❤ « La grande peur sous les étoiles » de Jo Hoestlandt et Johanna Kang (Syros, 2006 ; réed. 2019)

J’avais eu l’occasion de lire cet album il y a un moment maintenant et, découvrant sa réédition pour l’anniversaire des 30 ans des éditions Syros j’ai décidé – sans aucune hésitation d’ailleurs – de vous en parler dès aujourd’hui.


Quatrième de couverture : « Je m’appelle Hélène et je suis presque une vieille dame à présent. Quand je ne serai plus là, qui se souviendra de Lydia ? C’est pour cela que je veux vous raconter notre histoire.

En 1942, le nord de la France était occupé par l’armée allemande qui l’avait envahi. Lydia et moi, Hélène, nous avions huit ans et demi, ni la guerre ni les Allemands ne nous empêchaient d’aller à l’école, de jouer, de nous disputer et de nous réconcilier, comme toutes les autres amies du monde.

Un jour, pendant que nous jouions près d’elle, la maman de Lydia a cousu une étoile jaune sur leurs vestes. »


Des frissons. Il me colle des frissons dès la lecture de la préface. La douceur inquiète des dessins et la délicatesse des textes mettent encore plus en exergue la terrible réalité de cette nuit qui prépare les 16 et 17 juillet 1942. Ces rafles d’hommes. Ces rafles de femmes. Ces rafles de personnes âgées. Ces rafles d’enfants. Des enfants condamnés d’avance.

Nous sommes avec deux amies de huit ans : Hélène et Lydia. L’une fête son anniversaire, demain elle aura neuf ans, l’autre est venue se joindre à ce moment et, depuis peu, porte une étoile jaune censée la définir. Dans la nuit, les choses vont être bien différentes des nuits habituelles. On apprend une nouvelle, l’ombre qui plane. Lydia, malgré les dangers annoncés, voudra retrouver sa famille. Quoi de plus normal ? Quoi de plus compréhensible ? Mais Hélène, vexée, piquée, ne comprend pas les dangers en suspens. Une phrase d’enfant, des remords à vie. Mais qui devrait porter la culpabilité ? A qui la honte ? L’enfant qui ne comprend pas que son amie ne souhaite plus fêter son anniversaire avec elle ? Ou la machine humaine bien huilée qui envoie des familles par milliers à la mort ?

Cet album nous parle de beaucoup de choses en peu de mots et en peu de pages, c’est tout simplement impressionnant ! Il aborde le port de l’étoile, les passeurs et les personnes qui mettent entre leurs mains leurs dernières économies et leurs derniers espoirs, l’entraide, le besoin pour un enfant d’être avec ses parents, le monde à hauteur d’enfant, les rafles et les bruits de la rue, le temps qui passe et le choc qui ne passe pas, l’attente permanente des absents qui ne rentrent pas.

Un bijou de littérature jeunesse qui aborde ce sujet dans un style graphique clair-obscur mais aussi avec une immense délicatesse, ce qui permet à chaque adulte de décider quoi développer ou quoi attendre encore de dire à l’enfant. Un album pour prendre le temps de se souvenir, pour ne pas oublier et pour transmettre, à son tour, à ses propres enfants. Et ainsi de suite. Je le recommande et le recommande encore, c’est un livre qui a sa place dans toutes les bibliothèques et médiathèques publiques, dans toutes les chambres d’enfants à partir de 8 ans.

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Et vous, quel album pour la jeunesse recommanderiez-vous ?

« Elle s’appelait Sarah » de Pascal Bresson, Horne et Tatiana de Rosnay (Marabout, 2018)

J’avais été séduite par le travail de Pascal Bresson avec son roman graphique Simone Veil : l’Immortelle, je tenais donc absolument à lire son adaptation du roman culte de Tatiana de Rosnay (que je n’ai ni lu, ni vu), magnifié par le travail graphique de Horne que je découvre à cette occasion.


Quatrième de couverture : « Deux histoires se déroulent en parallèle : celle de Julia américaine qui vit à Paris, en 2000, avec son mari Bertrand et sa fille Zoë et celle de Sarah déportée avec son père et sa mère, en 194,2 lors de la rafle du Vel’ D’Hiv’. Les deux récits se rejoignent malgré les années qui les séparent.

Paris, juillet 1942 : Sarah, une fillette de dix ans qui porte l’étoile jaune, est arrêtée avec ses parents par la police française, au milieu de la nuit. Paniquée, elle met son petit frère à l’abri en lui promettant de revenir le libérer dès que possible.

Paris, mai 2002 : Julia Jarmond, une journaliste américaine mariée à un Français, doit couvrir la commémoration de la rafle du Vél d’Hiv. Soixante ans après, son chemin va croiser celui de Sarah, et sa vie va changer à jamais.

Elle s’appelait Sarah, est l’histoire de deux familles que lie un terrible secret, c’est aussi l’évocation d’une des pages les plus sombres de l’Occupation.

Le roman de Tatiana de Rosnay est porté par le souffle de Pascal Bresson et revit sous la délicatesse des dessins de Horne. »


Déjà, en le feuilletant j’ai compris que j’allais prendre des vagues d’émotions et la lecture n’a pas démenti cette première impression. La construction du récit fait que l’on est à la fois sur du récit historique et en même temps sur du contemporain avec deux destins qui s’entrecroisent, se cherchent et se fuient.

Julia va découvrir l’histoire française sous l’Occupation et sa complicité dans l’horreur. Elle va également deterrer des secrets bien enfouis, au risque de briser des murs porteurs de sa vie. Sarah, petite fille raflée à Paris en 1942, va tenter de se battre pour son frère, pour le libérer de sa cachette où il est resté enfermé, seul. Ses deux vies vont se croiser d’une façon particulière et cela rappelle que le présent ne peut être hermétiquement dissocié du passé. Cela rappelle la responsabilité de chacun après des décennies révolues.

Alternant les deux regards, les deux époques, les deux contextes, l’histoire se déroule sans que l’on ait le temps de s’en rendre compte. Le travail graphique de Horne est absolument magnifique et crée parfaitement les focus dans l’image, retranscrit les ambiances, joue avec brio avec la couleur. J’ai été absolument emballée par son trait et son style.

Si vous ne connaissez pas encore cette histoire je vous invite à découvrir ce roman graphique ; si vous la connaissez, je vous y invite également !

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Et vous, avez-vous aimé cette histoire, quel que soit sont support ?

« Nous étions seulement des enfants » de Rachel Jedinak (Fayard, 2018)

Par ce livre, Rachel Jedinak nous livre un témoignage extrêmement touchant. Il est également intéressant car il aborde beaucoup d’aspects de la Seconde Guerre mondiale avec les yeux d’une enfant : le rationnement, les lois antisémites de Vichy, le culte de la personnalité de Pétain (notamment dans les écoles), les rafles et les camps français, la déportation et l’espoir de voir revenir les absents.


Quatrième de couverture : « Pendant longtemps, pour se souvenir des nombreux enfants qui n’ont pas pu grandir, il n’y avait rien. Rien pour dire qu’ils avaient été tués parce que nés juifs, ni même pour dire qu’ils avaient vécu, qu’ils avaient ri, joué et pleuré… Comme s’ils n’avaient jamais été là.

Rachel Jedinak a survécu à la première rafle du Vél’d’Hiv, en juillet 1942. Ses voisins, ses cousines ou ses camarades de classes, eux, n’ont pas eu sa chance. Après s’être battue pendant des années pour faire apposer, dans les écoles, collèges et lycées, des plaques aux noms de ces élèves oubliés, elle leur rend ici un dernier hommage.

Dans ce récit, tendre et délicat, elle raconte les parties interminables d’osselets sur les trottoirs, puis les camarades de classe qu’on regarde jouer dans le jardin public où l’on n’a plus le droit d’entrer. Et enfin, les traques, les rafles, les petits qui hurlent de chaud dans la Bellevilloise puis la fuite. Rachel Jedinak nous dit finalement la guerre de la plus universelle des langues : celle des enfants.

Rachel Jedinak a 84 ans. Elle préside le comité Tlemcen qui, depuis plus de vingt ans, se bat pour le souvenir des enfants disparus. »


Le témoignage c’est cela : toucher le cœur mais aussi planter des graines dans l’esprit pour que l’inimaginable ne devienne plus réalité, pour que le révisionnisme de trouve pas de prise.

Rachel a été une enfant en France durant la Seconde Guerre mondiale, une enfant qui, avec sa sœur Louise, réussira à échapper à l’internement suite à deux rafles : celle des 16 et 17 juillet 1942 et une en hiver 1943. Mais de ces rafles, leur mère restera victime et connaîtra la déportation. Pas de papa pour les protéger non plus, car même s’il revint de la drôle de guerre, il sera peu après arrêté et interné dans un camp du Loiret. Un camp de transit, avant de partir à l’Est, en déportation.

Les deux enfants seront protégées par leurs grands-parents mais aussi par des maîtresses qui les auront maternées et auront réussi à les cacher parfois à l’école. Mais du port douloureux de l’étoile jaune au retour espéré des parents qui n’arrivera pas, ce sont les pensées abîmées d’une petite fille que nous suivons. Des pensées qui n’oublient pas le douloureux geste d’amour d’une mère que les années auront permis de comprendre, des pensées qui n’oublient pas non plus que ce sont des policiers français qui ont sorti hommes, femmes, enfants et personnes âgées de leurs lits pour les envoyer à la mort. Des pensées qui n’oublient enfin pas la bonté d’autres personnes, dont l’acte de résistance s’est traduit par la protection.

Rachel Jedinak est présidente du comité Tlemcen qui, depuis de nombreuses années, travaille à maintenir la mémoire des enfants déportés et exterminés, en apposant sur les façades des écoles de la région parisienne des plaques avec leurs noms. Les générations suivantes ne pourront ignorer.

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Et vous, lisez-vous des témoignages et souhaitez-vous en conseiller ?

« Vent printanier » de Hubbert Haddad (Zulma, 2010)

Cela faisait un moment que je souhaitais retenter l’expérience avec Hubert Haddad, secouée que j’avais été par la lecture de La Cène. L’avantage c’est qu’il s’agit d’un auteur très prolifique. J’ai cependant opté pour un sujet proche de mes lectures habituelles pour renouer le contact littéraire.


Quatrième de couverture : « Un jour de printemps, Michaï, vieux musicien ambulant rescapé des camps, se retrouve devant la gare de Bobigny. Un campement de Tziganes vient d’en être expulsé pour les commémorations de la déportation. Le vieil homme y rencontre un petit garçon en quête des siens, Nicolaï…

C’est du point de vue de l’enfance que les nouvelles de Vent printanier (nom de code de la rafle du Vel’ d’hiv’) évoquent l’épouvantable connivence de Vichy avec la « solution finale ».

De retour sur les lieux de l’impensable, Hubert Haddad écrit ces histoires vraies de tout leur poids d’imaginaire, vraies des milliers de fois hier à Drancy ou ailleurs, et aujourd’hui comme en filigrane dans les regards effrayés des exclus sur un monde en lente perte d’humanité. »


Les quatre nouvelles qui constituent ce petit livre sont en lien avec la rafle des 16 et 17 juillet 1942, acte collaborationniste s’il en est de la part de la France dans la déportation des Juifs. Nous suivons différents personnages marqués dans leur chair par les camps, par Pitchipoï. Des relations sont parfois faites avec les réfugiés et les communautés encore stigmatisées de nos jours et si c’est évident à la lecture c’est aussi d’une intelligence essentielle qui remplace les idées parfois courtes actuelles.

Nous voyageons dans les mémoires, car c’est de cela qu’il s’agit pour et par les survivants, qui ont souvent vécu l’horreur étant enfants. Nous les accompagnons dans leurs pèlerinages, dans leurs recherches de visages parentaux, dans les morceaux de passé qui leur échappent encore, interminablement.

Ce livre en lui-même est un objet de mémoire qui permet à chacun d’entre nous de nous souvenir, de la déportation bien sûr, mais également de la responsabilité de la France alors que certains veulent s’y soustraire. Oui, Vichy était la France et la France, connue comme le pays de la Déclaration des droits de l’homme, a envoyé ses enfants dans la gueule de la mort.

« Toutes les fleurs des jardins ne sauraient cacher les charniers de la mémoire. »

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Et vous, avez-vous un livre de Hubert Haddad à conseiller ?

« Vie de ma voisine » de Geneviève Brisac (Grasset, 2017)

Cela faisait un moment que je souhaitais découvrir ce livre, mais je n’aime pas le format poche et impossible de remettre la main sur un grand format en librairie. Ma foi en Emmaüs m’a à nouveau donné raison de croire en ses trésors (oui, cette association peut me rendre mystique) !


Quatrième de couverture : « Ça commence comme une nouvelle d’Alice Munro : lors de son déménagement, une romancière est abordée par sa voisine du dessus qui l’a reconnue, et l’invite chez elle pour parler de Charlotte Delbo. Ça continue comme un récit d’Isaac Babel. Car les parents de Jenny, la voisine née en 1925, étaient des Juifs polonais membres du Bund, immigrés en France un an avant sa naissance.

Mais c’est un livre de Geneviève Brisac, un « roman vrai » en forme de traversée du siècle : la vie à Paris dans les années 1930, la Révolution trahie à Moscou, l’Occupation – Jenny et son frère livrés à eux-mêmes après la rafle du Vel’ d’Hiv, la déportation des parents, la peur, la faim, les humiliations, et l’histoire d’une merveilleuse amitié. Le roman d’apprentissage d’une jeune institutrice douée d’une indomptable vitalité, que ni les deuils ni les tragédies ne parviendront à affaiblir. Ça se termine à Moscou en 1992, dans la salle du tribunal où Staline fit condamner à mort les chefs de la révolution d’Octobre, par la rencontre improbable mais réelle entre des « zeks » rescapés du Goulag et une délégation de survivants des camps nazis.

À l’écoute de Jenny, Geneviève Brisac rend justice aux héros de notre temps, à celles et ceux qui, dans l’ombre, ont su garder vivant le goût de la fraternité et de l’utopie. »


Je suis très sensible aux livres en lien avec la Seconde Guerre mondiale, en particulier sur la Shoah. J’aime aussi beaucoup les romans de non fiction. Autant dire que j’ai été absolument transportée par ce livre.

Jenny traverse la vie comme elle a traversé la guerre, en portant fièrement ses valeurs, qui lui ont été transmises par ces parents disparus pour lesquels elle a une fierté sans faille, encore aujourd’hui, elle qui est née en 1925. Ce livre est une boule d’énergie, de colère et de révolte face à l’avancée meurtrière de l’histoire des années 1930 et 1940, c’est aussi un récit sobre, humain et clairvoyant sur la force des personnes qui savent comprendre.

« Je n’ai jamais rien fait d’autre qu’appliquer, avec plus ou moins de réussite et de grâce, les principes auxquels je tiens. Les appliquer à la vie de tous les jours. Je ne crois à rien d’autre. La créativité partagée jour après jour, dessin après dessin. L’égalité entre les enfants, jour après jour, incident après incident. La lutte contre la peur, toutes les peurs, qui sont toujours peur de l’inconnu et peur de l’autre et peur de soi-même et honte. »

De la déportation de ses parents, Jenny garde une fracture qui ne peut se résorber avec le temps. Comprendre comment ils sont partis, comment ils sont arrivés, comment son père a pu écrire un dernier message dans l’un des wagons en partance pour Pitchipoï. On parle aujourd’hui de transmission de traumatismes sur des enfants qui ne les ont pas vécu, il est donc évident que sans être déportés eux-mêmes, les proches des victimes en sont aussi.

De sa petite enfance à la fin de la guerre, nous suivons les changements sociaux et politiques en même temps que nous apprenons à connaître la famille Plocki. L’écriture est d’une intimité et d’une amicalité telles que nous avons l’impression, nous aussi, de prendre le thé en l’aimable compagnie de la voisine du dessus, qui devient l’amie.

« Zayt ruhik kinder

Soyez tranquilles les enfants

Mame un ikh

Maman et moi

Mir forn avekh

Nous partons

Tsuzamen tsu

Ensemble

Papa

Lebt un hoft

Vivez et espérez. »

Cette année, un nouveau livre de Geneviève Brisac a été publié, Le chagrin d’aimer, qui revient sur sa propre histoire familiale. Cette découverte de l’auteure me donne très envie de la retrouver avec un autre récit !

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Et vous, l’avez-vous lu et aimé ?