« Ce prochain amour » de Nora Benalia (Hors d’atteinte, 2022)

Ce roman s’ouvre sur des considérations testiculaires. Une entrée en matière qui annonce que le contenu sera franc, cru et qu’on appellera une couille une couille.

Quatrième de couverture : « Une femme se laisse convaincre de renoncer à son métier, fait des enfants, les élève seule, survit à une multitude de violences quotidiennes et ordinaires et s’entend de surcroît répéter à tout bout de champ que le courage est un truc de bonhomme. Qui parviendrait à rester calme dans ces conditions ? Certainement pas Nora Benalia, dont Ce prochain amour est le premier roman publié. »

Nora Benalia se met (plus ou moins ?) en scène dans ce roman pour raconter des relations aux hommes. Parmi elles, il y a celle avec un ex-mari qui fut gorgée de violences et, de fait, d’un manque criant d’amour. L’autrice raconte un monde avant #metoo dans lequel les femmes savaient entre elles, à voix basse, les violences que chacune subissait. Ces femmes prétendues folles par leur bourreau ou rendues folles par les violences quotidiennes. Un monde peu habitué à voir une femme divorcer et élever seule ses enfants. Un monde qui jugeait la femme pour l’échec d’un mariage.

Mais c’est aussi du monde d’aujourd’hui dont elle parle. Un monde dans lequel la parole est un peu plus libre (bien qu’encore difficile à prendre) mais qui persiste à mal comprendre la situation des femmes et en particulier des mères célibataires.

De sa libération d’un homme violent à la recherche d’un nouvel amour, le personnage de ce roman témoigne également des blessures persistantes, de la nécessaire reconstruction comme de la notion de désirabilité.

Une lecture engageante pour une bonne partie mais qui s’est conclue – avec moi – par un essoufflement.

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Et vous, quel primo romancier·e voulez-vous partager ?

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❤ « Que sur toi se lamente le Tigre » d’Emilienne Malfatto (Elyzad, 2020)

Tout début 2021 j’ai lu un roman pour lequel j’ai été incapable de trouver les mots. Alors, quand ça ne veut pas, je ne force pas. Les mots viendront quand ils seront prêts. C’est à l’occasion du visionnage du reportage En Irak, le combat des femmes pour leur liberté, réalisé par Lucile Wassermann et Jack Hewson et diffusé sur France 24, que j’ai senti qu’il était temps de secouer mon lexique interne pour faire jaillir ces fameux mots.

Quatrième de couverture : « Dans l’Irak rural d’aujourd’hui, sur les rives du Tigre, une jeune fille franchit l’interdit absolu : hors mariage, une relation amoureuse, comme un élan de vie. Le garçon meurt sous les bombes, la jeune fille est enceinte : son destin est scellé. Alors que la mécanique implacable s’ébranle, les membres de la famille se déploient en une ronde d’ombres muettes sous le regard tutélaire de Gilgamesh, héros mésopotamien porteur de la mémoire du pays et des hommes.

Inspirée par les réalités complexes de l’Irak qu’elle connaît bien, Emilienne Malfatto nous fait pénétrer avec subtilité dans une société fermée, régentée par l’autorité masculine et le code de l’honneur. Un premier roman fulgurant, à l’intensité d’une tragédie antique. »

C’est l’histoire d’une femme et d’un homme qui s’aiment. C’est l’histoire de l’homme tué à la guerre et de la femme qui découvre sa grossesse. C’est une histoire d’honneur aussi absurde que réaliste dans laquelle la famille envisage le crime pour laver la honte. Mais quelle honte ?

En alternant les points de vues nous découvrons des positions qui ont soif de violence, d’autres qui déplorent la situation à venir mais, que voulez-vous, c’est comme ça… d’autres ne comprennent pas mais ne voient pas les alternatives. Des voix qui décrivent un tragédie et s’y inscrivent.

Ce roman est terrible et dit les menaces qui entravent les femmes, le poids de la loi tribale qui supplante la loi de l’Etat, comme le dit si bien le reportage. Cette loi tribale qui est revenue à une pratique parfois radicale de l’Islam, qui est revenue à une oppression très marquée des femmes et à la négation de leurs droits et de leurs libertés.

C’est l’histoire d’une terre saoule à la nausée d’avoir trop bu le sang des femmes. Un sang versé par la main des hommes mais aussi par celle de femmes qui s’intègrent à l’organisation sociale et familiale sans la remettre en question.

Un premier roman qui a été sélectionné et lauréat de nombreux prix : Goncourt du Premier Roman 2021, Prix Hors Concours des Lycéens, Prix Ulysse du livre, Prix Zonta Olympe de Gouges, Mention spéciale des lecteurs Prix Hors Concours, Lauréate du Festival du Premier Roman de Chambéry 2021, Finaliste du Prix Régine Desforges.

Comment ne pas penser également à la nouvelle Seher de Selahattin Demirtaş, extrait de son recueil L’aurore ? Si vous avez aimé ce roman et que vous ne connaissez pas les nouvelles de Selahattin Demirtaş, je ne peux que vous recommander de le découvrir.

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Et vous, quelle•s œuvre•s sur les crimes dits d’honneur conseillez-vous ?

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« Un secret de rue » de Fariba Vafi (Zulma, 2011)

Quand j’ai choisi ce roman je pensais lire un hommage fictionnel dédié à un père aimé qui est sur le point de s’éteindre. Il n’en est rien. Abou est un homme colérique, violent, jaloux. Un homme assez détestable, paranoïaque et pathétique. Sa violence est la traduction de son insécurité et de son incapacité à contrôler les femmes et filles de sa famille. Un statut patriarcal qui le rend malade et qui se fissure du fait de ne pouvoir subsister face au vent de liberté qui souffle dans son foyer.

Quatrième de couverture : « Abou se meurt. Pas comme un vieil homme. Comme un crocodile. Dans cette veillée, sa fille Homeyra se souvient d’une enfance qui déborde joyeusement, dramatiquement, du foyer à tout le voisinage. Dans ce quartier pauvre, les jeux des enfants, les froissements des tchadors et les exhortations des pères se mêlent en brouilles, en conflits de générations et en connivences ténues.

Cette chronique des mœurs et coutumes iraniennes, dominée par l’arbitraire patriarcal, se déploie au gré de la folle amitié de deux gamines. Azar la petite sauvageonne qui refuse en riant l’éprouvante discipline des adultes. Homeyra qui ne rêve que de fuir le grand deuil de l’amour des mères.

Un secret de rue, c’est toute une mémoire bruissante, pleine d’échos et de couleurs, qui voudrait oublier les blessures du passé en rendant son beau rêve de liberté à l’enfance qui demeure en chacun. »

Après avoir lu une première moitié du roman je me suis arrêtée quelques jours. Et ce temps a été nécessaire pour accepter l’épaisseur sombre de cette histoire. Je devine alors que le secret de la rue dans laquelle vit la jeune Homeyra est lié à de la culpabilité et de la violence. Passé l’étape d’acceptation, j’ai repris ce roman avec beaucoup d’intérêt.

Fariba Vafi a une langue agréablement vive et une capacité remarquable à imbriquer les histoires les unes dans les autres. Il ne faut pas résister mais se laisser porter et chaque pièce du puzzle trouve sa place.

L’autrice nous parle de la vie d’une famille, d’une amitié profonde, d’une rue et des rapports – souvent animés – entre voisin·e·s. Il est question de la place de la femme comme de celle de l’homme, des ruptures générationnelles, du manque d’amour parental, du deuil de l’enfance et du pardon. Il est question d’un drame qui se cache entre les lignes, à chaque coin de page jusqu’à ce que…

Trois choses m’ont particulièrement impressionnée ou marquée dans ce roman : la violence de certains hommes qui n’est jamais loin de la folie ainsi que la droiture et l’humanité d’autres ; la façon haletante dont l’autrice transmet la vie quotidienne qui entoure l’enfance de son personnage principal ; la construction narrative assez éclatée mais qui nous fait toujours retomber sur nos pattes.

Un deuxième roman de Fariba Vafi vient de paraître en français aux éditions Serge Safran, Un oiseau migrateur, j’espère vous en parler prochainement.

Cette lecture a été faite dans le cadre du challenge #autricesdumonde organisé par Claire de Des pages et des lettres.

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Et vous, avez-vous déjà lu de la littérature iranienne ?

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👁 « Le silence des esprits » de Wilfried N’Sondé (Actes Sud, 2010 ; Babel, 2018)

L’un de mes petits défis de ces dernières semaines a été de trouver un roman parlant d’exil et comprenant le mot silence dans son titre afin de participer au challenge Un mot, des titres du blog Les lectures d’Azilis. Ce fut l’occasion de découvrir Wilfried N’Sondé et je ne le regrette pas une seule seconde. J’ai été chamboulée par son énergie et sa poésie.

Quatrième de couverture : « Ils se sont rencontrés dans un train de banlieue. Clovis Nzila, émigré clandestin sans ressources ni abri, a sauté dans le wagon pour échapper à un contrôle de police. Il s’installe sur une banquette en face de Christelle, aide-soignante qui rentre du travail, triste et fatiguée. Il suffit d’un échange de regards pour que l’un et l’autre se reconnaissent dans leur solitude, leur fragilité. Elle lui tend la main et lui propose de l’héberger pour la nuit. Dans le modeste appartement, ils créent une bulle de confiance et de tendresse, se racontent, tentent de réécrire leur histoire et de s’offrir une seconde chance.

De la violence d’une guerre civile en Afrique à la morosité d’un quotidien de banlieue parisienne, Wilfried N’Sondé habille notre époque d’espoir et de sensualité au fil d’une douce ballade mélancolique. »

Clovis arpente les rues de la ville à la recherche d’un endroit où se poser, quelques minutes ou quelques heures. Christelle traverse les couloirs de l’hôpital, prenant soin de tous ses patients. Clovis a fui son pays, Christelle fuit ses pensées. Tous les deux essaient d’échapper à leurs souvenirs et traumatismes, tous les deux vont prendre le même train et se rencontrer.

Leur recontre est de celles qui changent une vie.

A travers Clovis nous découvrons l’histoire d’un pays martyrisé par la colonisation et dont il fut victime de différentes façons, toujours terribles. Un pays ravagé par la guerre qui n’épargne pas les enfants. Il nous ouvre une fenêtre sur l’histoire de son enfance et celle de sa soeur, Marcelline – qu’il voit dans ses rêves -, son ultime lieu de recueillement également habité par l’esprit Nzambi A Mpoungou. Christelle, de son côté, témoigne des violences familiales et déceptions amoureuses.

Du trauma colonial aux violences contemporaines envers les personnes en situation dite irrégulière, Wilfried N’Sondé invoque des douleurs et des blessures avec puissance et comme pour les exorciser. Si cela est possible. A la fois hors du temps et ancré dans le présent, ce roman montre à la fois beauté de la renaissance et la violence d’une société du rejet.

Deux vies abîmées qui se rencontrent et se pansent. Une fulgurante envie de vivre qui renaît sous les cendres. Un roman puissant en ce qu’il révèle des vies passées et présentes, du visible et de l’invisible.

Le nouveau mot du challenge est sorti, il s’agit de jamais. Étant donné que j’adore faire des recherches bibliographiques et des listes (imaginez l’ambiance folle de mes soirées) je me suis amusée à sélectionner neuf potentielles lectures. Vous pouvez les découvrir ci-dessous :

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Et vous, quel est votre roman préféré de Wilfried N’Sondé ?

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« Balèze » de Kiese Laymon (Les Escales, 2020)

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C’est un texte très intime que nous propose Kiese Laymon pour cette première traduction française de son œuvre. Un roman autobiographique qui revient sur ses blessures, son rapport à son propre corps, ce corps comme entité à part entière qui le dépasse, le possède, ce corps noir dans une Amérique toujours habitée par le racisme.

Quatrième de couverture : « Partant de son enfance dans le Mississippi, passée aux côtés d’une mère brillante mais compliquée, Kiese Laymon retrace les événements et les relations qui l’ont façonné. De ses premières expériences de violence et de racisme jusqu’à son arrivée à New York en tant que jeune universitaire, il évoque avec une sincérité poignante et désarmante son rapport au poids, au sexe et au jeu, mais aussi à l’écriture. En explorant son histoire personnelle, Kiese Laymon questionne en écho la société américaine ; les conséquences d’une enfance passée dans un pays obsédé par le progrès mais incapable de se remettre en question.

Récit intime qui met en lumière les échecs d’un pays, Balèze est un formidable acte de défi et de courage. »

Si je dois commencer par un point extrêmement positif de cette lecture il s’agit de la langue. Le ton de Kiese Laymon est frontal et nerveux mais peut devenir tout à coup d’une grande poésie. Je l’ai vraiment beaucoup aimé. L’ambiance m’a fait penser à une soirée au cours de laquelle la lumière peu à peu décline et où l’on surprend les confidences d’un enfant devenu, en apparence, grand. Et, souvenir après souvenir, l’aube arrive, peut-être un peu blafarde mais chassant malgré tout les monstres de la nuit.

Kiese adresse ce livre à sa mère autant qu’aux lecteurs•trices. Il revient sur ses souvenirs, sur la peur et les violences domestiques, sur les études, la stigmatisation, le racisme insitutionnel et les copains, sur son poids et le martyr qu’il fera subir à son corps, sur la sexualité et les violences envers les filles, sur la culpabilité et la honte, sur les addictions et l’argent source d’angoisse comme d’exaltation, sur l’amour et la force d’une grand-mère qui réchauffe le cœur. A travers ces nombreuses thématiques (et d’autres encore) c’est l’histoire d’une vie aux États-Unis alors que l’on est un enfant noir qui veut aimer et être aimé (et s’aimer lui-même), qui veut grandir et plaire sans mentir, qui veut avancer et défendre ceux qui en ont besoin dans une société qui n’aime pas tous ses enfants.

Riche, dense mais intelligemment construit, ce récit se lit comme une conversation et ne laisse pas une minute d’ennui aux lecteurs•trices. Symptomatique d’un mal-être américain, sa complexité révèle des vies aux antipodes des projections hollywoodiennes pour proposer des images réelles, crues, sincères qui m’ont fait penser aux écrits de Ta-Nehisi Coates.

Une découverte percutante, je suis impatiente de découvrir une prochaine traduction de Kiese Laymon. Soyez sûr•e•s que je serai au rendez-vous.

Je tiens à remercier les éditions Les Escales ainsi que la plateforme NetGalley de m’avoir permis d’accéder à ce livre en avant-première.

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Et vous, lisez-vous des autobiographies ?

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