« Ce prochain amour » de Nora Benalia (Hors d’atteinte, 2022)

Ce roman s’ouvre sur des considérations testiculaires. Une entrée en matière qui annonce que le contenu sera franc, cru et qu’on appellera une couille une couille.

Quatrième de couverture : « Une femme se laisse convaincre de renoncer à son métier, fait des enfants, les élève seule, survit à une multitude de violences quotidiennes et ordinaires et s’entend de surcroît répéter à tout bout de champ que le courage est un truc de bonhomme. Qui parviendrait à rester calme dans ces conditions ? Certainement pas Nora Benalia, dont Ce prochain amour est le premier roman publié. »

Nora Benalia se met (plus ou moins ?) en scène dans ce roman pour raconter des relations aux hommes. Parmi elles, il y a celle avec un ex-mari qui fut gorgée de violences et, de fait, d’un manque criant d’amour. L’autrice raconte un monde avant #metoo dans lequel les femmes savaient entre elles, à voix basse, les violences que chacune subissait. Ces femmes prétendues folles par leur bourreau ou rendues folles par les violences quotidiennes. Un monde peu habitué à voir une femme divorcer et élever seule ses enfants. Un monde qui jugeait la femme pour l’échec d’un mariage.

Mais c’est aussi du monde d’aujourd’hui dont elle parle. Un monde dans lequel la parole est un peu plus libre (bien qu’encore difficile à prendre) mais qui persiste à mal comprendre la situation des femmes et en particulier des mères célibataires.

De sa libération d’un homme violent à la recherche d’un nouvel amour, le personnage de ce roman témoigne également des blessures persistantes, de la nécessaire reconstruction comme de la notion de désirabilité.

Une lecture engageante pour une bonne partie mais qui s’est conclue – avec moi – par un essoufflement.

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❤ « Que sur toi se lamente le Tigre » d’Emilienne Malfatto (Elyzad, 2020)

Tout début 2021 j’ai lu un roman pour lequel j’ai été incapable de trouver les mots. Alors, quand ça ne veut pas, je ne force pas. Les mots viendront quand ils seront prêts. C’est à l’occasion du visionnage du reportage En Irak, le combat des femmes pour leur liberté, réalisé par Lucile Wassermann et Jack Hewson et diffusé sur France 24, que j’ai senti qu’il était temps de secouer mon lexique interne pour faire jaillir ces fameux mots.

Quatrième de couverture : « Dans l’Irak rural d’aujourd’hui, sur les rives du Tigre, une jeune fille franchit l’interdit absolu : hors mariage, une relation amoureuse, comme un élan de vie. Le garçon meurt sous les bombes, la jeune fille est enceinte : son destin est scellé. Alors que la mécanique implacable s’ébranle, les membres de la famille se déploient en une ronde d’ombres muettes sous le regard tutélaire de Gilgamesh, héros mésopotamien porteur de la mémoire du pays et des hommes.

Inspirée par les réalités complexes de l’Irak qu’elle connaît bien, Emilienne Malfatto nous fait pénétrer avec subtilité dans une société fermée, régentée par l’autorité masculine et le code de l’honneur. Un premier roman fulgurant, à l’intensité d’une tragédie antique. »

C’est l’histoire d’une femme et d’un homme qui s’aiment. C’est l’histoire de l’homme tué à la guerre et de la femme qui découvre sa grossesse. C’est une histoire d’honneur aussi absurde que réaliste dans laquelle la famille envisage le crime pour laver la honte. Mais quelle honte ?

En alternant les points de vues nous découvrons des positions qui ont soif de violence, d’autres qui déplorent la situation à venir mais, que voulez-vous, c’est comme ça… d’autres ne comprennent pas mais ne voient pas les alternatives. Des voix qui décrivent un tragédie et s’y inscrivent.

Ce roman est terrible et dit les menaces qui entravent les femmes, le poids de la loi tribale qui supplante la loi de l’Etat, comme le dit si bien le reportage. Cette loi tribale qui est revenue à une pratique parfois radicale de l’Islam, qui est revenue à une oppression très marquée des femmes et à la négation de leurs droits et de leurs libertés.

C’est l’histoire d’une terre saoule à la nausée d’avoir trop bu le sang des femmes. Un sang versé par la main des hommes mais aussi par celle de femmes qui s’intègrent à l’organisation sociale et familiale sans la remettre en question.

Un premier roman qui a été sélectionné et lauréat de nombreux prix : Goncourt du Premier Roman 2021, Prix Hors Concours des Lycéens, Prix Ulysse du livre, Prix Zonta Olympe de Gouges, Mention spéciale des lecteurs Prix Hors Concours, Lauréate du Festival du Premier Roman de Chambéry 2021, Finaliste du Prix Régine Desforges.

Comment ne pas penser également à la nouvelle Seher de Selahattin Demirtaş, extrait de son recueil L’aurore ? Si vous avez aimé ce roman et que vous ne connaissez pas les nouvelles de Selahattin Demirtaş, je ne peux que vous recommander de le découvrir.

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Et vous, quelle•s œuvre•s sur les crimes dits d’honneur conseillez-vous ?

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« La station Saint-Martin est fermée au public » de Joseph Bialot (Fayard, 2004 ; Libretto, 2013)

Joseph Bialot est né en 1923 à Varsovie dans une famille juive qui quittera la Pologne pour s’installer en France en 1930. Engagé dans la résistance, il sera déporté en 1944 à Auschwitz-Birkenau. Il sera un survivant. Joseph Bialot s’est éteint en 2012.

Quatrième de couverture : « Un homme marche dans Paris. Il a été ramassé quasi mort à la fin de la Seconde Guerre mondiale par des soldats américains sur une route parsemée de cadavres et porte un matricule sur l’avant-bras gauche. S’il a tout oublié de l’enfer traversé, il ne sait plus non plus ce que fut sa vie d’avant la déportation. A-t-il une famille ? Des enfants ? Un métier ? Doté par défaut d’un prénom de hasard, il réapprend à vivre dans une capitale française qui, comme lui, veut panser ses plaies. Bribes et souvenirs lui reviennent au fur et à mesure de ses déambulations et des quartiers traversés. Un nom frappe sa mémoire : celui d’une station de métro. Son passé est là, tout près, il le sent. Pourra-t-il enfin renouer les fils d’une mémoire occultée ? »

Auteur de romans policiers, il est également connu pour son texte autobiographique C’est en hiver que les jours rallongent (paru en 2002) qui revient sur sa déportation. Le roman dont je vous parle aujourd’hui a paru en 2004 et, s’il s’agit d’une fiction, il est évidemment nourri de l’expérience personnelle de l’auteur.

Des Jeep avancent sur des routes de l’Est. Des routes couvertes de linges étranges. Des hommes. Parmi eux se trouve un vivant.

Ne se souvenant de rien, l’homme baptisé Alex va devoir réaliser un travail intense pour se retrouver. Les souvenirs qui ressurgissent lors de séances médicalement encadrées sont ceux du camp, à travers eux le lecteur découvre également ce qui a été.

La construction narrative donne un sentiment de porosité entre la fiction et le témoignage. Nous souhaitons infiniment qu’Alex retrouve son histoire – et, espérons, sa famille -, nous devons parcourir le vide et le remplir avec lui, affronter ce que sa conscience a voulu effacer.

A partir de la quête d’un homme, Joseph Bialot montre également une France d’après-guerre nuancée qu’il est très intéressant de souligner. Celle qui cherche les absents, celle qui découvre ce qui a été, celle qui a encore son lot d’antisémites.

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Et vous, connaissez-vous cet auteur ?

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« Soleil amer » de Lilia Hassaine (Gallimard, 2021) • Rentrée littéraire

Comme beaucoup d’hommes, Saïd est parti pour la France laissant femme et enfants en Algérie. Le projet : aider à reconstruire la France, travailler dur pour aider financièrement la famille tout en rêvant de rentrer au pays natal, un jour.

Quatrième de couverture : « À la fin des années 50, dans la région de l’Aurès en Algérie, Naja élève seule ses trois filles depuis que son mari Saïd a été recruté pour travailler en France. Quelques années plus tard, devenu ouvrier spécialisé, il parvient à faire venir sa famille en région parisienne. Naja tombe enceinte, mais leurs conditions de vie ne permettent pas au couple d’envisager de garder l’enfant…

Avec ce second roman, Lilia Hassaine aborde la question de l’intégration des populations algériennes dans la société française entre le début des années 60 et la fin des années 80. De l’âge d’or des cités HLM à leur abandon progressif, c’est une période charnière qu’elle dépeint d’un trait. Une histoire intense, portée par des personnages féminins flamboyants. »

Lilia Hassaine nous propose de traverser plusieurs décennies au coeur d’une famille dont certains membres dissimulent sciemment un secret. Saïd a réussi à faire venir sa famille en France où ils bénéficient enfin d’un logement en HLM – ce qui n’était pas automatique. Mais le budget est extrêmement serré et la nouvelle grossesse de Naja s’annonce difficile à assumer.

En France, Saïd a aussi son frère Kader et sa belle-sœur, Hélène, qui est française. Heureux, ils ne parviennent cependant pas à avoir l’enfant qu’ils désirent tant.

Les membres de cette famille ainsi que de la communauté qui se crée au sein du HLM vont nous faire vivre la cité et les espoirs qui se muent en difficultés quotidiennes, racisme, violences, frustration. A travers un groupe de personnes aux parcours différents qui finissent par se rejoindre, ce sont aussi les drames qui frappent la jeunesse et les changements générationnels qui sont décrits. Je pense notamment à la perte de la langue des parents, à la volonté de libération qui habite les jeunes filles, au refus des impératifs dictés par le père.

D’une certaine manière, le récit se fait presque l’allégorie de l’Algérie et de la France : sœurs empêchées par les douleurs du passé malgré leurs liens et histoire commune indiscutables. Car la relation franco-algérienne est bel et bien à mes yeux une histoire de famille(s) contrariée.

Ce roman est aussi une histoire de perte, de la maternité refusée, perdue ou interdite. Une sorte d’hommage à la force d’aimer des femmes et des mères ainsi qu’à leurs blessures.

Si vous avez aimé ce roman, je ne peux que vous recommander de découvrir Leïla Sebbar et Mehdi Charef. Et, vous l’aurez compris, si vous aimez ces deux auteurs, je ne peux que vous recommander de découvrir ce roman de Lilia Hassaine.

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Et vous, quel roman mêlant Algérie et France conseillez-vous ?

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« Le meilleur des jours » de Yassaman Montazami (Sabine Wespieser, 2012 ; Points, 2014)

Il y a des romans qui nous attendent sagement, qui nous intéressent sans que nous les gardions en mémoire. Généralement, ce sont des romans que nous achetons en double. Ce fut le cas pour ce roman de Yassaman Montazami. Il était temps de le découvrir et le challenge #autricesdumonde d’octobre m’en a donné la belle occasion.

Quatrième de couverture : « Il s’appelle Behrouz, le meilleur des jours en persan. C’est mon héros, mon père. Iranien réfugié à Paris, il refuse de travailler. Fantasque, il cuisine le canard à l’orange la nuit, danse sur Boney M et affirme que la princesse Soraya est clitoridienne. Son appartement est le refuge des exilés de la révolution : une épouse de colonel en fuite, un poète libertin, un chef d’entreprise opiomane…

Née à Téhéran en 1971, Yassaman Montazami vit en France depuis 1974. Docteur en psychologie, elle a travaillé de nombreuses années auprès de réfugiés politiques et exerce actuellement en milieu hospitalier. Le Meilleur des jours est son premier roman. »

Voici un court roman pour dire l’amour qui lie une fille à son père et vice-versa. Un amour et une attention que le père aura aussi porté à ses semblables tout au long de sa vie.

En 2006, Yassaman Montazami perd son père, Behrouz, le meilleur des jours en persan. De cet enfant prématuré trop chétif pour survivre à l’opposant politique exilé en France qui accueille des iranien•ne•s en fuite chez lui, l’autrice nous offre une autofiction tout en sensibilité et touchante d’admiration.

De ses souvenirs d’enfance à sa vie de femme, Yassaman Montazami retrace la vie de son père grâce au regard son alter-ego littéraire. Eternel étudiant travaillant une thèse sur la pensée de Karl Marx censée révolutionner la pensée (qui fut source de fierté autant que de douleur) ; éternelle présence rassurante, amusante et rassérénante pour son large entourage, qu’il soit privé de son pays ou confronté aux drames de la vie.

Faire face, rire et avancer. Vivre, aimer et être aimé. Affronter les jours et les nuits, les souvenirs des amis assassinés ou survivants de tortures, la perte de son propre père. Un portrait qui parle autant de l’humanité d’un homme – que chaque lecteur•trice aurait aimé avoir la chance de connaître – que de l’histoire contemporaine, de l’oppression politique, de la diaspora iranienne.

Quand l’absence se fait trop présente, il revient aux vivants de pouvoir offrir une sépulture de mots qui ressuscite les souvenirs. La psychologue qu’est Yassaman Montazami ne contredira sûrement pas les bienfaits de l’écriture dans le travail de deuil. Et si le deuil principal est bien celui du père, c’est aussi celui d’un pays.

Seul roman de l’autrice publié à ce jour, je serai au rendez-vous du prochain.

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Et vous, quel roman sur le deuil du père conseillez-vous ?

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❤ « Charlotte » de David Foenkinos (Gallimard, 2014)

J’ai découvert ce roman il y a plusieurs années. J’en étais intégralement tombée sous le charme. Il y a peu, j’ai vu qu’il existait une version de ce texte au format beau livre, illustré d’une sélection d’œuvres de Charlotte Salomon. Comment résister ? Pourquoi hésiter ?

Quatrième de couverture : « Le roman de David Foenkinos retrace la vie de Charlotte Salomon, artiste peintre morte à vingt-six ans alors qu’elle était enceinte. Après une enfance à Berlin, Charlotte est exclue par les nazis de toutes les sphères de la société allemande. Elle vit une passion amoureuse fondatrice, avant de devoir tout quitter pour se réfugier en France. Elle y entreprend la composition d’une œuvre picturale autobiographique d’une modernité fascinante. Se sachant en danger, elle confie ses dessins à son médecin en lui disant : C’est toute ma vie.

Ce roman a connu un succès considérable depuis sa publication en septembre 2014 et a obtenu deux prestigieux prix littéraires, le prix Renaudot et le prix Goncourt des lycéens.

De nombreux lecteurs ont demandé à l’auteur de montrer les œuvres peintes de Charlotte, quelques-unes des centaines de gouaches qu’elle a laissées et dont l’ensemble, intitulé Vie? ou Théâtre? raconte son histoire.

Cette édition intégrale illustrée du roman est accompagnée de cinquante gouaches de Charlotte Salomon choisies par David Foenkinos, et d’une dizaine de photographies représentant Charlotte et ses proches. »

De ce roman, devenu un classique contemporain, j’ai entendu du bien et du moins bien. J’en avais un très bon souvenir mais cette belle édition s’est présentée à moi comme l’occasion de remettre en jeu mon premier avis.

Je me souviens que cette lecture m’avait marquée par son sujet – un roman biographique extrêmement fort – mais aussi par sa forme. Il s’agissait du premier roman en vers libres que je découvrais et j’avais beaucoup apprécié. Cette forme donne un rythme, une musique, en même temps qu’il met en avant des hésitations, des doutes, des cassures.

Je suis ressortie de cette seconde lecture émue et à nouveau conquise, trouvant que dérouler la vie de Charlotte avec ses œuvres en regard du texte est un vrai plus, apporte une réelle force page après page. Même si je ne suis pas amatrice du style pictural de l’artiste, j’ai été sensible au sentiment d’urgence dont ses œuvres sont particulièrement empruntes.

Charlotte Salomon est allemande. Sa famille est frappée d’une sorte de malédiction : la dépression et/ou la folie qui mènent toutes deux à de nombreux suicides. Puis, dans les années 1930 et 1940 en Allemagne, le danger est autre. Car Charlotte et sa famille sont juifs. Dès le début de la lecture nous savons qu’elle ne survivra pas à la haine, qu’elle sera déportée et assassinée. Entre sa naissance et sa mort prématurée, à 26 ans, une vie se déploie : avec ses passions, son art, ses doutes, ses blessures, ses chutes, ses forces, ses renaissances. C’est une femme complexe, confrontée à la perte dès son jeune âge, dont le parcours me bouleverse.

L’une des critiques qui revient régulièrement à l’encontre de ce roman est la place que prend David Foenkinos dans l’histoire. Il s’invite de temps en temps pour évoquer l’avancée de ses recherches, partager des anecdotes ou insister sur l’impact qu’a eu Charlotte sur lui. C’est quelque chose qui a dérangé certaines lectrices, trouvant qu’il venait prendre de la place là où ce n’était pas nécessaire au lieu de laisser l’espace à Charlotte. Une sorte d’abus de présence masculine, si je résume grossièrement. C’est notamment cette critique assez ferme qui m’a invitée à la relecture : aurais-je été légère dans mon féminisme à la première lecture ?

Je ne trouve pas. Je ne suis pas d’accord avec cette critique et je ne vois pas où est le problème dans ces quelques moments de rupture qui permettent à l’auteur d’exprimer son admiration et son émotion dans sa quête de Charlotte mais aussi son enthousiasme à nous la faire connaître. Si je devais avoir un parcours similaire concernant un•e artiste que j’admire, je serais sûrement tentée de faire le même genre d’apartés qui rappellent aussi une réalité : dans la mémoire – ou l’oubli – des lieux, dans la difficulté de trouver des traces et des archives, dans la joie quand l’ombre d’une réponse se profile. Je crois que réduire ce texte à une problématique sexiste c’est se tromper de combat et annihiler son message, ce qui me paraît assez dommage.

Je vais donc conclure sur mon coup de coeur qui se déclare pour la seconde fois : ce roman est à la fois beau, passionné, dramatique et révoltant. Un hommage réussi dont on sent l’importance pour David Foenkinos.

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Et vous, aimez-vous les éditions augmentées ?

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« L’aiguilleur » de Bertrand Schmid (Inculte, 2021) • Rentrée littéraire

Poursuivons ensemble le chemin des déceptions de cette rentrée littéraire avec le second roman de Bertrand Schmid. Promis, des chroniques plus enthousiastes arrivent. Si j’ai beaucoup aimé le fond de ce récit, son contexte et le personnage principal qu’est Vassili, j’ai été refroidie par sa forme.

Quatrième de couverture : « Au fond de la forêt où il vit, le vieux Vassili n’entend plus le fracas des villes. Les délires de grandeur de la nation se perdent dans les bois avant de l’atteindre. Seul un portrait de Staline, accroché au mur de sa cabane, témoigne de l’omniprésence du régime. Qu’il neige ou qu’il vente, l’aiguilleur solitaire doit entretenir une portion de voie, même si les rails semblent ne mener que dans un grand nulle part…

Mais un jour, un train passe, laissant derrière lui une pluie de petits messages. En cherchant à les décrypter, Vassili va être rattrapé par les fantômes du passé et s’aventurer dans un territoire dangereux, celui des amours défuntes et des condamnés à l’exil.

Récit d’un exil au fond de soi, L’Aiguilleur dépeint la lente métamorphose d’un monde sombrant dans le silence et la nuit. Sensible aux moindres détails, aux plus subtiles nuances, l’écriture de Schmid nous plonge dans les derniers jours d’un solitaire et parvient à faire de Vassili un personnage de légende, digne des grands romans russes. »

Vassili est à l’automne de sa vie. Celle-ci a été consacrée au respect des directives du Parti, dans les espaces silencieux et sans pitié de la Sibérie. Et justement, l’hiver s’installe dans cette région dans laquelle le moindre faux pas peut s’avérer fatal.

Entre taches du quotidien et souvenirs volontairement refoulés, des lettres vont venir perturber la vie graissée, huilée, quasi conformée de Vassili. Des lettres échappées de trains qui réveillent ces années lointaines au cours desquelles il avait appris à lire ainsi qu’à aimer. Leurs phrases attendent d’être déchiffrées, pleines d’espoir d’être portées à leur destinataire maintenu dans l’insupportable silence. Mais si elles réveillaient plutôt, malgré elles, des feux, dont ceux du refus, de la recherche de l’être aimé, des trains transportant les opposants politiques ?

Vraiment, sur le fond j’ai été séduite. J’ai été surprise par certains rebondissements et émue par le caractère et l’histoire de Vassili. C’est un personnage qui impressionne par son combat entre soumission et insoumission dans un pays dont les dirigeants ne tolèrent pas l’opposition et savent la contraindre, aidés de membres attentifs dispersés dans tous les territoires.

Ce qui m’a laissée en retrait fut la langue de Bertrand Schmid, sa recherche permanente d’effets qui, pour moi, fonctionne un temps mais pas sur la durée. Par exemple, personne ne me transperce plus que Hubert Mingarelli, dont l’écriture s’ancrait dans la – difficile – recherche de simplicité. Autant dire qu’ici c’est une toute autre école en termes de stylistique. J’ai parfois eu le sentiment de crouler sous les formules, sous une quantité de phrases modelées qui perdaient en naturel. Alors que la nature hivernale et sa rudesse sont le décor du roman, que le vide et la solitude sont presque des personnages à part entière, j’aurais préféré une écriture plus épurée, élaguée, ne donnant d’elle que l’essentiel – ce qui n’empêche pas la poésie.

Je retiendrai de cette lecture un beau personnage complexe et réaliste, des espaces intimant à l’homme une humilité permanente et infiniment violents pour les personnes qui y furent exilées de force. Cependant, je ne pense pas me laisser tenter à l’avenir par un autre roman de Bertrand Schmid, nos sensibilités de style ne me paraissant pas vraiment s’accorder.

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Ils/Elles l’ont aussi lu et chroniqué : A venir…

Et vous, quel•s roman•s se déroulant en Sibérie conseillez-vous ?

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👁 « Le livre des départs » de Velibor Čolić (Gallimard, 2020)

J’ai découvert Velibor Čolić il y a quelques temps avec son livre Les Bosniaques – difficilement soutenable mais nécessaire – et je me suis procuré plusieurs de ses romans immédiatement après. Une écriture dans laquelle l’humour est le dernier rempart pour ne pas sombrer. Né en Bosnie en 1964, fait prisionnier lors de la guerre, il parvient à s’enfuir et arrive en France en 1992.

Quatrième de couverture : « Je suis un migrant, un chien mille fois blessé qui sait explorer une ville. Je sors et je fais des cercles autour de mon immeuble. Je renifle les bars et les restaurants.

Velibor Čolić, à travers le récit de son propre exil, nous fait partager le sentiment de déréliction des migrants, et l’errance sans espoir de ceux qui ne trouveront jamais vraiment leur demeure. Il évoque avec ironie ses rapports avec les institutions, les administrations, les psychiatres, les écrivains, et bien sûr avec les femmes qui tiennent une grande place ici bien qu’elles aient plus souvent été source de désir ardent et frustré que de bonheur. Son récit est aussi un hommage à la langue française, à la fois déchirant et plein de fantaisie. »

Si ses considérations sur les femmes et ses histoires de coeur ne m’ont pas particulièrement emballée (je ne suis généralement pas bon public sur ce sujet) j’ai été sensible au reste de ce roman autofictionnel. Parce que Velibor Čolić a le don de me faire passer du rire aux larmes en un claquement de doigts et qu’au détour d’une anecdote c’est un vrai sujet social qu’il révèle.

J’ai retrouvé dans ce livre le Velibor Čolić qui m’a tant émue au cours de visionnages de conférences et de rencontres publiques (ce que je rêve de vivre un jour) : dans une vie d’équilibriste entre un passé traumatique et un présent étroit, dans un combat d’écriture et de langues, dans une force de vivre, malgré tout.

C’est assez difficile à expliquer mais si je ne partage rien des expériences de l’auteur (et j’en suis bien heureuse), je partage cependant son regard incisif – voire intransigeant – sur les faits et comportements qui l’agacent. Un regard qui sait aussi se faire tendre, souvent à l’encontre des oubliés et des invisibles. Il est souvent question de situations du quotidien d’un homme en exil qui regarde le pays d’accueil et ses travers et qui nous les fait voir de l’intérieur. Et je suis très très bon public quand je croise un compatriote de cet humour sarcastique. Alors, oui, j’ai ri, parfois très fort, de bon coeur mais aussi avec amertume.

Et il y a la douleur qui ne quitte pas l’auteur, une douleur liée à l’absence, à la frustration d’un quotidien insatisfaisant, une douleur qui rappelle que la guerre n’est pas complètement passée. Et ce dernier point est peut-être le passage qui m’a le plus brisé le coeur.

D’une vie faite de multiples départs, Velibor Čolić livre un récit singulier et infiniment émouvant écrit dans une langue inventive qui crie la liberté.

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Ils/Elles l’ont aussi lu et chroniqué : D’une berge à l’autre

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« En montant plus haut » d’Andrea Salajova (Gallimard, 2018)

Je me suis tournée vers ce roman pour approcher la Tchécoslovaquie communiste des années 1950 ainsi que la mise en littérature de la lutte pour la liberté sous un régime autoritaire. Un sujet que je vais sûrement approfondir dans les mois à venir.

Quatrième de couverture : « Tchécoslovaquie, 1955. Le pouvoir communiste en place charge Jolana Kohútová d’une mission aussi difficile que délicate : mettre au pas un village de montagne rétif à la collectivisation des terres agricoles. On lui adjoint dans cette tâche un de ses vieux amis de la résistance au nazisme, un Tzigane aussi suspect qu’elle aux yeux du régime. Ils savent l’un et l’autre que cette mission est une mise à l’épreuve, qu’ils ne peuvent la refuser et qu’ils seront sous surveillance. Leur liberté et leur vie sont en jeu. A moins de réussir à convaincre le village, comment pourront-ils échapper au piège tendu par les commissaires politiques lancés à leurs trousses ? »

Quel est le prix de la liberté ? Jolana Kohútová va devoir se poser la question à plusieurs reprises. Envoyée dans des champs de pommes de terre au milieu de nulle part pour son opposition au régime, elle se fait une raison sur sa situation précaire. Jour après jour, elle s’épuise dans les champs, parmi d’autres femmes qui se méfient d’elles, certaines bienveillantes, d’autres provocantes et acquises au système. Cette vie, jamais elle ne s’est battue pour, et pourtant elle fit partie de la résistance durant la Seconde Guerre mondiale. La liberté d’après guerre a un goût amer.

Un jour, une voiture arrive, elle contient un homme et un message à l’attention de Kohútová. Lui, Olšanský, est presque un fantôme du passé. Brimé comme Kohútová, discriminé car Tzigane, il l’a retrouvée pour lui proposer un accord : soumettre un village à l’idéologie et aux principes de mutualisation des terres du parti pour prouver leur fiabilité et ainsi recouvrir une liberté de mouvements. Quitter les champs pour vivre des rêves qui n’étaient jusqu’alors plus imaginables. En venant la chercher sous la surveillance de membre du parti, il ne lui laisse en fait pas vraiment le choix.

L’essentiel du roman va alors se dérouler dans un village isolé et récalcitrant à la mutualisation. Pour mener à bien la mission, il va falloir désamorcer les résistances, convaincre à tout prix. Entre surveillances, manigances et pressions, Andrea Salajova explore un labyrinthe inextricable dont l’issue est la liberté. Mais sa propre liberté vaut-elle de soumettre tout une communauté ? Est-on libre quand on joue le jeu de l’oppresseur allant à l’encontre de nos convictions profondes ?

Entre les enjeux des deux amis du passé, les villageois qui oscillent entre leurs volontés propres, la menace et l’autorité des gros exploitants, les membres du parti qui observent, il y a aussi de jeunes gens convaincus par la politique du régime. Les yeux et les oreilles sont partout, le risque est permanent mais le temps et les échanges font que l’empathie ne peut pas rester endormie.

En plus d’une rélfexion sur la liberté individuelle et les libertés collectives, sur l’autoritarisme, Andrea Salajova nous parle de la liberté d’une femme qui affronte regards en biais, remarques désobligeantes et actes violents. Une femme qui témoigne aussi de l’histoire alors extrêmement récente, la Shoah. J’ai beaucoup apprécié son caractère indépendant, combatif malgré elle, qui refuse les carcans de façon épidermique. Un caractère aussi admiré par Olšanský bien qu’il le fasse souffrir tout au long du roman. Une relation qui m’a tenue en haleine tant elle était complexe et douloureuse, désespérément suspendue.

Un livre intéressant et prenant dont on n’arrive pas à imaginer l’issue tant le piège se met en place pour se refermer petit à petit. Un roman qui confirme que la liberté a un prix que l’on peut oublier en temps paisibles.

Sur l’aimable invitation de Patrice du blog Et si on bouquinait un peu ?, cette chronique rentre dans le challenge Le mois de l’Europe de l’Est. N’hésitez pas à le découvrir !

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Ils/Elles l’ont aussi lu et chroniqué : Passage à l’Est !

Et vous, quel•s roman•s sur cette période conseillez-vous ?

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« Chasser les ombres » de Lamia Berrada-Berca (Éditions do, 2021)

Il n’y a pas de lumière sans ombres, il n’y a pas d’ombres sans lumière. Une dualité qui peut se retrouver aussi entre les mots et le silence : les mots sont accompagnés de silences, les silences sont accompagnés de mots ; ou encore entre la vie et la mort.

Quatrième de couverture : « Parvenu au crépuscule de sa vie, Louis se prépare à mourir, seul, à Paris. Au même moment, à Tokyo, son petit-fils Akito décide sans raisons apparentes de se cloîtrer dans sa chambre. Ce séisme intime amène ses proches à se confronter à leur propre histoire : liens rompus, secrets enfouis, aspirations profondes, blessures refoulées… Face au caractère irrationnel de la situation, enfermés à leur tour dans l’incompréhension et la culpabilité, tous prennent conscience des liens ténus reliant l’existence à l’invisible. Fable à la tonalité impressionniste à la fois profonde et légère, Chasser les ombres raconte, à travers le phénomène très particulier de ces reclus volontaires, les hikikomoris, une histoire universelle : la manière dont chacun se sent relié aux autres, dont chacun se crée un refuge intérieur, se trouve un point de fuite, se métamorphose ou se renferme, en explorant librement le sens de sa vie ou en rêvant l’image de sa mort. Comme l’ombre accompagne la lumière. »

Deux pays : la France et le Japon. Une famille (dé)composée de multiples silences, de mots pesés et dont la préciosité relève parfois de leur rareté, se rapportant à des ombres couvrant les histoires personnelles.

Louis est un homme en fin de vie, vivant seul en France. Hospitalisé, il admire un cerisier du Japon par la fenêtre de sa chambre et médite. Il pense à sa vie, il pense à son fils qu’il n’a plus revu depuis de nombreuses années. Il pense à son petit-fils qu’il n’a jamais rencontré, seulement avec un unique dessin reçu par courrier.

Lucas, le fils, vit au Japon. Il y a rencontré Mikki avec qui il s’est marié et a eu un fils, Akito. Ce dernier va du jour au lendemain s’enfermer dans sa chambre et se couper du monde. Ses parents réalisent qu’il a choisi d’être un hikikomori. De son côté, Lucas n’a jamais vraiment parlé de sa famille à son épouse. Entre séisme intérieur, familial et le souvenir de la catastrophe de Fukushima, ce sont les failles de différentes vies qui s’ouvrent.

Un roman sur les silences et les non-dits, sur les zones d’ombre qui obscurcissent plus qu’on ne le pense les constructions individuelles, qui brouillent et perdent les identités complexes dont chacun de nous est fait. Un roman de réconciliation avant de ne plus en avoir la chance, de respiration et de libération des esprits. Enfin, un roman sur l’importance des mots, leurs sens en fonction des lieux, leur signification intime et collective, le moment ou non de les dire, leur puissance quand ils sont dits.

Comme dans de nombreux romans publiés par les éditions do, la mort est également présente comme sujet de réflexion et cela m’a une nouvelle fois intéressée. Ici la recherche se porte sur le retour à la vie après la mort, la poursuite d’une existence au coeur de la nature, le retour à l’origine et au tout. Des considérations à la fois apaisantes et inspirantes qui nous emmènent à la découverte de différents rites funéraires.

J’ai également apprécié l’immersion dans la culture japonaise que décrit l’auteure. Ne m’y connaissant pas, j’ai aimé découvrir certaines de ses subtilités en même temps que j’ai été sidérée de constater le poids du jugement et l’intransigeance de cette société.

C’est un texte d’une grande délicatesse que nous propose Lamia Berrada-Berca et qui, malgré quelques regrettables coquilles, explore les blessures intimes et la difficulté de s’y confronter ainsi que la transmission de certaines ombres que des mots ont le pouvoir d’éclairer, voyant mieux d’où nous venons pour pouvoir avancer.

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Et vous, quel•s texte•s sur les hikikomori conseilleriez-vous ?

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« Le Démon de la Colline aux loups » de Dimitri Rouchon-Borie (Le Tripode, 2021)

Difficile de passer à côté de ce roman de la rentrée hivernale tant il a créé la surprise et s’annonce déjà comme un phénomène littéraire de ce début d’année ! J’y suis allée un peu à l’aveuglette mais intriguée par la présentation de l’éditeur, je me demande maintenant si j’ai aimé ou pas, et en fait je ne sais pas.

Présentation de l’éditeur : « Un homme se retrouve en prison. Brutalisé dans sa mémoire et dans sa chair, il décide avant de mourir de nous livrer le récit de son destin.

Écrit dans un élan vertigineux, porté par une langue aussi fulgurante que bienveillante, Le Démon de la Colline aux Loups raconte un être, son enfance perdue, sa vie emplie de violence, de douleur et de rage, d’amour et de passion, de moments de lumière… Il dit sa solitude, immense, la condition humaine. 

Le Démon de la Colline aux Loups est un premier roman. C’est surtout un flot ininterrompu d’images et de sensations, un texte étourdissant, une révélation littéraire. »

Dès les premières pages nous sentons que l’air va se faire épais et que ce ne sera pas simple. Mais je ne pensais pas être confrontée à autant de violence et surtout, ce genre de violence. C’est un premier roman indéniablement difficile que nous propose Dimitri Rouchon-Borie, porté par une écriture vive et inventive et qui nous tient aux côtés du personnage principal, entre les murs de sa cellule, nous enlevant toute force de le quitter.

Que ce soit sur le site des éditions du Tripode ou sur la quatrième de couverture, nous apprenons qu’il est question d’un être brisé mais nous n’en savons pas tellement plus. Cette brisure est le coeur de l’histoire car elle aura un impact sur toute la vie de Duke, à qui nous avons envie de rendre son prénom. Mais je ne peux vous en dire plus (même si je pense qu’un petit warning ne serait pas de trop) au risque de vous faire passe à côté du choc de lecture (suis-je pour autant partisane du choc, je ne suis pas sûre).

Il est question d’une enfance qui n’en a pas été une et qui aura un impact sur toute la vie de Duke, sur sa propre considération, sur ses choix et ses non-choix, sur ses actes. Ce texte très noir est comme une tempête que le•la lecteur•trice se prend de plein fouet autant pour son contenu que pour sa forme, avec des passages magnifiques et d’autres insoutenables. Au milieu de tout cela : notre coeur qui se serre et notre esprit qui se fait percuter.

Difficile de poser ce livre en même temps qu’il est difficile de le lire, une ambivalence qui joue clairement dans le sentiment qui me partage après cette lecture. Je n’ai pas un avis tranché mais ce que je peux dire est ceci : si j’avais eu connaissance du contenu je n’y serai peut-être pas allée, mais une fois le roman ouvert je n’ai pu que rester aux côtés de Duke, dans son cheminement intérieur, dans sa confession avant le jugement dernier, mêlant réalisme et mysticisme. Jugement qui rythme le récit, qu’il soit divin ou humain. Et dans un fatalisme réel, nous comprenons que si la justice juge, elle ne répare jamais ce qui a été commis, elle ne rend pas ce qui a été pris.

La méchanceté crasse a créé la colère et la violence, jusqu’où ira-t-elle ? Avec ce personnage victime qui devient coupable à son tour, Dimitri Rouchon-Borie explore sans manichéisme la notion de responsabilité alors même que les conséquences d’actes passés sont toujours vivaces. Parce que l’on peut être les deux.

Dans l’obscurité des mots, de rares rayons de lumière apparaissent, mais malgré ça, le sentiment d’irréversibilité des événements nous laisse un goût de cendre et un profond malaise. Un premier roman impressionnant.

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Et vous, approcherez-vous la noirceur de ce texte ?

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« Ce qu’il faut de nuit » de Laurent Petitmangin (La manufacture de livres, 2020)

A l’origine, ce roman ne faisait pas partie de ma sélection de la rentrée littéraire, mais les avis ont été si positifs dès sa parution que je me suis laissée tenter. Je dois reconnaître qu’il m’a été impossible de le fermer une fois commencé (pourquoi ai-je attendu qu’il soit si tard pour le commencer ?) et ce sont les yeux rougis et l’esprit troublé que je me suis rendue au travail quelques heures après sa lecture.

Quatrième de couverture : « C’est l’histoire d’un père qui élève seul ses deux fils. Les années passent et les enfants grandissent. Ils choississent ce qui a de l’importance à leurs yeux, ceux qu’ils sont en train de devenir. Ils agissent comme des hommes. Et pourtant, ce ne sont encore que des gosses. C’est une histoire de famille et de convictions, de choix et de sentiments ébranlés, une plongée dans le cœur de trois hommes.

Laurent Petitmangin, dans ce premier roman fulgurant, dénoue avec une sensibilité et une finesse infinies le fil des destinées d’hommes en devenir. »

Indéniablement, ce premier roman est annonciateur de prochains livres que je suis déjà impatiente de découvrir. Même si parfois la langue courante me semblait paradoxalement un peu trop ficelée, je me suis attachée à ce père qui nous parle de ses garçons, de sa famille qui fait, page après page, face à des vagues imprévisibles, violentes, dévastatrices.

Laurent Petitmangin nous parle de ce que l’on peut faire, de ce que l’on n’ose pas faire, des émotions qui nous renferment et nous blessent, nous éloignent alors même qu’elles sont liées aux êtres les plus proches de nous. Il nous parle d’un père qui a fait en sorte de transmettre des valeurs à ses enfants et qui se confronte à leur passage à l’âge adulte, au moment où ils font leurs propres choix et se façonnent leur propre monde. Et parfois ce monde en construction est très éloigné de ses idéaux. Qu’a t-il manqué ? Où a t-il commis une erreur ? Oui, le décès de la maman a été un immense séisme dont chacun a eu du mal à se relever, lui le premier. Mais est-ce la seule raison ?

Car il est aussi question d’un espace de détresse sociale, un monde où les usines ferment, où l’emploi est difficile à trouver, où les études ne sont pas faciles à continuer. Comme si tout était joué d’avance et que les cartes te désignaient perdant par principe, car il est terriblement difficile de quitter ces terres gorgées de détresse et de colère. Entre le sentiment d’injustice et la haine, il y a quelques pas, quelques nuits.

L’auteur, en plus d’entrer doucement dans l’intimité d’une famille, montre aussi la facilité avec laquelle nous pouvons emprunter un chemin, la séduction à l’œuvre dans certains milieux, la violence aveugle qui conduit à l’irréversible. Il nous propose aussi le regard d’un homme qui voit grandir ses fils, encore petits et innocents hier, désormais adultes et responsables de leurs actes qui ne sont plus des jeux.

Plus fort encore, il exprime l’amour. Cet amour inconditionnel qui se dévoile petit à petit, qui connait des remous mais qui fait comprendre que quoi que fasse un homme, ses parents ont le droit de continuer à l’aimer comme leur fils, et on ne pourrait les condamner pour cela.

Un texte qui absorbe, surprend, émeut. Un texte qui vous fera garder les yeux et le cœur ouverts. Un texte qui parle de la complexité des émotions humaines et des nuits qu’il faut, aussi, pour pardonner et se pardonner.

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Et vous, quel premier roman avez-vous découvert avec enthousiasme en cette rentrée ?

 

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« La chasse aux âmes » de Sophie Blandinières (Plon, 2020)

Les romans sur la Seconde Guerre mondiale et, plus précisément, sur l’histoire de la Shoah échappent rarement à mon attention. Celui-ci me rendait très curieuse car axé sur le sauvetage des enfants du Ghetto de Varsovie.

Quatrième de couverture : « L’Histoire bouscule les âmes, la perversité de l’occupant nazi qui veut corrompre, voir ses victimes s’autodétruire et met en place un jeu ignoble dont l’objectif est de survivre, à n’importe quel prix : vendre son âme en dénonçant les siens ou ses voisins, abandonner ses enfants affamés, ou sauver son enfant, lui apprendre à ne plus être juif, céder son âme au catholicisme pour un temps ou pour toujours en échange de sa vie.

Pour survivre, il faut sortir du ghetto. Par tous les moyens.

Trois femmes, une Polonaise, Janina, et deux juives, Bela et Chana, vont les leur donner. Elles ont organisé un réseau clandestin qui fait passer le mur aux enfants et leur donne, pour se cacher en zone aryenne, une nouvelle identité, un nouveau foyer, une nouvelle foi, polonais et catholiques. »

Je ressors de cette lecture plutôt mitigée (et bien embêtée car j’aurais vraiment aimé être convaincue par ce roman porteur de promesses mémorielles). Pourtant, l’ouverture de l’histoire avait de quoi éveiller l’intérêt : Joachim, le père du narrateur, décédé au moment du récit, a été jugé pour l’assassinat d’un homme en Pologne alors qu’il s’était installé en France et y avait fondé une famille. Pourquoi ce meurtre ? Que peut nous dire l’histoire dans la motivation de cet acte ? Le fils trouvera-t-il les réponses qu’il cherche en se rendant à Varsovie ?

Au coeur du propos, les âmes : vendues, achetées, négociées, broyées, meurtries, assassinées. Et, parfois, sauvées.

S’il permet de revenir sur l’invasion de la Pologne par l’armée Allemande, sur la mise en place des lois antisémites, l’instauration du Ghetto de Varsovie jusqu’à la mise en pratique de la « solution finale », le rythme du récit ne m’a pas convenu.

Tout se déroule très rapidement, trop rapidement. Dans une prison à ciel ouvert coupée du monde où, j’imagine, chaque seconde revêt une durée interminable, le rythme presque enfiévré de l’écriture m’a déstabilisée. J’ai eu le sentiment que l’auteure voulait nous dire beaucoup de choses – et il y a beaucoup à dire, c’est vrai – en trop peu de temps. Finalement, tout s’enchaîne à toute vitesse, avec des détails qui, à mes yeux, n’ont pas toujours servi le propos. De fait, je me suis rapidement essoufflée malgré mon attachement pour les personnages au cœur du roman et mon intérêt pour le sujet. C’est tout à fait personnel, mais sur des thématiques particulièrement sensibles je préfère la sobriété. Le sujet est tellement fort qu’il n’y a pas forcément besoin de plus.

Rapidement, des personnages enfilent les vêtements et les parcours d’hommes et de femmes qui ont réellement existé et que nous pouvons reconnaître très facilement. Je n’ai pas compris l’utilisation de noms fictifs dans ce cadre. Est-ce pour bien rappeler l’espace de la fiction ? Cela s’entend. Dans mon cas, cela m’a fait me distancier car si l’on met en avant le rôle réel de personnes qui ont pris tous les risques par humanité, parfois jusqu’à se sacrifier, j’ai besoin que leurs noms soient présents. La note en fin de roman a été bénéfique sur ce point.

En fin de compte, ce n’est pas un roman qui me restera en mémoire mais s’il peut toucher des personnes qui n’ont pas l’habitude de lire sur la Shoah, c’est un aspect positif que je ne peux négliger.

Je tiens à remercier les éditions Plon ainsi que la plateforme NetGalley de m’avoir permis d’accéder à ce roman en avant-première.

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« Le jour de la cavalerie » d’Hubert Mingarelli (Points, 2003)

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Un jour avec un petit coup de mou ? J’opte pour du Hubert Mingarelli, car il a le pouvoir de me faire sentir chez moi au creux de ses mots. Et cette phrase, cette impression, je ne suis pas près de les conjuguer au passé.

Quatrième de couverture : « Une ferme, quelque part dans le Sud des États-Unis. Une journée torride. Samuel s’occupe de la vieille, paralysée dans son fauteuil, muette. À Samuel de faire les questions et les réponses, de meubler de ses rêves une journée entière. Seules deux personnes passeront entre le lever et le coucher du soleil : Chester, qui ferait bien une partie de chasse, et Homer, qui raconte la mer, les bateaux… »

Publié une première fois, en 1995, aux éditions Seuil jeunesse, ce court roman au temps suspendu a été réédité chez Points en 2003, cette fois-ci à l’adresse d’un public adulte. C’est un détail éditorial qui m’a surprise, n’ayant pas l’impression que ce soit courant. A la lecture, j’ai compris ce choix même si le texte peut sans problème s’adresser à des adolescents.

Samuel semble être un jeune homme plein de compassion et de colère. De la compassion pour une vieille femme qui ne peut ni se déplacer ni parler, dont il s’occupe au quotidien, l’accompagnant dans ses besoins mais, aussi, la distrayant avec de petits jeux d’acteur et des conversations dans lesquelles il habite leurs deux rôles. De la colère pour le vieux, qui fait peur, qui file des dérouillées aux vapeurs d’alcool, qui écrase et étouffe la maison et les rêves qu’elle abrite.

Car il est question de cela, de rêves pour vivre mieux, pour s’épanouir et améliorer sa situation, pour peut-être, un jour, voir un ailleurs. Ces rêves qui enthousiasment et peuvent éclairer une journée de tous leurs possibles, puis qui affrontent le crépuscule.

Dans un court roman, Hubert Mingarelli nous parle de la violence domestique, de l’enfermement dans une vie trop étroite, de l’enfermement dans un corps qui ne répond plus, de la construction d’une virilité qui repose sur des comportements attendus, de la confrontation à la réussite des autres qui reflète sa propre situation, du manque d’ailleurs, de la solitude. Un roman qui se lit sur les lignes et entre elles, un instant volé au quotidien de personnages coincés dans un cycle sans fin.

Peut-être que demain les choses changeront. Peut-être…

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Et vous, quel roman pour la jeunesse auriez-vous plus vu pour adulte et inversement ?

Est-ce que la frontière entre les deux n’est-elle pas parfois poreuse, finalement ?

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« Whitesand » de Lionel Salaün (Actes Sud, 2019)

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J’avais sauté sur ce roman à sa sortie pour son approche du racisme aux États-Unis et, finalement, je l’ai oublié dans ma bibliothèque. C’est en lisant le bilan livresque de quarantaine de Lunedepassage du blog Parlez-moi de livres que j’ai eu à nouveau envie de le découvrir.

Quatrième de couverture : « À l’orée des années soixante-dix dans le Sud de l’État du Mississippi, un homme d’une trentaine d’années débarque à Huntsville au volant d’une Mustang dont le bruit déglingué aiguise la curiosité des badauds. Repérant un garage, Ray Harper y conduit son automobile dans l’espoir d’une réparation rapide et peu coûteuse, mais son allure de beau gosse et sa politesse naturelle ne trouvent d’autre accueil en ces lieux que celui réservé aux étrangers. D’un calme remarquable, il ne répond pas au mépris, comprend qu’il n’a d’autre choix que de rester sur place un moment, chercher un boulot et repartir après avoir acheté une nouvelle auto. Se liant d’amitié avec la serveuse du bar principal, Ray va trouver une chambre et du travail, d’abord en ville puis plus longuement chez les frères Ackerman, propriétaires avec leur mère du domaine de Whitesand. Ainsi s’offre à Ray la possibilité d’approcher cette famille dont le passé résonne dramatiquement avec le sien…

Lionel Salaün choisit le Mississippi, ses saisons aux fulgurances terrifiantes, ses bourgs paumés étouffés d’ennui et de renoncement, pour faire le portrait d’une humanité divisée. Il éclaire avec empathie des personnages au visage grimaçant de haine, de souffrance ou baigné de bonté, donne à voir l’opacité de leurs mémoires pour peu à peu dévoiler l’énigme et la source de leur histoire commune. L’Amérique stigmatisée par un lourd passé d’injustice sociale et raciale est ici comme en écho ou en miroir aux dangers qui infestent aujourd’hui l’Europe. »

L’histoire est tressée entre le passé et le présent, sur les pas d’un mort victime de la ségrégation et des vivants, des complices, des coupables, des témoins, des innocents. J’ai apprécié l’intrigue et l’ambiance. Les personnages sont nombreux mais parfaitement positionnés, difficile de s’y perdre car les profils sont fouillés et explorent une complexité sociale et historique d’un village du Sud des États-Unis marqué par un passé ségrégationniste et construit sur un racisme encore bien palpable dans ces années 1970.

M’y aventurant pour approcher cette question du racisme enraciné dans un lieu, j’ai été agréablement surprise par les histoires qui sont mises en orbite autour de l’intrigue principale : le fonctionnement du village et les rapports de force, l’organisation de la ville entre populations blanches et noires, un secret de famille disséminé dans ces différents quartiers, mais aussi des personnages en proie à leur propre histoire et à leur prison intime.

Cette complexité de l’histoire m’a vraiment accrochée mais la complexité de l’écriture m’a parfois un peu perdue. Certaines phrases à tiroirs n’ont pas été évidentes à comprendre du premier coup et cela a pu casser un peu le rythme de ma lecture. J’ai deviné la fin, pensée en image symbolique, cela ne m’a cependant pas empêchée de l’apprécier car Lionel Salaün a parfaitement maîtrisé la tension qui monte tout au long du roman pour exploser dans la tempête.

Si vous souhaitez une lecture qui mêle enquête historique, recherche des origines et tension sociale, vous pourrez passer un très bon moment de lecture avec ce roman. S’il n’a pas été un coup de cœur, il a le mérite de me donner très envie de découvrir d’autres romans de l’auteur.

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Et vous, accompagnerez-vous Ray Harper dans ce village faussement amnésique ?

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❤ « Diên Biên Phù » de Marc Alexandre Oho Bambe (Sabine Wespieser, 2018)

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Ce roman dormait dans ma bibliothèque depuis plusieurs mois et, un matin, j’ai tendu la main, l’ai pris et ne l’ai plus reposé. Un matin, j’ai découvert Marc Alexandre Oho Bambe et j’ai eu un coup de cœur.

Quatrième de couverture : « Vingt ans après Diên Biên Phù, Alexandre, un ancien soldat français, revient au Viêtnam sur les traces de la fille au visage lune qu’il a follement aimée. L’horreur et l’absurdité de la guerre étaient vite apparues à l’engagé mal marié et désorienté qui avait cédé à la propagande du ministère. Au cœur de l’enfer, il rencontra les deux êtres qui le révélèrent à lui-même et modelèrent l’homme épris de justice et le journaliste militant pour les indépendances qu’il allait devenir : Maï Lan, qu’il n’oubliera jamais, et Alassane Diop, son camarade de régiment sénégalais, qui lui sauva la vie.

Avec ce roman vibrant, intense, rythmé par les poèmes qu’Alexandre a pendant vingt ans écrits à l’absente, Marc Alexandre Oho Bambe nous embarque dans une histoire d’amour et d’amitié éperdus, qui est aussi celle d’une quête de vérité. »

Le narrateur est un homme qui a passé sa vie à essayer de changer, d’étouffer ses sentiments laissés au Viêtnam vingt ans plus tôt, lors de la guerre d’Indochine. Il a fait sa vie, a tenté d’aimer sa femme sans y arriver et s’en veut pour ça. Il a eu des enfants et les a aimés de tout son coeur, mais aujourd’hui il doit les abandonner car il a besoin de retourner dans ce pays dans lequel il a vécu le pire et le meilleur. La guerre dévastatrice, l’amour et l’amitié. Là-bas, il y a vingt ans, il est mort. Là-bas, il y a vingt ans, il a doublement été sauvé.

Entre passé et présent, Marc Alexandre Oho Bambe nous parle de Diên Biên Phù, ce combat qui fut aussi une boucherie, symbole de l’orgueil des dirigeants français face à un peuple qui se battait pour sa liberté. Il nous parle de la guerre, mais aussi de l’amitié qui peut naître entre les hommes confrontés à la peur et à la mort. Alexandre est sauvé par Alassane, alors les questions du colonialisme, du combat juste ou injuste, de l’honneur et du racisme sont magnifiquement évoquées.

C’est une parole tout en douceur que distille l’auteur pour nous parler de la douleur mais aussi de l’amour enflammé que le narrateur va découvrir avec Maï Lan. Cette femme, aujourd’hui, Alexandre a besoin de la retrouver. Alors il part vers son avenir et, en même temps, sur les chemins de ses souvenirs.

Entre deux proses, Marc Alexandre Oho Bambe propose de la poésie. Car l’auteur est aussi poète et j’ai hâte de pouvoir découvrir l’un de ses recueils (ainsi que d’autres romans). J’ai été immédiatement envoûtée par sa délicatesse, son positionnement humain, sa douceur réconciliatrice.

C’est tout simplement un roman qui fait du bien en même temps qu’il réveille et se positionne dans des réalités de l’histoire pas si lointaine. Une fleur magnifique née sur le chaos.

A noter que Marc Alexandre Oho Bambe fera partie de la rentrée littéraire d’automne des éditions Calmann-Lévy. J’espère avoir la chance de le découvrir prochainement.

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Et vous, quel roman mélangeant prose et poésie conseillez-vous ?

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❤ « Donbass » de Benoît Vitkine (Les arènes, 2020)

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Je me lance petit à petit dans les romans de genre policier ou noir. Après quelques expériences mitigées, j’ai eu un énorme coup de coeur pour Donbass. Une lecture qui m’invite vivement à poursuivre l’effort.

Quatrième de couverture : « Sur la ligne de front du Donbass, la guerre s’est installée depuis quatre ans et plus grand monde ne se souvient comment elle a commencé. L’héroïsme et les grands principes ont depuis longtemps cédé la place à la routine du conflit. Mais quand des enfants sont assassinés sauvagement même le Colonel Henrik Kavadze, l’impassible chef de la police locale, perd son flegme.

Un enquêteur dans le bourbier ukrainien, le thriller du correspondant du Monde à Moscou. »

Benoît Vitkine propose avec ce premier roman une intrigue dans une zone géographique et politique singulière : le Donbass. Région oubliée du monde, laissée sous les bombes et dans une guerre de position. Son personnage principal, le Colonel Henrik Kavadze est tout aussi particulier, ce qui le rend infiniment réaliste même si, dans mon cas, pas forcément attachant. Mais après tout, nous ne sommes pas là pour l’aimer mais pour le suivre, pour comprendre ce qui se trame dans cette région, dans ce pays, dans le passé des familles et des vies.

Car le corps d’un petit garçon retrouvé mort va secouer beaucoup de personnages, exhumer beaucoup de passés dans une ville où les vies sont liées d’une façon ou d’une autre. Les liens sont humains mais sont aussi finances et magouilles là où la corruption et les arrangements sont monanie courante, pleinement assumée. C’est comme ça que ça marche, point barre. Jusqu’au coeur de la police, on étouffe des affaires, on ignore, on se satisfait d’impressions et de conclusions hâtives. Il ne faut surtout pas aller gratter trop loin. Mais une affaire peut se révéler bien plus complexe qu’il n’y paraît et Benoît Vitkine mène le lecteur par le bout du nez du début à la fin de ce roman, offrant un dénouement déchirant.

Je dois avouer qu’au début j’ai dû forcer pas mal pour continuer ma lecture. En cause : ma fâcheuse tendance à papillonner et à fermer vite un livre, mais aussi mon manque de proximité avec le genre policier. Mais là, je suis heureuse d’avoir poussé davantage jusqu’à le dévorer entièrement, jusqu’à avoir froid dans le dos et dans les tripes. Je ne peux que vous encourager à le découvrir et, si vous avez quelques difficultés à vous plonger dans l’histoire, à insister.

Le point fort de ce roman est pour moi la qualité de journaliste de l’auteur. Rien de tel qu’un expert de cette région et du conflit pour proposer un texte extrêmement réaliste et apporter des éléments de contexte que j’ai beaucoup apprécié. Parce que j’aime comprendre certains tenants et aboutissants et parce que l’épaisseur du texte n’en est que plus intéressante à mes yeux. L’écriture est vive, l’ironie est très efficace et la froideur des hivers retranscrite dans le ton. C’est rude et fort.

En conclusion, je suis vraiment heureuse d’avoir eu mon premier coup de cœur policier de l’année, teinté d’antimilitarisme et d’humanité, et j’espère que Benoît Vitkine écrira d’autres romans car ça lui va très bien, et à nous aussi.

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Et vous, avez-vous un polar socio-politique à conseiller ?

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« Jacques et la corvée de bois » de Marie-Aimée Lebreton (Buchet-Chastel, 2020)

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Je suis convaincue que beaucoup de choses sont encore à dire sur l’armée française en Algérie. Alors, quand la littérature s’empare de cette période, je suis souvent au rendez-vous. Impossible de résister à ce texte en voyant l’appui de Benjamin Stora, impossible de m’arrêter dès lors que j’en ai commencé la lecture.

Quatrième de couverture : « La corvée de bois était le nom donné aux exécutions sommaires. On emmenait en pleine campagne un groupe de prisonniers ou de simples suspects pour effectuer une corvée de bois, et là, on faisait mine de leur rendre leur liberté et on les abattait comme des lapins. Et comme on ne pouvait pas obliger les appelés à commettre des assassinats, Rolles choisissait parmi eux des volontaires. Il arrivait souvent que ceux-là se rétractent au dernier moment.

Jacques est un jeune appelé du 35e régiment, un de ces hommes envoyés en Algérie dans les années 1959-1960 pour accompagner la transition après les années de guerre, se faire les dents et devenir des hommes, leur dit-on. Il laisse derrière lui son père, et surtout celle qu’il aime, Jeanne, qui reste tout près, en pensée, tout au long de son exil. Là-bas, en Algérie, Jacques retrouve son ami d’enfance, François, un jeune officier plein d’assurance, qui viendra, juste après la proclamation de l’indépendance, rappeler lors d’une cérémonie officielle le sens de l’engagement militaire et les valeurs patriotiques, comme pour mieux organiser l’occultation de l’horreur qui vient de se dérouler. Jacques ne reconnaît plus son ami, devenu un étranger pour lui. Que fera-t-il de son sentiment de trahison ? »

J’ai vraiment été secouée par ce roman. De courts chapitres qui oscillent entre passé et présent, entre le bonheur tendre de l’enfance et la réalité de l’Algérie au sein de l’armée française. Jacques ne s’attendait pas à cela en quittant son père et sa bien-aimée. Il ne s’attendait pas à ça, lui qui rêve de pouvoir rendre fière sa mère décédée alors qu’il n’avait que quatorze ans. Une mère infiniment aimée qui voyait pour lui de grandes choses, de grandes réussites.

Il paraît que l’armée peut ouvrir des portes à ceux qui n’ont pas de diplômes, n’ont pas fait d’études ou ne savent tout simplement pas quoi faire de leur vie. C’est vraiment un choix intéressant pour les jeunes hommes. Et une expérience ! Il paraît. Ce qui est sûr, c’est que Jacques va voir et entendre des choses qui vont le bouleverser, le changer à jamais.

De la violence de la guerre et des pratiques de membres de l’armée sur les civils jusqu’à l’hypocrisie du système et d’un ami qu’il a aimé depuis l’enfance, Jacques va trop en voir, trop en entendre, trop être déçu et trahi, trop en comprendre pour rester indemne, pour ne pas se perdre lui-même face à la laideur de la réalité.

Les chapitres, très courts, tressent une histoire humaine entre lumière et obscurité jusqu’à un dénouement auquel je m’attendais mais dont j’espérais qu’il n’arriverait pas. Combien de jeunesses abîmées par cette guerre, par les guerres ? Là est l’une des questions de ce roman antimilitariste qui veut aussi aborder la vérité des actes.

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Et vous, quel livre sur la guerre d’Algérie conseillez-vous absolument de lire ?

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❤ 👁 « L’année du soulèvement » d’Hubert Mingarelli (Seuil, 2010)

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Nous sommes dans un lieu qui ne dit pas son nom, à une époque qui pourrait être hier comme demain, avec des hommes impliqués dans deux bords qui s’affrontent lors d’un soulèvement. Un roman sur des hommes entre eux comme savait si bien les écrire Hubert Mingarelli (le passé de cette phrase me fait mal au cœur), secoués par des événements qui impactent directement leur histoire personnelle et leur part d’humanité restée en éveil malgré le réveil des colères prédatrices.

Quatrième de couverture : « Alors il pensa aux forêts sous la neige et aux premières branches des sapins, si lourdes qu’elles ploient jusqu’au sol. Il se souvint du renard qui dormait au pied d’un sapin, sous l’une de ces branches, à l’abri du froid et de la neige. Il avait les couleurs de son lit d’aiguilles de pin. Il se souvint de l’impression de chaleur qu’il avait ressentie en le voyant, pour lui-même et pour le renard, alors que la température était tombée en dessous de zéro. Il l’avait laissé dormir, le museau posé sur ses pattes de derrière, soufflant des petits nuages d’haleine blanche. En s’en allant il lui avait dit : ‘Je te laisse parce que tu dors.’ Puis il lui avait souhaité que leurs chemins ne se croisent plus jamais.

Souvenir d’une partie de chasse, d’un renard qui dort. Construire un feu et écouter la voix paisible du vent. Oublier que les hommes ont été ennemis. Notre besoin de consolation est impossible à rassasier, écrivait Stig Dagerman. »

Ce roman m’a littéralement absorbée du début à la fin tellement les personnages semblaient être proches, j’avais presque l’impression d’être à leurs côtés, en haut de la montagne, à proximité du feu de fortune, angoissée par la situation et la variation des humeurs, cherchant moi aussi un coin de mur ou une chaise pour m’asseoir et guetter les bruits venant d’en bas, pour la sentence.

Trois hommes : deux hommes accompagnent le troisième en haut d’une montagne sur ordre d’un responsable vainqueur du soulèvement en cours. Le prisonnier le sait, son jugement relèvera de l’expéditif et de la vengeance. Son crime : avoir été du bord des vaincus. Car la question en réside pas dans les crimes : les deux bords ont sombré dans la folie au cours d’une nuit qui a marqué les esprits.

Alors, dans le silence brisé uniquement par le crépitement du feu de bois, les hommes vont parler, tantôt en respectant leur place, tantôt entre hommes qui peuvent comprendre la souffrance et la peur de l’autre. L’attente du groupe qui tranchera est interminable. Des rancœurs et remords ressortent : de celui qui n’a pas combattu et rêve de faire ses preuves, de celui qui rêvait de défendre sa cause et qui en ressort traumatisé par la mort qu’il a infligé à un homme, qu’il a visé car il lui semblait le plus faible. La peur de la mort, de celle qui a été donnée, de celle qui va venir.

Hubert Mingarelli ne prend pas parti entre les factions et n’invite pas le lecteur à le faire. La seule invitation est celle de l’humanité et de la violence qui bouleverse les vies, de la tristesse que rien ne soulage, pas même les souvenirs les plus purs, derniers refuges de l’esprit. Un grand roman.

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Et vous, quel est le dernier livre que vous n’avez pas pu poser avant de l’avoir terminé ?

👁 « La terre invisible » de Hubert Mingarelli (Buchet-Chastel, 2019)

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Cet article a été publié une première fois le 2 septembre 2019. Il restera pour moi un souvenir de joie immense à l’annonce de sa sortie, d’une excitation sans nom lorsque je l’ai reçu et d’une grande tristesse de devoir le quitter. Il sera aussi le dernier livre d’Hubert Mingarelli publié de son vivant.

Ce roman faisait partie de mes grandes attentes de la rentrée littéraire de cet automne. Dès qu’il est question d’Hubert Mingarelli je deviens fébrile d’impatience. Cet auteur de l’intimité, ce poète de la pudeur, ce magicien des émotions, je prends toujours soin d’avoir plusieurs de ses romans non lus dans ma bibliothèque. Ainsi, lorsque le moral n’est pas très haut je sais que je peux en lire et me lover auprès de ses mots délicats. C’est donc avec une immense joie que j’ai découvert ce dernier roman en avant-première grâce aux éditions Buchet-Chastel et à Netgalley France. Qu’ils en soient ici infiniment remerciés.

Quatrième de couverture : « En 1945, dans une ville d’Allemagne occupée par les alliés, un photographe de guerre anglais qui a suivi la défaite allemande ne parvient pas à rentrer chez lui en Angleterre. Il est sans mot devant les images de la libération d’un camp de concentration à laquelle il a assisté.

Il est logé dans le même hôtel que le colonel qui commandait le régiment qui a libéré le camp. Ayant vu les mêmes choses qui les ont marqués, ils sont devenus des sortes d’amis. Un soir, le photographe expose son idée de partir à travers l’Allemagne pour photographier les gens devant leur maison. Il espère ainsi peut-être découvrir qui sont ceux qui ont permis l’existence de ces camps. Le colonel met à sa disposition une voiture et un chauffeur de son régiment. C’est un très jeune soldat qui vient d’arriver et qui n’a rien vu de la guerre.

Le photographe et son jeune chauffeur partent au hasard sur les routes. Le premier est hanté par ce qu’il a vu, et le second est hanté par des évènements plus intimes survenus chez lui en Angleterre. Le roman est ce voyage. »

Paru le 15 août, soit le même jour que le dernier roman de Laurent Sagalovitsch qui s’intéresse également à la découverte des camps de concentration et d’extermination nazis par les Alliés, j’ai trouvé ce choix éditorial vraiment remarquable. Hubert Mingarelli va aborder ce sujet de façon particulièrement taiseuse : le personnage principal revit le traumatisme de la découverte d’un camp dès lors que son esprit est relâché par le sommeil, son compagnon, très jeune débarqué sur les territoires ravagés de l’Allemagne, est lui tiraillé entre une violence ancienne et la frustration de ne pas avoir pu combattre.

Une chose est sûre : pour le photographe qui en a trop vu le retour n’est pas encore possible. Avec la jeune recrue qui devient son chauffeur, il va choisir d’écumer les routes pour fixer sur pellicule les portraits des habitants des environs. Dans leur simplicité, en famille, devant leur foyer, les vaincus s’exposent plus ou moins facilement au regard du vainqueur. Une quête à la recherche de la culpabilité autant que de l’humanité – là où le crime contre l’humanité sera juridiquement défini – pour sauver sa propre foi alors que la rancœur a déjà commencé à tisser sa toile amère dans les ventres et les esprits. Comment ont-ils pu laisser faire ? Cette quête sera plus libératrice que prévu et sera l’occasion pour les deux personnages principaux de se rencontrer alors que chacun d’entre eux est coincé dans un passé qui les a changés à jamais.

Comment rentrer chez soi quand on ne sera plus jamais le même et qu’une part de nous est prisionnière ? Hubert Mingarelli nous laisse choisir là où les ombres couvrent les mots – et peut-être les esprits. Il n’a peut-être pas la puissance de Quatre soldats ou d’Un repas en hiver mais retrouver Hubert Mingarelli a été un immense plaisir.

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Et vous, quel est votre roman préféré d’Hubert Mingarelli ?