📖 « La chambre de Mariana » d’Aharon Appefeld (L’olivier, 2008)

Me voilà bien embêtée alors que je dois écrire la chronique de ce livre qui m’a autant émue que gênée… Un début d’année avec Aharon Appelfeld contrasté mais néanmoins marquant car derrière ce texte se tient un enfant ayant survécu à la Shoah et il est impossible de ne pas y chercher la propre expérience de l’auteur, même parcellaire.

Quatrième de couverture : « Avant de fuir le ghetto et la déportation, la mère d’Hugo l’a confié à une femme, Mariana, qui travaille dans une maison close. Elle le cache dans un réduit glacial d’où il ne doit sortir sous aucun prétexte. Toute son existence est suspendue aux bruits qui l’entourent et aux scènes qu’il devine à travers la cloison. Hugo a peur, et parfois une sorte de plaisir étrange accompagne sa peur. Dans un monde en pleine destruction, il prend conscience à la fois des massacres en train de se perpétrer et des mystères de la sexualité. »

Hugo et sa mère sont enfermés dans un ghetto. Les rafles et les déportations s’accélèrent, la menace est de plus en plus pressante. La mère d’Hugo tente en vain de le placer à la campagne, dans une famille de paysans moyennant rétribution, mais ses plans n’aboutissent jamais. En dernier recours, elle confie Hugo à une ancienne camarade d’école prête à l’aider : Mariana.

Mariana vit dans une maison close et Hugo va désormais y vivre aussi, caché dans un réduit attenant à la chambre de cette femme dont il ne sait rien et qu’il va peu à peu apprendre à connaître… Dans ses accès de colère, dans sa douceur maternelle, dans sa mélancolie inconsolable, dans sa dépendance à l’alcool, dans sa sensualité.

Sans nouvelles de sa mère qui, après l’avoir confié à Mariana, est partie en quête d’une cachette dans les villages environnants, il entend et apprend ce qui se passe à l’extérieur : la chasse aux Juifs dans les moindres recoins des habitations, les exécutions publiques. A l’intérieur : la façon dont Mariana est traitée par les hommes, leur violence et leur mépris ; le risque d’être à la mercie d’autres personnes de la maison close et donc de risquer la délation à chaque instant. Le danger devient par la suite réel pour Mariana. Coupable d’avoir été prostituée, d’avoir reçu des Allemands lorsque les Russes prennent le contrôle de la ville.

J’ai été très touchée par Hugo et sa solitude, sa façon d’invoquer ses proches pour les garder en vie et se sentir moins seul, dans son réduit glacial et sombre. J’ai aimé la façon dont Aharon Appelfeld nous parle de la prostitution et de ces femmes pour lesquelles on sent une réelle compassion et de la considération. Mais un point de bascule entre Hugo et Mariana m’a fait clairement et définitivement dépasser la limite du malaise.

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Et vous, avez-vous lu ce roman ou un autre d’Aharon Appelfeld ?

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« Auschwitz, ville tranquille » de Primo Levi (Albin Michel, 2022)

Traduit de l’italien par Louis Bonalumi, Martine Schruoffeneger, André Mauge
et René de Ceccatty

Pour ce 27 janvier, journée de commémoration internationale dédiée à la mémoire des victimes de la Shoah, jour qui marque également les 77 ans de la libération du camp d’Auschwitz-Birkenau, je souhaite mettre en avant Primo Levi (1919-1987), lui-même victime et témoin.

Quatrième de couverture : « Témoin essentiel de la barbarie nazie, Primo Levi n’a cessé de raconter Auschwitz tout en cherchant à comprendre les ressorts d’une inhumanité dont ses deux livres majeurs, Si c’est un homme et La Trêve, ont rendu compte avec une lucidité inégalée. L’expérience du camp qui hante et nourrit son œuvre s’y exprime de manière diverse.

Ainsi, les dix nouvelles qui composent ce recueil, rassemblées pour la première fois, et complétées par deux poèmes, illustrent la variété des formes littéraires que revêt l’œuvre de Primo Levi. L’approche scientifique du monde à laquelle l’incitait sa formation de chimiste se confronte à des domaines tels que la science-fiction, le fantastique, ou à son goût pour la poésie, peut-être l’un des seuls moyens d’exprimer l’ineffable. Préfacés par René de Ceccaty, ces récits convoquent la voix ô combien subtile et nécessaire d’un homme de vérité et invitent à redécouvrir toutes les facettes d’un des grands écrivains du XXe siècle. »

Ce recueil a été pensé en un mélange de nouvelles – pour certaines inédites – parlant d’Auschwitz et de la Shoah de façon directe comme indirecte. Primo Levi, en plus d’être écrivain, fut chimiste. Cette sensibilité scientifique se retrouve dans une partie de ses nouvelles.

En effet, ce recueil est pluriel : il mêle la poésie et la nouvelle ; et dans les nouvelles, il vient alterner des textes très réalistes et factuels de la vie à Monowitz-Buna (Auschwitz-III) et d’autres qui touchent à la science-fiction. Mais tous, d’une manière ou d’une autre, viennent témoigner et dénoncer l’idéologie nazie et sa froide application. Les nouvelles réalistes sont tirées de la vie de Primo Levi et parmi elles, c’est la culpabilité – et sa sincérité – qui est interrogée ainsi que le fait d’apporter des réponses à des familles dont l’arbre généalogique est amputé.

En plus de nous parler de l’époque, il dit l’après tout en projetant – grâce à la fiction – ce que pourrait être une idéologie similaire à l’avenir.

Le témoignage incontournable de Primo Levi, Si c’est un homme, fut l’un des premiers. Certaines nouvelles y font écho, montrant que contrairement à ce que certaines personnes pensent (ou disent bien fort) il y a encore des choses dire de la Shoah et nous n’avons pas dépassé la nécessité de la mémoire.

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Et vous, quel livre partagez-vous sur l’histoire et la mémoire de la Shoah ?

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« La station Saint-Martin est fermée au public » de Joseph Bialot (Fayard, 2004 ; Libretto, 2013)

Joseph Bialot est né en 1923 à Varsovie dans une famille juive qui quittera la Pologne pour s’installer en France en 1930. Engagé dans la résistance, il sera déporté en 1944 à Auschwitz-Birkenau. Il sera un survivant. Joseph Bialot s’est éteint en 2012.

Quatrième de couverture : « Un homme marche dans Paris. Il a été ramassé quasi mort à la fin de la Seconde Guerre mondiale par des soldats américains sur une route parsemée de cadavres et porte un matricule sur l’avant-bras gauche. S’il a tout oublié de l’enfer traversé, il ne sait plus non plus ce que fut sa vie d’avant la déportation. A-t-il une famille ? Des enfants ? Un métier ? Doté par défaut d’un prénom de hasard, il réapprend à vivre dans une capitale française qui, comme lui, veut panser ses plaies. Bribes et souvenirs lui reviennent au fur et à mesure de ses déambulations et des quartiers traversés. Un nom frappe sa mémoire : celui d’une station de métro. Son passé est là, tout près, il le sent. Pourra-t-il enfin renouer les fils d’une mémoire occultée ? »

Auteur de romans policiers, il est également connu pour son texte autobiographique C’est en hiver que les jours rallongent (paru en 2002) qui revient sur sa déportation. Le roman dont je vous parle aujourd’hui a paru en 2004 et, s’il s’agit d’une fiction, il est évidemment nourri de l’expérience personnelle de l’auteur.

Des Jeep avancent sur des routes de l’Est. Des routes couvertes de linges étranges. Des hommes. Parmi eux se trouve un vivant.

Ne se souvenant de rien, l’homme baptisé Alex va devoir réaliser un travail intense pour se retrouver. Les souvenirs qui ressurgissent lors de séances médicalement encadrées sont ceux du camp, à travers eux le lecteur découvre également ce qui a été.

La construction narrative donne un sentiment de porosité entre la fiction et le témoignage. Nous souhaitons infiniment qu’Alex retrouve son histoire – et, espérons, sa famille -, nous devons parcourir le vide et le remplir avec lui, affronter ce que sa conscience a voulu effacer.

A partir de la quête d’un homme, Joseph Bialot montre également une France d’après-guerre nuancée qu’il est très intéressant de souligner. Celle qui cherche les absents, celle qui découvre ce qui a été, celle qui a encore son lot d’antisémites.

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Et vous, connaissez-vous cet auteur ?

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❤ « La dernière représentation de Mademoiselle Esther » d’Adam Jaromir et Gabriela Cichowska (Des ronds dans l’O, 2017)

La vie de Janusz Korczak et son engagement pour le respect de l’enfance me touchent beaucoup et c’est avec délicatesse, et en puisant notamment dans son journal qui nous est parvenu, qu’Adam Jaromir a composé les textes de cet album, mêlant la voix du docteur à celle d’une enfant pour décrire la vie de l’orphelinat de fortune déplacé dans le ghetto de Varsovie.

Présentation de l’éditeur : « Ghetto de Varsovie, mai 1942 – Près du mur sud où se trouve aujourd’hui le théâtre de marionnettes Lalka, se dressait autrefois un bâtiment gris de quatre étages : le dernier siège de l’orphelinat juif Dom Sierot (La Maison des Orphelins). Il fut un établissement pilote historique dans l’éducation des enfants, dans la bienveillance et la démocratie, ouvert à la fin de l’année 1912, dirigé par le docteur Korczak.

Genia, une petite fille de 12 ans, tient son journal sur les recommandations du docteur.

L’orphelinat dans lequel elle vit, avec 190 autres enfants, les accompagnants et le docteur est un modèle d’accueil où règnent le respect des enfants, la bienveillance, l’écoute, le dialogue.

L’Histoire s’arrête malheureusement en 1942, quand les SS les embarquent tous en direction de Treblinka où ils seront gazés dès leur arrivée, le 6 août 1942. »

Tola, orpheline, arrive à Dom Sierot. Une autre jeune fille – la seconde narratrice après Janusz Korczak – va l’accompagner dans ses premiers pas dans l’orphelinat et avec elles nous découvrons un quotidien, une société organisée autour des enfants, de leur éducation et de leur protection, dans le ghetto de Varsovie. Les illustrations mêlées aux collages m’ont beaucoup marquée, je réalise que j’aime vraiment ce procédé dans l’illustration (je l’avais par exemple adoré dans le magnifique roman graphique Heimat) que je trouve très émouvant.

Alternant la voix de l’enfance et celle de Janusz Korczak, qui représente aussi le témoin de ce qui se passe hors des murs de l’orphelinat, ce sont des portraits attachants, les relations entre les enfants, les manques et les courages qui s’écrivent au fur et à mesure que les pages se tournent. Face à un durcissement des conditions de vie dans le ghetto, le manque de nourriture et la volonté de concentrer les esprits des enfants sur autre chose que l’absence, la faim et les inconnues des lendemains, Mademoiselle Esther, encadrante, va proposer d’organiser une représentation théâtrale. La dernière qui aura lieu entre les minces murs qui protégaient les enfants et les adultes de l’orphelinat.

Les deux points de vue sont formalisés par deux typographies différentes, astuce que j’ai beaucoup appréciée, qui se comprend naturellement. Je me dis que ça peut être un bon moyen d’en faire la lecture à deux voix avec un·e jeune lecteur·trice (je vais essayer lors de mes prochaines vacances).

Si généralement la déportation est associée au nom d’Auschwitz-Birkenau dans la littérature, et encore plus pour la jeunesse, cette histoire permet aussi de faire apparaître un autre nom tristement connu : Treblinka. Cela me semble important pour la représentation de l’histoire de la Shoah dans les œuvres culturelles.

L’album est à destination de la jeunesse (je dirais à partir de 10-12 ans), mais il fait partie de ces ouvrages qui s’adressent aussi aux adultes. Pour ma part, j’ai prévu de vous parler à nouveau de Janusz Korczak et des enfants de l’orphelinat avec son Journal du ghetto, avec le roman Le livre d’Aron de Jim Shepard ainsi qu’avec un autre album jeunesse : Le dernier voyage. Le docteur Korczak et ses enfants d’Irène Cohen-Janca et Maurizio Quarello.

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Ils/Elles l’ont aussi lu et chroniqué : Les mots de la fin

Et vous, quel album sur la Shoah ou sur l’enfance dans la guerre conseillez-vous ?

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❤ « Dibbouks » d’Irène Kaufer (L’Antilope, 2021)

Si j’achète presque tous les livres édités par les éditions de L’Antilope, je peux mettre un moment avant de les lire. Celui-ci, impossible de le mettre de côté pendant des semaines. Tout dans sa présentation m’appelait : une famille meurtire par la Shoah, une quête à la fois familiale et intime, une approche originale dans l’expression de la transmission des traumatismes.

Quatrième de couverture : « Dans la croyance populaire juive, le dibbouk est l’âme d’un mort qui vient s’incarner dans le corps d’un vivant. Ici, la narratrice est obsédée par une quête familiale. Son père, rescapé de la Shoah, a laissé un témoignage dans lequel il raconte comment, lors de sa déportation, il a été séparé de sa fille. Qu’est-elle devenue ? Elle a disparu à jamais. Mais la narratrice, elle, se laisse peu à peu envahir par le dibbouk de cette sœur. Elle n’a de cesse, dès lors, de se lancer à la recherche de Mariette.

Un roman plein d’humour sur un sujet sensible. »

Quand on m’annonce un roman construit de façon originale sur la Shoah, autant dire que je porte une attention particulière à la maison d’édition qui le propose (cela dit, je le fais même quand aucune originalité n’est annoncée). Ici, aucun doute, aucune hésitation, la fiabilité des éditions de L’Antilope est pleine et entière. Si vous ne la connaissez pas, je ne peux que vous inviter à découvrir son très beau catalogue.

Rassurée sur ce point, j’ai été passionnée par la lecture ce roman – basé sur une histoire personnelle et des interrogations bien réelles – qui m’a beaucoup émue et dont l’approche originale est menée avec justesse et maîtrise.

La narratrice sait que son père a perdu sa femme et sa fille – à peine âgée de quelques semaines – en 1942. Un sujet extrêmement douloureux dont il ne fallait pas parler pour le protéger. Jusqu’au jour où elle va oser poser la question à son père qui lui confiera un prénom : Mariette. A partir de cette précieuse information ainsi que des entretiens menés pour la Spielberg Foundation, la narratrice va se tourner vers différentes options pour obtenir des réponses et se retrouver. Car, depuis un moment, elle a le sentiment de ne plus s’appartenir vraiment, ou plutôt de partager son corps et son esprit avec quelqu’un d’autre : un dibbouk.

L’aspect métaphysique ne part jamais trop loin, l’incertitude nous pousse à nous interroger en permanence jusqu’à nous faire percevoir intelligemment le poids des absents pour les générations nées juste après la guerre, de parents rescapés de la Shoah. Entre les vies qui n’ont pas pu être vécues, les destins volés par la haine et la culpabilité d’être née après les épreuves vécues par ses parents, la narratrice va découvrir ce qui a été, ce qui aurait pû être pour revenir à ce qui est et ce qui a le droit d’être.

Un autre aspect intéressant que révèle cette quête est la personnalité des parents de la narratrice et les stigmates qu’ils portent : affirmer ou cacher le fait d’être juif, toujours s’attendre à ce que le pire se reproduise, se préparer au retour de la haine.

Ce roman est effectivement surprenant, rythmé et émouvant sans être dénué d’humour. Un livre auquel je ne cesse de repenser en me disant en boucle à moi-même : c’est tellement bien pensé !

Je vais prochainement me replonger dans le sujet de la transmission des traumatismes familiaux et des générations d’après avec Venir après. Nos parents ont été déportés de Danièle Laufer (Editions du Faubourg, 2021).

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Ils/Elles l’ont aussi lu et chroniqué : Tu vas t’abîmer les yeux

Et vous, connaissez-vous cette belle maison d’édition ?

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« L’étoile au coeur » de Matteo Corradini, illustré par Vittoria Facchini (Gallimard Jeunesse Giboulées, 2021)

Une étoile parle aux enfants. Une étoile qui fut placée de force sur les poitrines (et parfois au bras ou encore dans le dos) de millions d’hommes, de femmes, d’enfants. Une humiliation qui visait à rendre la population juive visible, immédiatement repérable dans la vie de tous les jours, plus facile à écarter, discriminer, persécuter.

Quatrième de couverture : « Ma mère était ciseaux, mon père toile légère.

Ainsi parle l’Étoile jaune jadis cousue à la place du cœur au revers des vestes des juifs persécutés au cours de la Seconde Guerre mondiale. Elle témoigne des horreurs de la Shoah et nous raconte l’histoire de dix destins parmi des millions d’autres – un enfant, un rabbin, une professeure, un libraire, un pauvre, un vieux, un innocent, un fou, une violoniste, une fillette – enlevés, persécutés, maltraités, jetés dans les trains nazis vers les camps de la honte.

Aujourd’hui la petite étoile brille encore et témoigne au firmament de la mémoire. »

L’étoile jaune est l’un des symboles les plus utilisés dans la littérature de la Shoah pour la jeunesse, ici elle va donner voix à dix personnes qui ont dû la porter. Ces portraits témoignent chacun d’un aspect des persécutions et de l’idéologie antisémite à l’œuvre durant la Seconde Guerre mondiale : du processus raciste et discriminatoire au processus génocidaire.

Après l’introduction du récit, chaque portrait s’ouvre sur une double page colorée puis la tragédie individuelle et collective est évoquée dans des palettes de couleurs amplement plus sombres et par un court texte qui dit l’angoisse, la discrimination, l’injustice, la violence, la déportation, l’assassinat des êtres.

Réalisé dans une forme intéressante, je souligne le travail réalisé à partir de photographies d’archives. Il y a une réelle émotion dans le fait de reconnaître certaines photographies d’archives retravaillées, d’en découvrir d’autres, car les documents deviennent témoins et parfois seules preuves de l’existence de vies par la suite détruites. Sur cet aspect, j’aurais aimé que les références des photographies qui ont inspirée Vittoria Facchini soient mentionnées pour des questions documentaires et pour permettre de les retrouver, pourquoi pas dans le cadre d’un travail scolaire par exemple.

Le découpage d’une étoile qui traverse toutes les pages de l’album crée un effet de présence/absence en même temps que de déchirure indélébile. Les illustrations rappellent les dessins sur calque que l’on réalise durant l’enfance. Des crayonnés font également penser à des gestes enfantins : incertains, parfois malhabiles et en même temps profondément impliqués.

J’ai cependant eu un embêtement avec l’emploi de certains mots que j’ai parfois trouvés inadaptés pour le public visé, de phrases pouvant être à double tranchant (j’ai une réserve concernant La violoniste, dans le texte et l’image). Je pense également qu’il peut y avoir un choc avec La fillette dont la dernière illustration est sûrement celle qui demandera une vigilance particulière quant à l’âge de lecture ou la sensibilité de l’enfant (personnellement, je n’adhère pas à ce choix de représentation). La représentation de l’intérieur des camps et l’évocation des chambres à gaz dans la littérature pour la jeunesse, particulièrement sous la forme d’un album illustré, est un aspect du livre à prendre en considération dans le fait de proposer – ou non – ce livre.

Autre maladresse, à mon sens : chaque portrait est lié à un terme qui caractérise la personne (vous pouvez les retrouver dans le résumé ci-avant). Tout de suite l’un d’eux m’interroge : l’innocent. Utilisé dans le sens d’ignorant et/ou naïf, il m’a fait un drôle d’effet par rapport aux neuf autres portraits du livre : ne sont-ils pas innocents aussi, dans le sens non-coupables ? La petite fille, n’est-elle pas aussi innocente et naïve comme le veut son âge ? Je suis peut-être pénible, mais la Shoah est un sujet qui appelle à peser les mots, d’autant plus à l’adresse d’un jeune public.

Cet album est conseillé par les éditions Gallimard Jeunesse à partir de 9 ans (je trouve que c’est encore un peu jeune) et demandera un accompagnement, au moins pour les premières lectures. Pour ma part, si j’ai apprécié certains aspects du livre, la démarche des auteurs et une grande partie des textes, je ne suis pas certaine de le conseiller à toute personne souhaitant aborder la Shoah avec un enfant. A mes yeux, il n’est pas adapté comme premier livre à faire découvrir sur le sujet. Il pourra éventuellement intéresser des enseignants•es et médiateurs•ices culturels qui travaillent sur le sujet afin d’élaborer un travail mémoriel à partir de photographies d’archives à destination de jeunes publics (et même adolescents).

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Ils/Elles l’ont aussi lu et chroniqué : Pas de chroniques trouvées pour le moment.

Et vous, quel livres pour la jeunesse conseillez-vous pour aborder l’histoire de la Shoah ?

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« La lumière dans les combles » de Sharon Cameron (Gallimard jeunesse, 2021)

Toujours attentive aux publications relatives à l’histoire de la Shoah, il m’a été impossible de ne pas découvrir ce roman qui retrace l’histoire de Stefania Podgórska, jeune fille polonaise durant la guerre et devenue en 1979 Juste parmi les nations (avec sa sœur Helena).

Quatrième de couverture : « J’espère bien que vous allez m’emmener à la Gestapo. Alors je pourrai leur dire ce que je vais vous dire à vous. Que vous êtes des lâches. Et des idiots. Bien sûr que je veux cacher des juifs ! Je le reconnais. C’est la vérité. Je veux les cacher et les aider jusqu’à ce que quelqu’un décide d’en finir avec cette guerre.

Stéfania a fait le choix de résister. Quitte à payer le prix fort. »

Je suis régulièrement agacée par des romans dont l’approximation ou le ton me laissent dubitative, des romans pour lesquels j’ai parfois le sentiment qu’il s’agit de démarches sensationnelles déplacées ou d’un prétexte contextuel qui s’annonce potentiellement vendeur (attention aux limites du marketing sur ce sujet, qui devient parfois franchement dérangeant, comme l’ont récemment montré – compris ? – J’ai lu). Car oui, il y a énormément de littérature sur la Seconde Guerre mondiale et la Shoah qui paraît chaque mois et, si je m’en réjouis pour son aspect sensibilisateur et mémoriel, certains titres me font sérieusement m’interroger dès leur quatrième de couverture.

Avec La lumière dans les combles j’ai eu une très bonne surprise (je n’en attendais pas moins des éditions Gallimard jeunesse qui ont généralement un juste positionnement).

Sharon Cameron s’est beaucoup documentée pour l’écriture de ce roman qui était devenu pour elle un devoir : cette histoire, elle se devait de la raconter. Marquée par l’histoire et la personnalité de Stefania Podgórska il y a plusieurs années, elle nous livre aujourd’hui ce travail littéraire de mémoire pour des lecteur•trice•s à partir de 15 ans. Je salue la présence du dossier documentaire en fin d’ouvrage (c’est toujours un plus notable pour moi) qui permet de resituer certains éléments, de positionner la part de fiction et la part d’authenticité de l’histoire, de retrouver certaines personnes dans leurs parcours personnels après la guerre.

Arrivée toute jeune en ville pour échapper à une vie à la campagne qui ne lui plaît pas, Stefania va rapidement trouver du travail dans la boutique des Diamant. Peu à peu, elle va faire partie de la famille et des liens forts, avec différents degrés de complicité, vont se nouer avec les parents et les enfants. Les échos d’une guerre atteignent la petite ville Polonaise de Przemyśl et bientôt les bombardements font trembler les murs et les esprits. L’Allemagne envahit une partie de la Pologne, l’URSS une autre : la ville est coupée en deux. Automne 1941 : avec l’opération Barbarossa, l’Allemagne trahit le pacte germano-soviétique et prend le contrôle de tout le territoire polonais.

Nous suivons cette sombre époque aux côtés de Stefania qui, après une période de déni, va réaliser la gravité des actions en cours et va s’engager pour venir en aide à la famille Diamant – qui est juive – à laquelle elle est infiniment attachée. Elle va faire des choix et, avec sa sœur Helena, va grandir au rythme de la guerre : vite. C’est un voyage au coeur de la conscience que nous propose Sharon Cameron. En plus d’un roman historique, elle nous transmet avec plusieurs personnages marquants (que je vous laisse découvrir pour ne rien dévoiler) une réflexion sur la discrimination, la douleur de ne pas avoir pu faire plus, la culpabilité face à la mort, les regrets, les remords, la poursuite désespérée d’un jour de plus à vivre, la peur, le courage, la détermination, l’espoir, l’abnégation totale afin que ce qui est juste triomphe de la barbarie. Et, bien entendu, une réflexion sur l’antisémitisme et ses pires expressions.

Globalement ce roman a été une très bonne lecture, j’ai été absorbée et émue. Il montre bien le processus génocidaire à l’encontre de la population juive polonaise ainsi que les risques encourus par Stefania et sa sœur. J’ai apprécié le temps pris pour explorer les cas de conscience, qui montre la difficulté de l’engagement et de la résistance, la force de la peur et de la répression sur les populations. Si nous suivons un personnage engagé, Sharon Cameron montre aussi la haine et l’antisémitisme au sein de la société civile polonaise ainsi que l’indifférence, le compromis qui devient compromission.

J’ai apprécié la façon dont le sujet est traité mais je crois que j’aurais été encore plus intéressée si le texte avait été composé d’une alternance de points de vues.

Je suis pénible et vais donc souligner quelques petits points discutables. Pour commencer : l’erreur de couverture concernant l’étoile jaune, qui n’était pas utilisée en Pologne (il s’agissait d’un brassard sur lequel figurait une étoile de David bleue). J’ai également tiqué devant quelques formulations que j’ai trouvées un peu maladroites et j’ai trouvé assez peu crédible la situation de fin avec des membres de l’armée soviétique (que je vous laisse découvrir) étant donné l’antisémitisme également vivace en URSS, mais peut-être s’est-il bien s’agit d’une situation réelle.

En conclusion, malgré quelques petites retenues, c’est un roman à la fois émouvant et didactique que je recommande pour un lectorat adolescent qui souhaite en savoir plus sur la Shoah en Pologne. Une belle réalisation.

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Et vous, avez-vous parfois des réserves similaires concernant des romans traitant de cette période historique ?

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❤ « Nouvelles » d’Edgar Hilsenrath (Le Tripode, 2020)

Dans ma bibliothèque dorment plusieurs romans d’Edgar Hilsenrath. Dès lors que l’on s’intéresse à la littérature de la Shoah, cet auteur s’impose à nous. Un style très particulier, grotesque et sans concession, qui s’avère parfois difficile à aborder.

Quatrième de couverture : « Ce recueil de nouvelles réunit des textes écrits par Edgar Hilsenrath sur une trentaine d’années. C’est un ensemble insolite, qui va de la farce au récit tragique, du témoignage au conte, en passant par le manifeste politique et la critique littéraire. Entre réminiscences et imaginaire, Edgar Hilsenrath raconte la Bucovine de son enfance, évoque l’écriture et la publication de ses trois romans les plus connus, invente une correspondance délirante entre un général et le coiffeur juif Itzig Finkelstein (alias le meurtrier de masse Max Schulz) – personnage principal de Le Nazi et le Barbier –, livre un éloge d’un de ses deux modèles – Erich Maria Remarque –, dénonce le néonazisme et fait une déclaration d’amour à la langue allemande.

On retrouve dans ces nouvelles d’Edgar Hilsenrath sa verve, son humour et son cynisme caractéristiques, mais on y découvre aussi un auteur plus sérieux, parfois amer, toujours engagé. Absurdes, drôles, acerbes, nostalgiques, souvent satiriques, les textes de ce recueil sont touchants de sincérité.

Où ai-je ma place ? Au fond, nulle part. Mon pays est dans ma tête. Tant qu’elle reste claire, tout va bien. (Edgar Hilsenrath) »

J’ai par le passé tenté de lire ses romans, malheureusement sans réussir à en venir à bout. Quand j’ai vu la parution de ce recueil de nouvelles je me suis dit que ce serait sûrement le meilleur moyen pour moi de vraiment réussir à rentrer dans sa littérature et, si cette théorie se confirmait, de pouvoir mieux appréhender l’intégralité de son œuvre par la suite.

Ça a été le cas.

Nombre des nouvelles de recueil sont très personnelles et m’ont permis de mieux cerner l’homme, son histoire, son engagement dans la littérature et dans la mémoire de la Shoah. J’avais besoin de réussir à décoder sa voix, ses choix, j’avais besoin qu’il m’aide à le comprendre et j’ai le sentiment de le connaître déjà beaucoup mieux.

En plus des textes personnels qui reviennent sur les différentes périodes de sa vie, toutes hantées par la Seconde Guerre mondiale qui a brisé sa jeunesse, Edgar Hilsenrath novellise plusieurs fois son personnage de nazi devenu coiffeur en Israël (narrateur du roman Le nazi et le barbier), il nous livre des fables, ses impressions sur l’écriture, son amour de la langue allemande et les difficultés rencontrées pour publier ses textes en Allemagne, sur la vie juive en Europe centrale et de l’Est, avant puis après la Shoah, sur la politique et la vie littéraire. Ce mélange autobiographique et romanesque se lit avec une facilité qui m’a énormément surprise, moi qui ai eu tant de mal à avancer dans ses romans.

Je me permettrai juste de souligner un petit manque à mes yeux : j’aurais aimé que l’année de publication de chaque nouvelle soit mentionnée, pour des questions de contextualisation.

Je me suis sentie proche d’Edgar Hilsenrath et je suis très reconnaissante que cet ensemble soit publié car il m’ouvre une nouvelle porte littéraire qui, jusqu’à présent, s’évertuait à rester fermée. Toute la bibliographie de cet auteur singulier m’attend désromais.

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Ils/Elles l’ont aussi lu et chroniqué : Pas de chronique trouvée pour le moment.


Et vous, quel est votre rapport au style littéraire de cet auteur ?

 

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« La chasse aux âmes » de Sophie Blandinières (Plon, 2020)

Les romans sur la Seconde Guerre mondiale et, plus précisément, sur l’histoire de la Shoah échappent rarement à mon attention. Celui-ci me rendait très curieuse car axé sur le sauvetage des enfants du Ghetto de Varsovie.

Quatrième de couverture : « L’Histoire bouscule les âmes, la perversité de l’occupant nazi qui veut corrompre, voir ses victimes s’autodétruire et met en place un jeu ignoble dont l’objectif est de survivre, à n’importe quel prix : vendre son âme en dénonçant les siens ou ses voisins, abandonner ses enfants affamés, ou sauver son enfant, lui apprendre à ne plus être juif, céder son âme au catholicisme pour un temps ou pour toujours en échange de sa vie.

Pour survivre, il faut sortir du ghetto. Par tous les moyens.

Trois femmes, une Polonaise, Janina, et deux juives, Bela et Chana, vont les leur donner. Elles ont organisé un réseau clandestin qui fait passer le mur aux enfants et leur donne, pour se cacher en zone aryenne, une nouvelle identité, un nouveau foyer, une nouvelle foi, polonais et catholiques. »

Je ressors de cette lecture plutôt mitigée (et bien embêtée car j’aurais vraiment aimé être convaincue par ce roman porteur de promesses mémorielles). Pourtant, l’ouverture de l’histoire avait de quoi éveiller l’intérêt : Joachim, le père du narrateur, décédé au moment du récit, a été jugé pour l’assassinat d’un homme en Pologne alors qu’il s’était installé en France et y avait fondé une famille. Pourquoi ce meurtre ? Que peut nous dire l’histoire dans la motivation de cet acte ? Le fils trouvera-t-il les réponses qu’il cherche en se rendant à Varsovie ?

Au coeur du propos, les âmes : vendues, achetées, négociées, broyées, meurtries, assassinées. Et, parfois, sauvées.

S’il permet de revenir sur l’invasion de la Pologne par l’armée Allemande, sur la mise en place des lois antisémites, l’instauration du Ghetto de Varsovie jusqu’à la mise en pratique de la « solution finale », le rythme du récit ne m’a pas convenu.

Tout se déroule très rapidement, trop rapidement. Dans une prison à ciel ouvert coupée du monde où, j’imagine, chaque seconde revêt une durée interminable, le rythme presque enfiévré de l’écriture m’a déstabilisée. J’ai eu le sentiment que l’auteure voulait nous dire beaucoup de choses – et il y a beaucoup à dire, c’est vrai – en trop peu de temps. Finalement, tout s’enchaîne à toute vitesse, avec des détails qui, à mes yeux, n’ont pas toujours servi le propos. De fait, je me suis rapidement essoufflée malgré mon attachement pour les personnages au cœur du roman et mon intérêt pour le sujet. C’est tout à fait personnel, mais sur des thématiques particulièrement sensibles je préfère la sobriété. Le sujet est tellement fort qu’il n’y a pas forcément besoin de plus.

Rapidement, des personnages enfilent les vêtements et les parcours d’hommes et de femmes qui ont réellement existé et que nous pouvons reconnaître très facilement. Je n’ai pas compris l’utilisation de noms fictifs dans ce cadre. Est-ce pour bien rappeler l’espace de la fiction ? Cela s’entend. Dans mon cas, cela m’a fait me distancier car si l’on met en avant le rôle réel de personnes qui ont pris tous les risques par humanité, parfois jusqu’à se sacrifier, j’ai besoin que leurs noms soient présents. La note en fin de roman a été bénéfique sur ce point.

En fin de compte, ce n’est pas un roman qui me restera en mémoire mais s’il peut toucher des personnes qui n’ont pas l’habitude de lire sur la Shoah, c’est un aspect positif que je ne peux négliger.

Je tiens à remercier les éditions Plon ainsi que la plateforme NetGalley de m’avoir permis d’accéder à ce roman en avant-première.

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« Juif de personne » de Michel Persitz (JC Lattès, 2019)

Il m’était impossible de passer à côté de ce livre dès que j’en ai découvert la quatrième de couverture. L’histoire familiale qui s’inscrit dans l’histoire mondiale, la recherche de l’identité, la transmission de valeurs mais aussi de douleurs, la crise de foi, tout cela est infiniment impressionnant à lire. Et ce livre parvient parfaitement à nous en parler tout en nous faisant passer par de multiples émotions.


Quatrième de couverture : « Alors qu’il est enfant, l’auteur apprend qu’il est juif et fils de déportés. Il va grandir avec Auschwitz-Birkenau dans son sac à dos. Ses parents, Alex et Leni, lui transmettront des principes ouverts et éclairés : pour tracer son propre chemin, il faut savoir d’où l’on vient. À l’aube de sa seconde vie, en plein hiver, l’auteur décide de partir seul en voyage à Auschwitz. Il a besoin de fixer la gueule de l’abîme les yeux dans les yeux.

Juif de personne est un livre enflammé, souvent drôle, souvent poignant, souvent les deux à la fois. C’est un livre d’amour filial, sur la construction d’une identité et le défi de rester libre et d’oser l’imprudence. »


L’entrée en matière est franche et directe : nous serons tutoyés et tout nous sera livré avec sincérité. A nous de nous décider : soit accepter ce qui nous sera dit, soit laisser couler. Car Michel Persitz n’est pas du genre à mâcher ses mots, pour de grands éclats de rire mais aussi pour des colères ou des moments plus sensibles. Une chose est sûre : il n’y a aucune indifférence de la part du lecteur, les mots touchent forcément l’une de nos cordes émotionnelles. Et moi, j’ai énormément accroché à l’humour incisif de l’auteur. La parole est libre, vive, presque hyperactive par moment. Les mots peuvent faire tourner la tête, alors ils font réfléchir au décantage, à la reprise du souffle.

C’est l’histoire d’un héritage, de la déportation, des camps, de l’antisémitisme poussé à son paroxisme. Mais aussi du judaïsme. Et là, la question se pose : c’est quoi, être Juif ? De quoi héritons-nous et comment souhaitons-nous le transmettre à notre tour ? Un questionnement qui demande du temps et du chemin et qui n’est pas dans l’attente de LA bonne réponse, mais d’un modèle qui convient à chacun. L’auteur nous confie aussi des souvenirs de situations où il fut le Juif dans la société, dans le regard des autres, parfois d’amis. Il démontre les ombres d’un antisémitisme ordinaire construit sur des siècles de fantasmes. Et là, l’incision est nette et précise. Elle fait du bien.

Le roman est construit en trois parties. La première revient sur le parcours personnel de l’auteur, sa construction et la réflexion qu’il porte sur son identité familiale et individuelle. La deuxième est le voyage à la fois redouté et nécessaire à Auschwitz-Birkenau. La troisième est le témoignage de déportation de ses parents. La deuxième partie est plus intime et j’ai été émue de retrouver des similitudes entre les impressions de l’auteur et les miennes sur le lieu ou à Cracovie (mais avec quelques divergences aussi, fruit de 25 ans d’écart). Comme si des émotions étaient cristalisées autour de ce lieu face auquel on ne peut anticiper nos réactions, face auquel on culpabilise profondément de ne pas réagir comme on pouvait l’imaginer. Cette culpabilité que j’ai partagée avec l’auteur. Hébétée, muette, figée. Sauf que l’émotion elle vient après, comme une grosse claque dans la tronche que tu vois pas venir.

Ce roman a plusieurs qualités, parmi lesquelles la franchise, l’appel à la vigilance, le partage, la sincérité. C’est un roman personnel à portée bien plus large. C’est un roman bienvenu, un témoignage de descendant qui fait vibrer la contemporanéité des faits. Nous sommes d’où nous venons.

Je tiens à remercier les éditions JC Lattès et NetGalley France pour m’avoir permis d’accéder à ce livre en service de presse.

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Et vous, quel livre parlant de vigilance conseilleriez-vous ?

« Mikado d’enfance » de Gilles Rozier (L’Antilope, 2019) #RL2019

Cette parution avait retenu mon attention pour deux raisons : car ce sont les éditions de l’Antilope (que je collectionne et dont j’admire le travail éditorial de Gilles Rozier) mais aussi et surtout pour le questionnement que ce livre expose : comment un garçon en arrive-t-il à être accusé d’antisémitisme ? Comment a-t-il pris ce chemin et pourquoi ? Qu’est-ce qui se trouve derrière cette accusation ? Les réponses en appellent aux souvenirs, non seulement de l’auteur mais aussi de sa famille.


Quatrième de couverture : « Cher Gilles, je viens d’apprendre qu’en 1975 vous avez dû quitter votre collège pour une affaire d’antisémitisme concernant un ‘vieux Juif’. Quelle surprise ! Jacques

Quarante ans après les faits, le narrateur revient sur un épisode de son enfance : l’exclusion de son collège pour avoir adressé, avec deux camarades, une lettre antisémite à leur professeur d’anglais. Quelques années plus tard, il deviendra spécialiste de culture juive. Que s’est-il passé entre ces deux moments de son histoire ?

Dans Mikado d’enfance, Gilles Rozier convoque les souvenirs refoulés d’un garçon aux yeux bleus en quête d’identité, soucieux de plaire et d’être aimé. Pour réparer l’enfant abîmé, il décortique malaises familiaux et conflits politiques des années 1970. »


Le petit Gilles se révèle être enfant d’ingénieur parmi une majorité d’enfants d’ouvriers alors que les tensions sociales menacent d’aller jusqu’à la rupture. Minorité aisée dans un groupe modeste. Ni particulièrement beau, ni particulièrement laid, un peu invisible surtout. Et dans ce contexte, alors que d’autres sont incroyablement solaires, l’envie d’être aimé et intégré prend des proportions que les nombreux enfants que nous étions peuvent comprendre. Et c’est ce besoin de plaire qui va conduire à l’envoi d’une lettre antisémite à l’un des enseignants. Une adresse, un service rendu, le sentiment d’entrer dans le groupe et de ne plus être le fils de l’ingénieur qui dirige les parents des autres élèves de sa classe. Un égal, cherchant la chaleur de quelques rayons de soleil.

Plusieurs dizaines d’années plus tard, presque dans une autre vie, cet évènement refait surface contre toute attente. Un fait difficile et encore emprunt de honte raconté sur le ton de l’anecdote et qui va le pousser à remonter le temps. Secret dévoilé, bulle percée. Que s’est-il vraiment passé ? Quelle responsabilité a-t-il eu dans les faits ? Jusqu’où allait la complicité ? Et si… Et si le contenu de la lettre n’avait pas été connu ? Ni compris du petit Gilles ? Et s’il s’agissait de l’expression du besoin de parole au sein de sa propre famille ? Et s’il avait enfin besoin d’entendre davantage l’histoire de sa famille, son histoire ? Incompréhension des proches. Honte. Isolement.

Parmi les mikados étalés dans sa mémoire, Gilles Rozier se questionne, cherche une ouverture, en saisi un et fait bouger les autres, fait avancer sa réflexion tour après tour. C’est le lui d’aujourd’hui face au lui d’hier, deux regards qui vont tenter de se retrouver. Un roman qui interroge aussi, plus largement, les actes antisémites parmi les plus jeunes et leurs motivations. Car s’il y a des convaincus il y a aussi des jeunes influençables, des jeunes qui ignorent et d’autres qui sont à la recherche de provocations de bas niveau. Alors, il faut savoir parler.

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Et vous, êtes-vous aussi sensibles aux éditions de l’Antilope ?

« Un monstre et un chaos » de Hubert Haddad (Zulma, 2019) #RL2019

Décidément, cette rentrée était pleine d’attentes et de nouveautés de grands auteurs contemporains. Hubert Haddad était en excellente place dans ma liste à lire absolument cette fin d’été. Chaque nouveau roman de cet auteur est un évènement et, heureusement pour nous, son imaginaire et sa langue poétique puisent à une source intarissable.


Quatrième de couverture : « Lodz, 1941. Chaïm Rumkowski prétend sauver son peuple en transformant le ghetto en un vaste atelier industriel au service du Reich. Mais dans les caves, les greniers, éclosent imprimeries et radios clandestines, les enfants soustraits aux convois de la mort se dérobent derrière les doubles cloisons… Et parmi eux Alter, un gamin de douze ans, qui dans sa quête obstinée pour la vie refuse de porter l’étoile. Avec la vivacité d’un chat, il se faufile dans les moindres recoins du ghetto, jusqu’aux coulisses du théâtre de marionnettes où l’on continue à chanter en sourdine, à jouer la comédie, à conter mille histoires d’évasion.

Hubert Haddad fait resurgir tout un monde sacrifié, où la vie tragique du ghetto vibre des refrains yiddish. Comme un chant de résistance éperdu. Et c’est un prodige. »


Dense, difficile et complexe, je crois que ce sont les premiers mots qui me sont venus à l’esprit en refermant ce roman. Puis, plus lumineux, est arrivé l’adjectif humain. Immensément humain dans la douleur mais aussi dans la force de vie, dans la résistance à pas défiants de chat. J’ai particulièrement aimé l’utilisation du yiddish, langue assassinée temporairement ressuscitée, qui se comprend parfois rien qu’à sa musique. Qui n’entend pas la tendresse dans un mot comme kendele ? Petit nom pour un enfant rapide comme un ketsele*.

Mais c’est une histoire éprouvante que Hubert Haddad nous propose, celle de la déferlante nazie sur l’Europe de l’Est, de la destruction des shtetl, des massacres, des viols, des déplacements forcés des populations vers des cerceuils à ciel ouvert. Ce ciel immense dans lequel passent les oiseaux chantants, sous lequel l’humanité est niée, et duquel les survivants seront déportés vers d’autres chaos encore.

Dès le début du récit Alter, jeune garçon de 9 ans, va être confronté à la monstruosité de l’homme assoiffé de sang, affamé de haine. Lui, né avec son frère en miroir, est coupé en deux. Lui dont le nom n’était pas un présage victorieux est le seul à pouvoir continuer la lutte pour la survie. Le monde de la nuit et du silence des aïeux va l’accueillir, au risque de le voir s’y perdre. L’art et l’imaginaire seront sa réponse à la violence du monde et à la brutalité de ses souvenirs. Donner la vie.

Hubert Haddad égrenne le temps, ce temps interminable subit par les hommes, femmes et enfants enfermés dans le ghetto. Ce temps insupportable qui va de paire avec le froid, la faim, la soif et la perte de l’espoir. Mais chaque soir, grâce aux pouvoirs des artistes, la vie culturelle renaît de ses cendres et apporte émotions et espoirs au public exténué par la déshumanisation. Une déshumanisation sur laquelle le roi Chaïm (Rumkowski) portera un regard particulièrement ambivalent, une sensibilité hypocrite, davantage porté sur son orgueil et sa recherche de pouvoir que vers une compassion combattante. Et cet aspect culturel est essentiel : il y a eu de la création dans les ghettos et dans les camps, faite malgré les conditions, malgré les risques et en résistance à la réalité crue, même si elle ne va pas souvent de paire avec la survie.

Un immense hommage aux patrimoines disparus, aux cultures traumatisées, aux innocences dévastées, aux enfances volées et à « ceux que la terre recouvre, les hommes et les femmes partis sans comprendre avec leurs valises vides ». Une lueur plus grande que la nuit qui appelle à la viligance encore aujourd’hui.

*Si je ne me trompe pas, il s’agit du surnom donné par un père à son fils dans « Un petit nuage : Pologne 1942 » de Patrick Tillard et Barroux (Kilowatt, 2010)

Mille mercis aux éditions Zulma pour avoir eu la gentillesse de m’envoyer ce roman en avant-première et mille mercis à Hubert Haddad pour sa dédicace qui m’a beaucoup touchée.

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Et vous, de quoi était composée votre liste de livres à lire à tout prix en cette rentrée ?

« Le temps des orphelins » de Laurent Sagalovitsch (Buchet-Chastel, 2019) #RL2019

J’ai lu ce roman juste après avoir fini La terre invisible d’Hubert Mingarelli et, depuis, je les lie comme les deux faces d’une même pièce. La libération des camps est abordée de deux façons très différentes par ces deux auteurs mais ils expriment un questionnement similaire : Comment cela a-t-il été possible ? Comment a-t-on pu laisser faire ? À ces questionnements toujours d’actualité face aux génocides et aux crimes contre l’humanité qui n’ont pas cessé, un autre est porté plus particulièrement par Laurent Sagalovitsch : quelle place pour la foi alors que Dieu semble avoir abandonné ses enfants ? Car si un orphelin est bien au cœur de ce roman, les victimes du processus génocidaire ne sont-elles pas toutes orphelines de Lui ?


Quatrième de couverture : « Avril 1945. Daniel, jeune rabbin venu d’Amérique, s’est engagé auprès des troupes alliées pour libérer l’Europe. En Allemagne, il est l’un des premiers à entrer dans les camps d’Ohrdruf et de Buchenwald et à y découvrir l’horreur absolue. Sa descente aux enfers aurait été sans retour s’il n’avait croisé le regard de cet enfant de quatre ou cinq ans, qui attend, dans un silence obstiné, celui qui l’aidera à retrouver ses parents.

Quand un homme de foi, confronté au vertige du silence de Dieu, est ramené parmi les vivants par un petit être aux yeux trop grands.

Lorsque, des années plus tard, ils se souviendraient de cette guerre, ce ne serait ni les plages ensanglantées de Normandie, ni la lente et interminable avancée dans les Ardennes, ni la libération de Paris auxquels ils songeraient mais à ce camp, à cette matinée d’avril où leurs vies avaient basculé. 


Je ne connaissais pas cet auteur et la rentrée littéraire d’automne m’a permis de faire une belle rencontre. Une rencontre puissante par les mots et par le sujet, une rencontre qui pose la question existentielle de la foi à l’épreuve de la Shoah.

Laurent Sagalovitsch va dire et décrire les camps d’Ohrdruf et de Buchenwald sur la base d’une solide documentation et chaque fait devient un peu plus insupportable. Je parlais de deux faces d’une même pièce en introduction et je le précise en disant que là où Hubert Mingarelli laisse le silence pour dire beaucoup, Laurent Sagalovitsch va dire pour montrer la limite du dicible et le fait que les mots ne seront jamais assez nombreux pour traduire la réalité pleine et entière.

Ce qui va maintenir Daniel debout ce sera un enfant sans nom et au regard immense. Le protéger, le prendre en charge et rechercher ses parents, voilà la mission du jeune rabbin. Recréer de l’espoir là où il s’agit d’un luxe pour survivre encore une nuit ou une heure. Cet enfant qui rappelle que la cruauté idéologisée ne connait pas de limites.

Ce roman est émotionnellement très exigeant. J’avoue avoir fait un certain nombre de pauses au cours de la lecture. Il est terrible, non seulement car il ne peut pas ne pas l’être, mais également car il donne à lire de temps en temps les lettres de la femme de Daniel, restée aux États-Unis, et qui ne peut pas entièrement comprendre ce que son mari a vu et vécu. Daniel a laissé dans ces camps et dans leur région une part de lui : de ce qu’il est en tant qu’homme, en tant qu’époux et père, en tant que rabbin. Ce moment devient une rupture, une déchirure à différents niveaux.

Merci aux éditions Buchet-Chastel et à Netgalley France pour cette découverte et cette lecture marquante.

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Ils/Elles l’ont aussi lu et chroniqué : Alex mot-à-mots


 

Et vous, connaissiez-vous cet auteur et lequel de ses romans conseilleriez-vous ?

❤ « Le rapport de Brodeck » de Philippe Claudel (Stock, 2007 / Le Livre de Poche, 2009)

J’ignore depuis combien de temps je m’étais promis de lire ce livre cultissime de Philippe Claudel. Mais ce que je sais, c’est que j’ai bien trop attendu. Ce livre, il faut le lire dès qu’on en a l’occasion, car une fois refermé, on se demande comment on a pu passer à côté. Un énorme coup de cœur !


Quatrième de couverture : « Je m’appelle Brodeck et je n’y suis pour rien. Je tiens à le dire. Il faut que tout le monde le sache. Moi je n’ai rien fait, et lorsque j’ai su ce qui venait de se passer, j’aurais aimé ne jamais en parler, ligoter ma mémoire, la tenir bien serrée dans ses liens de façon à ce qu’elle demeure tranquille comme une fouine dans une nasse de fer. Mais les autres m’ont forcé : Toi, tu sais écrire, m’ont-ils dit, tu as fait des études. J’ai répondu que c’étaient de toutes petites études, des études même pas terminées d’ailleurs, et qui ne m’ont pas laissé un grand souvenir. Ils n’ont rien voulu savoir : Tu sais écrire, tu sais les mots, et comment on les utilise, et comment aussi ils peuvent dire les choses […]. »


Brodeck va chercher du beurre au village. Tout va alors basculer. L’Anderer vient d’être assassiné et les hommes présents sur le lieu du crime vont lui demander (sans laisser le choix de la réponse) d’écrire un rapport expliquant l’acte final.

La tension s’installe dès les premières pages et c’est un survivant que nous découvrons à travers les lignes que Brodeck rédige comme une urgence. Une urgence qui prend parfois son temps, qui se perd dans des descriptions de la nature et de son pays d’adoption, mais une urgence quand même de dire les choses. Celles du présent et celles du passé, car il montre parfaitement comment les deux peuvent se lier.

L’Anderer lui, c’est l’autre, l’étranger. Arrivé un jour au village, installé à l’auberge où il sera assassiné, c’est un personnage trop original pour passer inaperçu et trop singulier pour ne pas éveiller les soupçons. Mais soupçonner de quoi ? Alors la guerre qui appartient au passé s’invite à nouveau dans le présent. Un personnage magnifique de subtilité et de douceur, presque insaisissable et qui dérange par sa différence.

Menacé, pressé par les hommes du village, Brodeck va avancer dans la rédaction de son rapport. Mais ce que les villageois ignorent, c’est que deux rapports sont en cours de rédaction : l’officiel qui sera donné au maire, l’officieux qui est plus personnel et va plus loin dans les révélations. L’officieux, c’est celui que nous avons entre les mains, faisant de nous les dépositaires d’un récit précieux.

Brodeck va y transcrire les relations entre les hommes, les travers, les lâchetés et les courages, parfois – trop rarement. Il va également revenir sur la guerre, sa déportation et l’épreuve des camps. Il va revenir dessus car cette période dit des choses des hommes du village, de l’homme qu’il est lui-même re(de)venu et de sa femme. Cette femme qui m’a émue aux larmes même si elle ne dit rien et ne fait que murmurer une chanson, encore et encore. Les personnages proches de Brodeck sont beaux, heureusement. Ils sont la lumière dans la noirceur du village.

Fermer les yeux et faire comme si rien ne s’était jamais passé ne fait pas disparaître les fautes. Philippe Claudel le prouve de façon impressionnante. Comme dans d’autres romans, Philippe Claudel ne date pas et ne localise pas avec précision les événements. Il donne des pistes, laisse des indices et fait écho à l’histoire sans cloisonner le récit pour lui donner une dimension plus large. Si je peux donner un conseil à celles et ceux qui ne l’ont pas encore lu, allez-y sans hésiter, ce livre est un mélange de philosophie, de témoignage fictif mais malgré tout très réel et d’humanisme.

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Ils/Elles l’ont aussi lu et chroniqué : La Bulle de RealitaLes lectures de LéonPresse-KiwiHannibal le lecteur • Un bouquin dans la poche


 

Et vous, quel est votre livre préféré de Philippe Claudel ?

👁 « Un petit nuage : Pologne 1942 » de Patrick Tillard et Barroux (Kilowatt, 2010)

Ce livre a été une grosse claque. Il m’a complètement retournée. C’est le premier livre auquel a participé Barroux que j’ai découvert il y a un peu plus d’un an. Un livre adressé à la jeunesse qui m’a largement faite chougner, du haut de mes 28 ans. *Robustesse*


Quatrième de couverture : « Pologne 1942, Yoël et son père sont pris dans une rafle. Pourtant, à travers des mots et des regards, leur amour réciproque sera plus fort que la fin tragique qui les attend. Un jour ailleurs, une histoire à lire et des pages Rerères pour mieux comprendre un moment marquant de l’Histoire du XXe siècle. »


Les auteurs nous confrontent aux assassinats de masse commis en Europe de l’Est durant la Seconde Guerre mondiale. Ces massacres qui seront plus tard appelés Shoah par balles.

Un sujet difficile à aborder avec des enfants, mais après tout, comme dit Jean-Claude Grumberg : On peut tout dire à un enfant mais il faut lui laisser le goût de vivre. D’accord. Alors on y va.

Le chemin que nous allons parcourir avec Yoël et son père va de leur arrestation à leur assassinat, au bord d’une fosse commune. Mais dans cette marche terrifiante le père de Yoël va apporter toute l’humanité qu’il pourra, en appelant aux nuages qui les accueilleront et dans lesquels ils se retrouveront vite, à un corps qui protège autant qu’il le peut, qui rassure et étreint.

J’ai été vraiment bouleversée par ce livre *c’est rien de le dire* mais je garde malgré tout une réserve. J’ai le sentiment que le texte et la trame de l’histoire sont décalés par rapport aux illustrations : les premiers sont plus pour des grands, les secondes recouvrent une forme qui attirera davantage les plus jeunes. Mais j’ai bien envie d’être contredite car c’est un livre qui a un gros potentiel de sensibilisation à l’histoire.

 

Et vous, est-ce un livre que vous avez lu ?

« Le requiem de Terezin » de Josef Bor (Le Sonneur, 2019)

Cette réédition était l’une des parutions de janvier que j’attendais le plus. Elle vient à la fois marquer le quarantième anniversaire du décès de son auteur mais aussi souligner sa place dans le catalogue des Éditions du Sonneur, comme livre fondateur de la maison (édité pour la première fois en 2007).


Quatrième de couverture : « Schächter se souvint de l’instant précis qui l’avait amené à commencer l’étude de cette œuvre. Prouver l’imposture, l’aberration des notions de sang pur ou impur, de race supérieure ou inférieure, démontrer cela précisément dans un camp juif par le moyen de la musique.

Au cœur de la ville tchèque de Terezin, transformée par les nazis en ghetto et en camp de concentration, le chef d’orchestre et pianiste Raphaël Schächter ose un pari fou : faire jouer le Requiem de Verdi par les détenus. Pour lui comme pour ses compagnons, il s’agit de prouver aux Allemands que des Juifs sont capables de donner de cette messe catholique une interprétation sans pareille. Mais où trouver les instruments quand on manque de tout ? Et comment composer un chœur de plus de cent chanteurs en dépit des convois et des exécutions ?

Le Requiem de Terezin est le récit de ce combat remarquable et vrai, de ces longs mois d’efforts et de répétitions, véritable acte de résistance à la barbarie. »


Ce que je retiens dans un premier temps de ce récit c’est le rythme qui fait appel à la musicalité. Nous sommes confrontés à des événements qui montrent la détermination, l’effusion d’émotions positives, puis le drame, la difficulté, laissant place à la stupeur avant de repartir avec détermination. Tout se compose autour de la représentation du requiem de Verdi, donc tout se compose de musique. Nous avons le sentiment de nous représenter deux requiems à la fois : celui de Verdi (pour lequel des libertés ont été prises, prévient l’éditeur, personnellement je n’ai rien remarqué tellement je suis une bille) et celui de Terezin.

Car ce qui frappe c’est la force mise par chacun dans ce requiem, qui devient une motivation pour tenir, pour montrer aux bourreaux qu’ils peuvent faire du beau et du beau qui, sur le papier idéologique nazi, n’est pas de leur catégorie de sous-hommes. Mener à bien ce projet et réussir une représentation ce serait un pied-de-nez qui leur redonnerait l’honneur et la dignité perdus dans ce camp modèle voulu par l’occupant.

C’est dans ce contexte que Raphaël Schächter va tout faire pour que le requiem soit joué, certes, mais parfaitement bien. Nous le suivons en nous demandant parfois s’il ne va pas y laisser sa santé (mais quoi qu’il en soit Terezin finirait par la lui prendre) et nous commençons peu à peu à y croire avec lui. Si les trains n’étaient pas si nombreux, si les convois n’étaient pas si fréquents.

Ce livre nous propose un combat de tous les instants, une lutte acharnée pour obtenir un peu de liberté par l’art et ses bienfaits, pour s’accrocher chaque jour un peu plus, pour une dignité arrachée et piétinée. Terezin a été l’un des camps dans lequel la création musicale fut notable, mais elle fut aussi bien vecteur de résistance personnelle que destructrice à son tour. Quand le loup a faim, il trouve toujours une raison de croquer.

Une lecture très intéressante par sa mise en perspective historique, par la passion exprimée au fil des pages et par l’humanité qui se dégage de l’ensemble dirigé par Raphaël Schächter, accompagné de Josef Bor dans les coulisses.

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Ils/Elles l’ont aussi lu et chroniqué : Et si on bouquinait un peu ?


 

Et vous, quel récit historique vous a marqué en ce début d’année ?

« La plus précieuse des marchandises » de Jean-Claude Grumberg (Seuil, 2019)

J’avais infiniment hâte de découvrir ce livre ! Un récit écrit sur la Shoah avec un angle d’approche très particulier, rédigé sur le modèle littéraire du conte, de quoi fortement éveiller ma curiosité ! Un texte qui se présente comme de la fiction mais qui porte en lui des blessures bien réelles.


Quatrième de couverture : « Il était une fois, dans un grand bois, une pauvre bûcheronne et un pauvre bûcheron. Non non non non, rassurez-vous, ce n’est pas Le Petit Poucet ! Pas du tout. Moi-même, tout comme vous, je déteste cette histoire ridicule. Où et quand a-t-on vu des parents abandonner leurs enfants faute de pouvoir les nourrir ? Allons…

Dans ce grand bois donc, régnaient grande faim et grand froid. Surtout en hiver. En été une chaleur accablante s’abattait sur ce bois et chassait le grand froid. La faim, elle, par contre, était constante, surtout en ces temps où sévissait, autour de ce bois, la guerre mondiale.

La guerre mondiale, oui oui oui oui oui. »


Ce conte se passe dans un pays qui n’est pas nommé mais où pauvre bûcheronne et pauvre bûcheron vivent, reculés dans la campagne, non loin d’un nouveau chemin de fer sur lequel des trains passent en laissant tomber de précieux morceaux de papier griffonnés. Ces papiers, pauvre bûcheronne les conserve bien que ne sachant pas lire. Ce sont des dons des dieux du train.

Un jour, le train lui dépose un enfant, elle qui rêve d’être mère par-dessus tout. Ce qu’elle ignore, c’est que cet enfant se retrouve entre ses bras fébriles car un homme a dû faire le choix de l’enlever du sein de sa mère pour soit lui offrir une chance de survie, soit donner celle-ci à son jumeau resté dans le wagon. D’un bonheur plein et naïf pour pauvre bûcheronne, le miroir est un malheur sans nom, la déchirure dans la chair et l’âme pour l’homme dans le wagon et sa femme.

L’enfant, petit paquet, est une fille, petite marchandise. Le conte se concentre à montrer les discriminations et le cœur noir des hommes face à l’enfant juste née. Un ennemi ? Sur quels critères et par quels principes monstrueux ? Si certains cœurs finissent pas comprendre et voir au-delà du venin de la propagande, tous ne peuvent s’en vanter. Pauvre bûcheronne, elle, connait sa mission : tout faire pour sauver l’enfant. Mais, la famille de la petite reviendra-t-elle un jour ? Le miroir reflète aussi le côté sombre du conte.

La conclusion nous laisse pensifs et nous confronte tantôt à la négation tantôt à la réalité. En cette époque où le complot et le révisionnisme font rage, à nous de savoir regarder et juger l’information. Il aurait mieux valu que ce soit inventé, cependant la réalité dépasse parfois les horreurs permises par la fiction. Les traces et les preuves sont là pour ne pas déformer ni oublier.

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Et vous, quel livre de Jean-Claude Grumberg conseilleriez-vous ?

❤ « Le journal d’Anne Frank » d’Ari Folman et David Polonsky (Calmann-Lévy, 2017)

Cela faisait un bon moment que je souhaitais découvrir ce roman graphique. L’occasion de me lancer m’a été donnée récemment et j’ai vraiment passé un excellent moment ! Ce livre mérite sans aucun doute les éloges qui lui ont été faits !


Quatrième de couverture  : « Ari Folman et David Polonsky, scénariste et illustrateur de Valse avec Bachir, ont réalisé cette adaptation en roman graphique du Journal d’Anne Frank.

Anne Frank est née le 12 juin 1929 à Francfort. Sa famille a émigré aux Pays-Bas en 1933. À Amsterdam, elle connaît une enfance heureuse jusqu’en 1942, malgré la guerre. Le 6 juillet 1942, les Frank s’installent clandestinement dans l’Annexe de l’immeuble du 263, Prinsengracht, où Anne écrit son journal. Le 4 août 1944, la famille est arrêtée vraisemblablement sur dénonciation. Déportée à Auschwitz, puis à Bergen-Belsen, Anne meurt du typhus en février ou mars 1945, peu après sa soeur Margot. »


Ari Folman explique que ce projet est né de la demande de la Fondation Anne Frank et qu’il a longtemps hésité à le réaliser. Le journal a tellement été adapté, Anne Frank est un tel symbole des victimes de la Shoah, notamment des enfants, que cette réflexion ne donne que plus de force à la démarche des auteurs : il y a un réel sérieux dans cette adaptation et du sens.

J’ai lu au collège ce journal et je dois avouer que je n’avais plus en mémoire les contenus en détail quand j’ai commencé à lire le roman graphique. Je pense que ça a été bénéfique car j’ai pu redécouvrir les mots de la jeune fille et sa façon de dire les choses. Nous suivons la famille Frank, en grande partie dans leur cachette avec notamment la famille van Daan, jusqu’à leur arrestation.

Le texte est respecté dans son contenu, les libertés prises concernent les dessins qui cependant traduisent bien le ton de la jeune fille. L’intégralité du texte n’a pas été adapté, seulement une partie représentative de l’ensemble et cela fonctionne magnifiquement bien. Nous sentons la difficulté de vivre enfermé, avec notamment l’obsession de la nourriture, mais la force du journal d’Anne Frank réside aussi dans sa personnalité. C’est une jeune fille qui se découvre et qui écrit avec une grande maturité. Elle a un caractère malicieux, moqueur, passionné et indépendant, elle ne se laisse pas faire et elle n’hésite pas à croquer les autres autant qu’elle entretien un regard critique sur elle-même. C’est un texte immensément sensible et cette réalisation graphique lui fait honneur. J’ai ri autant que j’ai été émue. Indéniablement, c’est un livre à mettre entre toutes les mains.

Que dire de plus si ce n’est avoir une pensée pour Miep Gies, une jeune femme qui a aidé la famille losquelle était dans l’Annexe et la personne qui a retrouvé le carnet après l’arrestation de ses habitants secrets. Aujourd’hui, les mots d’Anne Frank sont traduits dans plus de soixante-dix langues à travers le monde, elle est devenue un symbole mondial contre la barbarie.

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Et vous, une adaptation en particulier vous a-t-elle marqué ?

« Nous n’irons pas voir Auschwitz » de Jérémie Dres (Cambourakis, 2011)

Je suis tombée sur ce roman graphique par hasard mais autant dire que sa quatrième de couverture a tout de suite fait mouche ! Et que dire de cette préface de Jean-Yves Potel, correspondant du Mémorial de la Shoah en Pologne, si ce n’est qu’elle a clairement donné le ton de cette oeuvre d’entrée de jeu : entre la réalité de la Shoah en Pologne et les nouvelles générations qui reviennent interroger les vides familiaux, engageant le dialogue et faisant tomber autant que possible les stéréotypes qui collent à la peau de ce pays.


Quatrième de couverture : « Nous n’irons pas voir Auschwitz est le premier roman graphique de Jérémie Dres. À la recherche de leurs origines, l’auteur et son frère partent en Pologne sur les traces de leur grand-mère décédée. Cette quête familiale leur permettra de rencontrer la communauté juive polonaise d’aujourd’hui et de mesurer son renouveau. A travers une multitude de rencontres, avec la jeune génération d’artistes polonais à Varsovie, avec un rabbin progressiste américain ou encore avec l’historien Jean-Yves Potel, c’est une image moderne et contrastée de la nouvelle communauté juive de Pologne qui émerge de ce récit intimiste.

Au-delà d’un simple travail de mémoire, ce que les deux frères vont découvrir va profondément enrichir leur identité, faire la lumière sur les relations judéo-polonaises et interroger les préjugés, notamment d’antisémitisme, qui ont pu leur être transmis durant leur enfance. De Paris à Varsovie, entre recherche identitaire et enquête documentaire, Jérémie Dres dresse avec un ton plein de justesse et de drôlerie un portrait de la communauté juive de Pologne. Par son aspect documentaire, ce roman graphique original aborde avec une perspective inédite, toute en finesse, des problématiques peu traitées par la bande dessinée contemporaine : le rapport à l’avenir de la communauté juive de Pologne, à travers ses aspirations et ses contradictions. »


Quelle est la vie juive aujourd’hui en Pologne ? Que reste-t-il de traces du passé familial ? Telles sont des questions auxquelles Jérémie Dres veut obtenir des réponses. Surtout depuis le décès de sa grand-mère dont il était extrêmement proche. Elle, dont une partie du passé avait été abandonné là-bas, dans ce pays où il semblerait qu’il faille se méfier de tout le monde.

Jérémie a organisé un voyage en Pologne, auquel il a pu convier son frère, Martin. Tous les deux, et chacun à sa façon, vont faire leur chemin de deuil et marcher dans les pas d’une famille disparue. Vont aussi découvrir une part d’eux dans ce judaïsme qu’ils ne pratiquent pas mais qui les intègre à une communauté vivante en Pologne.

Car le judaïsme a de nouveau – et enfin – sa place et les personnes qui le souhaitent peuvent le faire vivre. La Pologne n’est pas en avance sur les questions de documentation et d’historisation de la Shoah, mais elle avance et c’est important à souligner. Après avoir été longtemps coincée dans un communisme austère et rigide la marche de l’histoire elle aussi reprend, à son rythme.

Au cours de ce voyage, les deux frères vont rencontrer beaucoup de personnes impliquées de différentes façons dans la vie juive polonaise : journalistique, politique, cultuelle, culturelle, mémorielle, historique, etc. Ce sont alors différents témoignages qui s’offrent à nous. Mais l’optimisme concerne surtout la vie citadine. Pour le rural, la méfiance est beaucoup plus de mise et un passage du récit est presque effrayant de lourdeur : le sentiment de ne pas être à sa place, dans un cimetière juif, recherchant des noms de la famille sur des stèles non entretenues, dispersées, abîmées.

Une très agréable découverte, très dense, qui demandera sûrement une relecture dans quelques mois. Un voyage familial auquel le lecteur se sent complètement convié. Une enquête qui se confronte à l’histoire ainsi qu’à l’actualité d’un pays qui donne parfois l’impression d’osciller entre intégration et déni. Ce livre ne donne pas toutes les réponses aux questions que le lecteur se posera, mais offre cependant beaucoup de pistes de réflexion. Me rendant prochainement en Pologne, je ne manquerai pas de me (re)poser mes propres questions.

Je profite de cet article pour souligner la sortie du troisième roman graphique de Jérémie Dres : Si je t’oublie, Alexandrie le 12 septembre 2018, aux éditions Steinkis.

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Ils/Elles l’ont aussi lu et chroniqué : Gwennhalu


 

Et vous, est-ce un livre sur lequel vous vous seriez arrêté(e)s ?

« Vent printanier » de Hubbert Haddad (Zulma, 2010)

Cela faisait un moment que je souhaitais retenter l’expérience avec Hubert Haddad, secouée que j’avais été par la lecture de La Cène. L’avantage c’est qu’il s’agit d’un auteur très prolifique. J’ai cependant opté pour un sujet proche de mes lectures habituelles pour renouer le contact littéraire.


Quatrième de couverture : « Un jour de printemps, Michaï, vieux musicien ambulant rescapé des camps, se retrouve devant la gare de Bobigny. Un campement de Tziganes vient d’en être expulsé pour les commémorations de la déportation. Le vieil homme y rencontre un petit garçon en quête des siens, Nicolaï…

C’est du point de vue de l’enfance que les nouvelles de Vent printanier (nom de code de la rafle du Vel’ d’hiv’) évoquent l’épouvantable connivence de Vichy avec la « solution finale ».

De retour sur les lieux de l’impensable, Hubert Haddad écrit ces histoires vraies de tout leur poids d’imaginaire, vraies des milliers de fois hier à Drancy ou ailleurs, et aujourd’hui comme en filigrane dans les regards effrayés des exclus sur un monde en lente perte d’humanité. »


Les quatre nouvelles qui constituent ce petit livre sont en lien avec la rafle des 16 et 17 juillet 1942, acte collaborationniste s’il en est de la part de la France dans la déportation des Juifs. Nous suivons différents personnages marqués dans leur chair par les camps, par Pitchipoï. Des relations sont parfois faites avec les réfugiés et les communautés encore stigmatisées de nos jours et si c’est évident à la lecture c’est aussi d’une intelligence essentielle qui remplace les idées parfois courtes actuelles.

Nous voyageons dans les mémoires, car c’est de cela qu’il s’agit pour et par les survivants, qui ont souvent vécu l’horreur étant enfants. Nous les accompagnons dans leurs pèlerinages, dans leurs recherches de visages parentaux, dans les morceaux de passé qui leur échappent encore, interminablement.

Ce livre en lui-même est un objet de mémoire qui permet à chacun d’entre nous de nous souvenir, de la déportation bien sûr, mais également de la responsabilité de la France alors que certains veulent s’y soustraire. Oui, Vichy était la France et la France, connue comme le pays de la Déclaration des droits de l’homme, a envoyé ses enfants dans la gueule de la mort.

« Toutes les fleurs des jardins ne sauraient cacher les charniers de la mémoire. »

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Et vous, avez-vous un livre de Hubert Haddad à conseiller ?