du livre, Prix Zonta Olympe de Gouges, Mention spéciale des lecteurs Prix Hors Concours, Lauréate du Festival du Premier Roman de Chambéry 2021, Finaliste du Prix Régine Desforges.

Comment ne pas penser également à la nouvelle Seher de Selahattin Demirtaş, extrait de son recueil L’aurore ? Si vous avez aimé ce roman et que vous ne connaissez pas les nouvelles de Selahattin Demirtaş, je ne peux que vous recommander de le découvrir.

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Et vous, quelle•s œuvre•s sur les crimes dits d’honneur conseillez-vous ?

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« La station Saint-Martin est fermée au public » de Joseph Bialot (Fayard, 2004 ; Libretto, 2013)

Joseph Bialot est né en 1923 à Varsovie dans une famille juive qui quittera la Pologne pour s’installer en France en 1930. Engagé dans la résistance, il sera déporté en 1944 à Auschwitz-Birkenau. Il sera un survivant. Joseph Bialot s’est éteint en 2012.

Quatrième de couverture : « Un homme marche dans Paris. Il a été ramassé quasi mort à la fin de la Seconde Guerre mondiale par des soldats américains sur une route parsemée de cadavres et porte un matricule sur l’avant-bras gauche. S’il a tout oublié de l’enfer traversé, il ne sait plus non plus ce que fut sa vie d’avant la déportation. A-t-il une famille ? Des enfants ? Un métier ? Doté par défaut d’un prénom de hasard, il réapprend à vivre dans une capitale française qui, comme lui, veut panser ses plaies. Bribes et souvenirs lui reviennent au fur et à mesure de ses déambulations et des quartiers traversés. Un nom frappe sa mémoire : celui d’une station de métro. Son passé est là, tout près, il le sent. Pourra-t-il enfin renouer les fils d’une mémoire occultée ? »

Auteur de romans policiers, il est également connu pour son texte autobiographique C’est en hiver que les jours rallongent (paru en 2002) qui revient sur sa déportation. Le roman dont je vous parle aujourd’hui a paru en 2004 et, s’il s’agit d’une fiction, il est évidemment nourri de l’expérience personnelle de l’auteur.

Des Jeep avancent sur des routes de l’Est. Des routes couvertes de linges étranges. Des hommes. Parmi eux se trouve un vivant.

Ne se souvenant de rien, l’homme baptisé Alex va devoir réaliser un travail intense pour se retrouver. Les souvenirs qui ressurgissent lors de séances médicalement encadrées sont ceux du camp, à travers eux le lecteur découvre également ce qui a été.

La construction narrative donne un sentiment de porosité entre la fiction et le témoignage. Nous souhaitons infiniment qu’Alex retrouve son histoire – et, espérons, sa famille -, nous devons parcourir le vide et le remplir avec lui, affronter ce que sa conscience a voulu effacer.

A partir de la quête d’un homme, Joseph Bialot montre également une France d’après-guerre nuancée qu’il est très intéressant de souligner. Celle qui cherche les absents, celle qui découvre ce qui a été, celle qui a encore son lot d’antisémites.

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Et vous, connaissez-vous cet auteur ?

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« Les saveurs du béton » de Kei Lam (Steinkis, 2021)

Kei Lam est une autrice née à Hong-Kong dont la famille a émigré en France alors qu’elle avait 6 ans. C’est à Paris que le père, peintre, rêve de s’installer. C’est en banlieue, à La Noue, qu’ils vont acheter un appartement en HLM.

Quatrième de couverture : « Les Saveurs du béton nous amène en Seine-Saint-Denis. De chambres de bonne en appartements partagés avec d’autres immigrés chinois, Kei et ses parents finissent par passer de l’autre côté du périph’ et deviennent propriétaires d’un trois pièces à Bagnolet. Kei se voit alors confrontée à un nouveau monde, celui de la banlieue, alors même qu’elle entre au collège et, par conséquent, dans l’adolescence. Kei donne une fois encore la parole aux invisibles et explore le quotidien, les rêves et les ambitions de ces enfants d’immigrés ayant grandi en banlieue. Elle s’intéresse en parallèle aux grands ensembles et plus particulièrement au quartier de la Noue, où sa famille a résidé à Bagnolet.

Un récit fort sur l’intégration, mais aussi un point de vue différent sur les cités de banlieue. »

La première autofiction graphique de Kei Lam, Banana Girl – que je n’ai pas encore lue mais rendez-vous est pris – a été publiée en 2017. Une nouvelle fois, je vais faire les choses dans le désordre. Si ce premier travail se concentrait sur la construction d’une personnalité et d’une identité aux multiples influences culturelles, ce second album s’intéresse davantage à la vie dans une cité de la banlieue parisienne en même temps qu’au fait de grandir.

C’est à la fois drôle et réaliste, tendre et révolté tant face aux abus à l’encontre des familles qui y ont investi leurs – parfois maigres – économies, qu’à l’image systématiquement violente et dégradante que l’on veut absolument coller aux habitants de la cité. En parallèle, nous suivons la vie familiale et les années adolescentes de Kei.

La notion de construction de l’identité est également présente et j’ai aimé la façon qu’a Kei Lam de montrer le poids péjoratif de certains mots et expressions de la langue française liés à la Chine et aux Chinois. Des expressions qui, consciemment ou non, construisent une certaine vision d’une partie de la population. Et ce sont les préjugés racistes qui vont conduire à des crimes à l’encontre de personnes d’origine asiatique et vont créer une période d’insécurité, notamment à La Noue.

Autre exemple, Kei Lam nous invite à regarder l’évolution de la représentation des femmes chinoises ou d’origine chinoise dans la culture populaire. Les idées avancent mais ce n’est pas encore ça. J’ai également aimé cette recherche, ce besoin de connaître une histoire familiale qui a du mal à s’exprimer, étant très en demande moi-même sur ce sujet.

Les illustrations sont en noir et blanc et on a pourtant un sentiment de couleurs. Le dessin – que j’ai beaucoup apprécié – est faussement simple tant il est précis et transmet avec finesse les émotions des protagonistes et des instants, son approche parfois naïve terminant de m’émouvoir. Mention spéciale aux expressions de la jeune Kei qui ont fait renaître en moi des airs savoureux de crise d’adolescence heureusement révolue.

En faisant se rencontrer la jeune Kei avec celle qu’elle est aujourd’hui devenue, ce sont de nombreux questionnements que l’autrice fait émerger, en même temps qu’elle décrit son histoire et l’histoire d’un lieu. Une lecture touchante et qui modifiera sans aucun doute certains regards.

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Et vous, quelle oeuvre de la littérature urbaine conseillez-vous ?

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« Soleil amer » de Lilia Hassaine (Gallimard, 2021) • Rentrée littéraire

Comme beaucoup d’hommes, Saïd est parti pour la France laissant femme et enfants en Algérie. Le projet : aider à reconstruire la France, travailler dur pour aider financièrement la famille tout en rêvant de rentrer au pays natal, un jour.

Quatrième de couverture : « À la fin des années 50, dans la région de l’Aurès en Algérie, Naja élève seule ses trois filles depuis que son mari Saïd a été recruté pour travailler en France. Quelques années plus tard, devenu ouvrier spécialisé, il parvient à faire venir sa famille en région parisienne. Naja tombe enceinte, mais leurs conditions de vie ne permettent pas au couple d’envisager de garder l’enfant…

Avec ce second roman, Lilia Hassaine aborde la question de l’intégration des populations algériennes dans la société française entre le début des années 60 et la fin des années 80. De l’âge d’or des cités HLM à leur abandon progressif, c’est une période charnière qu’elle dépeint d’un trait. Une histoire intense, portée par des personnages féminins flamboyants. »

Lilia Hassaine nous propose de traverser plusieurs décennies au coeur d’une famille dont certains membres dissimulent sciemment un secret. Saïd a réussi à faire venir sa famille en France où ils bénéficient enfin d’un logement en HLM – ce qui n’était pas automatique. Mais le budget est extrêmement serré et la nouvelle grossesse de Naja s’annonce difficile à assumer.

En France, Saïd a aussi son frère Kader et sa belle-sœur, Hélène, qui est française. Heureux, ils ne parviennent cependant pas à avoir l’enfant qu’ils désirent tant.

Les membres de cette famille ainsi que de la communauté qui se crée au sein du HLM vont nous faire vivre la cité et les espoirs qui se muent en difficultés quotidiennes, racisme, violences, frustration. A travers un groupe de personnes aux parcours différents qui finissent par se rejoindre, ce sont aussi les drames qui frappent la jeunesse et les changements générationnels qui sont décrits. Je pense notamment à la perte de la langue des parents, à la volonté de libération qui habite les jeunes filles, au refus des impératifs dictés par le père.

D’une certaine manière, le récit se fait presque l’allégorie de l’Algérie et de la France : sœurs empêchées par les douleurs du passé malgré leurs liens et histoire commune indiscutables. Car la relation franco-algérienne est bel et bien à mes yeux une histoire de famille(s) contrariée.

Ce roman est aussi une histoire de perte, de la maternité refusée, perdue ou interdite. Une sorte d’hommage à la force d’aimer des femmes et des mères ainsi qu’à leurs blessures.

Si vous avez aimé ce roman, je ne peux que vous recommander de découvrir Leïla Sebbar et Mehdi Charef. Et, vous l’aurez compris, si vous aimez ces deux auteurs, je ne peux que vous recommander de découvrir ce roman de Lilia Hassaine.

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Et vous, quel roman mêlant Algérie et France conseillez-vous ?

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« La Seine était rouge » de Leïla Sebbar (Thierry Magnier, 1999 ; Actes Sud-Babel, 2009)

Afin de commémorer les 60 ans du 17 octobre 1961, jour de honte dans l’histoire française, j’ai choisi de vous parler de deux romans. Hier faisait place à un inédit en français de William Gardner Smith, aujourd’hui je partage un roman de Leïla Sebbar, autrice que j’apprécie profondément. Un roman frontal et sans équivoque sur cette soirée sanglante, publié dès 1999.

Quatrième de couverture : « Paris, 17 octobre 1961. La fin de la guerre d’Algérie est proche. En réponse au couvre-feu imposé aux Algériens par Maurice Papon, alors préfet de police, le FLN organise à Paris une manifestation pacifi que. La police charge : violences, arrestations massives, matraquages, meurtres, Algériens jetés dans la Seine. Nanterre, 1996. Amel a seize ans. Elle entend parfois sa mère et sa grand-mère discuter de choses graves dans une langue, l’arabe, qu’elle comprend mal. Quand elle pose des questions, les femmes se dérobent. Avec Omer, journaliste algérien réfugié, et grâce au film documentaire de Louis, fils d’une Française ayant adopté la cause algérienne, elle cherche à comprendre.

Roman polyphonique dense, essentiel, poignant, La Seine était rouge lève le voile de l’oubli sur l’une des pages les plus douloureuses de l’histoire de la France contemporaine. »

Ce n’est pas la première fois que je remarque qu’un roman publié initialement en littérature adolescente se trouve réédité pour le public adulte. Cela a notamment déjà été le cas avec un texte d’Hubert Mingarelli qui, en effet, peut s’adresser aux deux publics, chacun le lisant à sa hauteur.

Polyphonique et presque pensé avec une logique de montage cinématographique, ce roman nous emmène en quête de la mémoire du 17 octobre 1961 aux côté d’Amel. La jeune femme a éperdument besoin de réponses aux silences familiaux, aux échanges qu’ont sa mère et sa grand-mère en arabe, langue qu’elle ne comprend pas. Quel événement s’est dont passé pour que l’on en parle que de cette façon, presque cachée ? Que s’est-il passé dans ce pays qui est le sien ?

Louis, l’un de ses amis dont la mère a fait partie de la résistance à la guerre d’Algérie en tant que française, a pour projet de réaliser un film documentaire sur les porteurs de valises. Un film qui va libérer la parole de la mère d’Amel. Un film qu’Amel va voir et qui va l’emmener, avec son nouvel ami Omer, dans différentes rues parisiennes…

A la fois puissant et didactique, ce roman parle de la nécessité de la mémoire, de la douleur de celle-ci aussi, tout en mettant en avant les actualités politiques et algériennes d’alors. Nous sommes en 1996, l’Algérie souffre des années noires, de la répression de la population, des assassinats des intellectuels et résistants au régime islamiste. Nous sommes en 1996, en pleine Affaire Papon, à la veille de son procès, qui réveille différentes douleurs et révèlent des dossiers jusqu’alors maintenus fermés.

Lire ce roman aujourd’hui c’est aussi découvrir ce que fut l’écriture de la mémoire de l’histoire contemporaine dans la littérature des années 1990. Vingt-deux ans après, ce roman est toujours remarquable.

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Et vous, quel·s roman·s de Leïla Sebbar conseillez-vous ?

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« Le petit Didier » de JoeyStarr (Robert Laffont, 2021) • Rentrée littéraire

Un petit pas de côté par rapport à mes lectures habituelles, ça vous dit ? Monté avant ma naissance, le groupe Suprême NTM se séparait à mon entrée au collège. Bon, du coup… j’ai tout loupé. Mais, appréciant le rap conscient français, je me ponce en boucle leur discographie depuis quelques mois et ne manque pas de savourer leur live au Zénith de 1998 – qui est monumental.

Quatrième de couverture : « J’ai l’impression d’avoir un soleil dans le ventre, mais il ne peut sortir.

Le petit Didier Morville grandit dans la cité Allende à Saint-Denis auprès d’un père autoritaire et mutique. Livré à lui-même, l’enfant observe le monde qui se transforme sous ses yeux et qui l’entoure. Avec les gamins de la cité, il joue, trompe l’ennui, dissimule ses escapades à son père. Sur une bicyclette volée ou dans les cages d’un terrain de foot, il fuit le triste quotidien et goûte à la liberté. En même temps, il continue de se retirer dans sa tanière, discret, caché. Des vents contraires l’animent, le menant parfois là où il ne voudrait pas aller…

Dans ce récit lucide et attachant de son enfance aux contours mouvants, en remontant aux origines, JoeyStarr révèle ce qui a construit son ardente personnalité. »

Mon intérêt est à la fois organique et distancié : je me plaît dans ce passé qui s’anime à mes yeux et à mes oreilles mais je ne suis pas une puriste. Je ne connais que peu de choses personnelles sur JoeyStarr et Kool Shen, je ne suis pas particulièrement curieuse à ce sujet, mais quand on me propose une autofiction sur une enfance dans les cités dont les tours sortent tout juste de terre je suis là.

Ce récit nous parle d’une période qui marquera indéniablement les paroles du titre culte Laisse pas traîner ton fils : « C’est ça que tu veux pour ton fils ? / C’est comme ça que tu veux qu’il grandisse ? / J’ai pas de conseil à donner, mais si tu veux pas qu’il glisse / Regarde-le, quand il te parle, écoute-le / Le laisse pas chercher ailleurs, l’amour qu’y devrait y’avoir dans tes yeux / […] Putain, c’est en me disant j’ai jamais demandé à t’avoir / C’est avec ces formules, trop saoulées, enfin faut croire / Que mon père a contribué à me lier avec la rue. »

Avant JoeyStarr il y a eu Didier Morville. Petit garçon qui vit seul avec son père – croyant sa mère décédée – et qui va quitter une maison grise et vétuste pour un appartement au rez-de-chaussée d’un nouvel immeuble, d’une nouvelle citée. Le quotidien de Didier est composé de beaucoup de solitude alors que son père s’absente souvent, de beaucoup de silences face à ce père taiseux et farouchement désintéressé. Le manque de considération qu’il subit chez lui, Didier va chercher à le compenser ailleurs, dehors. Evidemment.

Il est question de la honte de soi quand le parent n’apporte pas de soins, des difficultés scolaires et des techniques parentales aux antipodes de la philosophie Montessori, de l’éclosion d’un garçon discret auprès des copains et de la bienveillance des parents de ces derniers, des premières défonces à la colle et d’un patchwork de moments d’enfance qui impulsent ce que seront Didier à l’adolescence puis JoeyStarr à l’âge adulte.

Un saut dans le temps et l’espace pour la gamine que j’étais et qui, elle aussi, avait un 9 et un 3 sur son drapeau sans s’en rendre compte alors et sans savoir que vingt ans après en être partie on la renverrait, au détour d’une conversation anodine, à son statut de banlieusarde. Alors autant en être fière sans faire l’erreur de verser dans une vision romantique.

Malheureusement, il m’a manqué du style – notamment explosif – et, si j’ai apprécié la promenade dans les souvenirs du petit Didier, je ne peux que conclure sur le fait que ce livre s’adresse principalement aux amateur•trice•s de NTM plus qu’aux amateur•trice•s de littérature. JoeyStarr le dit lui-même, ce livre a été écrit avec l’aide d’un professionnel, il se positionne ainsi davantage en témoignage qu’en exercice de style.

Je termine sur ce titre de NTM qui figure parmi ceux que je préfère. Puissance et conscience d’un groupe qui marque encore aujourd’hui de son sceau une géographie à la fois locale et nationale, sans oublier les esprits, qu’ils soient amateurs ou détracteurs.

Un autre pas de côté est prévu pour la semaine prochaine, avec un autre type de personnalité. Mon antidépresseur préféré depuis de nombreuses années : Thomas VDB. Je vais d’ailleurs le rencontrer à l’occasion d’une dédicace de son premier roman – lui aussi autobiographique -, je suis un mélange de fébrilité et d’excitation depuis déjà plusieurs jours, ça promet.

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Et vous, team NTM ou pas ?

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❤ « Un pays dans le ciel » d’Aiat Fayez et Charlotte Melly (Delcourt, 2021) • Rentrée littéraire

L’exil est un thème important dans mes lectures, je n’ai donc pas attendu pour me plonger dans cette nouveauté, cherchant seulement à avoir plusieurs heures de libres pour m’y glisser et l’éprouver sans impact extérieur.

Quatrième de couverture : « Un récit d’une extrême richesse qui nous plonge dans une zone méconnue, entre deux territoires, et interroge les notions d’étranger et d’exil dans ses dimensions les moins visibles, les plus surprenantes.

Une nuit, une étudiante arrive chez un écrivain. Pour la garder près de lui, ce dernier relate à la jeune femme son séjour au Bunker. Lieu d’attente et de crainte, les demandeurs d’asile y racontent leur épopée dans le but d’obtenir la protection d’un pays. Se dessine ainsi le parcours d’exilés mais aussi le fonctionnement d’une institution composée d’humains qui doivent décider d’une vie. »

Dès la première page nous sommes invités à lire ce livre en étant dans de bonnes dispositions. Et ce n’est pas anecdotique. J’ai l’habitude de lire des contenus difficiles et j’ai pourtant eu quelques chocs.

Dans ce scénario, Aiat Fayez se crée un double qui héberge une jeune femme venue faire du tourisme à Vienne. Au cours d’une soirée, qui va devenir une nuit, il va lui raconter sa résidence au sein d’un office qui reçoit et interroge les demandeur•se•s d’asile en vue d’obtenir ou non la nationalité française.

Pour cela il faut raconter. Tout raconter des raisons du départ. Raconter les moments de courage, raconter les moments de honte, raconter les moments de souffrance, raconter l’insupportable. En face de ces personnes, des agents qui posent des questions pour avoir le matériau nécessaire à prendre leur décision. Mais tous et toutes n’ont pas le même état d’esprit. Alors, nous comprenons que la décision peut avoir un goût très arbitraire.

Chaque témoignage vient illustrer des situations particulières, des injustices, des violences, des opportunités, des vies très différentes qui espèrent en commencer une nouvelle ou fuir la précédente. Ils montrent la diversité des personnes demandant la nationalité française. J’ai appris beaucoup, j’ai été fortement secouée, prise d’empathie comme mise face à certains témoins qui interrogent franchement la moralité. Quand tu es contre la peine de mort et face à une personne ayant eu des actes criminels hautement condamnables, que faut-il faire ? Lui donner l’asile en sachant qu’un risque existe ou la renvoyer dans un pays où elle est d’ores et déjà condamnée à mort ?

Il faut prendre plusieurs heures pour lire, intégrer et digérer ces plus de 300 pages de témoignages. Je suis persuadée que la lecture de ce roman graphique n’a rien d’anodin et je salue mille fois sa réalisation (je l’ai attendu pendant des mois). Le travail d’illustration de Charlotte Melly est très beau, très communicatif : il magnifie autant qu’il terrifie en fonction du message. J’ai vraiment admiré de nombreuses planches, quelles que soient leurs ambiances.

Je retiens vraiment la capacité qu’a ce roman graphique à nous questionner, questionner les procédures administratives et leurs biais, questionner les refus ainsi que les accords – surtout les refus en ce qui me concerne -, questionner la conscience d’individus qui doivent décider de la vie d’autres personnes.

Remarquable.

Si nous sommes dans une trame fictionnelle, elle est ancrée de plein pied dans la réalité. Un roman graphique qui, sans aucun doute, vous marquera longtemps et alimentera votre vision de l’immigration et des naturalisations aujourd’hui. Il me donne également très envie de découvrir davantage les œuvres d’Aiat Fayez et de Charlotte Melly.

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Et vous, quels sujets vous tiennent à coeur dans la vie et dans les livres ?

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« Le meilleur des jours » de Yassaman Montazami (Sabine Wespieser, 2012 ; Points, 2014)

Il y a des romans qui nous attendent sagement, qui nous intéressent sans que nous les gardions en mémoire. Généralement, ce sont des romans que nous achetons en double. Ce fut le cas pour ce roman de Yassaman Montazami. Il était temps de le découvrir et le challenge #autricesdumonde d’octobre m’en a donné la belle occasion.

Quatrième de couverture : « Il s’appelle Behrouz, le meilleur des jours en persan. C’est mon héros, mon père. Iranien réfugié à Paris, il refuse de travailler. Fantasque, il cuisine le canard à l’orange la nuit, danse sur Boney M et affirme que la princesse Soraya est clitoridienne. Son appartement est le refuge des exilés de la révolution : une épouse de colonel en fuite, un poète libertin, un chef d’entreprise opiomane…

Née à Téhéran en 1971, Yassaman Montazami vit en France depuis 1974. Docteur en psychologie, elle a travaillé de nombreuses années auprès de réfugiés politiques et exerce actuellement en milieu hospitalier. Le Meilleur des jours est son premier roman. »

Voici un court roman pour dire l’amour qui lie une fille à son père et vice-versa. Un amour et une attention que le père aura aussi porté à ses semblables tout au long de sa vie.

En 2006, Yassaman Montazami perd son père, Behrouz, le meilleur des jours en persan. De cet enfant prématuré trop chétif pour survivre à l’opposant politique exilé en France qui accueille des iranien•ne•s en fuite chez lui, l’autrice nous offre une autofiction tout en sensibilité et touchante d’admiration.

De ses souvenirs d’enfance à sa vie de femme, Yassaman Montazami retrace la vie de son père grâce au regard son alter-ego littéraire. Eternel étudiant travaillant une thèse sur la pensée de Karl Marx censée révolutionner la pensée (qui fut source de fierté autant que de douleur) ; éternelle présence rassurante, amusante et rassérénante pour son large entourage, qu’il soit privé de son pays ou confronté aux drames de la vie.

Faire face, rire et avancer. Vivre, aimer et être aimé. Affronter les jours et les nuits, les souvenirs des amis assassinés ou survivants de tortures, la perte de son propre père. Un portrait qui parle autant de l’humanité d’un homme – que chaque lecteur•trice aurait aimé avoir la chance de connaître – que de l’histoire contemporaine, de l’oppression politique, de la diaspora iranienne.

Quand l’absence se fait trop présente, il revient aux vivants de pouvoir offrir une sépulture de mots qui ressuscite les souvenirs. La psychologue qu’est Yassaman Montazami ne contredira sûrement pas les bienfaits de l’écriture dans le travail de deuil. Et si le deuil principal est bien celui du père, c’est aussi celui d’un pays.

Seul roman de l’autrice publié à ce jour, je serai au rendez-vous du prochain.

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Et vous, quel roman sur le deuil du père conseillez-vous ?

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« Une baignoire dans le désert » de Jadd Hilal (Elyzad, 2020)

Gagnant du Grand prix du roman métis en 2018 pour Des ailes au loin – également sélectionné pour le prix de la Porte Dorée en 2019 -, Jadd Hilal revient avec un court roman initiatique qui appelle à la réflexion autant qu’au refus de l’obéissance systématique.

Quatrième de couverture : « Lorsque la guerre fait irruption dans son village, le quotidien d’Adel bascule. Parents divorcés, amis absents, il lui reste heureusement ses deux insectes imaginaires qui lui tiennent lieu de compagnons. Amené à prendre très vite des décisions qui le dépassent, Adel se retrouve dans un camp au milieu du désert où les combattants, ces grandes personnes, ont l’air d’enfants perdus et où le cheikh le force à agir en adulte. L’occasion pour Adel de s’interroger sur le regard que l’on porte sur lui, et de se forger, seul, sa propre identité…

Jadd Hilal signe ici avec fraîcheur le roman d’un apprentissage quelque peu décalé, en miroir de nos interrogations. »

Un garçon, Adel, est confronté à la guerre qui vient ravager son village. Il est séparé de sa mère et de son père, seul avec ses deux amis-insectes imaginaires. Fuyant des hommes menaçants, il se retrouve dans le désert, prisonnier de l’un des deux camps qui s’affrontent.

Je ne peux faire une chronique conséquente sur ce court roman (104 pages) sans en dire trop, je vais donc me limiter à l’essentiel.

La morale au coeur de ce roman initiatique ? La nécessité de se construire une identité, une volonté propre, d’exprimer son opinion et d’être en capacité de s’opposer à ce qui ne nous semble pas juste. Ne pas attendre de l’autre de savoir qui nous sommes, qui nous devrions être et ce que nous devons faire.

En s’affirmant face à l’adversité – faite de toute la complexité humaine -, Adel se découvrira et sortira de l’enfance.

Un court texte qui invite à un petit temps de méditation et de réflexion.

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Et vous, connaissez-vous le Grand prix du roman métis ?

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❤ « Charlotte » de David Foenkinos (Gallimard, 2014)

J’ai découvert ce roman il y a plusieurs années. J’en étais intégralement tombée sous le charme. Il y a peu, j’ai vu qu’il existait une version de ce texte au format beau livre, illustré d’une sélection d’œuvres de Charlotte Salomon. Comment résister ? Pourquoi hésiter ?

Quatrième de couverture : « Le roman de David Foenkinos retrace la vie de Charlotte Salomon, artiste peintre morte à vingt-six ans alors qu’elle était enceinte. Après une enfance à Berlin, Charlotte est exclue par les nazis de toutes les sphères de la société allemande. Elle vit une passion amoureuse fondatrice, avant de devoir tout quitter pour se réfugier en France. Elle y entreprend la composition d’une œuvre picturale autobiographique d’une modernité fascinante. Se sachant en danger, elle confie ses dessins à son médecin en lui disant : C’est toute ma vie.

Ce roman a connu un succès considérable depuis sa publication en septembre 2014 et a obtenu deux prestigieux prix littéraires, le prix Renaudot et le prix Goncourt des lycéens.

De nombreux lecteurs ont demandé à l’auteur de montrer les œuvres peintes de Charlotte, quelques-unes des centaines de gouaches qu’elle a laissées et dont l’ensemble, intitulé Vie? ou Théâtre? raconte son histoire.

Cette édition intégrale illustrée du roman est accompagnée de cinquante gouaches de Charlotte Salomon choisies par David Foenkinos, et d’une dizaine de photographies représentant Charlotte et ses proches. »

De ce roman, devenu un classique contemporain, j’ai entendu du bien et du moins bien. J’en avais un très bon souvenir mais cette belle édition s’est présentée à moi comme l’occasion de remettre en jeu mon premier avis.

Je me souviens que cette lecture m’avait marquée par son sujet – un roman biographique extrêmement fort – mais aussi par sa forme. Il s’agissait du premier roman en vers libres que je découvrais et j’avais beaucoup apprécié. Cette forme donne un rythme, une musique, en même temps qu’il met en avant des hésitations, des doutes, des cassures.

Je suis ressortie de cette seconde lecture émue et à nouveau conquise, trouvant que dérouler la vie de Charlotte avec ses œuvres en regard du texte est un vrai plus, apporte une réelle force page après page. Même si je ne suis pas amatrice du style pictural de l’artiste, j’ai été sensible au sentiment d’urgence dont ses œuvres sont particulièrement empruntes.

Charlotte Salomon est allemande. Sa famille est frappée d’une sorte de malédiction : la dépression et/ou la folie qui mènent toutes deux à de nombreux suicides. Puis, dans les années 1930 et 1940 en Allemagne, le danger est autre. Car Charlotte et sa famille sont juifs. Dès le début de la lecture nous savons qu’elle ne survivra pas à la haine, qu’elle sera déportée et assassinée. Entre sa naissance et sa mort prématurée, à 26 ans, une vie se déploie : avec ses passions, son art, ses doutes, ses blessures, ses chutes, ses forces, ses renaissances. C’est une femme complexe, confrontée à la perte dès son jeune âge, dont le parcours me bouleverse.

L’une des critiques qui revient régulièrement à l’encontre de ce roman est la place que prend David Foenkinos dans l’histoire. Il s’invite de temps en temps pour évoquer l’avancée de ses recherches, partager des anecdotes ou insister sur l’impact qu’a eu Charlotte sur lui. C’est quelque chose qui a dérangé certaines lectrices, trouvant qu’il venait prendre de la place là où ce n’était pas nécessaire au lieu de laisser l’espace à Charlotte. Une sorte d’abus de présence masculine, si je résume grossièrement. C’est notamment cette critique assez ferme qui m’a invitée à la relecture : aurais-je été légère dans mon féminisme à la première lecture ?

Je ne trouve pas. Je ne suis pas d’accord avec cette critique et je ne vois pas où est le problème dans ces quelques moments de rupture qui permettent à l’auteur d’exprimer son admiration et son émotion dans sa quête de Charlotte mais aussi son enthousiasme à nous la faire connaître. Si je devais avoir un parcours similaire concernant un•e artiste que j’admire, je serais sûrement tentée de faire le même genre d’apartés qui rappellent aussi une réalité : dans la mémoire – ou l’oubli – des lieux, dans la difficulté de trouver des traces et des archives, dans la joie quand l’ombre d’une réponse se profile. Je crois que réduire ce texte à une problématique sexiste c’est se tromper de combat et annihiler son message, ce qui me paraît assez dommage.

Je vais donc conclure sur mon coup de coeur qui se déclare pour la seconde fois : ce roman est à la fois beau, passionné, dramatique et révoltant. Un hommage réussi dont on sent l’importance pour David Foenkinos.

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Et vous, aimez-vous les éditions augmentées ?

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« L’aiguilleur » de Bertrand Schmid (Inculte, 2021) • Rentrée littéraire

Poursuivons ensemble le chemin des déceptions de cette rentrée littéraire avec le second roman de Bertrand Schmid. Promis, des chroniques plus enthousiastes arrivent. Si j’ai beaucoup aimé le fond de ce récit, son contexte et le personnage principal qu’est Vassili, j’ai été refroidie par sa forme.

Quatrième de couverture : « Au fond de la forêt où il vit, le vieux Vassili n’entend plus le fracas des villes. Les délires de grandeur de la nation se perdent dans les bois avant de l’atteindre. Seul un portrait de Staline, accroché au mur de sa cabane, témoigne de l’omniprésence du régime. Qu’il neige ou qu’il vente, l’aiguilleur solitaire doit entretenir une portion de voie, même si les rails semblent ne mener que dans un grand nulle part…

Mais un jour, un train passe, laissant derrière lui une pluie de petits messages. En cherchant à les décrypter, Vassili va être rattrapé par les fantômes du passé et s’aventurer dans un territoire dangereux, celui des amours défuntes et des condamnés à l’exil.

Récit d’un exil au fond de soi, L’Aiguilleur dépeint la lente métamorphose d’un monde sombrant dans le silence et la nuit. Sensible aux moindres détails, aux plus subtiles nuances, l’écriture de Schmid nous plonge dans les derniers jours d’un solitaire et parvient à faire de Vassili un personnage de légende, digne des grands romans russes. »

Vassili est à l’automne de sa vie. Celle-ci a été consacrée au respect des directives du Parti, dans les espaces silencieux et sans pitié de la Sibérie. Et justement, l’hiver s’installe dans cette région dans laquelle le moindre faux pas peut s’avérer fatal.

Entre taches du quotidien et souvenirs volontairement refoulés, des lettres vont venir perturber la vie graissée, huilée, quasi conformée de Vassili. Des lettres échappées de trains qui réveillent ces années lointaines au cours desquelles il avait appris à lire ainsi qu’à aimer. Leurs phrases attendent d’être déchiffrées, pleines d’espoir d’être portées à leur destinataire maintenu dans l’insupportable silence. Mais si elles réveillaient plutôt, malgré elles, des feux, dont ceux du refus, de la recherche de l’être aimé, des trains transportant les opposants politiques ?

Vraiment, sur le fond j’ai été séduite. J’ai été surprise par certains rebondissements et émue par le caractère et l’histoire de Vassili. C’est un personnage qui impressionne par son combat entre soumission et insoumission dans un pays dont les dirigeants ne tolèrent pas l’opposition et savent la contraindre, aidés de membres attentifs dispersés dans tous les territoires.

Ce qui m’a laissée en retrait fut la langue de Bertrand Schmid, sa recherche permanente d’effets qui, pour moi, fonctionne un temps mais pas sur la durée. Par exemple, personne ne me transperce plus que Hubert Mingarelli, dont l’écriture s’ancrait dans la – difficile – recherche de simplicité. Autant dire qu’ici c’est une toute autre école en termes de stylistique. J’ai parfois eu le sentiment de crouler sous les formules, sous une quantité de phrases modelées qui perdaient en naturel. Alors que la nature hivernale et sa rudesse sont le décor du roman, que le vide et la solitude sont presque des personnages à part entière, j’aurais préféré une écriture plus épurée, élaguée, ne donnant d’elle que l’essentiel – ce qui n’empêche pas la poésie.

Je retiendrai de cette lecture un beau personnage complexe et réaliste, des espaces intimant à l’homme une humilité permanente et infiniment violents pour les personnes qui y furent exilées de force. Cependant, je ne pense pas me laisser tenter à l’avenir par un autre roman de Bertrand Schmid, nos sensibilités de style ne me paraissant pas vraiment s’accorder.

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Et vous, quel•s roman•s se déroulant en Sibérie conseillez-vous ?

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👁 « Le livre des départs » de Velibor Čolić (Gallimard, 2020)

J’ai découvert Velibor Čolić il y a quelques temps avec son livre Les Bosniaques – difficilement soutenable mais nécessaire – et je me suis procuré plusieurs de ses romans immédiatement après. Une écriture dans laquelle l’humour est le dernier rempart pour ne pas sombrer. Né en Bosnie en 1964, fait prisionnier lors de la guerre, il parvient à s’enfuir et arrive en France en 1992.

Quatrième de couverture : « Je suis un migrant, un chien mille fois blessé qui sait explorer une ville. Je sors et je fais des cercles autour de mon immeuble. Je renifle les bars et les restaurants.

Velibor Čolić, à travers le récit de son propre exil, nous fait partager le sentiment de déréliction des migrants, et l’errance sans espoir de ceux qui ne trouveront jamais vraiment leur demeure. Il évoque avec ironie ses rapports avec les institutions, les administrations, les psychiatres, les écrivains, et bien sûr avec les femmes qui tiennent une grande place ici bien qu’elles aient plus souvent été source de désir ardent et frustré que de bonheur. Son récit est aussi un hommage à la langue française, à la fois déchirant et plein de fantaisie. »

Si ses considérations sur les femmes et ses histoires de coeur ne m’ont pas particulièrement emballée (je ne suis généralement pas bon public sur ce sujet) j’ai été sensible au reste de ce roman autofictionnel. Parce que Velibor Čolić a le don de me faire passer du rire aux larmes en un claquement de doigts et qu’au détour d’une anecdote c’est un vrai sujet social qu’il révèle.

J’ai retrouvé dans ce livre le Velibor Čolić qui m’a tant émue au cours de visionnages de conférences et de rencontres publiques (ce que je rêve de vivre un jour) : dans une vie d’équilibriste entre un passé traumatique et un présent étroit, dans un combat d’écriture et de langues, dans une force de vivre, malgré tout.

C’est assez difficile à expliquer mais si je ne partage rien des expériences de l’auteur (et j’en suis bien heureuse), je partage cependant son regard incisif – voire intransigeant – sur les faits et comportements qui l’agacent. Un regard qui sait aussi se faire tendre, souvent à l’encontre des oubliés et des invisibles. Il est souvent question de situations du quotidien d’un homme en exil qui regarde le pays d’accueil et ses travers et qui nous les fait voir de l’intérieur. Et je suis très très bon public quand je croise un compatriote de cet humour sarcastique. Alors, oui, j’ai ri, parfois très fort, de bon coeur mais aussi avec amertume.

Et il y a la douleur qui ne quitte pas l’auteur, une douleur liée à l’absence, à la frustration d’un quotidien insatisfaisant, une douleur qui rappelle que la guerre n’est pas complètement passée. Et ce dernier point est peut-être le passage qui m’a le plus brisé le coeur.

D’une vie faite de multiples départs, Velibor Čolić livre un récit singulier et infiniment émouvant écrit dans une langue inventive qui crie la liberté.

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👁 « Les enfants de la Clarée » de Raphaël Krafft (Marchialy, 2021)

Depuis le temps que je souhaitais découvrir concrètement le catalogue des éditions Marchialy, ce mois thématique en a été l’occasion. Roman documentaire, récit journalistique, ce texte oscille entre roman-reportage et enquête sociale. Passionnant.

Quatrième de couverture : « En novembre 2017, Raphaël Krafft part en reportage à la frontière franco-italienne au niveau du col de l’Échelle. Il accompagne un habitant de la région parti en maraude à la rencontre d’éventuels migrants venus d’Italie, perdus dans la montagne au milieu de la nuit. Les premières neiges viennent de tomber. Ce soir-là, ils découvrent cachés dans un bosquet, transis de froid, quatre mineurs tous originaires d’Afrique de l’Ouest. Alors qu’ils les emmènent en voiture dans un lieu dédié à l’accueil des personnes migrantes, la gendarmerie les arrête avant d’abandonner les quatre adolescents dans la montagne au niveau de la borne frontière. Trois d’entre eux sont guinéens, comme la majorité des jeunes migrants qui passent par ce col.

Marqué par cette expérience, Raphaël Krafft se lie d’amitié avec les habitants du village de Névache situé juste en dessous du col et propose aux enfants de l’école communale de partir pour eux en Guinée réaliser des reportages et les aider ainsi à comprendre pourquoi tant et tant de jeunes décident de quitter leur foyer. Là-bas, il découvre un pays démuni, marqué par des années de dictature. »

Raphaël Krafft ne découvre pas le sujet de l’exil et du passage des frontières avec ce livre. En 2017 son livre Passeur paraissait aux éditions Buchet-Chastel, un premier reportage que j’ai désormais envie de découvrir. Egalement, Raphaël Krafft a réalisé de nombreux reportages sur le sujet – dont un résultant du livre Les enfants de la Clarée – pour France Culture.

A l’occasion d’un reportage dans les Hautes-Alpes, Raphaël Krafft va découvrir un groupe de jeunes au col de l’Echelle. Comme il le dit lui-même, il est bien différent de savoir que des mineurs traversent le col et de les rencontrer, dans la nuit, dans la neige, face à leur fatigue, leur faim, leur soif, leur regard.

Explorant à la fois l’organisation et l’engagement citoyen d’une partie de la population du village de Névache, le cynisme de l’État et l’irrespect des droits des prétendants à l’asile par les forces de l’ordre, les méthodes d’intimidation des autorités à l’encontre des groupes d’aide aux réfugiés, les témoignages des jeunes migrants, Raphaël Krafft fait un double constat, à la fois encourageant et affligeant. Le premier au regard du courage et de la ténacité des personnes engagées, le second face au manque d’humanité de nombre de représentants d’un pays connu comme étant celui de la déclaration des droits de l’homme. Ici, les droits des mineurs sont niés, la minorité elle-même peut l’être, par principe de méfiance.

Quatre jeunes sont au col, trois d’entre eux sont guinéens. Une nationalité de beaucoup de personnes affrontant les dangers de cette zone de la montagne. La question se pose alors : que se passe-t-il en Guinée qui pousse tant de mineurs à se lancer sur les routes de l’exil ? Un reportage dans le reportage se construit alors, augmenté de témoignages, alimenté par les questions des enfants de Névache. Avec l’auteur, nous découvrons un pays dont nous entendons peu parler et, même de très loin, nous comprenons.

Clair et engagé, ce livre est très intéressant. Il décrit un quotidien encore trop peu compris et considéré, dénonce des traitements irresponsables et illégaux, met en lumière des dysfonctionnements et des accords internationaux clairement discutables.

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« Idiss » de Richard Malka et Fred Bernard d’après Robert Badinter (Rue de Sèvres, 2021)

Paru chez Fayard en 2018, Idiss est adapté cette année en roman graphique. Voici l’occasion de redécouvrir ou de découvrir tout court – ce qui est mon cas – cet hommage de Robert Badinter à sa grand-mère qui est aussi un regard sur plusieurs générations de proches prises dans les tourments de l’histoire.

Quatrième de couverture : « J’ai écrit ce livre en hommage à ma grand-mère maternelle, Idiss. Il ne prétend être ni une biographie, ni une étude de la condition des immigrés juifs de l’Empire russe venus à Paris avant 1914. Il est simplement le récit d’une destinée singulière à laquelle j’ai souvent rêvé. Puisse-t-il être aussi, au-delà du temps écoulé, un témoignage d’amour de son petit-fils. Robert Badinter.

Richard Malka et Fred Bernard s’emparent de ce récit poignant et intime pour en livrer une interprétation lumineuse tout en pudeur et à l’émotion intacte. »

Si je n’ai pas été vraiment sous le charme des illustrations (dont je reconnais cependant la qualité) j’ai vraiment apprécié le scénario et les propos. De la Bessarabie de la fin du 19ème siècle à la France des années noires, Idiss va connaître une vie avec des ruptures, des blessures intimes mais aussi de grands bonheurs grâce à sa famille. Car Idiss est une femme droite, combattive et déterminée pour ses proches, en cela elle ne peut être qu’infiniment attachante.

D’un caractère affirmé et attaché à la tradition, Idiss va devoir faire face au deuil encore jeune et à des conflits familiaux. Ses petits-enfants seront ses soleils, notamment Robert dont elle est proche. Mais le monde s’enflamme et la Seconde Guerre mondiale est déclarée.

J’ai été très émue à plusieurs reprises au cours de ma lecture, pour cet amour inconditionnel vécu entre Idiss et Schulim, face à l’antisémitisme, pour les vies séparées et les adieux imposés, pour celles et ceux qui ne sont pas revenu·e·s.

Avec cette histoire familiale Robert Badinter transmet aussi son amour pour la France : celle qui a accueilli des familles entières qui fuyaient les haines, cette France en laquelle les familles Rosenberg et Badinter avaient mis leur confiance et dont elles ne doutaient pas. Mais cette France a collaboré, poussé à l’exil, déporté sans scrupules. Une histoire collective et individuelle qui permet de comprendre d’une belle façon l’homme investi dans le combat des injustices qu’est Robert Badinter.

Des éléments documentaires et des dessins préparatoires sont présents en fin de volume. Pour moi c’est toujours un plus : de contextualisation historique et de partage concernant la démarche créative.

Je l’ai lu avec mille précautions (même si je n’ai pas l’habitude d’abîmer les livres, je suis un peu maladroite) car ce sera un cadeau. Son format est tellement beau qu’il est parfait pour faire plaisir. Ma mère admire Robert Badinter, apprécie les histoires de vies et les romans graphiques, alors je le glisse tout de suite dans ma valise en croisant les doigts pour qu’elle ne se l’achète pas. Ce suspens qui balance entre préserver la surprise et prendre le risque de faire une surprise loupée.

En conclusion : si vous aimez les histoires familiales qui traversent l’histoire de l’Europe et/ou si vous cherchez un beau livre à offrir à quelqu’un qui a aussi ces centres d’intérêts, Idiss vous attend.

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Et vous, quel autre récit familial marqué par l’histoire conseillez-vous ?

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« Feux » de Perrine Le Querrec (Bruno Doucey, 2021)

J’ai découvert Perrine Le Querrec avec son recueil extrêmement difficile mais non moins nécessaire Rouge pute. Alors, quand j’ai vu que les éditions Bruno Doucey éditaient son nouveau recueil, je n’ai pas hésité longtemps.

Présentation de l’éditeur : « Quel point commun y a-t-il entre la caverne où dansent des ombres, la ville de Pompéi et la bibliothèque d’Alexandrie ? Entre Jeanne d’Arc et Antonin Artaud ? Entre le Reichstag et Oradour-sur-Glane ? Entre un autodafé et une immolation ? Entre la rue de la Vieille-Lanterne à Paris et la place Jacques-Cartier de Montréal ? Entre la femme d’Henri Michaux et le printemps arabe de 2011 ? Entre la nuit polaire de Jack London et l’Australie de 2019 ? Il faudrait un répertoire pour dénombrer tous les feux dont parle Perrine Le Querrec dans ce livre incandescent. À la plasticité du feu répond celle de la page : que le poème soit centré comme un brasier ou en colonnes comme des flammes, l’arc électrique des mots crépite sur le papier. Un livre qui réactive une mémoire enfouie et allume des signaux. De quoi attiser la curiosité du lecteur qui brûle déjà d’entrer dans ces pages. »

Le feu : qui permet la vie et inflige la mort. Le feu : comme outil de persécution et comme arme de rébellion. Le feu : réel ou symbolique. Tous les poèmes de ce recueil parle de feux, qu’ils soient littéraires, historiques, sociaux ou encore linguistiques.

De l’origine de l’humanité aux plus grands drames de l’histoire, en passant par des faits quotidiens et des explorations d’oeuvres littéraires, la multitude de références rassemblées par Perrine Le Querrec ont fait entrer mon esprit à l’état d’ébullition. C’est un véritable voyage dans le temps et dans l’espace.

Nombre de poèmes m’ont plus, dans leur fond mais aussi dans leur forme. Car cette dernière est vraiment travaillée. La composition des poèmes est parfois très visuelle et j’ai vraiment apprécié ce processus qui s’est ajouté à une oralité efficace. Cela m’a donné un sentiment de complétude dans la démarche poétique.

Si vous me connaissez, vous devez vous douter que j’avais une petite curiosité particulière. Je travaille sur la représentation de la Seconde Guerre mondiale – et plus particulièrement de la Shoah – dans la littérature et je m’attendais donc à lire des poèmes sur le sujet. Je trouve la proposition de Perrine Le Querrec très forte, percutante en peu de mots. Nous reconnaissons immédiatement Auschwitz-Birkenau, nous reconnaissons immédiatement Oradour-sur-Glane. (Ce petit focus ne concerne qu’une toute petite part du recueil.)

Si nous sentons tout au long de la lecture l’intérêt de l’autrice pour l’histoire et ses moments marquants, il est impossible de ne pas parler de féminisme. L’engagement de Perrine Le Querrec s’exprime avec coeur et colère, détermination et incandescence.

Il ne me reste plus qu’à découvrir les événements que je ne connais pas encore – et d’approfondir les autres – afin de relire les poèmes à la lumière de nouvelles connaissances. J’ai hâte de relire et de redécouvrir ce recueil.

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Et vous, à quoi pensez-vous avec le mot « feu » ?

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« En montant plus haut » d’Andrea Salajova (Gallimard, 2018)

Je me suis tournée vers ce roman pour approcher la Tchécoslovaquie communiste des années 1950 ainsi que la mise en littérature de la lutte pour la liberté sous un régime autoritaire. Un sujet que je vais sûrement approfondir dans les mois à venir.

Quatrième de couverture : « Tchécoslovaquie, 1955. Le pouvoir communiste en place charge Jolana Kohútová d’une mission aussi difficile que délicate : mettre au pas un village de montagne rétif à la collectivisation des terres agricoles. On lui adjoint dans cette tâche un de ses vieux amis de la résistance au nazisme, un Tzigane aussi suspect qu’elle aux yeux du régime. Ils savent l’un et l’autre que cette mission est une mise à l’épreuve, qu’ils ne peuvent la refuser et qu’ils seront sous surveillance. Leur liberté et leur vie sont en jeu. A moins de réussir à convaincre le village, comment pourront-ils échapper au piège tendu par les commissaires politiques lancés à leurs trousses ? »

Quel est le prix de la liberté ? Jolana Kohútová va devoir se poser la question à plusieurs reprises. Envoyée dans des champs de pommes de terre au milieu de nulle part pour son opposition au régime, elle se fait une raison sur sa situation précaire. Jour après jour, elle s’épuise dans les champs, parmi d’autres femmes qui se méfient d’elles, certaines bienveillantes, d’autres provocantes et acquises au système. Cette vie, jamais elle ne s’est battue pour, et pourtant elle fit partie de la résistance durant la Seconde Guerre mondiale. La liberté d’après guerre a un goût amer.

Un jour, une voiture arrive, elle contient un homme et un message à l’attention de Kohútová. Lui, Olšanský, est presque un fantôme du passé. Brimé comme Kohútová, discriminé car Tzigane, il l’a retrouvée pour lui proposer un accord : soumettre un village à l’idéologie et aux principes de mutualisation des terres du parti pour prouver leur fiabilité et ainsi recouvrir une liberté de mouvements. Quitter les champs pour vivre des rêves qui n’étaient jusqu’alors plus imaginables. En venant la chercher sous la surveillance de membre du parti, il ne lui laisse en fait pas vraiment le choix.

L’essentiel du roman va alors se dérouler dans un village isolé et récalcitrant à la mutualisation. Pour mener à bien la mission, il va falloir désamorcer les résistances, convaincre à tout prix. Entre surveillances, manigances et pressions, Andrea Salajova explore un labyrinthe inextricable dont l’issue est la liberté. Mais sa propre liberté vaut-elle de soumettre tout une communauté ? Est-on libre quand on joue le jeu de l’oppresseur allant à l’encontre de nos convictions profondes ?

Entre les enjeux des deux amis du passé, les villageois qui oscillent entre leurs volontés propres, la menace et l’autorité des gros exploitants, les membres du parti qui observent, il y a aussi de jeunes gens convaincus par la politique du régime. Les yeux et les oreilles sont partout, le risque est permanent mais le temps et les échanges font que l’empathie ne peut pas rester endormie.

En plus d’une rélfexion sur la liberté individuelle et les libertés collectives, sur l’autoritarisme, Andrea Salajova nous parle de la liberté d’une femme qui affronte regards en biais, remarques désobligeantes et actes violents. Une femme qui témoigne aussi de l’histoire alors extrêmement récente, la Shoah. J’ai beaucoup apprécié son caractère indépendant, combatif malgré elle, qui refuse les carcans de façon épidermique. Un caractère aussi admiré par Olšanský bien qu’il le fasse souffrir tout au long du roman. Une relation qui m’a tenue en haleine tant elle était complexe et douloureuse, désespérément suspendue.

Un livre intéressant et prenant dont on n’arrive pas à imaginer l’issue tant le piège se met en place pour se refermer petit à petit. Un roman qui confirme que la liberté a un prix que l’on peut oublier en temps paisibles.

Sur l’aimable invitation de Patrice du blog Et si on bouquinait un peu ?, cette chronique rentre dans le challenge Le mois de l’Europe de l’Est. N’hésitez pas à le découvrir !

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Ils/Elles l’ont aussi lu et chroniqué : Passage à l’Est !

Et vous, quel•s roman•s sur cette période conseillez-vous ?

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« Chasser les ombres » de Lamia Berrada-Berca (Éditions do, 2021)

Il n’y a pas de lumière sans ombres, il n’y a pas d’ombres sans lumière. Une dualité qui peut se retrouver aussi entre les mots et le silence : les mots sont accompagnés de silences, les silences sont accompagnés de mots ; ou encore entre la vie et la mort.

Quatrième de couverture : « Parvenu au crépuscule de sa vie, Louis se prépare à mourir, seul, à Paris. Au même moment, à Tokyo, son petit-fils Akito décide sans raisons apparentes de se cloîtrer dans sa chambre. Ce séisme intime amène ses proches à se confronter à leur propre histoire : liens rompus, secrets enfouis, aspirations profondes, blessures refoulées… Face au caractère irrationnel de la situation, enfermés à leur tour dans l’incompréhension et la culpabilité, tous prennent conscience des liens ténus reliant l’existence à l’invisible. Fable à la tonalité impressionniste à la fois profonde et légère, Chasser les ombres raconte, à travers le phénomène très particulier de ces reclus volontaires, les hikikomoris, une histoire universelle : la manière dont chacun se sent relié aux autres, dont chacun se crée un refuge intérieur, se trouve un point de fuite, se métamorphose ou se renferme, en explorant librement le sens de sa vie ou en rêvant l’image de sa mort. Comme l’ombre accompagne la lumière. »

Deux pays : la France et le Japon. Une famille (dé)composée de multiples silences, de mots pesés et dont la préciosité relève parfois de leur rareté, se rapportant à des ombres couvrant les histoires personnelles.

Louis est un homme en fin de vie, vivant seul en France. Hospitalisé, il admire un cerisier du Japon par la fenêtre de sa chambre et médite. Il pense à sa vie, il pense à son fils qu’il n’a plus revu depuis de nombreuses années. Il pense à son petit-fils qu’il n’a jamais rencontré, seulement avec un unique dessin reçu par courrier.

Lucas, le fils, vit au Japon. Il y a rencontré Mikki avec qui il s’est marié et a eu un fils, Akito. Ce dernier va du jour au lendemain s’enfermer dans sa chambre et se couper du monde. Ses parents réalisent qu’il a choisi d’être un hikikomori. De son côté, Lucas n’a jamais vraiment parlé de sa famille à son épouse. Entre séisme intérieur, familial et le souvenir de la catastrophe de Fukushima, ce sont les failles de différentes vies qui s’ouvrent.

Un roman sur les silences et les non-dits, sur les zones d’ombre qui obscurcissent plus qu’on ne le pense les constructions individuelles, qui brouillent et perdent les identités complexes dont chacun de nous est fait. Un roman de réconciliation avant de ne plus en avoir la chance, de respiration et de libération des esprits. Enfin, un roman sur l’importance des mots, leurs sens en fonction des lieux, leur signification intime et collective, le moment ou non de les dire, leur puissance quand ils sont dits.

Comme dans de nombreux romans publiés par les éditions do, la mort est également présente comme sujet de réflexion et cela m’a une nouvelle fois intéressée. Ici la recherche se porte sur le retour à la vie après la mort, la poursuite d’une existence au coeur de la nature, le retour à l’origine et au tout. Des considérations à la fois apaisantes et inspirantes qui nous emmènent à la découverte de différents rites funéraires.

J’ai également apprécié l’immersion dans la culture japonaise que décrit l’auteure. Ne m’y connaissant pas, j’ai aimé découvrir certaines de ses subtilités en même temps que j’ai été sidérée de constater le poids du jugement et l’intransigeance de cette société.

C’est un texte d’une grande délicatesse que nous propose Lamia Berrada-Berca et qui, malgré quelques regrettables coquilles, explore les blessures intimes et la difficulté de s’y confronter ainsi que la transmission de certaines ombres que des mots ont le pouvoir d’éclairer, voyant mieux d’où nous venons pour pouvoir avancer.

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Et vous, quel•s texte•s sur les hikikomori conseilleriez-vous ?

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« La lettre de Buenos Aires » de Hubert Mingarelli (Buchet/Chastel, 2011)

Il y a un an jour pour jour, mon auteur français préféré s’en allait. Les écrits restent et confèrent à leurs auteurs une part d’immortalité. Aujourd’hui j’ai naturellement envie de vous parler de ce recueil de nouvelles de Hubert Mingarelli. Neuf histoires qui révèlent la délicatesse de cet auteur et son talent pour décrire les failles humaines et les solitudes.

Quatrième de couverture : « Comme souvent dans ses livres, l’auteur raconte des errances. Le monde, autour, est menaçant, même si la nature contient encore la beauté des choses. Sur la route, des personnages vivent leur voyage. Les vies les plus humbles possèdent leur mystère et leur tragédie. Hubert Mingarelli sait les dévoiler au lecteur avec pudeur et poésie. »

Comme toujours avec Hubert Mingarelli nous suivons des hommes de tous âges dans des situations souvent modestes, confrontés aux fantômes du passé ou à eux-mêmes, aux remous de l’histoire ou à leur rapport aux autres. Les femmes sont présentes par touches subtiles, parfois par leur douloureuse absence, parfois par leur passage tendre dans la vie d’un homme, souvent insaisissables.

Comme dans beaucoup de ses romans, Hubert Mingarelli nous propose des environnements maritimes ou liés à l’eau. Ce monde de la marine qu’il a lui-même connu durant quelques années. Un univers masculin qui peut se révéler cruel, un microcosme qui tangue et crie le manque de la terre. Egalement le froid et la neige, contexte qui revient à plusieurs reprises dans son oeuvre, la rigueur de la saison qui clôt l’étape d’une vie avant un recommencement ou qui peut la rompre définitivement.

D’un père et un fils qui campent à un homme qui s’écroule dans la rue à proximité des docks, en passant par un homme qui s’isole dans une forêt, un homme vieillissant et perdant la mémoire, deux soldats rentrant chez eux dans un hiver mortel ou encore deux frères inséparables, chaque situation est pensée dans la complexité des émotions humaines et écrite dans une langue pensée et travaillée pour être simple, extraordinairement intimiste, une force pure.

Il ne faut pas que je lise trop souvent un nouveau roman ou recueil de nouvelles d’Hubert Mingarelli car j’appréhende de ne plus rien avoir de totalement nouveau à découvrir de lui. Mais à chaque fois que je me plonge dans ses lignes et dans sa pudeur pourtant très expressive, dans ses évocations, je me sens chez moi et je me sens bien. Il est le seul auteur qui pourrait me faire lire des centaines de pages sur la cueillette de champignons et des expérimentations de cuissons de galettes de farine, et ça c’est très fort.

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Et vous, quel est votre auteur•e français•e préféré•e ?

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