👁 « Le silence des esprits » de Wilfried N’Sondé (Actes Sud, 2010 ; Babel, 2018)

L’un de mes petits défis de ces dernières semaines a été de trouver un roman parlant d’exil et comprenant le mot silence dans son titre afin de participer au challenge Un mot, des titres du blog Les lectures d’Azilis. Ce fut l’occasion de découvrir Wilfried N’Sondé et je ne le regrette pas une seule seconde. J’ai été chamboulée par son énergie et sa poésie.

Quatrième de couverture : « Ils se sont rencontrés dans un train de banlieue. Clovis Nzila, émigré clandestin sans ressources ni abri, a sauté dans le wagon pour échapper à un contrôle de police. Il s’installe sur une banquette en face de Christelle, aide-soignante qui rentre du travail, triste et fatiguée. Il suffit d’un échange de regards pour que l’un et l’autre se reconnaissent dans leur solitude, leur fragilité. Elle lui tend la main et lui propose de l’héberger pour la nuit. Dans le modeste appartement, ils créent une bulle de confiance et de tendresse, se racontent, tentent de réécrire leur histoire et de s’offrir une seconde chance.

De la violence d’une guerre civile en Afrique à la morosité d’un quotidien de banlieue parisienne, Wilfried N’Sondé habille notre époque d’espoir et de sensualité au fil d’une douce ballade mélancolique. »

Clovis arpente les rues de la ville à la recherche d’un endroit où se poser, quelques minutes ou quelques heures. Christelle traverse les couloirs de l’hôpital, prenant soin de tous ses patients. Clovis a fui son pays, Christelle fuit ses pensées. Tous les deux essaient d’échapper à leurs souvenirs et traumatismes, tous les deux vont prendre le même train et se rencontrer.

Leur recontre est de celles qui changent une vie.

A travers Clovis nous découvrons l’histoire d’un pays martyrisé par la colonisation et dont il fut victime de différentes façons, toujours terribles. Un pays ravagé par la guerre qui n’épargne pas les enfants. Il nous ouvre une fenêtre sur l’histoire de son enfance et celle de sa soeur, Marcelline – qu’il voit dans ses rêves -, son ultime lieu de recueillement également habité par l’esprit Nzambi A Mpoungou. Christelle, de son côté, témoigne des violences familiales et déceptions amoureuses.

Du trauma colonial aux violences contemporaines envers les personnes en situation dite irrégulière, Wilfried N’Sondé invoque des douleurs et des blessures avec puissance et comme pour les exorciser. Si cela est possible. A la fois hors du temps et ancré dans le présent, ce roman montre à la fois beauté de la renaissance et la violence d’une société du rejet.

Deux vies abîmées qui se rencontrent et se pansent. Une fulgurante envie de vivre qui renaît sous les cendres. Un roman puissant en ce qu’il révèle des vies passées et présentes, du visible et de l’invisible.

Le nouveau mot du challenge est sorti, il s’agit de jamais. Étant donné que j’adore faire des recherches bibliographiques et des listes (imaginez l’ambiance folle de mes soirées) je me suis amusée à sélectionner neuf potentielles lectures. Vous pouvez les découvrir ci-dessous :

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Ils/Elles l’ont aussi lu et chroniqué : Pas de chroniques trouvées pour le moment.

Et vous, quel est votre roman préféré de Wilfried N’Sondé ?

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« Les enfants du silence » de Gong Ji-young (Picquier, 2020)

Sur les conseils de Cristie (organisatrice du Challenge coréen et rédactrice du blog Depuis le cadre de ma fenêtre) j’ai souhaité découvrir l’autrice Gong Ji-young. J’avais noté deux titres en particulier : Très chère grande soeur et Les enfants du silence. Cette première découverte me donne envie de poursuivre mon exploration de l’oeuvre de Gong Ji-young. Vive les maxi-commandes trimestrielles de livres d’occasion ! Je n’en peux déjà plus d’attendre…

Quatrième de couverture : « Il faut avant tout savoir que les événements racontés dans ce roman sont vrais. Ils ont réellement eu lieu.

Lorsque Inho arrive dans cette petite ville coréenne noyée dans le brouillard, il a un mauvais pressentiment. Il vient d’être nommé professeur dans une école privée et rien ne le destinait au combat qu’il va devoir y mener pour faire éclater la vérité. Ce que découvre rapidement Inho, c’est que les élèves de cette institution sont victimes de sévices et d’abus sexuels depuis plusieurs années, avec la complicité de membres de la police et des autorités locales. Ces enfants sont d’autant plus réduits au silence qu’ils sont atteints de surdité.

Face à la puissance et au mépris de ceux qui détiennent le pouvoir, la solidarité, le courage, l’obstination seront-ils suffisants pour que justice soit rendue ?

Gong Ji-young est une écrivaine profondément convaincue que les livres peuvent changer le monde. Et parfois en effet ils y arrivent. Ce roman poignant a provoqué un séisme dans la société coréenne et une nouvelle loi a été votée, qui durcit les peines pour les auteurs d’agressions sexuelles sur les mineurs et les handicapés. »

Pour être tout à fait franche, je n’étais pas certaine de réussir à terminer la lecture de ce roman, j’ai d’ailleurs fait une pause de quelques jours à la moitié. Le sujet – extrêmement difficile – est abordé de front, il n’épargne pas les lecteurs•trices et en même temps l’autrice adopte un ton qui évite des glissements maladroits. C’est vraiment un roman face auquel je me suis débattue : je ne voulais pas le poursuivre, continuer à lire les actes abjectes qu’ont subi ces enfants… mais je n’arrivais pas à arrêter de penser au combat pour la justice qui allait se dérouler et auquel je m’accrochais.

Contextualisé dans une ville appartenant à l’imaginaire littéraire coréen, l’histoire est basée sur des faits bien réels. Elle dénonce les abus sexuels sur des mineurs handicapés en même temps que le règne de l’impunité dès lors qu’il est question de relations de pouvoir et d’argent. C’est un livre choquant mais nécessaire, il tord les ventres et frappe les esprits en même temps qu’il engage. Car même si les choses peuvent sembler perdues d’avance face à certains cercles, ce n’est pas une raison de baisser les bras.

Gong Ji-young nous propose une variété de personnages intéressante : les coupables, les victimes infiniment émouvantes, un enseignant qui arrive un peu par hasard dans l’institution et va découvrir ce qui s’y passe, une femme engagée dans la défense des droits humains, les familles, un policier mouillé dans les magouilles, deux pasteurs qui n’ont pas fait les mêmes choix moraux, des responsables volontairement aveugles, des avocats aux approches différentes…

Avec beaucoup de réalisme, que ce soit dans la description de l’établissement pour enfants sourds, dans les démarches pour ouvrir l’enquête ou dans la partie plus judiciaire, Gong Ji-young interroge l’humanité et l’inhumanité, la moralité et l’immoralité, la société, la nature humaine, la force des intérêts personnels ou, au contraire, la capacité d’abnégation.

Je n’ose imaginer les difficultés qu’a pû rencontrer l’autrice lors de l’écriture de ce roman, car la réalité est là et elle dépasse parfois le pire que nous puissions inventer. Le résultat de cet éprouvant travail prend la forme de jeunes personnages aussi courageux qu’inoubliables, d’une réaction légale en Corée et d’une conscience collective.

Un film a été adapté de ce roman qui a fortement secoué la société coréenne : Silenced de Hwang Dong-hyeok (2011). J’ai prévu de le découvrir dans les semaines à venir, le temps de digérer un peu le texte et de trouver le courage d’affronter cette histoire en images.

Cette lecture entre dans le cadre du Challenge coréen organisé par le blog Depuis le cadre de ma fenêtre.

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Ils/Elles l’ont aussi lu et chroniqué : Depuis le cadre de ma fenêtreLes chasseuses de livresMes échappées livresques

Et vous, quel•s roman•s de Gong Ji-young conseillez-vous ?

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❤ « Les mauvaises herbes » de Keum Suk Gendry-Kim (Delcourt, 2018)

Ce roman graphique dort depuis des mois et des mois dans ma bibliothèque. Je l’ai commencé une première fois mais je n’ai pas réussi à aller très loin car son sujet s’aborde avec un certain esprit, du temps, de la disponibilité, du calme. Il faut être entièrement à sa lecture. Un beau livre pour la mémoire, un impressionnant roman graphique de presque 500 pages et dont pas une seule n’est de trop.

Je l’ai repris et lu cette semaine suite à une actualité que souhaitais partager ici avec vous, par soutien pour ces femmes (vivantes comme décédées) qui demandent et méritent justice, reconnaissance des préjudices et à qui on refuse les excuses :

C’est un jugement lourd à l’impact diplomatique retentissant. Ce vendredi 8 janvier, un tribunal sud-coréen a jugé que Tokyo devait dédommager les victimes d’esclavage sexuel durant la Seconde Guerre Mondiale. C’est la première fois qu’une telle sanction est prononcée.

RFI, « Corée du Sud : Tokyo condamné pour esclavage sexuel durant la Seconde Guerre mondiale » 8 janvier 2021

Quatrième de couverture : « 1943, en pleine guerre du Pacifique, la Corée se trouve sous occupation japonaise. Oksun, seize ans, est vendue par ses parents adoptifs comme esclave sexuelle à l’armée japonaise basée en Chine. Après avoir vécu 60 ans loin de son pays, Oksun revient sur sa terre natale.

Cet ouvrage, témoignage à la fois bouleversant, documenté et objectif d’une femme par une femme, retrace non seulement le parcours d’une vie, mais à travers lui tout un pan de l’histoire moderne de la Corée du Sud. »

Dans toute guerre le ventre des femme devient un territoire à conquérir comme un autre. Si les femmes et les jeunes filles sont les principales victimes de ces crimes, hommes et enfants de tout sexe n’y échappent pas.

Ce roman graphique est un témoignage difficile mais nécessaire : Keum Suk Gendry-Kim a ressenti un besoin profond et urgent de parler de ces femmes. Elle s’est rendue dans une maison de partage en Corée, lieu dans lequel vivent d’anciennes femmes de réconfort (comprenez officiellement esclaves sexuelles) dès lors qu’elles ont pu quitter la Chine pour retrouver leur pays de naissance. C’est lors d’une de ses visites que l’auteure a rencontrée Lee Oksun qui a accepté, petit à petit, de lui confier son histoire afin que l’oubli ne fasse pas son oeuvre, afin qu’on n’oublie pas ces femmes qui on connu le même sort qu’elle (leur nombre est estimé à 200 000 selon les historiens).

Oksun revient sur son enfance marquée par la pauvreté, la faim, la colonisation japonaise, le début de la guerre, la séparation d’avec sa famille et son exploitation par des adultes. Vient ensuite sa jeunesse. Une adolescence (puis une vie) déplacée en Chine, brisée par le viol et l’esclavage sexuel au cours de la Seconde Guerre mondiale. Les jeunes coréennes étaient trompées, enlevées ou achetées puis envoyées près des stationnements militaires, par et pour les militaires japonais.

A travers ses mots et ses souvenirs elle explique la peur, sa déportation en Chine, l’horreur de ses conditions de détention – prisionnière d’un couple – violentée durant plusieurs années par les soldats japonais. Et dans son témoignage éprouvant pour elle, une place est aussi faite à d’autres jeunes filles qu’elle a connues. Viendra la fin de la guerre et alors la question se pose : qu’allons-nous devenir ? Qu’allons-nous faire ? Est-ce que quelqu’un nous attend quelque part ? Vers où aller ? Comment continuer à vivre ?

Oksun montre l’impact psychologique encore vif de ces années de guerre et de supplices physiques, intimes. Sa voix porte lors des rassemblements pour demander justice : que le Japon reconnaisse sa responsabilité dans l’établissement de nombreuses maisons de passe pour les soldats, qu’il reconnaisse les femmes qui y étaient envoyées de force et exploitées des victimes de guerre, des victimes de leurs soldats.

J’ai été très émue de lire ce roman graphique au regard de l’actualité, même si le verdict du tribunal de Séoul implique des tensions diplomatiques avec le Japon. Je suis d’une grande naïveté mais j’ai toujours du mal à comprendre pourquoi il est si difficile pour un État de reconnaître ses torts alors même que s’excuser est l’une des premières choses que l’on apprend à un enfant.

Concernant le travail graphique, nous reconnaissons immédiatement le style de Keum Suk Gendry-Kim, entre les traits tendres et les encrages forts, entre la douceur qu’elle porte à ses personnages et le traitement pudique et respectueux mais marquant des moments traumatiques, comme on peut beaucoup le retrouver dans Jiseul. Une identité artistique que j’apprécie beaucoup et que je vais continuer à découvrir avec plaisir et émotion.

Cette lecture entre dans le Challenge coréen organisé par Cristie du blog Depuis le cadre de ma fenêtre.

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Ils/Elles l’ont aussi lu et chroniqué  : Les critiques de YuyineSambaBDInstantané

Et vous, quel•s livre•s avez-vous lu•s sur ce sujet ?
Aimez-vous lire des oeuvres en lien avec l’actualité ?

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« El Hadj » de Mamadou Mahmoud N’Dongo (Le Serpent à Plumes, 2008)

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C’est en préparant la bibliographie sur les auteurs sénégalais et d’origine sénégalaise que je me suis rendue compte que ce livre dormait dans ma bibliothèque depuis des lustres. Bibliographie terminée, lecture aussitôt commencée.

Quatrième de couverture : « Dans El Hadj il y a un wagon qui n’ira plus nulle part, il y a une petite fille aux allumettes, il y a une cité, des assassins, un feu qui vient du ventre et embrase tout. Dans El Hadj il y a Dieu et les hommes. Dans El Hadj il y a surtout El Hadj… et El Hadj ne veut pas oublier.

Mamadou Mahmoud N’Dongo nous dévoile ici les secrets d’une âme torturée par sa propre mémoire, alimentée et corrompue par la noirceur d’une mémoire collective dont les traces l’entourent comme une fatalité. Une descente aux enfers au style dépouillé à l’extrême pour le second roman de l’auteur de Bridge Road. »

Mamadou Mahmoud N’Dongo est un auteur très prolifique et plusieurs de ses livres me font clairement envie. Il était donc primordial que je rencontre son écriture qui ne m’a pas laissée de marbre. Par contre, je dois avouer que j’ai eu quelques difficultés à apprécier le contexte de cette histoire.

El Hadj est le personnage principal, membre d’un réseau mafieux – à la suite de son père – en région parisienne. Dès le début de l’intrigue, nous apprenons qu’il a tué son ami le plus proche de cette organisation. La question en suspens va être de comprendre pourquoi. Que s’est-il passé pour qu’il en arrive à cette extrêmité ?

Un panel dense de personnages nous est présenté, des passifs qui constituent l’identité du réseau, des réseaux, les rapports de forcce et de pouvoir, les obligations et les déviances violentes. Et c’est peut-être ce qui m’a refroidie, cette violence dans ce milieu spécifique, les situations qui mettent le lecteur mal à l’aise même si certains sujets importants sont évoqués lors de scènes crues. Je parle de scènes car le découpage des chapitres m’a immédiatement inspiré un travail de montage cinématographique saccadé, nerveux, sous excitant.

De ces sujets forts, El Hadj évoquera la violence et les conséquences de certaines traditions et la révolte de certaines femmes qui en sont victimes, l’excision. Un sujet que je trouve encore rare dans la littérature et dont il faut clairement parler. Même si ça a été difficile à lire, j’ai été reconnaissante à l’auteur qu’il dirige des projecteurs dessus. Il nous parle aussi du poids du passé dans la vie quotidienne, des stigmates de la cité de la Muette à Drancy. Ce grand ensemble architectural innovant, premier projet HLM dont la construction débuta en 1932 et qui, à partir de 1939, fut utilisé comme camp de prisonnier avant d’être un camp d’internement en 1941 pour les personnes juives de tous âges, arrêtées, raflées, condamnées à la déportation dans les pays de l’Est. Quelques années après la guerre, cet ensemble de logements répondra finalement à sa vocation première : proposer des logements sociaux, malgré la souffrance et l’inhumanité gravée dans ses pierres. Le personnage d’El Hadj nous parle de cette présence du passé au quotidien dans ce lieu pas comme les autres, lui qui y vit avec sa famille. Il nous parle aussi des cités, de la pauvreté, du manque de choix qui fait parfois prendre des chemins dangereux.

Malheureusement, les passages auxquels j’ai été la plus sensible sont assez minoritaires face à l’ensemble du récit et si j’ai apprécié le style vif de Mamadou Mahmoud N’Dongo, je n’ai tout simplement pas été le bon public pour cette histoire de mafieux sans morale (ou presque). Je ne comprends tout simplement rien aux luttes de pouvoir et aux stratégies d’alliances ou de pièges. A chaque page je m’attendais à pire, au pire, et cette tension à la lecture n’est pas vraiment faite pour moi, d’autant plus quand il est question de violences sexuelles.

En conclusion, cette lecture, même si elle n’a pas été des plus plaisantes (vous l’aurez compris, pour des raisons complètement subjectives), a eu le mérite d’attiser ma curiosité vis-à-vis de cet auteur dont j’ai déjà prévu de lire Bridge Road dans les semaines à venir.

 


Ils/Elles l’ont aussi lu et chroniqué : Pas de chronique trouvée pour le moment.


 

Et vous, quels romans sur la violence urbaine vous ont marqué ?

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