« Friday Black » de Nana Kwame Adjei-Brenyah (Albin Michel, 2021)

En ce Mois des nouvelles, difficile pour moi de passer à côté de cette nouveauté qui annonçait un moment de lecture particulier. Ce recueil explore avec un œil dystopique mais un peu réaliste aussi) les États-Unis à travers le racisme, la violence, la surconsommation. Nana Kwame Adjei-Brenyah est une nouvelle voix littéraire dont j’attends déjà les prochaines traductions.

Quatrième de couverture : « Avec ce premier livre incroyablement inventif, Nana Kwame Adjei-Brenyah s’est imposé aux États-Unis comme une nouvelle voix explosive dans la lignée de Colson Whitehead et Marlon James. Entremêlant dystopie, satire et fantastique, et ses nouvelles donnent à voir avec une effarante lucidité la violence et la déshumanisation de notre monde. 

Qu’il mette en scène le procès d’un Blanc accusé du meurtre effroyable de cinq enfants noirs (et qui sera acquitté), le parcours d’un jeune qui tente de faire diminuer son degré de noirceur pour décrocher un emploi, le quotidien d’un vendeur de centre commercial confronté à des clients devenus zombies, ou celui des employés d’un parc d’attractions faisant du racisme ordinaire une source de divertissement, Adjei-Brenyah le fait avec une maîtrise et une maturité stupéfiantes. On renferme ce livre hébété : si la fiction peut contribuer à bousculer les mentalités, alors Friday Black est une puissante arme littéraire. »

Je m’attendais à être troublée par cette lecture car telle était la promesse. Cela a été le cas. Chacune des nouvelles que nous propose Nana Kwame Adjei-Brenyah nous perturbe, nous transporte de la confusion jusqu’au sentiment de malaise, parfois avec humour noir, l’ensemble porté par un auteur qui maîtrise l’art de la narration nous empêchant de fuir la page suivante, celle-ci pouvant pourtant se révéler terrible.

Si je ne lis habituellement pas de science fiction, j’ai ici été embarquée très facilement dans les avenirs angoissants que nous dépeint l’auteur. Des situations qui parfois ne sont pas si éloignées de la réalité, qui sont davantage une caricature de l’existant (je pense par exemple à la folie de la consommation explorée dans la nouvelle éponyme au livre), d’autres qui sont une projection effrayante d’un avenir dans lequel le racisme, les idéologies, les guerres et le monde ont mené à un quotidien plus qu’extrême.

J’ai beaucoup aimé la presque totalité de ces nouvelles, dont certaines se répondent entre elles. Il y en a une dont je n’ai pas vraiment saisi la portée, Lark Street. Sur un avortement, elle m’a impactée mais je n’ai pas compris l’intention de l’auteur. Également, j’ai été littéralement choquée par Après l’Éclair. Les descriptions sont vraiment difficiles, si ce n’est douloureuses, mais le texte reste très intéressant concernant la transmission de la violence, cette violence qui se nourrie d’elle-même, les traumatismes qui créent des troubles profonds, l’immortalité qui aliène les esprits, le recommencement permanent qui annihile les conséquences et la responsabilité, le fait de devenir le loup pour ne pas être l’agneau.

Les 5 de Finkelstein et Zimmer Land sont des nouvelles passionnantes qui explorent l’ancrage tenace du racisme, des discriminations et des stéréotypes dans les institutions et dans la société civile. Il est aussi question des réponses apportées à ces situations : de la vengeance face à l’aveuglement de la justice, à la dangereuse théâtralisation des crimes.

Nous suivons également de l’intérieur ce qui est aussi une macabre réalité des États-Unis, les tueries dans les établissements scolaires (parmi tous les mass murder).

Trois nouvelles concernent la folie de la consommation et la violence induite du côté des salariés. Ici l’humour noir est de mise, ainsi qu’un mélange de désespoir et de tendresse. L’avoir est plus important que l’être, c’est une question de vie ou de mort. Il faut aussi toujours vendre plus, toujours plus, toujours en concurrence avec les collègues. Et parfois un échange enfin humain éclaire deux visages.

L’ère est une histoire qui m’a particulièrement passionnée et affectée tant elle est oppressante bien pensée. Un monde dans lequel sont créées de nouvelles générations d’humains optimisés (il y a parfois des soucis à la conception) qui impliquent une hiérarchisation de l’humanité. Un monde moralement effrayant et un petit espoir. Je crois qu’il s’agit de la nouvelle que j’ai préférée, dans ce qu’elle dénonce de discriminations, de perte d’éthique et de manipulation de la population.

Mon sentiment à la fin de cette lecture est celui d’être alerte, d’être vigilante. Ces histoires dystopiques nous invitent pour certaines (celles qui m’ont le plus intéressée) à imaginer l’avenir en poussant les travers du monde actuel un peu plus loin. Le monde est fou, il peut encore être pire, alors si nous pouvons l’éviter…

Vous pourrez retrouver des textes plus intimistes et plus réalistes qui font du bien : un hommage de Nana Kwame Adjei-Brenyah à sa mère, les pensées et souvenirs d’un jeune homme dont le père est parti. Ce réalisme m’a fait du bien, comme deux petites pauses bénéfiques au milieu de textes de science-fiction assez frontaux.

Du début à la fin, de l’épigraphe de Kendrick Lamar aux remerciements, l’engagement et l’émotion sont présents. Je suis passée à côté du coup de cœur à cause de la violence parfois un peu trop forte pour moi et pour les quelques éléments que je n’ai pas vraiment saisis, mais il s’agit d’un remarquable premier recueil qui en appelle d’autres.

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