❤ « Sourvilo » d’Olga Lavrentieva (Actes Sud BD, 2020)

Traduit du russe par Polina Petrouchina

Après avoir découvert avec forte émotion Requiem d’Anna Akhmatova, ce roman roman graphique se positionne un peu comme un écho au recueil de poésie. Nous sommes plongés dans la terreur stalinienne, confrontés aux arrestations arbitraires, aux disparitions et aux familles, celles et ceux qui restent et son laissé·e·s dans l’ignorance.

Quatrième de couverture : « En Russie, les grand-mères sont la mémoire vivante de l’histoire tragique de leur pays. Svetlana Alexievitch raconte d’ailleurs qu’enfant, sa grand-mère lui avait appris à écouter ce qu’on avait pas le droit de dire.

Valentina Sourvilo, 94 ans, se raconte à sa petite fille : une enfance heureuse à Leningrad, brutalement interrompue par l’arrestation de son père, en 1937. Puis viennent l’assignation à résidence à la campagne, la mort de sa mère, et le retour dans sa ville natale, qui va être assiégée pendant plus de deux ans. C’est le tristement célèbre Siège de Leningrad. La faim, le froid, la peur, les bombardements et les fusillades, la trahison des amis mais, aussi, parfois, la surprise d’une main tendue… À travers le témoignage exceptionnel de sa grand-mère Valentina, c’est le destin de tout un pays que nous raconte Olga Lavrentieva, qui, grâce à une maîtrise stupéfiante, donne ses lettres de noblesse au roman graphique russe. »

C’est en donnant la parole à sa grand-mère qu’Olga Lavrentieva dévoile tout une partie de l’histoire russe. Un partie des victimes de la Grande Terreur instaurée par Staline concernera des personnes d’origine polonaise. Ce sera le cas du père de Valentina Sourvilo. Arrêté sur de fausses accusations, la famille est expulsée de son logement et est envoyée dans une région éloignée de Leningrad.

De cet évènement à l’époque contemporaine, Valentina esquisse presque un siècle d’histoire russe en montrant l’injustice d’un système qui l’a malmenée de longues années. Elle dit aussi cette peur qui s’est inscrite en elle et qui ne l’a jamais quittée. Une peur née de l’arrestation de son père, de la perte de sa mère, de la guerre et du siège de Leningrad, des malheurs qui l’ont longuement accablée.

Je me suis laissée entraîner dans les soubresauts de cette histoire dans l’histoire, séduite par un scénario efficace et un témoignage profondément touchant. Un livre qui peut être lu en regard de la poésie d’Anna Akmatova, qui dit l’attente, le silence, le coeur qui meurt de chagrin, la douleur du temps qui passe sans nouvelles des proches, l’entière incertitude des lendemains. En complément de ces deux ouvrages, je me suis offert Envers et contre tout d’Euphrosinia Kersnovskaïa.

Ce livre est le premier d’Olga Lavrentieva qui soit traduit en français et j’ai hâte de pouvoir découvrir d’autres des œuvres.

Cette lecture a été faite dans le cadre du challenge #autricesdumonde de janvier, organisé par Claire de Des pages et des lettres.

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Et vous, appréciez-vous l’histoire dessinée ?

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👁 « Anna Politkovskaïa. Journaliste dissidente » de Francesco Matteuzzi et Elisabetta Benfatto (Steinkis, 2016)

Traduit de l’italien par Marie Giudicelli.

Le 7 octobre 2006, en fin d’après-midi, Anna Politkovskaïa est froidement assassinée dans la cage d’escalier de son immeuble. Après des années de menaces répétées, l’exécution a eu lieu. Depuis, aucun coupable n’a été désigné. Ce qui est sûr, c’est qu’Anna Politkovskaïa gênait les plus hautes instances, celles-là mêmes qui ne craignent rien… sauf les journalistes et écrivain·e·s.

Présentation de la maison d’édition : « Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus que de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie.

Cette phrase d’Albert Londres était pour Anna Politkovskaïa une ligne de conduite.

Née à New-York, enfant privilégiée de la Nomenklatura, la jeune Anna choisit le journalisme. L’année 1999 marque un tournant. Elle couvre le conflit en Tchétchénie pour Novaïa Gazetta et met, dès lors, le pied dans un engrenage qui va conduire à son assassinat sept ans plus tard.

C’est en Tchétchénie que débute le récit de ce roman graphique, hommage à une journaliste courageuse et à une femme déterminée qui fut et reste la voix de la Russie qui résiste. »

Les faits que met régulièrement au jour Anna Politkovskaïa sont sidérants, à peine croyables et égratignent directement Vladimir Poutine et les gouvernements. Pour eux, cela ne peut pas durer. Parmi les journalistes il y a les bons, ceux qui veulent du bien à leur pays et ne cherchent pas à le décrédibiliser, et il y a les mauvais, ceux qui s’en prennent à lui et le critiquent. Les mauvais, il faut les faire taire : de l’intimidation à l’assassinat, il y a à la fois le choix des armes et l’impunité des commanditaires.

Pour le pouvoir russe, Anna Politkovskaïa était une mauvaise journaliste car elle faisait son travail, recherchait, vérifiait l’information et écrivait ce qu’elle voyait, ce qui était tangible. Que ça plaise ou non. Généralement la deuxième option.

Depuis la prise de pouvoir de Vladimir Poutine une explosion d’assassinats de journalistes a été constatée.

Ce roman graphique est un hommage au courage d’Anna Politkovskaïa en plus de revenir sur certaines affaires marquantes qu’elle a couvertes et révélées dans la presse : des prises d’otages, des attentats et la deuxième guerre de Tchéchénie. Le récit se clôt sur un entretien très riche entre Francesco Matteuzzi et Paolo Serbandini, qui a connu la journaliste.

Plusieurs des livres d’Anna Politkovskaïa sont encore disponibles, de quoi me rendre curieuse et poursuivre ma découverte de cette femme qui ne voulait ni se taire ni s’en laisser conter par les gouvernements russes.

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Et vous, quel·s livre·s sur des journalistes menacé·e·s ou assassiné·e·s conseillez-vous ?

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« Irmina » de Barbara Yelin (Actes Sud, 2014)

Traduit de l’allemand par Paul Derouet.

Je n’ai pas pu profiter du réseau des médiathèques comme je l’aurais voulu depuis un an et demi et quel plaisir de pouvoir y retourner sereinement ! Parmi mes premiers emprunts, ce livre qui me faisait de l’oeil depuis des mois et des mois. Un roman graphique de près de 300 pages, bel objet littéraire qui vient interroger une trajectoire individuelle dans l’histoire collective allemande des années 1930 et 1940.

Quatrième de couverture : « Inspiré d’une histoire vraie, le parcours d’une femme allemande des années 1930 à 1980. Un drame poignant sur le conflit entre l’intégrité personnelle et les compromis auxquels peut conduire l’ambition. À travers des images suggestives et pleines d’atmosphère, l’évocation d’une carrière pleine de fractures, exemplaire de la complicité que beaucoup ont nouée avec le régime hitlérien, en détournant les yeux et parce qu’ils y trouvaient avantage. »

Irmina est une jeune femme allemande qui va chercher l’émancipation en Angleterre. Etudiante dans une école la formant au secrétariat et à la dactylographie, elle a de grandes ambitions et souhaite faire ce dont elle a envie, comme elle en a envie. C’est dans ce pays qu’elle va faire la rencontre d’Howard, originaire de la Barbade (alors colonie de l’empire britannique). Un amour va naître, faisant fi des convenances racistes de l’époque, car Howard est noir.

Forcée de rentrer en Allemagne où le parti national-socialiste a pris le pouvoir, Irmina va se retrouver confrontée à des déconvenues et à des choix.

A travers ce portrait de femme, inspiré par les carnets de sa propre grand-mère, Barbara Yelin explore l’adhésion passive à un système fasciste et génocidaire. Avec Irmina, elle montre comment des frustrations autocentrées peuvent rendre aveugles, comment une soif d’ascension sociale peut se faire complice d’un modèle abject. C’est ce profil de passivité qui intéresse ici. Comment tant d’Allemands ne pouvaient-ils pas savoir ce qui se passait réellement, comme il a été dit à la sortie de la guerre ? Pourquoi ne voulaient-ils pas savoir serait plus juste. Car il s’agit bien de regards détournés qui, couverts par cette fameuse passivité, ont permis en partie l’inimaginable et l’irréparable.

Une réflexion passionnante sur les vies civiles en périodes de tensions et en temps de guerre. Presque un appel à la vigilance dans nos propres comportements : ne pas se laisser berner par de trop belles promesses, conserver des valeurs morales.

Un style graphique impressionnant dans ses plans larges de paysages et ses planches sur doubles-pages, moins convainquant dans sa représentation rapprochée des visages et des expressions.

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Et vous, quel livre avec un personnage principal moralement critiquable conseillez-vous ?

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« Chambres intimes » de Cristina Spanó (Bang, 2014)

Et si vous repensiez à un foyer important dans votre vie et que vous réfléchissiez à des moments tout aussi importants qui y ont eu lieu… Qu’est-ce que ça donnerait ? Qu’est-ce que ça dirait de vous et de votre histoire familiale ?

Quatrième de couverture : « Camila est une jeune femme italienne qui revient dans la maison de son enfance pour les vacances pour visiter ses parents qui y vivent toujours. Chaque pièce de la maison lui remémore des souvenirs enfouis de sa jeunesse ce que le livre nous raconte chapitre après chapitre, pièce par pièce. Grâce à tous ces fragments intimes, le lecteur reconstruit petit à petit sa vie, et l’observe. Il la voit à 16 ans, fumer une cigarette avec un ami en cachette de ses parents, découvrir l’amour et la mort, ou partir chercher un travail à l’étranger.

Camila est une fille normale indécise et complexée, son père est un ouvrier et sa mère de nationalité algérienne immigrée en Italie travaille comme femme de ménage. Camila va grandir dans ce contexte familial prospère, alors que dehors existe une crise économique très forte entre fermetures d’usine, chômage et expropriation. Malgré le peu d’éducation de ses parents, elle a pu comprendre la réalité de la vie.

La maison est, non seulement un lieu, mais elle devient un mélange de sentiments attachés à elle, où chaque chapitre est un souvenir de l’une des chambres. »

Un appartement et la vie d’une famille qui s’y dessine. Nous y découvrons Camila, de l’enfance à la trentaine. Elle nous fait découvrir sept pièces en sept temps pour exprimer des moments clés de son histoire qui s’ancre aussi dans l’histoire italienne très contemporaine, avec ses difficultés économiques et sociales.

Du côté des illustrations, nous avons de la douceur, une palette de couleurs douces avec des pointes plus vives et chaudes. Un peu comme les souvenirs eux-mêmes, qui se floutent tout en ayant des points de précision, qui s’habillent d’approximatif et en même temps de clarté dans les sentiments.

Des histoires intimes qui se ressentent et qui invitent à un voyage dans les espaces de notre histoire et de nos propres foyers. Avec nos moments de bonheur et de tristesse.

Je n’avais jamais entendu parler de ce roman graphique avant de faire mes recherches pour le challenge et je me suis laissée pleinement séduire par l’idée que des lieux portent une mémoire et une histoire, par l’idée que les lieux nous marquent dans notre histoire. Une vision qui m’inspire particulièrement comme belle opportunité narrative de parler d’histoire intime de façon originale et avec une distance pudique.

Peut-être pas un coup de coeur mais un réussite malgré tout.

Cette lecture a été faite dans le cadre du challenge #autricesdumonde organisé par Claire de Des pages et des lettres.

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Et vous, êtes-vous sensible à l’exploration de l’intime en littérature ?

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« Cachés » de Mirranda Burton (La Boîte à bulles, 2013)

Traduit par Vincent Henry

Née en Nouvelle-Zélande, Mirranda Burton est installée depuis plusieurs années en Australie. C’est dans ce pays qu’elle a animé des ateliers pour adultes en situation de handicap.

Présentation de l’éditeur : « Mirranda Burton a animé, plusieurs années durant, une classe d’art réservée aux adultes présentant des problèmes psychologiques ou intellectuels (autisme, mongolisme…). L’occasion pour elle de sortir des sentiers battus et de s’ouvrir à l’inconnu, en rupture de tous ses repères habituels.

Dans son ouvrage Cachés, elle nous conte ses rencontres avec différents élèves aussi surprenants qu’attachants. Il y a Eddie qui, consciencieusement, accumule des points noirs sur sa feuille de papier, Steve le trisomique qui adore dessiner, à sa façon et au tableau, les prévisions météorologiques, Julie qui semble si absorbée dans son œuvre qu’elle ne voit plus le reste du monde…

Une galerie de portraits qui vous vont droit au cœur. »

Ce roman graphique témoigne de l’expérience de l’autrice comme animatrice d’atelier d’expression artistique dans une institution accueillant des personnes en situation de ghandicap en journée. Cette activité particulièrement libre – voire libératrice – permet de parler de plusieurs rencontres qu’elle a pu y faire. Trois portraits autour desquels orbitent d’autres personnes, qu’elles soient publics de l’institution ou salariés.

Mirranda Burton porte un regard ouvert sur les autres – désireux de comprendre et de partager avec celles et ceux qui l’entourent – mais aussi critique à l’encontre d’une société australienne qui n’est pas la seule à cacher certains membres de sa population, à les dénigrer et à mal prendre en compte leurs besoins.

En suivant ce témoignage teinté de reportage, nous nous attachons autant que nous nous insurgeons face aux restrictions, au manque de considération, à la négation des besoins réels des personnes. Ce livre donne une visibilité aux êtres tout en maintenant une part de mystère, d’inconnue sur les univers que ces hommes et ces femmes habitent parfois.

L’art comme thérapie, l’art comme mode et espace d’expression qui se libère des mots.

J’ai souhaité sortir des romans pour le challenge #autricesdumonde d’août et je suis contente d’avoir découvert ce roman graphique à cette occasion, le seul de l’autrice à être traduit en français à ce jour.

Je n’ai pas été particulièrement séduite par les illustrations, regrettant un peu la froideur du noir et blanc, mais la lecture a malgré tout été agréable et émouvante.

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Et vous, aimez-vous varier les genres littéraires ?

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« La capacité de survie » de Kim Sung-hee (Çà et là, 2021) • Rentrée littéraire

Traduit du coréen par Lim Yeong-hee

Ce manhwa nous fait découvrir, page après page, les réflexions d’une femme sur la société coréenne et sa propre situation : à travers son mal-être c’est celui d’un pays que nous percevons.

Présentation de l’éditeur : « Une femme coréenne en proie à des doutes existentiels dans une société ultralibérale qui laisse de nombreuses personnes dans la précarité.

Yeong-jin, jeune quarantenaire, enseigne dans un lycée privé protestant de Séoul. Elle est confrontée à des violences sociales de toutes parts. Non titulaire, elle se sent obligée, pour conserver son poste, d’accepter tout ce que lui demande son employeur. Submergée de travail – elle s’occupe aussi des enfants de sa sœur pendant ses vacances – elle souffre de n’avoir aucune reconnaissance de sa hiérarchie. Son petit ami travaille dans une association d’aide aux travailleurs migrants qui se font exploiter par les agriculteurs coréens dans des conditions qui frôlent l’esclavagisme. Sa mère continue à faire les ménages bien qu’ayant l’âge de la retraite. Et Yeong-jin vient de subir un hystérectomie… La violence de la société libérale l’affecte de plus en plus et l’amène à se poser des questions sur son rapport au travail, sur sa relation avec ses parents et sur l’avenir de son couple. »

Entre des problèmes de santé aux répercussions importantes et une précarité dont il est difficile de sortir malgré les études et les compétences, l’autrice nous propose un récit extrêmement réaliste qui nous pousse à nous interroger nous-mêmes sur les personnes et le monde qui nous entourent. Entre ce qu’il faut accepter et ce contre quoi il faut se lever, ce qu’il faut remettre en question et dont il ne faut plus se rendre complice.

Parmi tous ces questionnements il y a la fameuse capacité de survie, celle dont l’autrice précise que la société a une dette envers elle. Car cette capacité est celle qu’ont les individus à faire face, à se battre et à donner encore et encore à une société ingrate malgré les difficultés et les sacrifices. C’est un constat amer même si cette capacité traduit des forces individuelles : on ne devrait pas en arriver là.

A partir de la personne de Yeong-jin ce sont aussi d’autres vies et d’autres injustices et complications qui se révèlent : d’avoir travaillé toute sa vie et de ne pouvoir prendre sa retraite, d’avoir des difficultés à élever des enfants et à ne pas répondre à l’image d’une maternité épanouie, d’immigrer pour trouver du travail et se retrouver coincé, exploité, maltraité. C’est aussi un regard sur la famille qui est porté, avec ce moment où on réalise que nos parents commencent à vieillir.

Kim Sung-hee livre une image que je ne connaissais pas de la Corée et que je trouve donc très intéressante.

Si je n’ai pas réussi à être séduite pas le style graphique de l’autrice et que j’ai trouvé la qualité de la narration parfois inégale, j’ai malgré tout adhéré à sa motivation et aux sujets qu’elle explore. Parfois la force de l’intention me fait dépasser ma retenue, c’est le cas ici et je serai au rendez-vous de ses prochaines traductions.

Cette lecture entre dans le cadre du Challenge coréen organisé par le blog Depuis le cadre de ma fenêtre

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Et vous, quel·s livre·s sur la société contemporaine coréenne conseillez-vous ?

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« Les saveurs du béton » de Kei Lam (Steinkis, 2021)

Kei Lam est une autrice née à Hong-Kong dont la famille a émigré en France alors qu’elle avait 6 ans. C’est à Paris que le père, peintre, rêve de s’installer. C’est en banlieue, à La Noue, qu’ils vont acheter un appartement en HLM.

Quatrième de couverture : « Les Saveurs du béton nous amène en Seine-Saint-Denis. De chambres de bonne en appartements partagés avec d’autres immigrés chinois, Kei et ses parents finissent par passer de l’autre côté du périph’ et deviennent propriétaires d’un trois pièces à Bagnolet. Kei se voit alors confrontée à un nouveau monde, celui de la banlieue, alors même qu’elle entre au collège et, par conséquent, dans l’adolescence. Kei donne une fois encore la parole aux invisibles et explore le quotidien, les rêves et les ambitions de ces enfants d’immigrés ayant grandi en banlieue. Elle s’intéresse en parallèle aux grands ensembles et plus particulièrement au quartier de la Noue, où sa famille a résidé à Bagnolet.

Un récit fort sur l’intégration, mais aussi un point de vue différent sur les cités de banlieue. »

La première autofiction graphique de Kei Lam, Banana Girl – que je n’ai pas encore lue mais rendez-vous est pris – a été publiée en 2017. Une nouvelle fois, je vais faire les choses dans le désordre. Si ce premier travail se concentrait sur la construction d’une personnalité et d’une identité aux multiples influences culturelles, ce second album s’intéresse davantage à la vie dans une cité de la banlieue parisienne en même temps qu’au fait de grandir.

C’est à la fois drôle et réaliste, tendre et révolté tant face aux abus à l’encontre des familles qui y ont investi leurs – parfois maigres – économies, qu’à l’image systématiquement violente et dégradante que l’on veut absolument coller aux habitants de la cité. En parallèle, nous suivons la vie familiale et les années adolescentes de Kei.

La notion de construction de l’identité est également présente et j’ai aimé la façon qu’a Kei Lam de montrer le poids péjoratif de certains mots et expressions de la langue française liés à la Chine et aux Chinois. Des expressions qui, consciemment ou non, construisent une certaine vision d’une partie de la population. Et ce sont les préjugés racistes qui vont conduire à des crimes à l’encontre de personnes d’origine asiatique et vont créer une période d’insécurité, notamment à La Noue.

Autre exemple, Kei Lam nous invite à regarder l’évolution de la représentation des femmes chinoises ou d’origine chinoise dans la culture populaire. Les idées avancent mais ce n’est pas encore ça. J’ai également aimé cette recherche, ce besoin de connaître une histoire familiale qui a du mal à s’exprimer, étant très en demande moi-même sur ce sujet.

Les illustrations sont en noir et blanc et on a pourtant un sentiment de couleurs. Le dessin – que j’ai beaucoup apprécié – est faussement simple tant il est précis et transmet avec finesse les émotions des protagonistes et des instants, son approche parfois naïve terminant de m’émouvoir. Mention spéciale aux expressions de la jeune Kei qui ont fait renaître en moi des airs savoureux de crise d’adolescence heureusement révolue.

En faisant se rencontrer la jeune Kei avec celle qu’elle est aujourd’hui devenue, ce sont de nombreux questionnements que l’autrice fait émerger, en même temps qu’elle décrit son histoire et l’histoire d’un lieu. Une lecture touchante et qui modifiera sans aucun doute certains regards.

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Et vous, quelle oeuvre de la littérature urbaine conseillez-vous ?

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« Lettres perdues » de Jim Bishop (Glénat, 2021) • Rentrée littéraire

Ma fin de semaine est indéniablement graphique et après maintes hésitations j’ai succombé à celui-ci. Pour ses couleurs, pour ses personnages intrigants et ses illustrations influencées par l’univers de Hayao Miyazaki.

Présentation de l’éditeur : « Comme tous les matins, Iode attend impatiemment cette lettre que le facteur tarde à lui apporter. Surement une blague de ce farceur de poisson-clown qui s’amuse à livrer son courrier aux voisins… Ou peut-être a-t-il simplement été égaré ? Il n’y a qu’un seul moyen d’en avoir le cœur net : se rendre en ville. Embarqué dans sa petite auto vert pomme, Iode fait la rencontre de Frangine, une autostoppeuse au caractère bien trempé qui effectue une livraison pour le compte du mystérieux groupe mafieux la pieuvre. Seulement, lorsque cette dernière décide de lui fausser compagnie, le jeune garçon s’inquiète et décide naïvement de partir à sa recherche. Sans le savoir, Iode vient de mettre les pieds dans une affaire qui le placera au cœur d’un terrible drame.

Sur l’île du soleil où poissons et humains cohabitent, mafieux sans vergognes et policiers incompétents sont monnaie courante. Une cavalcade absurde naviguant entre humour, douceur et drame mélancolique. Un premier roman graphique réalisé par un prodige du dessin nourri au travail de Hayao Miyazaki. Un récit où la rondeur du dessin et la beauté irradiante des couleurs forment paradoxalement une œuvre tragique qui perturbera les âmes les plus sensibles. »

Il n’y a pas que les illustrations qui sont marquées par l’influence du travail de Hayao Miyazaki. Un récit de science-fiction, mêlant une histoire personnelle, des épreuves de la vie et des questionnements écologiques.

Iode attend désespérément une lettre de sa mère exploratrice dans laquelle est a promis de lui dire où la retrouver. Tardant à arriver, Iode se décide à se mettre en route pour la ville afin de demander des renseignements au bureau de poste. En route il croise le chemin de Frangine. Le garçon va alors s’accrocher d’une façon très particulière à la jeune femme. Sauf que cette dernière a une mission secrète a accomplir. La vie de ces personnages ne sera plus jamais la même : ils vivront des péripéties et des épreuves irréversibles qui irradieront jusqu’aux personnages secondaires.

Certes, les illustrations sont empruntes de beaucoup de douceur, les couleurs sont à la fois acidulées et pop comme du colorant de bonbons et il y a régulièrement des marques d’humour mais chaque page construit bel et bien un drame.

Une histoire qui installe un mystère qui saura surprendre et émouvoir quand bien même un partie de l’intrigue se devine. Je me suis faite avoir malgré mes justes suspicions. J’étais convaincue même si le coup de coeur ne s’est malheureusement pas déclaré et j’ai trouvé l’épilogue très bien amené. Une conclusion qui change de ce que la littérature propose généralement, qui marque par son réalisme et qui a clairement répondu à l’une de mes douleurs personnelles.

J’ai réussi à ne pas pleurer, mais il s’en est fallu de peu et ce fut au prix d’un certain effort. De fait, si vous aimez les histoires faisant réquisitionnant vos cordes sensibles tout en étant originales, je ne peux que vous inviter à découvrir ce roman graphique qui saura sans aucun doute se démarquer parmi les nouveautés.

Jim Bishop (de son vrai nom Julien Bicheux) est un jeune bédéaste qui s’est lancé dans ce milieu en 2015. Lettres perdues est son premier album en solo et promet une carrière à suivre de très très près.

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Et vous, aimez-vous les graphiques très colorés quitte à ce qu’ils perdent en réalisme ?

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« Kill Annie Wong » de Swann Meralli, Gaël Henry et Paul Bona (Sarbacane, 2021) • Rentrée littéraire

J’avais eu l’occasion de découvrir Swann Meralli avec Algériennes. 1954-1962, que j’avais apprécié. Mais pouvoir le lire dans de la fiction pure m’a sérieusement chatouillée et c’est avec Gaël Henry aux illustrations et Paul Bona à la couleur que ce souhait se réalise.

Quatrième de couverture : « À Chogsu Siti, mégapole coréenne tentaculaire, au bord de l’implosion, où politique rime avec crime organisé, vit Enzo, 24 ans, muet et tueur à gages ultra performant. Enzo a deux passions dans la vie : Le grand bleu, et la voix d’une mystérieuse chanteuse dont il se repasse le morceau en boucle quand il massacre des anonymes pour le compte de ses clients. Sa dernière mission qui lui vient tout droit du chef de la police : s’en prendre à ce salaud de Mon-Sik, gangster qui veut détrôner la puissante maire aux élections, en attaquant sa petite copine.

Mais voilà, alors qu’Enzo s’apprête à passer à l’action, il s’aperçoit que sa cible est en fait la cantatrice qui se cache derrière la voix qu’il aime tant. Pour Enzo, c’est le dilemme : tuer ou sauver Annie Wong ? »

Je lis presque toujours des œuvres écrites à partir de faits réels, qui explorent l’histoire contemporaine ou des sujets de société examinés par l’angle de la fiction. Ici le contexte est une ville coréenne qui n’existe pas mais qui reprend certains codes de cette culture. L’histoire est un complot politique qui implique une maire un peu pourrie sur les bords, un flic corrompu pour raisons personnelles, un tueur à gages muet, une célèbre chanteuse et son amant aussi violent qu’ambitieux. Un mélange explosif, surtout quand un contrat est mis sur l’une de ces têtes et que le plan ne se déroule pas comme prévu.

Une histoire dynamique, sympathique et touchante, forte de son ambiance singulière et de ses illustrations expressives aux couleurs chatoyantes.

J’y ai retrouvé les ingrédients de ce qui a su m’émouvoir dans certains films de Luc Besson – alors que je ne le porte pas spécialement dans mon coeur, mais reconnaissons-lui certains films réussis. Mais les références ne font pas tout dans cette histoire qui sait vivre indépendamment de l’hommage rendu au réalisateur. La violence est bien dosée et bien représentée, l’ambiance est très efficace et j’ai adoré la psychologie prêtée au personnage d’Enzo.

Une lecture qui m’a fait agréablement changer d’univers littéraire et qui saura, je pense, séduire les amateur·ices du Grand bleu (dont j’ai un souvenir plus que relatif) et de Léon.

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Et vous, quelles sont vos dernières belles découvertes faites hors de votre zone de confort ?

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❤ « Un pays dans le ciel » d’Aiat Fayez et Charlotte Melly (Delcourt, 2021) • Rentrée littéraire

L’exil est un thème important dans mes lectures, je n’ai donc pas attendu pour me plonger dans cette nouveauté, cherchant seulement à avoir plusieurs heures de libres pour m’y glisser et l’éprouver sans impact extérieur.

Quatrième de couverture : « Un récit d’une extrême richesse qui nous plonge dans une zone méconnue, entre deux territoires, et interroge les notions d’étranger et d’exil dans ses dimensions les moins visibles, les plus surprenantes.

Une nuit, une étudiante arrive chez un écrivain. Pour la garder près de lui, ce dernier relate à la jeune femme son séjour au Bunker. Lieu d’attente et de crainte, les demandeurs d’asile y racontent leur épopée dans le but d’obtenir la protection d’un pays. Se dessine ainsi le parcours d’exilés mais aussi le fonctionnement d’une institution composée d’humains qui doivent décider d’une vie. »

Dès la première page nous sommes invités à lire ce livre en étant dans de bonnes dispositions. Et ce n’est pas anecdotique. J’ai l’habitude de lire des contenus difficiles et j’ai pourtant eu quelques chocs.

Dans ce scénario, Aiat Fayez se crée un double qui héberge une jeune femme venue faire du tourisme à Vienne. Au cours d’une soirée, qui va devenir une nuit, il va lui raconter sa résidence au sein d’un office qui reçoit et interroge les demandeur•se•s d’asile en vue d’obtenir ou non la nationalité française.

Pour cela il faut raconter. Tout raconter des raisons du départ. Raconter les moments de courage, raconter les moments de honte, raconter les moments de souffrance, raconter l’insupportable. En face de ces personnes, des agents qui posent des questions pour avoir le matériau nécessaire à prendre leur décision. Mais tous et toutes n’ont pas le même état d’esprit. Alors, nous comprenons que la décision peut avoir un goût très arbitraire.

Chaque témoignage vient illustrer des situations particulières, des injustices, des violences, des opportunités, des vies très différentes qui espèrent en commencer une nouvelle ou fuir la précédente. Ils montrent la diversité des personnes demandant la nationalité française. J’ai appris beaucoup, j’ai été fortement secouée, prise d’empathie comme mise face à certains témoins qui interrogent franchement la moralité. Quand tu es contre la peine de mort et face à une personne ayant eu des actes criminels hautement condamnables, que faut-il faire ? Lui donner l’asile en sachant qu’un risque existe ou la renvoyer dans un pays où elle est d’ores et déjà condamnée à mort ?

Il faut prendre plusieurs heures pour lire, intégrer et digérer ces plus de 300 pages de témoignages. Je suis persuadée que la lecture de ce roman graphique n’a rien d’anodin et je salue mille fois sa réalisation (je l’ai attendu pendant des mois). Le travail d’illustration de Charlotte Melly est très beau, très communicatif : il magnifie autant qu’il terrifie en fonction du message. J’ai vraiment admiré de nombreuses planches, quelles que soient leurs ambiances.

Je retiens vraiment la capacité qu’a ce roman graphique à nous questionner, questionner les procédures administratives et leurs biais, questionner les refus ainsi que les accords – surtout les refus en ce qui me concerne -, questionner la conscience d’individus qui doivent décider de la vie d’autres personnes.

Remarquable.

Si nous sommes dans une trame fictionnelle, elle est ancrée de plein pied dans la réalité. Un roman graphique qui, sans aucun doute, vous marquera longtemps et alimentera votre vision de l’immigration et des naturalisations aujourd’hui. Il me donne également très envie de découvrir davantage les œuvres d’Aiat Fayez et de Charlotte Melly.

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« Vies volées. Buenos Aires, Place de Mai » de Matz et Mayalen Goust (Rue de Sèvres, 2018)

Les éditions Rue de Sèvres créent souvent l’effusion avec leurs publications, pourtant, je ressors très souvent partagée de mes lectures. Après réflexion sur ma frustration personnelle – que je vis cependant bien – j’en arrive à une conclusion : j’ai passé l’âge. Alors, oui, il n’y a pas forcément d’âge pour lire tel ou tel livre surtout dans le rapport que peut entretenir un•e adulte avec la littérature jeunesse. Je suis d’accord. Pour autant, certains procédés narratifs et certaines informations – en prenant de plus en compte les différents niveaux d’information – n’impactent pas de la même manière selon l’âge, les expériences et les connaissances lors de la lecture. Et c’est le principal reproche que j’ai à formuler à l’encontre de ce roman graphique, qui a par ailleurs de nombreuses qualités. Il ne m’a pas surprise, je n’ai rien appris et j’ai presque tout anticipé. Du coup… le plaisir de lecture a été plutôt limité.

Quatrième de couverture : « De 1976 à 1983, la dictature militaire qui régit l’Argentine fait disparaître près de 30 000 opposants politiques. Parmi eux, des jeunes femmes enceintes auxquelles leurs enfants seront arrachés à la naissance. Depuis 1977, leurs grands-mères recherchent ces 500 bébés volés… »

Cela fait un bon moment que je souhaitais découvrir ce roman graphique mettant en avant l’histoire des enfants volés sous la dictature militaire en Argentine (1976-1983) – il faut dire que je n’en ai lu que du bien. Visuellement magnifique, cet ouvrage mêle un scénario rythmé agrémenté de suspens à des propos clairs pour les lectorats cibles de la maison d’édition : adolescents et jeunes adultes.

Dans cette histoire qui se positionne dans notre époque, deux amis vont voir leur monde bouleversé du jour au lendemain : alors que sont aujourd’hui médiatisés les vols d’enfants d’opposant politiques par le régime dictatorial durant les années 1970-80 – notamment rendus publics grâce à la lutte soutenue des Grands-mères de la place de Mai – ils vont décider pour différentes raisons de réaliser chacun un test ADN. Ces tests ne seront que le début de questionnements sur ce qui fut, ce qui est, ce qui aurait dû être et ce qui ne sera jamais. Autour d’eux, plusieurs personnages illustreront les différentes douleurs associées à ces actes inhumains, dont les plaies sont aujourd’hui encore ouvertes.

Plutôt bien mené – même si le suspens a peu fonctionné avec moi – cet album sensibilise à l’une des grandes injustices de l’histoire contemporaine argentine et montre les vies brisées, volées, et l’impact du crime sur la durée. Une injustice qui perdure, de nombreuses familles et enfants enlevés restants sans réponses.

C’est un roman graphique que je trouve particulièrement remarquable au niveau des illustrations. Le scénario, même s’il est intéressant, n’a pas réussi à me convaincre pleinement ni à me surprendre – sauf peut-être à la toute fin. Un album qui s’adresse parfaitement à un lectorat assez jeune (15-20 ans) ou à un public n’ayant pas du tout connaissance de cette époque tragique et ne cherchant pas un livre aux contenus théoriques et historiques trop poussés.

J’aime les romans graphiques qui frôlent le reportage illustré et ici nous sommes dans de la fiction marquée par des faits historiques, une nuance qui a son importance pour moi car j’ai vraiment manqué de données factuelles, presque documentaires. C’est un peu le fossé qui était apparu lors de ma lecture de Les indésirables alors que j’avais été subjuguée par Nous étions les ennemis, beaucoup plus pointu au niveau de son contenu.

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Et vous, quel•s livre•s sur ce sujet conseillez-vous ?

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👁 « Chez toi. Athènes 2016 » de Sandrine Martin (Casterman, 2021)

Sujet peu abordé, que ce soit dans l’actualité ou dans la littérature, ce roman graphique se concentre sur le parcours d’une femme (composé à partir de cinq témoignages réels) en exil et enceinte. Arrivée en Grèce avec son conjoint, nous la suivons dans son parcours de migration en même temps que dans son parcours médical et de maternité.

Quatrième de couverture : « En 2016, Sandrine Martin s’est rendue en Grèce avec le projet EU Border Care et a suivi les sages-femmes et les médecins qui prennent en charge les réfugiées pendant leur grossesse. Cette expérience humaine marquante lui a inspiré un récit bouleversant qui entremêle le parcours de deux femmes que les grandes crises contemporaines vont confronter à l’exil : une sage-femme grecque et une jeune syrienne.

Un roman graphique d’une grande acuité, qui témoigne autant de l’enlisement de la société grecque que de l’espoir et de l’énergie déployés dans l’expérience de déracinement. »

Ce travail littéraire et graphique découle d’un travail de recherche réalisé à l’échelle européenne. Une démarche dont le sérieux est aussi appréciable que les illustrations sont belles. Difficile de ne pas être impressionné·e par ce livre qui donne à voir un parcours de femme à travers le personnage de Mona, Syrienne, mais aussi de Monika, sage-femme grecque qui ausculte et suit des femmes migrantes en cours de grossesse.

C’est finalement plusieurs sujets qu’aborde ce récit : la situation concrète de personnes en transit, la douloureuse séparation d’avec les familles et le pays d’origine, les grossesses vécues alors que les femmes (ou les couples) ne savent pas où elles seront dans deux jours, deux mois ou deux ans, les injonctions médicales à l’encontre du corps des femmes et la place démesurée faite à la césarienne plutôt qu’aux accouchement par voie basse, ainsi que la crise économique qui impacte la Grèce.

A travers le parcours de deux femmes aux situations très différentes, ce sont des questions sociales qui sont posées et qui trouvent, à un moment ou à un autre, un écho en chacun·e de nous. A cheval entre la fiction et le documentaire, ce livre est terriblement intéressant et, si j’ai trouvé que certains aspects manquaient quant au sujet des grossesses de femmes migrantes, il a le mérite de rendre visibles des vécus invisibilisés et de le faire magnifiquement bien. Pour ma part, j’ai versé ma petite larme et la construction plus que crédible des deux personnages principaux m’a fait forte impression.

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Et vous, connaissez-vous des livres ou d’autres oeuvres sur ce sujet ?

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👁 ❤ « A bord de l’Aquarius » de Marco Rizzo et Lelio Bonaccorso (Futuropolis, 2019)

Sur la liste de mes envies depuis sa publication, ce roman graphique a reçu un très bel accueil, amplement mérité. A la fois factuel et didactique, il montre le fonctionnement d’un navire de sauvetage, la composition de son personnel, le déroulement des sauvetages ainsi que des parcours de personnes secourues. Il montre aussi les moments difficiles, les incompréhensions et le sentiment d’impuissance.

Présentation de l’éditeur : « Un récit documentaire à bord de l’Aquarius, un bateau humanitaire qui parcourt la Méditerranée pour secourir des migrants.

En juin 2018, l’Italie et la France lui refusaient d’accoster condamnant le navire à une errance de 9 jours, mettant ainsi en lumière les ambigüités des gouvernements européens sur la politique d’accueil des réfugiés. »

Je crois que je n’ai aucun point négatif à relever dans ce travail impressionnant, à la fois du point de vue de la scénarisation, des contenus et des illustrations. Ce roman graphique est complet, humain et pertinent dans sa démarche de transmission.

Ouvrir, représenter clairement et rendre publique l’organisation sur l’Aquarius et les processus d’aide humanitaire permet de désamorcer des idées préconçues et souvent fausses sur les interventions et les motivations des ONG. Cela permet aussi de contrecarrer les idées courtes liées aux parcours à la fois individuels et collectifs des personnes qui ont pris les chemins de l’exil, infiniment dangereux.

En refermant ce roman graphique, je ne peux qu’espérer que son succès a pu faire bouger des lignes, notamment en France, où des sondages réalisés en 2018 se sont révélés glaçants. Le gouvernement français refusait alors d’accueillir l’Aquarius dans l’un de ses ports alors que plusieurs centaines de rescapés de la traversée de la Méditerranée étaient à bord.

Un faible espoir, mais un espoir quand même.

En décembre 2018, près avoir sauvé plus de 30 000 vies, l’Aquarius sera immobilisé et ses activités seront stoppées. Un arrêt salué par des représentants de l’extrême droite européenne, dont Marine Le Pen, marquant ouvertement une satisfaction quant au fait de ne plus porter secours aux personnes en détresse dont la vie est menacée. Les activités de sauvetage reprendront en juillet 2019 avec Ocean Viking, sous pavillon norvégien, avec des victoires et de terribles journées, comme celle du 22 avril dernier.

L’histoire de l’Aquarius est éminemment représentative des attaques des politiques contre l’aide humanitaire, sujet au coeur du livre récemment paru de Roberto Saviano, En mer, pas de taxis.

Mêlant les témoignages du personnel, des rescapés et des auteurs, ce roman graphique est à découvrir et à partager au plus grand nombre.

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Et vous, vous joignez-vous à mon espoir ?

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« Somnolences » de Chen Pei-hsiu (Actes Sud BD, 2021)

Première traduction en français de Chen Pei-hsiu, ce recueil d’instantanés de vies de femmes taïwanaises s’inscrit dans un courant ultra réaliste, sans fioritures. Des nouvelles graphiques qui montrent des situations, des moments, des questionnements en même temps que des aperçus de la société taïwanaise qui ont en commun la vie d’une femme.

Présentation : « Dix nouvelles, dix vies banales de femmes de Taipeï aujourd’hui.

L’autrice, qui a reçu pour ce livre en 2020, le prix de la meilleure bande dessinée taiwanaise, dépeint ces femmes, leurs habitudes, leur manies, leurs doutes et préoccupations. »

J’aime les sentiments qui se transmettent par les non-dits, les émotions cachées dans les espaces vides entre les mots. Dans le cadre des romans graphiques, les dessins qui se passent de mots, les scènes suspendues qui ne portent pas d’actions particulières. J’aime la contemplation, parce que la vie est aussi remplie de ces moments et de ces silences, de ces retenues, de ces vides qui peuvent aussi être source d’angoisses, de questionnements sur la vie comme de calme intérieur.

Ce recueil graphique ne plaira pas à tout le monde. Si vous cherchez des histoires avec des chutes, vous ne les trouverez pas ici. Si vous cherchez des anecdotes particulièrement marquantes pour chacune de ces dix histoires, vous ne les trouverez pas non plus. Si vous aimez les micro-histoires optimistes et feel-good, vous ne les trouverez pas.

Il s’agit davantage d’une déambulation dans dix vies à partir de souvenirs ou d’expériences de l’autrice que celle-ci prête à des personnages.

J’ai aimé le style graphique de Chen Pei-hsiu, au crayonné et à l’aquarelle, ses choix de couleurs dans des palettes froides mais tendres. J’ai également apprécié les scènes du quotidien dans lesquelles chacun·e peut se retrouver avec en plus une découverte de la culture Taïwanaise. C’est sincère et doux, avec parfois un peu d’amertume, ça a la saveur de la vie. Ces tranches de vies se lisent et se relisent avec plaisir et invitent à la réflexion et à l’introspection. Bonus : une belle place est faite aux chats, avis aux amateur·trice·s.

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Et vous, aimez-vous les histoires courtes et les tranches de vies ?

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« L’attente » de Keum Suk Gendry-Kim (Futuropolis, 2021)

L’annonce d’une nouvelle publication de keum Suk Gendry-Kim est toujours un événement pour moi. Et le sujet de ce roman graphique a fait encore monter d’un cran mon impatience : la partition de la Corée et, avec elle, la terrible séparation des familles. Aujourd’hui encore la blessure est vive, incarnée par la disparition de proches, l’absence de leurs nouvelles. Keum Suk Gendry-Kim nous livre l’histoire d’une famille et, avec elle, celle de milliers d’autres.

Quatrième de couverture : « Soixante-dix ans se sont écoulés depuis le déclenchement de la guerre de Corée. Depuis 1953, la Corée est divisée en deux pays distincts, la Corée du Sud et la République populaire démocratique. Des familles entières ont été séparées. La mère de la narratrice n’a jamais revu son premier mari et son fils. Aujourd’hui encore, des démarches sont entreprises pour retrouver des proches disparus. Saisie par un sentiment d’urgence alors que la génération qui a connu la guerre s’éteint et la nouvelle oublie le passé, Keum Suk Gendry-Kim a interrogé sa mère pour qu’elle lui raconte ces blessures traumatisantes de la guerre et de la séparation.

Séoul, de nos jours. Guja a 92 ans. Sa vie de retraitée est bousculée le jour où, parlant avec une amie, elle découvre le programme gouvernemental permettant à des familles coréennes séparées par la guerre en 1950 de se retrouver. Lui revient alors son passé, sa jeunesse, son premier mariage, ses deux premiers enfants. Et surtout, cet exode qui va la séparer de son mari et de son premier fils alors qu’elle reste seule avec son nourrisson. Jamais plus elle ne les reverra. Au crépuscule de sa vie, elle raconte à sa fille Jina, dessinatrice pour la jeunesse, cette vie brisée, ces moments de désespoir, sa vie d’après.

Après Les Mauvaises Herbes, Keum Suk Gendry-Kim s’attaque à un autre pan dramatique de l’histoire de la Corée. »

Keum Suk Gendry-Kim a composé ce livre à partir des souvenirs de sa mère ainsi que de deux autres témoins. Pas précisément biographique mais juste et pensé pour être au plus près de la réalité, elle montre les souffrances des personnes ayant vécu les séparations familiales, la perte des racines ainsi que le poids que portent certains descendants. Un hommage émouvant à une mère immensément courageuse et un message universel dédié à toutes les personnes forcées de quitter leur foyer et de se couper de leurs proches pour une durée indéterminée.

Guja est une vieille dame qui a passé la presque intégralité de sa vie à porter une douleur aussi intime que profonde. Elle a été séparée de son mari et, surtout, de son fils, encore petit, en fuyant les zones de combat lors de la guerre de Corée. Depuis, elle ne l’a plus jamais revu et ne sait même pas s’il est encore en vie.

Nous vivons le présent de Guja tout en faisant des sauts dans le temps, découvrant son enfance et sa jeunesse, entre l’occupation japonaise et celle des soviétiques, entre la Seconde Guerre mondiale et la guerre de Corée. A ses côtés nous comprenons – autant qu’il nous est possible de le faire – la violence des différents déchirements qu’elle devra traverser, auxquels elle devra survivre.

En 2018, des retrouvailles familiales sont permises entre le Nord et le Sud. Des retrouvailles sous surveillances, conditionnées qui se révèlent parfois aussi douloureuses que l’incertitude et l’absence. Tant d’années d’espoir et d’attentes pour si peu de temps et la certitude que cela ne se pourra pas se reproduire avant très longtemps, peut-être même jamais !

Il était courant que les personnes passées dans le Sud et ayant perdu leurs familles, restées au Nord, se remarient, refondent une famille. Nombre de personnes avaient donc deux familles. La représentation de cela est particulièrement touchante dans ce roman graphique. Ecartelée entre la nécessité d’avancer et l’impossibilité d’oublier.

Ce livre nous transmet à la fois une histoire d’hier et une histoire d’aujourd’hui, alors que les dernier·ère·s survivant·e·s s’éteignent et que les relations entre les deux Corées sont encore extrêmement tendues. Une nouvelle fois, Keum Suk Gendry-Kim porte haut la volonté de faire mémoire et rend hommage à une population à l’histoire meurtrie.

Il ne manque qu’un ouvrage de Keum Suk Gendry-Kim à ma collection, il rejoindra donc ma bibliothèque sous peu, en espérant faire découvrir cette autrice à toujours plus de lecteurs et lectrices. J’ouvrirai ensuite mes horizons en découvrant des ouvrages qu’elle a traduits du coréen vers le français.

Cette lecture entre dans le cadre du Challenge coréen organisé par le blog Depuis le cadre de ma fenêtre.

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Ils/Elles l’ont aussi lu et chroniqué : Pas de chroniques trouvées pour le moment.

Et vous, quel·le auteur·trice de graphiques suivez-vous de près ?

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« Idiss » de Richard Malka et Fred Bernard d’après Robert Badinter (Rue de Sèvres, 2021)

Paru chez Fayard en 2018, Idiss est adapté cette année en roman graphique. Voici l’occasion de redécouvrir ou de découvrir tout court – ce qui est mon cas – cet hommage de Robert Badinter à sa grand-mère qui est aussi un regard sur plusieurs générations de proches prises dans les tourments de l’histoire.

Quatrième de couverture : « J’ai écrit ce livre en hommage à ma grand-mère maternelle, Idiss. Il ne prétend être ni une biographie, ni une étude de la condition des immigrés juifs de l’Empire russe venus à Paris avant 1914. Il est simplement le récit d’une destinée singulière à laquelle j’ai souvent rêvé. Puisse-t-il être aussi, au-delà du temps écoulé, un témoignage d’amour de son petit-fils. Robert Badinter.

Richard Malka et Fred Bernard s’emparent de ce récit poignant et intime pour en livrer une interprétation lumineuse tout en pudeur et à l’émotion intacte. »

Si je n’ai pas été vraiment sous le charme des illustrations (dont je reconnais cependant la qualité) j’ai vraiment apprécié le scénario et les propos. De la Bessarabie de la fin du 19ème siècle à la France des années noires, Idiss va connaître une vie avec des ruptures, des blessures intimes mais aussi de grands bonheurs grâce à sa famille. Car Idiss est une femme droite, combattive et déterminée pour ses proches, en cela elle ne peut être qu’infiniment attachante.

D’un caractère affirmé et attaché à la tradition, Idiss va devoir faire face au deuil encore jeune et à des conflits familiaux. Ses petits-enfants seront ses soleils, notamment Robert dont elle est proche. Mais le monde s’enflamme et la Seconde Guerre mondiale est déclarée.

J’ai été très émue à plusieurs reprises au cours de ma lecture, pour cet amour inconditionnel vécu entre Idiss et Schulim, face à l’antisémitisme, pour les vies séparées et les adieux imposés, pour celles et ceux qui ne sont pas revenu·e·s.

Avec cette histoire familiale Robert Badinter transmet aussi son amour pour la France : celle qui a accueilli des familles entières qui fuyaient les haines, cette France en laquelle les familles Rosenberg et Badinter avaient mis leur confiance et dont elles ne doutaient pas. Mais cette France a collaboré, poussé à l’exil, déporté sans scrupules. Une histoire collective et individuelle qui permet de comprendre d’une belle façon l’homme investi dans le combat des injustices qu’est Robert Badinter.

Des éléments documentaires et des dessins préparatoires sont présents en fin de volume. Pour moi c’est toujours un plus : de contextualisation historique et de partage concernant la démarche créative.

Je l’ai lu avec mille précautions (même si je n’ai pas l’habitude d’abîmer les livres, je suis un peu maladroite) car ce sera un cadeau. Son format est tellement beau qu’il est parfait pour faire plaisir. Ma mère admire Robert Badinter, apprécie les histoires de vies et les romans graphiques, alors je le glisse tout de suite dans ma valise en croisant les doigts pour qu’elle ne se l’achète pas. Ce suspens qui balance entre préserver la surprise et prendre le risque de faire une surprise loupée.

En conclusion : si vous aimez les histoires familiales qui traversent l’histoire de l’Europe et/ou si vous cherchez un beau livre à offrir à quelqu’un qui a aussi ces centres d’intérêts, Idiss vous attend.

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Et vous, quel autre récit familial marqué par l’histoire conseillez-vous ?

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« L’homme de la mer » de Jang Deok-hyun (Pika Graphic, 2017)

Finissons la semaine avec un manhwa un peu plus léger (mais pas totalement non plus, faut pas pousser). Deux personnages très différents vont se rencontrer : Anna, presque trentenaire paumée qui cherche le sens de la vie, et Deok-hyun, pêcheur pratiquant un art ancestral coréen normalement accompli par des femmes, les haenyos.

Quatrième de couverture : « Licenciée à la suite d’une altercation avec son patron, Anna, jeune vendeuse désabusée par la vie, se réfugie au bord de la mer pour oublier son triste sort. C’est là qu’elle rencontre Deok-hyun, un pêcheur de coquillages mutique dont le passé est nimbé de mystères. Fascinée, Anna va contraindre cet homme à lui enseigner son métier de pêcheur en apnée pour, qui sait, trouver enfin un vrai sens à sa vie… »

Rien ne semblait présager de cette rencontre et pourtant il aurait été dommage qu’elle n’ait pas lieu. Virée de son travail alimentaire dans lequel Anna ne prenait aucun plaisir (c’est rien de le dire), elle se retrouve au bord de mer pour fuir sa situation, aidée d’un peur d’alcool. Éméchée, elle va croiser Deok-hyun rentrant chez lui après la pêche. Elle, excessive et spontanée ; lui, renfermé comme une huître. Découvrant le travail et le mode de vie de cet homme, Anna va lui demander de l’initier à l’art des haenyos. Pour cette excellente nageuse qui ne trouve de répis à son mal-être qu’en nageant, sa recherche de sens a peut-être trouvé un but. De son côté, Deok-hyun cache un passé lourd de regrets. Il est hanté par un fantôme du passé et par ses erreurs qu’il ne peut corriger.

Ce que j’ai particulièrement apprécié dans ce manhwa ce sont les personnages, leurs différences et la façon dont celles-ci se confrontent puis se comprennent. Portée par un humour plutôt efficace, cette histoire se lit toute seule et, sans que nous ne nous en rendions compte, nous réalisons que nous sommes attachés à ce duo improbable que les hasards de la vie savent créer. J’ai également été sous le charme des illustrations au trait assuré habité par un petit quelque chose de désinvolte.

Avec leurs parcours et la relation qu’ils vont se créer, ils font comprendre à chaque lecteur•trice que toutes les vies comportent de mauvaix choix, des erreurs et des faux pas. Faut-il pour autant les réduire uniquement à cela ? Il est toujours possible de trouver du positif, de changer de chemin, de faire autrement, d’y croire. Remonter le temps est impossible, le fantasmer est dangeureux et peut nous enfoncer loin dans les abysses. Au fond, gagner ne compte pas, tout se joue dans le fait d’essayer.

Rendant à la fois hommage aux haenyos et parlant de la situation de la jeune génération coréenne, Jang Beok-hyun signe un récit à la fois chatoyant et orageux, doux et amer. La vie dans ses nuances. Le dernier chapitre du récit se distinguant par le fait de n’être qu’en noir et blanc, le•la lecteur•trice sera libre d’interpréter la conclusion à sa façon : optimiste ou pessimiste.

Si vous aimez les récits en lien avec l’océan, les personnages pimentés mais attachants et les messages ouverts sur le sens de la vie et le poids de ses épreuves, ce manhwa est fait pour vous.

Cette lecture entre dans le cadre du Challenge coréen organisé par le blog Depuis le cadre de ma fenêtre.

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Et vous, avez-vous un manhwa à conseiller ?

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« L’arbre nu » de Keum Suk Gendry-kim (Les Arènes, 2020)

Librement adapté du roman culte de Park Wan-seo, Keum Suk Gendry-kim a voulu partager à sa façon l’un des romans qui l’a le plus marquée. Elle le dit elle-même : dès sa lecture elle a eu envie de l’adapter. C’est maintenant chose faite (et bien faite), le rendant sous cette forme accessible au public français, le roman original n’étant pas disponible.

Quatrième de couverture : « En 1950, quand la guerre de Corée éclate, Kyung a vingt ans. Elle habite à Séoul avec sa mère. Pour survivre, elle est vendeuse dans un magasin de l’armée américaine. Un jour, elle y rencontre Ok Heedo, un artiste peintre ; il a fui le nord du pays et, pour nourrir sa famille, réalise des portraits commandés par les GI’s. Kyung tombe aussitôt amoureuse de cet homme si différent des autres, si doué. Et surtout, cet amour l’aide à oublier le terrible drame qui vient de frapper les siens… Malheureusement, Ok est marié.

Bien des années plus tard, elle visite une exposition posthume consacrée à ce peintre. Le passé sombre qu’elle croyait endormi resurgit d’un coup. Elle entreprend alors d’écrire son histoire pour se réconcilier avec les fantômes qui la hantent. »

Le personnage principal, Lee Kyung, est une jeune femme de vingt ans qui doit à la fois supporter des drames personnels difficiles à surmonter et un quotidien de guerre tout aussi anxiogène. Seule avec sa mère – qui n’est plus qu’ombre dépuis le début de la guerre et la disparition de ses fils – à Séoul, son travail consiste à démarcher des commandes de portraits sur soie auprès de soldats américains. C’est dans le cadre de ce travail qu’un jour son patron recrute un nouveau peintre : Ok Heedo.

Ok Heedo est un homme différent des autres et Lee Kyung, dont l’enfance révolue a fait éclore une jeune femme en quête d’attaches et de repères dans les temps troublés de la guerre, va rapidement tomber amoureuse de lui. Mais Ok est marié, l’amour est impossible à vivre, en même temps qu’impossible à totalement réprimer pour la jeune fille.

L’arbre nu, c’est cet arbre qui ressemble à un arbre mort mais qui a encore de la force en lui. Il attend désespérément des temps plus cléments pour s’exprimer de toutes ses feuilles et de toutes ses couleurs. L’arbre nu c’est Ok Heedo, c’est Lee Kyung, c’est l’image des vies en suspens alors que a guerre vole chaque jour des âmes et des avenirs. Mais, malgré toutes les douleurs et les peurs, il n’est pas mort, il espère des lendemains.

Entre les vagues de sentiments interdits et les plaies des blessures personnelles, Lee Kyung traverse la guerre de Corée et avec elle de nombreux aspects de la vie quotidienne qu’en France nous ne connaissons pas forcément, ou dont nous n’avons pas pleinement conscience.

Keum Suk Gendry-kim nous offre une nouvelle fois un beau roman graphique, enrichissant nos connaissances sur l’histoire contemporaine de la Corée, précisant des faits parfois ignorés ou déformés, tout en nous faisant découvrir une histoire devenue culte dans la culture coréenne depuis sa parution, en 1970. Elle nous fait également découvrir l’oeuvre de Park Soo-keun, nom réel du personnage d’Ok Heedo, l’auteure du roman original ayant écrit L’arbre nu à partir d’éléments autobiographiques.

Je ne veux pas gâcher le plaisir ni l’intensité de votre découverte, je ne vous en dis donc pas plus et vous invite à découvrir ce roman graphique, comme je le fais toujours avec le travail de Keum Suk Gendry-kim. De mon côté, je continue à suivre de très près cette auteure dont j’attends avec impatience le prochain livre prévu pour début mai et qui traitera de la douloureuse séparation de la Corée et, forcément, de celle des familles coréennes.

Cette lecture entre dans le cadre du Challenge coréen organisé par le blog Depuis le cadre de ma fenêtre.

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Et vous, quel est votre roman graphique préféré de Keum Suk Gendry-Kim ?
Avez-vous envie de la découvrir ?

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« Ma vie en prison. Le récit d’un cri pour la démocratie ! » de Kim Hong-mo (Kana, 2020)

Dans le cadre de mes lectures liées au soulèvement pro-démocratiques de Gwangju, je me suis dirigée vers ce roman graphique autobiographique dans lequel l’auteur revient sur son expérience d’enfermement dans une maison d’arrêt (1996-1997) du fait de ses activités politiques dans une association étudiante. Quel lien me direz-vous ? La découverte de la répression sanglante de mai 1980 est source d’engagement pour le jeune Yongmin, alter ego de l’auteur.

Quatrième de couverture : « Corée du Sud, mai 1980. En pleine période d’instabilité politique, des manifestations d’étudiants et de syndicats réclament la fin de la corruption et la révélation des malversations de l’Etat. Le gouvernement militaire sud-coréen leur oppose une répression violente. À Gwangju, 6e plus grande ville de Corée du Sud, l’armée avec le soutien de la loi martiale perpètre un véritable massacre : 163 morts, 166 disparus et plus de 3 000 blessés. 17 ans plus tard, révolté quand il se rend compte de la gravité de ces faits et de l’impunité de leurs responsables, Yongmin, jeune dessinateur et étudiant à l’université de Hongik, délaisse ses études pour rejoindre les mouvements étudiants de protestation, réclamant justice. Lors d’une manifestation, il est arrêté par la police et incarcéré. Il rejoint alors une cellule où il va devoir se familiariser avec les gangsters, meurtriers et autres détenus de droit commun ! L’auteur nous offre une plongée dans l’histoire contemporaine de la Corée du Sud. Mais c’est surtout une saine piqûre de rappel : la liberté d’expression est un droit chèrement acquis et qui n’est jamais irrévocable ! »

Réalisé dans un premier temps en feuilletons, l’intégralité de ce témoignage a été rassemblé pour être publié en un volume unique, notamment en français. Cela se ressent dans certaines redites qui ne sont pas particulièrement agréables à la lecture : le•la lecteur•trice n’oubliant pas l’information en tournant une simple page, certains passages auraient peut-être mérité un petit travail d’adaptation.

La chronique ne commence pas sur un point positif et malheureusement ça risque de durer encore un peu… La préface d’Alain Delissen annonçait une lecture passionnante sur divers aspects et finalement je n’ai pas trouvé ce que je cherchais et les réflexions que je souhaitais alimenter.

Dans la préface, Alain Delissen présente ce livre et le travail de Kim Hong-mo comme important dans la réflexion sur la mémoire et la représentation de l’histoire contemporaine de la Corée, citant à cette occasion Park Kun-woong. Je suis amatrice de l’œuvre de Park Kun-woong dans ce qu’elle montre et dans sa manière de montrer les faits, même si parfois la lecture est éprouvante. J’ai donc été déçue en découvrant que Kim Hong-mo avait adapté son témoignage notamment pour éviter l’ennui des lecteurs•lectrices. Je peux être assez sévère et je m’en excuse, mais, dans une démarche de témoignage, de sensibilisation et de mémoire, j’ai tendance à préférer les œuvres les plus justes possibles. De fait, cette œuvre interroge ce que l’on choisit de dire et de ne pas dire en pensant à l’attention et à la réception du lectorat (ici adulte). Un souci pertinent ou pas ?

Ce témoignage est visuellement agréable et expressif mais je déplore certains choix de l’auteur : minimiser l’impact de l’enfermement et les conditions de détention, ne représenter que des co-détenus qui ont été sympathiques et/ou lui ont laissé un bon souvenir et donc ne pas faire apparaître ceux qui étaient plus malveillants.

Pour revenir sur l’histoire, nous suivons Yongmin qui a été arrêté et attend d’être jugé pour son activisme politique au sein d’une association étudiante. La Corée du Sud est en pleine transition démocratique, des affaires politiques éclaboussent des membres du gouvernement et certaines violences d’Etat persistent, ce que dénoncent les étudiants. Contraint à l’enfermement dans une maison d’arrêt durant huit mois, Kim Hong-mo transmet ses souvenirs et montre, derrière les murs, ce que normalement la population ne voit pas, n’entend pas, ne sait pas. Il montre aussi comment la lutte s’est poursuivie malgré l’isolement des étudiants (séparés entre les cellules, les étages et les bâtiments), la détermination de Yongmin à ne pas renier son engagement.

Si ce roman graphique revêt sans aucun doute un intérêt socio-historique et littéraire, je dois bien dire qu’il ne m’a pas particulièrement convaincue. J’ai justement ressenti l’absence de certains faits, de certaines tensions et/ou difficultés ce qui a rendu l’ensemble finalement assez lisse. Et ce qui me dérange, au fond, c’est que cette volonté d’alléger le témoignage et de l’aérer avec des touches plutôt amusantes en pensant aux lecteurs•trices. Je pense que cela peut avoir le biais de donner l’impression de minimiser l’épreuve vécue, de dédramatiser le dramatique et ce ne sont pas des choix qui ont répondu à mes attentes.

Cependant, le parcours de l’auteur force l’admiration par sa détermination et sa droiture, dans son choix de rester fidèle à ses convictions malgré les risques d’emprisonnement encourus. J’ai également été émue par la représentation du père de Yongmin, infiniment attachant. De même, l’histoire de l’engagement de Yongmin permet d’approcher l’histoire socio-politique de la Corée du Sud contemporaine, ce qui est très instructif. Il y a donc aussi du positif, je ne peux tout de même pas dire l’inverse même si ce fut un rendez-vous un peu manqué.

Cette lecture entre dans le cadre du Challenge coréen organisé par le blog Depuis le cadre de ma fenêtre.

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❤ « Toutes les fois où je me suis dit… Je suis gay ! » d’Eleanor Crews (Steinkis, 2021)

Décidément, les éditions Steinkis nous offrent de bien belles publications. C’est le cas avec ce récit graphique autobiographique qui a su me toucher en plein coeur.

Quatrième de couverture : « Les aventures quotidiennes d’une jeune femme qui se découvre !

Ellie est une petite fille singulière. Elle porte du noir, est obsédée par le personnage de Willow dans Buffy contre les vampires et ne semble pas beaucoup s’intéresser aux garçons. Oui, parce qu’Ellie est lesbienne. Mais cela va lui prendre de nombreuses années et des coming-out à répétition avant d’accepter pleinement qui elle est.

Dans Toutes les fois où je me suis dit… je suis gay ! Eleanor Crewes nous relate avec humour et tendresse sa difficulté à identifier sa sexualité, sa recherche d’identité mais aussi le difficile passage de l’adolescence à l’âge adulte. »

Mon intérêt est né dès le début de la lecture de ce témoignage graphique, justement dans ce qu’il a de personnel et d’authentique pour l’auteure. En effet, Eleanor a réalisé, il y a plusieurs années et en amatrice, de petits fanzines retraçant sont processus de coming-out et d’acceptation de soi. Ces fanzines ont reçu un tel accueil enthousiaste que l’histoire a cheminée jusqu’à nous, aujourd’hui, dans ce beau volume de plus de 300 pages.

Ne se voulant absolument pas conçu comme un guide pour aider à faire son (ou ses) coming-out, Eleanor Crews a pensé ce roman graphique (et les fanzines à son origine) comme un témoignage pouvant peut-être aider des lecteurs et lectrices dans leur propre vie. Elle aurait aimé rencontrer ce genre de livres quand elle cherchait à se comprendre, je pense qu’elle a réussi à réaliser ce qui lui manquait et que ce livre touchera un large public.

Ellie a le sentiment d’être différente depuis l’enfance mais a aussi celui qu’il ne faut pas que ça se sache. Lors de l’enfance et de l’adolescence naissent différentes peurs : de ne pas plaire, de ne pas rentrer dans une certaine norme et, aussi, de faire les frais de la méchanceté (pour ne pas dire cruauté) des autres, d’être montré du doigt du fait de certaines différences. Alors Ellie va tout faire pour s’enfermer dans ce à quoi elle pense devoir ressembler, elle va mouler son apparence et ses comportements, maltraiter son corps.

Cette maltraitance du corps est aussi une maltraitance de l’esprit. C’est l’aliénation de soi-même et, malgré tous les efforts d’Ellie pour atteindre ses objectifs relationnels, rien ne se passe comme prévu. La frustration et la mal-être, en revanche, explosent les scores.

Comme un château de carte qui s’effondrerait au moindre coup de vent, essayer de s’affirmer comme autre que soi sans résultat, dédoubler son comportement en fonction des contextes relationnels épuise et empêche de se construire vraiment et solidement, laisse une confiance en soi de plus en plus fragile.

Il faudra à Ellie tout un processus pour déconstruire le leurre qu’elle se sera fabriqué durant de nombreuses années, plusieurs étapes à franchir, plusieurs coming-out jusqu’à celui qui sera le bon et lui ouvrira des perspectives nouvelles et fera souffler en elle un vent de liberté. Bien sûr, toutes les anxiétés et les questions ne disparaissent pas d’un coup, mais elles s’interrogent autrement : en changeant l’angle, en reformulant, en les affrontant avec une nouvelle certitude et donc plus de confiance.

L’auteure propose un point de vue personnel sur la difficulté, aujourd’hui encore, de réussir à s’affirmer lorsque l’on sort du schéma hétéronormé, celui-là même qui amène parfois certaines personnes à se mentir consciemment ou inconsciemment et, logiquement, à se nier.

J’ai apprécié le fait que la représentation de couples gays/lesbiens dans la culture populaire – ici avec Buffy contre les vampires – soit abordée. Il est évident qu’une représentation des diversités dans des oeuvres culturelles populaires est aussi un moyen de faire évoluer les mentalités. La situation n’est déjà plus la même aujourd’hui que dans les années 1990. C’est aussi un moyen de dire à des jeunes (et moins jeunes) qui pourraient se reconnaître : tout va bien, nous sommes comme toi, tu n’as pas à te cacher, tu n’as pas à avoir honte et tu as le droit de prétendre au bonheur comme n’importe qui.

J’ai également trouvé ce témoignage très intéressant car Eleanor montre la difficulté de dépasser beaucoup de carcans sociétaux même lorsqu’on est entouré de personnes non jugeantes et dignes de confiance, émotionnellement sécurisantes.

De la forme du récit, des propos et des illustrations, j’ai adhéré à tout. Le noir et blanc ne m’a absolument pas posé de souci, je ne me suis même pas rendu compte de l’absence de couleurs. Seul petit bémol sur la forme du livre, je pense qu’il aurait mérité une couverture rigide pour des questions de durabilité de l’objet. Je crains que la tranche soit atteinte après peu de lectures.

Un roman graphique très intéressant, touchant dans son authenticité mais aussi dans son humour, qui fait du bien et qui mérite largement d’être découvert. J’en suis ressortie émue et sincèrement heureuse pour l’auteure, face au chemin parcouru et à son sentiment d’enfin vivre.

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