❤ « Talashi » d’Alexis Cordesse (Atelier EXB, 2021)

Comment ne pas être remuée par ce projet et accrochée à chaque page, à chaque visage, à chaque pixel du passé dont témoignent les clichés ici rassemblés ? Alexis Cordesse, photographe, a rencontré des syriens et syriennes qui ont fuit leur pays en guerre, a écouté leur histoire et a pu découvrir les photographies qui ont survécu aux routes de l’exil.

Présentation de l’éditeur : « Comment évoquer une tragédie rendue paradoxalement invisible par trop d’images ? 

Le photographe Alexis Cordesse, habitué des zones de guerre, a pris le contrepied en collectant les rares images emportées dans l’exil, dans une valise, sur un téléphone portable, qui témoignent de la mémoire de vies déracinées. Fuir la Syrie en prenant avec soi ses images personnelles est un risque : en cas d’arrestation, les photographies sont saisies, analysées. Les personnes qui y figurent deviennent suspectes pour le régime. Dans un tel contexte, la photographie devient dangereuse. Au fil de ses rencontres, plus d’une centaine en France, en Allemagne et en Turquie entre 2018 et 2020, Alexis Cordesse a écrit les histoires de ces photographies vernaculaires et de ceux qui les lui ont confiées.

La guerre est perçue autrement, à travers le prisme de la parole de l’exilé et la mémoire des images que celui-ci a choisies de garder. La photographie comme trace tangible est mise en tension : que nous dit-elle du vécu, que nous raconte-t-elle de chacun ? Talashi parle de la circulation des images à travers l’expérience de l’exil. Ces photographies ont survécu aux destructions et à l’oubli. Leur présence dit l’absence de celles à jamais disparues.

Talashi est un mot de la langue arabe qui peut se traduire par fragmentation, érosion, disparition. Inscrit dans le hors champ des images d’actualité, ce travail de réappropriation propose un récit sobre et modeste, à la croisée de l’intime et de l’Histoire. Alexis Cordesse »

Vous l’imaginez, c’est un ouvrage tout en sensibilité dont je vous parle aujourd’hui. L’image a un pouvoir incroyable, souvent trop mal utilisé. Ici nous entrons dans l’intime mais en adoptant une approche décente et autorisée.

L’ensemble photographique vient de dizaines de fonds privés et est entrecoupé de textes à la fois humains et factuels (forme très efficace avec moi) qui transmettent des histoires vécues.

J’ai été extrêmement impressionnée, les larmes montant aux yeux devant l’authenticité des documents qui rappellent nos propres photographies familiales et qui soulignent un peu plus à chaque page les absents et les moments qui appartiennent à un monde que la tyrannie a détruit et que les ruines abritent désormais. Le passé est une chose, la déchirure en est une autre.

Ces images sont purement saisissantes. Un visage flou, mal cadré ou des corps à contre-jour : une photographie pas très bien prise dans la vie normale, la dernière trace d’un•e proche par temps de guerre et dans l’exil. Des pixels marqués : la mémoire qui se force pour combler les manques jusqu’à ne plus pouvoir vraiment recréer les traits avec précision en pensée.

Après la lecture et quelques minutes de silence, ce livre m’a semblé être un excellent support pédagogique. Proposer à des jeunes de choisir une photographie et d’imaginer une histoire construite avec des informations réelles sur la Syrie ; les inviter à choisir quelques-unes de leurs propres photographies familiales pour dire leur histoire ; afficher en commun les photographies des élèves et celles du livre et animer un moment d’expression et d’échanges ; les sensibiliser à l’observation afin de souligner la valeur universelle des instants immortalisés et, ainsi, la valeur universelle de la vie et des droits humains.

La photographie est un objet très particulier – que je collectionne et sur lequel j’ai travaillé durant plusieurs années – qui n’a jamais été aussi présente dans l’histoire de l’humanité qu’aujourd’hui. Celle qui est partagée, survolée, aperçue. Ici on regarde, vraiment. Celle qui cherche le buzz, qui veut l’effet de choc collectif. Ici on nous fait voir d’une façon différente, avec l’invisible aussi fort que le visible, avec la présence émouvante de l’intention qui ignore encore l’importance de son geste.

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Et vous, quel est votre rapport à la photographie ?

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👁 ❤ « La loi de la mer » de Davide Enia (Le livre de poche, 2020)

Quelle lecture éprouvante et émouvante ! Ce livre m’a été conseillé par Flo du blog Thé toi et lis ! et je lui en suis reconnaissante car j’ai été profondément touchée par la démarche de Davide Enia : se rendre à Lampedusa pour rencontrer des témoins des drames qui s’y jouent depuis plus de vingt ans. En parallèle, se déroule un drame personnel dans la vie de l’auteur.

Quatrième de couverture : « Le ciel si proche qu’il vous tombe presque sur les épaules. La voix omniprésente du vent. La lumière qui frappe de partout. Et devant les yeux, toujours, la mer, éternelle couronne de joie et d’épines. Les éléments s’abattent sur l’île sans rien qui les arrête. Pas de refuge. On y est transpercé, traversé par la lumière et le vent. Sans défense.

Pendant plus de trois ans, à Lampedusa, cette île entre Afrique et Europe, Davide Enia a rencontré habitants, secouristes, exilés, survivants. En se mesurant à l’urgence de la réalité, il donne aux témoignages recueillis la forme d’un récit inédit, déjà couronné par le prestigieux prix Mondello en Italie. »

Deux histoires distinctes qui se rencontrent, deux histoires humaines, avec une puissante compassion qui nous touche au plus profond. Cela faisait longtemps que je n’avais pas pleuré à ce point, émue, ne pouvant me retenir même en public. Ce récit n’est pas un tire-larmes, il relate des entretiens et des souvenirs de sauveteurs professionnels et bénévoles. Mais le factuel peut-être triste à pleurer et les larmes peuvent aussi venir en découvrant la beauté de certains cœurs.

Deux histoires, donc, qui s’entremêlent avec le passage du temps et rythment avec force ce récit de vie, ce récit qui concerne deux continents amenés à se rencontrer par la marche naturelle des plaques tectoniques, un récit qui concerne le monde.

Lampedusa est une île connue, très médiatisée pour parler des migrations et des drames dont la mer est le cimetière. C’est une île aride dont la population s’est mobilisée, chacun·e avec ses forces et ses aptitudes, pour agir là où les politiques n’interviennent pas – ou trop peu ou mal. Car fermer les yeux est devenu impossible. Un fil rouge traverse les différents témoignages : le naufrage du 3 octobre 2013.

Les faits sont inimaginables. Quand tu penses que ça ne peut pas être pire, ça l’est. Davide Enia, par ses entretiens et ses observations, met en lumière des éléments généralement peu évoqués. Il donne à voir et à entendre et c’est un travail essentiel qu’il nous confie, écrit avec soin et prévenance envers les personnes qui ont affronté l’impitoyable mer Méditerranée.

Ce livre exprime des dualités difficiles : le quotidien marqué par les tragédies mais aussi par les vies sauvées ; les cadavres charriés par les eaux et la volonté de se battre contre la mort ; l’amour de la vie et la maladie.

A la fin, il manque cependant une part importante de l’histoire, très justement soulignée par Davide Enia lui-même : la paroles directes des survivants. Celle-ci s’exprime dans d’autres publications, nécessaires à la compréhension collective des motivations de départ, des risques encourus et des conditions d’accueil. Pour une prise de conscience et l’amélioration des processus sociaux et humains car l’urgence c’est tous les jours.

Ce récit n’a pas manqué de me faire penser au documentaire (difficile, lui aussi) Numéro 387 : Disparu en Méditerranée diffusé par Arte. Il n’est plus disponible en intégralité mais je vous partage cette capsule :

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Ils/Elles l’ont aussi lu et chroniqué : Thé toi et lis !Charybde 27Tu vas t’abîmer les yeuxLe capharnaüm éclairéUn dernier livre avant la fin du monde.

Et vous, quelle excellente recommandation vous ayant été faite récemment voulez-vous à votre tour partager ?

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👁 « Les enfants de la Clarée » de Raphaël Krafft (Marchialy, 2021)

Depuis le temps que je souhaitais découvrir concrètement le catalogue des éditions Marchialy, ce mois thématique en a été l’occasion. Roman documentaire, récit journalistique, ce texte oscille entre roman-reportage et enquête sociale. Passionnant.

Quatrième de couverture : « En novembre 2017, Raphaël Krafft part en reportage à la frontière franco-italienne au niveau du col de l’Échelle. Il accompagne un habitant de la région parti en maraude à la rencontre d’éventuels migrants venus d’Italie, perdus dans la montagne au milieu de la nuit. Les premières neiges viennent de tomber. Ce soir-là, ils découvrent cachés dans un bosquet, transis de froid, quatre mineurs tous originaires d’Afrique de l’Ouest. Alors qu’ils les emmènent en voiture dans un lieu dédié à l’accueil des personnes migrantes, la gendarmerie les arrête avant d’abandonner les quatre adolescents dans la montagne au niveau de la borne frontière. Trois d’entre eux sont guinéens, comme la majorité des jeunes migrants qui passent par ce col.

Marqué par cette expérience, Raphaël Krafft se lie d’amitié avec les habitants du village de Névache situé juste en dessous du col et propose aux enfants de l’école communale de partir pour eux en Guinée réaliser des reportages et les aider ainsi à comprendre pourquoi tant et tant de jeunes décident de quitter leur foyer. Là-bas, il découvre un pays démuni, marqué par des années de dictature. »

Raphaël Krafft ne découvre pas le sujet de l’exil et du passage des frontières avec ce livre. En 2017 son livre Passeur paraissait aux éditions Buchet-Chastel, un premier reportage que j’ai désormais envie de découvrir. Egalement, Raphaël Krafft a réalisé de nombreux reportages sur le sujet – dont un résultant du livre Les enfants de la Clarée – pour France Culture.

A l’occasion d’un reportage dans les Hautes-Alpes, Raphaël Krafft va découvrir un groupe de jeunes au col de l’Echelle. Comme il le dit lui-même, il est bien différent de savoir que des mineurs traversent le col et de les rencontrer, dans la nuit, dans la neige, face à leur fatigue, leur faim, leur soif, leur regard.

Explorant à la fois l’organisation et l’engagement citoyen d’une partie de la population du village de Névache, le cynisme de l’État et l’irrespect des droits des prétendants à l’asile par les forces de l’ordre, les méthodes d’intimidation des autorités à l’encontre des groupes d’aide aux réfugiés, les témoignages des jeunes migrants, Raphaël Krafft fait un double constat, à la fois encourageant et affligeant. Le premier au regard du courage et de la ténacité des personnes engagées, le second face au manque d’humanité de nombre de représentants d’un pays connu comme étant celui de la déclaration des droits de l’homme. Ici, les droits des mineurs sont niés, la minorité elle-même peut l’être, par principe de méfiance.

Quatre jeunes sont au col, trois d’entre eux sont guinéens. Une nationalité de beaucoup de personnes affrontant les dangers de cette zone de la montagne. La question se pose alors : que se passe-t-il en Guinée qui pousse tant de mineurs à se lancer sur les routes de l’exil ? Un reportage dans le reportage se construit alors, augmenté de témoignages, alimenté par les questions des enfants de Névache. Avec l’auteur, nous découvrons un pays dont nous entendons peu parler et, même de très loin, nous comprenons.

Clair et engagé, ce livre est très intéressant. Il décrit un quotidien encore trop peu compris et considéré, dénonce des traitements irresponsables et illégaux, met en lumière des dysfonctionnements et des accords internationaux clairement discutables.

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👁 « Réfugiés à Berlin » d’Ali Fitzgerald (Presque Lune, 2019)

Je m’intéresse de plus en plus aux publications des éditions Presque Lune et je dois dire que celle-ci a bien fait sa place dans ma wishlist dès l’annonce de sa parution. Nous suivons Ali, artiste américaine installée en Allemagne, qui rencontre des réfugiés et travaille avec eux la langue à l’aide du dessin. Cette technique permet de s’évader un peu de la bulle coupée du monde qu’est le centre d’accueil ainsi que d’extérioriser des traumatismes.


Quatrième de couverture : « Au cours de l’été 2015, Ali Fitzgerald commence un atelier hebdomadaire de bandes dessinées avec des réfugiés à Berlin, soutenu par Comic Invasion et Amnesty International. Dans cette non-fiction graphique surréaliste — c’est ainsi qu’elle définit sa bande dessinée — l’autrice présente avec beaucoup de sensibilité les difficultés que rencontrent les réfugiés en Europe. En leur proposant de dessiner, elle leur offre un moyen d’exprimer, sans forcément parler, ce qu’ils ont vécu et ce qu’ils espèrent. Tout en suivant leur parcours, elle raconte Berlin et établit avec beaucoup d’habileté un parallèle instructif entre ce drame actuel et celui des Juifs obligés de fuir les pogroms des années 1920, puis persécutés plus tard par les nazis. Les témoins qu’elle invoque pour parler de ce passé sont deux écrivains importants dont elle cite des phrases soigneusement choisies : Joseph Roth et Christopher Isherwood. La richesse du texte et la simplicité des dessins font de ce livre un roman graphique émouvant et passionnant. »


Ce sont des portraits construits à partir de ces séances qu’Ali Fitzgerald nous confie. Des hommes, des femmes, des enfants qui doivent apprendre une langue, faire des démarches et attendre des papiers avant de pouvoir essayer de reprendre une vie dite normale, loin de leurs racines et des proches restés au pays.

De cette situation ultra-contemporaine, l’auteure nous parle également des migrations du début du 20ème siècle à Berlin et ses alentours, notamment des familles juives d’Europe de l’Est qui fuyaient les pogroms et les persécutions antisémites répétées et ancrées. Entre passé et présent, elle décrit des exils, des accueils plus ou moins adaptés, plus ou moins rapides mais aussi les montées des nationalismes et des fermetures d’esprits.

Je suis un peu restée insensible au style graphique d’Ali Fitzgerald mais j’ai beaucoup apprécié ses références littéraires qui éclairent des migrations centenaires et elle m’a par exemple vraiment donné envie de découvrir Joseph Roth et Christopher Isherwood. Les portraits sont touchants notamment par leur diversité de parcours et de caractères. Elle inscrit ces rencontres dans une temporalité donnée mais aussi dans sa propre évolution personnelle, ce qui transforme par moment ce roman graphique en journal plus intime, avec des réflexions sur l’acceptation et l’affirmation de soi. L’auteure préfère le terme de non-fiction graphique surréelle à celui de journalisme graphique pour décrire son livre et en cela la place de l’autobiographie instantanée en est pour moi la principale nuance.

Malgré de réelles qualités j’ai eu un peu de mal à me situer dans la densité du propos : les témoignages sont touchants notamment dans leur pudeur, l’histoire de Berlin et les différentes périodes historiques abordées sont très intéressantes, l’histoire des vagues nationalistes l’est tout autant, les questions de l’auteure vis-à-vis d’elle-même m’ont par contre un peu laissée de marbre et je n’ai pas vraiment compris cette approche supplémentaire. J’ai passé un bon moment mais ce livre sera plus une porte d’entrée vers d’autres sources qu’un ouvrage de référence pour moi. Mais je passe parfois à côté de pépites, alors n’hésitez pas à le découvrir et à me donner à votre tour votre avis !

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Et vous, connaissez-vous et aimez-vous cette maison d’édition ?

❤ 👁 « Et pourtant elles dansent… » de Vincent Djinda (Des ronds dans l’O, 2019)

Ce roman graphique rend compte d’une année de l’auteur passé aux côtés de femmes ayant fui leur pays et demandant l’asile en France. Les entretiens, les parcours de vie, les raisons des départs, les regrets, les inquiétudes, les blessures, celles qui ont réussi à cicatriser et celles qui resteront ouvertes, voilà ce que nous propose Vincent Djinda en restituant la parole des femmes, en créant un prolongement de l’espace d’expression libre qu’est la précieuse association Femmes en Luth de Valence.


Quatrième de couverture : « Marie-Noëlle, Denise, Asyath, Odile, Lizana, Emina ou encore Augustine et d’autres, toutes femmes réfugiées en France, se retrouvent à l’association Femmes en Luth à Valence et se sont confiées sur les raisons qui les ont contraintes à quitter leurs pays, souvent pour leur survie, laissant parfois leurs proches et leurs biens derrière elles. Portant le poids d’une culpabilité qui ne les quittera pas, elles évoquent les violences subies, les tortures au travers de leurs témoignages, affichent leur courage et transmettent malgré tout un message de paix. Elles chantent, dansent, peignent et sourient ! Seul homme présent dans l’association, Vincent Djinda les a accompagnées durant une année. »


Au départ j’ai un peu de mal à comprendre la structure des dialogues car Vincent Djinda s’efface pour laisser l’espace aux femmes. Cela fait qu’en fonction des réponses on imagine les questions, on imagine les échanges mais on nous donne uniquement à voir et à lire les expressions des femmes et leurs mots. Il n’y a aucun parasitage (même bienveillant) en dehors des pensées, des avis et des témoignages. A leur côté il y a aussi Odile qui gère l’association et suit les dossiers de demandes d’asile et d’aides auprès de l’État français. Elle est une bouée de secours dans l’océan administratif qui ne tient pas compte des réalités des personnes qui arrivent sur le territoire. Elle est aussi un peu une maman ourse, qui sait quand rassurer et quand secouer un peu pour le bien des femmes qui perdent espoir, qui perdent patience. Car le chemin est long et les désillusions nombreuses. C’est aussi cette difficulté à être en règle que Vincent Djinda restitue, la pauvreté, les chambres d’hôtel réservées pour une poignée d’heures avant de retourner dans le froid, la séparation d’avec les proches, les emplois plus que précaires qui usent la santé mais qui restent mieux que rien.

J’ai particulièrement apprécié (si l’on peut dire) que ce roman graphique donne une place importante à l’expression des violences spécifiques qui sont faites aux femmes. Ces violences sexuelles dont on ne dit pas toujours le nom et la réalité, qui sont non seulement subies sur la route de l’exil mais aussi sur le territoire français. Cet aspect est l’une des grandes forces de ce roman graphique car il fait la place aux mots sur ce qui est la blessure la plus intime qui soit, que l’on cache, qui devient trop souvent une honte familiale que la victime doit assumer et qui reste une arme de guerre dans de trop nombreux pays où le sexe et le ventre des femmes sont aussi des espaces à conquérir et à ravager pour les bourreaux.

Mais ce que Vincent Djinda montre aussi, c’est la force de ces femmes qui avancent un pas après l’autre, qui se relèvent quand elles tombent et qui ne baissent pas les bras, si ce n’est pour les lever ensuite encore plus haut. C’est la résilience et la force pour une lutte juste : pour la survie, puis pour la vie. Alors, ensemble elles créent et se soutiennent. Alors, ensemble elles sont plus fortes.

Ce livre fait désormais partie de ceux que je range parmi les nécessaires de par son humanité, son respect et sa transparence. Un travail remarquable qui efface les frontières et qui devrait être lu par le plus grand nombre à l’heure où les nationalismes salissent l’humanisme de leur bave acide.

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Ils/Elles l’ont aussi lu et chroniqué : L’accro des bulles


 

Et vous, quels témoignages de femmes souhaitez-vous partager ?

« Le parfum d’Irak » de Feurat Alani et Léonard Cohen (Nova éditions et Arte, 2018)

Je ne pense pas être la seule à ne pas comprendre grand chose à l’histoire contemporaine de l’Irak en même temps que je nous sais nombreux à toujours avoir entendu parler de ce pays à l’occasion d’actualités liées à la guerre.


Quatrième de couverture : « Roman graphique d’un genre singulier, Le parfum d’Irak est constitué des 1000 tweets que Feurat Alani a postés sur Twitter durant l’été 2016, poussé par la nécessité de raconter son Irak. L’auteur nous livre ses souvenirs avec émotion, depuis son premier séjour en Irak à l’âge de 9 ans jusqu’à sa décision de devenir journaliste pour couvrir la guerre sur place.

Ce témoignage puissant et unique, illustré par les magnifiques dessins de Léonard Cohen, offre un autre regard sur un pays trop souvent résumé par les images qu’en renvoient les médias. »


Feurat Alani est franco-irakien et quand il découvre enfant le pays de ses parents, il découvre un monde de parfums, une culture, un quotidien bien différent de celui en France, une famille restée au pays qui pense à lui malgré la distance. L’Irak sera désormais une partie concrète de ce qu’il est. Feurat nous raconte ses voyages sur plusieurs années : de son enfance à l’âge adulte, du temps innocent (mais pas aveugle) des vacances à l’engagement journalistique sur un terrain de guerre.

Le format des tweets demande de la concision et de la clarté au récit et le challenge est relevé haut la main. J’ai enfin eu le sentiment d’y comprendre quelque chose même si les différents courants religieux restent un peu opaques pour moi. Nous reprenons étape par étape les événements qui ont amené à l’occupation par l’armée américaine, la montée en puissance des intégrismes et la pleine éclosion de l’Etat islamique.

« Nous jouons au foot dans un petit stade, près d’une mosquée. Personne ne se doute que ce stade deviendra le cimetière des martyrs quinze ans plus tard. » (Tweet n°32)

Mais au-delà du récit géopolitique, nous voyons l’impact sur les personnes, les restrictions, les débrouillardises, les dangers, les peurs, les résistances, les exils, les pertes. Ce pays que Feurat a aimé, avec le parfum des abricots, n’est plus ce qu’il était. Cela ne l’empêchera pas d’immortaliser dans ses reportages la vie qui y résiste comme la mort qui y plane. Entre subjectivité et objectivité, ce livre est un voyage d’où nait de belles émotions autant que de la colère, un voyage que j’ai été heureuse de faire avec Feurat Alani et Léonard Cohen dont les illustrations sont absolument magnifiques.

Une fois le livre refermé il ne reste qu’une chose à faire : découvrir les épisodes animés diffusés sur Arte. Ou vice-versa, si vous n’avez pas encore ce livre dans votre bibliothèque. Pour ma part, j’attends aussi d’en savoir plus sur l’enquête que l’auteur souhaite mener sur l’origine des déformations constatées sur les nouveaux nés depuis 2004, depuis la bataille de Falloujah.

« Certains choisissent l’hommage silencieux. La réserve. D’autres ont besoin de faire entendre leur malheur. De le crier. » (Tweet n°994)

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Découvrez dès à présent l’intégrale des animations tirées du livre :


Ils/Elles l’ont aussi lu et chroniqué : Laurent Gourlay


 

Et vous, quel livre sur l’Irak conseilleriez-vous ?

« Les pleurs du vent » de Medoruma Shun (Zulma, 2016)

Si je lis souvent sur la guerre, la Seconde Guerre mondiale en particulier, je lis peu sur le déroulement de cette guerre en Asie. Ce livre a été l’occasion à la fois d’approcher ce conflit d’un point de vue japonais mais aussi de découvrir une plume aussi subtile que percutante.


Quatrième de couverture : « Jusqu’à présent, personne n’avait jamais eu l’idée de parler sérieusement du crâne qui pleure à quelqu’un d’extérieur au village. D’abord parce que le sentiment d’avoir une dette envers ceux qui étaient morts à la guerre interdisait aux survivants de parler à tort et à travers des disparus, mais surtout parce que quiconque entendait la triste lamentation du vent ne pouvait qu’être saisi de stupeur.

Tout commence par un jeu d’enfants au pied de l’ancien ossuaire, sur l’air de chiche qu’on grimpe sur la falaise, pour aller voir de plus près le crâne humain qu’on aperçoit d’en bas, et qui gémit sous le vent. De toute la bande, seul Akira a le courage de monter. Et de tout le village, seul Seikichi, le père d’Akira, s’oppose à ce qu’un journaliste de la métropole tourne un reportage autour de la légende du crâne qui pleure, objet sacré, emblème des heures terribles de la bataille d’Okinawa…

Les pleurs du vent conte magnifiquement la paix retrouvée des âmes. »


Si le crâne qui pleure semble un peu oublié des habitants (si ce n’est que son chant fait partie des sons du quotidien) et peu connu des japonais, il rassemble autour de lui des histoires communes qui s’ignorent.

Pour le jeune Akira, approcher le crâne est une façon d’exprimer son courage au sein d’un groupe d’amis. Pour Seikichi il s’agit d’une part de passé qui ne passe pas – pas encore du moins. Pour Fujii il s’agit d’un devoir de mémoire qui dépasse les lignes bien définies entre mémoire personnelle et mémoire commune. Mais tous sont liés au crâne qui pleure.

Revenir sur la bataille d’Okinawa et décrire son impact sur trois personnes de deux générations différentes permet de prendre la mesure de la douleur et de la volonté de l’oubli. Si Seikichi et Fujii ont la guerre bien en mémoire, pour les plus jeunes l’ossuaire est un défi à leur courage, presque un jeu grave et non un espace de recueillement lié aux morts de l’île. Mais si le souvenir est essentiel, le sacrifice du bonheur n’est pas le prix à payer.

Une écriture qui glisse parfois presque vers la lisière du fantastique mais qui nous ramène toujours vers la réalité, là où les esprits sont aussi marqués que les corps et dont les mémoires ont besoin d’être libérées ou transmises pour pouvoir se reposer un peu.

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Ils/Elles l’ont aussi lu et chroniqué : Les Apostilles


 

Et vous, avez-vous envie de découvrir le chant du crâne ?

❤ « Pénis de table » de Cookie Kalkair (Steinkis, 2018)

Quel coup de cœur que cette bande dessinée ! Initialement j’avais un peu peur du ton, je craignais que ce soit trop cru et en fait il y a un réel équilibre entre les propos sérieux et l’humour des participants, l’humour des dessins de Cookie Kalkair ayant aussi ce pouvoir d’équilibre, ce pouvoir de parler de tout sans que le malaise ne s’invite autour de la table.


Quatrième de couverture : « Pénis de table, la B.D. de Cookie Kalkair, explore avec finesse cette découverte de la sexualité par chacun d’entre nous, cette approche du normal et du mystère par la plus simple des méthodes : l’écoute de sept acolytes partageant l’expérience de leur vécu, la richesse des orientations et des situations de couple, aujourd’hui mieux acceptées : hétéro, gay, bi, marié, divorcé, timide ou beau parleur…

Le grand intérêt de Pénis de table est dans le croisement des expériences. Contrairement à ce que l’on peut spontanément penser, il n’y a pas d’instinct sexuel, la sexualité est apprise au fil des expériences intimes, différentes pour chacun. »


La sexualité masculine, quelle idée ! C’est comme généraliser la sexualité féminine à un seul référentiel, c’est idiot. Il y a autant de sexualités qu’il y a d’individus car elle se construit au quotidien en fonction des personnalités, des expériences, des attentes, des fantasmes, etc.

J’ai adoré le fait que les hommes invités à participer à ce projet aient des attirances sexuelles très différentes ce qui permet d’aborder de nombreux sujets avec beaucoup de nuance. Ce livre est un vrai pour-parler pour briser les stéréotypes de la virilité dans lesquels les hommes peuvent se sentir enfermés. J’ai aimé la liberté de ton, l’absence de jugement même si parfois la fierté pointe le bout de son nez. C’est aussi dans ces situations que les hommes se rassurent et montrent les points positifs et négatifs d’une même situation avec pour mot d’ordre : il n’y a pas une seule sexualité, il n’y a pas de modèle, il n’y a pas de normalité.

Exit le sentiment d’être parfois bizarre et bienvenue dans une réunion d’hommes qui deviennent potes et se disent ce qu’ils ne disent pas d’habitude. Libération, c’est un mot très important pour décrire ce livre et les propos qu’il porte.

Nous abordons plein de sujets : l’attirance sexuelle, les fantasmes, la masturbation, la mythique taille du pénis, la notion de performance, les pannes d’érection, les sensations, l’orgasme, l’éjaculation, etc. Le fait que chaque grand chapitre se déroule dans un environnement différent m’a beaucoup plu, mention spéciale aux chevaliers et aux astronautes !

J’ai énormément ri ! L’humour est un énorme point fort de ce livre car il permet de mettre à l’aise et de dire plus facilement des choses difficiles au premier abord. Et si j’ai ri, c’est très très loin du moindre jugement, c’est bien l’humour des participants et de l’auteur qui est décapant ! J’ai passé un excellent moment avec Pénis de table et je ne peux qu’en recommander la lecture ! Merci Cookie Kalkair et merci aux hommes qui ont joué le jeu. Merci !

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Et vous, avez-vous envie de passer un moment aussi drôle qu’intelligent ?

« La cicatrice » d’Andrea Ferraris et Renato Chiocca (Rackham, 2018)

Depuis quelques mois j’ai très envie de découvrir les éditions Rackham et j’ai enfin pu trouver un exemplaire en librairie pour me faire un premier avis ! Du roman graphique engagé comme j’aime !


Quatrième de couverture : « Le Mexique et les États-Unis partagent une frontière commune longue de 3200 kilomètres dont un tiers est marqué depuis vingt ans par un haut mur de métal rouillé. Censé empêcher aux migrants d’entrer clandestinement aux États-Unis, cette barrière – que le président Trump voudrait étendre à l’ensemble de la frontière – n’est qu’un rempart dérisoire qui oblige cependant les candidats à l’exil à emprunter les routes dangereuses du désert et des montagnes où beaucoup d’entre eux finissent pour y laisser la vie.

Au printemps 2017, Renato Chiocca et Andrea Ferraris ont voyagé le long de ce monument à la haine et à l’ignorance, ont écouté les histoires de ceux qui vivent à l’ombre du mur et recueilli le témoignage de ceux qui portent de l’aide aux migrants, les sauvant parfois d’une mort certaine et leur assurant un accueil dans la dignité et le respect de leur droits. Dans La Cicatrice, Chiocca et Ferraris racontent leur périple le long de ce mur de la honte nous rapprochant de son effrayante réalité et nous poussant à réfléchir à d’autres manières, plus sensées et humaines, de résoudre cette urgence devenue désormais planétaire. »


Ce livre est court : 40 pages en tout. Ma chronique sera donc courte aussi mais j’espère juste assez longue pour vous donner envie de découvrir ce roman graphique. Composé de deux parties, il donne à voir deux côtés du mur, deux types de réactions. Nous voyons les victimes de bavures qui deviennent des symboles de la folie qui s’empare des hommes, imbus de leur territoire, fanatiques de leur frontière. Nous voyons également des personnes qui s’engagent au quotidien pour permettre de survivre dans l’enfer du désert, une fois le mur franchi. Des engagements qui se sont concrétisés pour différentes raisons mais dont le fondement est l’humanité, ce sentiment d’appartenance à un tout qui ne connaît pas de mur.

Je ne peux que recommander la lecture de ce livre, dont la force des dessins n’a d’égal que la force du propos. Ce mur, cette cicatrice qui déchire deux pays, qui déchire des familles, dont on ne parle peut-être pas assez pour en dénoncer l’horreur et l’absurdité. Merci pour ce témoignage qui donne la parole à ceux que l’on n’entend pas et qui interroge l’engagement au-delà de cette situation spécifique.

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Et vous, est-ce une maison d’édition que vous appréciez ?

« Les rumeurs du Mississippi » de Louise Caron (Aux forges de Vulcain, 2017)

Je suis tombée sur ce livre par hasard et il m’a tapé dans l’oeil : une couverture intéressante et un résumé qui rassemble dénonciation de relents racistes et antimilitarisme. Je prends !


Quatrième de couverture : « Sara Kaplan, journaliste au New-York Times, reçoit la confession d’un ancien soldat, Barnes, vétéran de la guerre d’Irak. Barnes revendique le meurtre d’une tzigane de 17 ans. Meurtre pour lequel un Indien a été condamné cinq ans auparavant à la peine capitale. Sara Kaplan publie la lettre. L’affaire occupe d’un coup le paysage médiatique et divise l’Amérique. Sara est hantée depuis l’enfance par le suicide de son père, vétéran du Vietnam. En s’acharnant à vouloir montrer la responsabilité de l’armée dans la folie de Barnes, elle cherche à surmonter la tragédie qui a détruit sa famille. Dans sa quête, Sara nous entraîne de New-York à Hué en passant par le Sud désenchanté des Etats-Unis en crise. Elle dresse, au travers de ses personnages, un portrait de l’Amérique d’aujourd’hui, s’interrogeant sur le rôle de la presse, le racisme, la violence des conflits, et sur la malédiction qui condamne les gens sans mémoire à revivre sans fin leur passé. »


Je commence avec le point négatif : j’ai trouvé qu’il y avait pas mal de coquilles. C’est dit, n’en parlons plus et venons-en à l’histoire !

Durant tout le roman nous suivons Sara Kaplan, à la fois dans sa mémoire familiale douloureuse et dans l’affaire qu’elle documente qui n’en est pas moins dramatique. Son positionnement est le suivant : l’armée déshumanise les hommes et les envoie se bousiller dans tous les sens du terme dans les zones de conflits, d’où ils ne reviennent jamais vraiment. À l’image de son père.

Lorsque Barnes s’accuse d’un meurtre pour lequel un autre homme est dans le couloir de la mort, Sara mène son enquête mais est tiraillée entre son objectivité de journaliste et sa subjectivité de descendante de victime, victime elle-même d’une certaine manière (je n’aime pas le terme collatéral dans ce contexte). C’est ce va et vient ainsi que les informations qu’elle collecte qui va l’emmener au coeur de la machine militaire américaine mais aussi dans le viseur de la mafia.

Le personnage de Sara n’a pas été particulièrement attachant pour moi, mais j’ai malgré tout apprécié ce portrait de femme qui va où elle veut, qui est tenace et fonceuse malgré un passé qui la poursuit et la court-circuite parfois, notamment dans ses relations intimes. J’ai aussi beaucoup aimé, évidemment, les remarques anti-interventionnistes. J’ai trouvé que le racisme était présent, en élément contextuel, mais peut-être pas assez traité à mon goût.

Guidée par ses intuitions et par la rancoeur, un peu aussi, les pièces s’emboîteront pour laisser place à une hypothèse terrible dont Barnes aurait fait les frais depuis des années. Le procès de ce dernier aura lieu. Les coïncidences en sont-elles vraiment ? Les suspicions sont-elles justes ? Est-ce un meurtre de sang froid ? La lecture de ce roman vif et cinématographique vous le dira.

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Ils/Elles l’ont aussi lu et chroniqué : Dealer de lignes


 

Et vous, avez-vous un livre de cette maison d’éditon à conseiller ?

« La tragédie brune » de Thomas Cadène et Christophe Gaultier (Les Arènes, 2018)

Avec ce roman graphique nous revenons sur une période intéressante de l’histoire européenne, en chemin pour devenir la tragique histoire du deuxième conflit mondial : l’entre-deux guerres et la montée du national-socialisme en Allemagne à travers les yeux d’un lanceur d’alerte de l’époque.


Quatrième de couverture : « L’histoire vraie du premier reporter français assassiné par les nazis.

En 1934, Xavier de Hauteclocque, grand reporter, publie La Tragédie brune, écrit à la suite de son voyage en Allemagne en novembre 1933. Ce germanophile y décrit un pays remodelé par la politique nazie.

Son regard s’attarde là où d’autres ferment les yeux, ses pas le conduisent là où peu s’aventurent et, finalement, sa plume décrit ce que beaucoup préfèrent ignorer. Son récit, à la première personne, frappe par sa modernité, sa sincérité, sa lucidité et surtout, avec le recul tragique de l’histoire, par son caractère prémonitoire.

La Tragédie brune nous plonge dans ces années d’avant-guerre, à l’heure où Hitler affirme sa toute-puissance politique. Christophe Gaultier et Thomas Cadène s’attachent à mettre en scène le plus fidèlement possible le témoignage d’un homme qui, dès 1934, va alerter le monde sur la catastrophe à venir. »


Xavier de Hauteclocque est un journaliste français germanophile qui va voir de ses yeux, entendre de ses oreilles et comprendre de son cerveau les évolutions en cours dans l’Allemagne des années 1930, avec l’arrivée au pouvoir d’un certain Adolf Hitler. Il va constater les pressions faites sur les personnes et familles récalcitrantes, les dangers qu’encourent déjà les détracteurs au régime mais également l’emballement des adhérents vis-à-vis du parti et de son idéologie. Ces derniers, souvent des connaissances avant cette montée xénophobe et ultra-nationaliste, le surprendront par la rapidité avec laquelle il est possible d’adhérer à des idées abjectes.

Ce livre est adapté de l’ouvrage éponyme écrit par ce journaliste, à l’époque, qui lui vaudra de ne pas voir ni de pouvoir couvrir la suite des tristes événements, de ne pas pouvoir se battre avec sa plume pour dénoncer à nouveau. Ce destin rappelle l’importance de la presse et de sa liberté de parole, rappelle aussi que le nazisme a pris son temps pour arriver au pouvoir et instaurer l’horreur et c’est une partie de ce temps qu’il nous est donné de lire.

Ce qui m’a peut-être le plus marquée c’est le fait de voir apparaître les premiers camps de concentration, bien avant la guerre, ainsi que l’impact et le pouvoir dans les foyers des enfants, obligés d’appartenir aux jeunesses hitlériennes. Ce sont des choses que l’on sait, mais qui sont ici particulièrement saillantes je trouve.

Les dessins un peu old school fonctionnent très bien et sont très agréables à la lecture, ils collent parfaitement avec l’atmosphère générale, comme une enquête de fiction, qui n’en est malheureusement pas. Le premier chapitre du livre original est proposé à la fin de cet ouvrage, c’est un plus appréciable pour découvrir Xavier de Hauteclocque à travers ses mots après avoir découvert une partie de sa vie.

Une belle découverte, entièrement basée sur des faits réels, qui questionne l’acceptation et l’enracinement du fascisme, des discriminations, et la triste puissance de la propagande et de l’intimidation.

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Ils/Elles l’ont aussi lu et chroniqué : Culturevsnews


 

Et vous, quelle est la dernière bande dessinée que vous avez lue ?

« Mandela et le Général » de John Carlin et Oriol Malet (Seuil-Delcourt, 2018)

Aujourd’hui nous fêtons à l’échelle du monde l’anniversaire des 100 ans de la naissance de Nelson Mandela, symbole de la paix pour l’Afrique du Sud et de la fin de l’apartheid. Difficile de passer à côté de ce jour de commémoration et j’ai souhaité le faire avec ce roman graphique qui se déroule à partir de 1990. Je n’ai malheureusement pas eu le temps de lire Lettres de prison, paru la semaine dernière et positionné en bonne place dans ma PAL estivale.


Quatrième de couverture : « Quand le rêve de démocratie de l’Afrique du Sud faillit s’achever dans le sang. John Carlin témoigne de ces semaines décisives au cours desquelles Mandela réussit à séduire le général et ses milices d’extrême-droite.

Constand Viljoen, général des armées sud-africaines pendant l’apartheid, prend la tête des milices d’extrême-droite à la veille des premières élections démocratiques du pays. Cinquante mille hommes constituent cette nouvelle armée boer en 1993. Ce sera l’un des plus grands défis que devra relever Nelson Mandela, qui, à force de patience et de charisme, réussira à éviter la guerre civile. »


La bande dessinée peut faire passer de grandes idées, c’est évident et cela se confirme avec cet ouvrage dont le scénariste, John Carlin, est particulièrement documenté. Il a d’ailleurs eu l’occasion de s’entretenir à plusieurs reprises avec Nelson Mandela mais également avec le Général Viljoen. Deux positionnements idéologiques et politiques bien éloignés qui ont malgré tout réussi à se rencontrer.

Le récit, de fiction comme l’ouvrage le précise dans ses dernières pages, se base cependant sur des faits réels et se déroule grâce aux propos du Général Viljoen. Ce positionnement est surprenant mais peu à peu nous comprenons et c’est une phrase attribuée à Nelson Mandela qui aide à la compréhension.

« Pour le battre, nous devons comprendre sa logique, nous mettre à sa place. »

C’est également ce que nous sommes forcés de faire lors de cette lecture qui nous fait cheminer dans les idées du Général et leurs évolutions. Convaincu de la supériorité blanche, son éducation l’a fort bien modelé, il va cependant peu à peu faire confiance à Nelson Mandela pour éviter un bain de sang à l’Afrique du Sud alors que son parti d’extrême droite n’attend qu’une chose : régler la question par les armes, quoi qu’il en coûte. Un parti d’extrême droite dont le drapeau et la haine rappellent des heures bien sombres… C’est une relation de recherche de compréhension et d’écoute qui va s’établir. Ce n’est pas une volonté de lutte martiale, mais de trouver un terrain d’entente qui devient vital.

Ce roman graphique est fort et factuel, il permet de comprendre une période historique complexe qui ne remonte pas plus loin qu’hier. En 1994 ont lieu les premières élections démocratiques ouvertes à tous.

L’ouvrage se termine sur quelques pages rétrospectives du travail journalistique de John Carlin, ainsi que sur des précisions documentaires bienvenues : j’apprécie toujours ces contenus supplémentaires. Un beau livre qu’il ne faut pas hésiter à mettre entre toutes les mains.

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Ils/Elles l’ont aussi lu et chroniqué : SambaBD


 

Et vous, que vous inspire cet anniversaire ?

« Pour mémoire » d’Alain Genestar (Grasset, 2018)

C’est un petit livre par sa taille (80 pages) mais qui comprend les mots de Simone Veil, toujours grands et puissants, que nous propose Alain Genestar quelques jours avant l’anniversaire de la disparition de cette grande dame et sa panthéonisation.


Quatrième de couverture : « Là-bas, je n’ai jamais pleuré, c’était au-delà des larmes.

Décembre 2004. Pour la première fois, Simone Veil retourne à Auschwitz-Birkenau entourée des siens. Elle a jugé qu’il était temps de partager son histoire avec ses petits-enfants, là où un million de Juifs furent assassinés. Alain Genestar, alors directeur de Paris Match, l’accompagne.

Dans ce court récit, il livre les coulisses de cette journée hors du temps, la marche dans la neige, le froid, l’émotion, la douleur et restitue l’intégralité de leur long entretien. Les mots de Simone Veil, un an après sa disparition, touchent par leur sobriété.

Un document pour l’Histoire et un hommage à une femme d’exception qui, avant d’entrer au Panthéon, est entrée dans le cœur des français. »


Dans la première partie de ce livre, Alain Genestar revient comme observateur de la journée passée au Musée d’Etat Auschwitz-Birkenau avec Simone Veil, entourée de deux de ses enfants et de six de ses petits enfants. Des conversations dans l’intimité de ce cercle il ne dévoilera rien, par respect pour ces moments et pour la situation.

La publication de ce livre se fait pour maintenir la mémoire d’une histoire terrible, alors que les témoins directs disparaissent et que les pensées radicales gagnent à nouveau du terrain.

La seconde partie du livre reprend l’intégralité de l’interview réalisée en 2004, après la visite de l’ancien camp de la mort, pour une publication à l’occasion des 60 ans de la libération des camps par l’armée russe, le 27 janvier 1945.

Cet entretien permet de lire la parole libre de Simone Veil que ce soit sur son arrivée au camp après trois jours de trajet dans des wagons à bestiaux, sur sa survie, sur la libération et la reconstruction, sur l’après et aussi sur le pardon. Une parole essentielle.

Simone Veil est décédée le 30 juin 2017 et je ne pouvais pas ne pas lui rendre hommage cette semaine.

« Quand je pense à Auschwitz [Silence], le pire c’est de penser à tous les enfants, certains très jeunes, qui ont été parfois tout seuls jusqu’à la chambre à gaz. C’est insupportable. Lorsque je vais à Yad Vashem, en Israël, ou en France à l’exposition de photos que Serge Klarsfeld avait présentée, je ne peux m’empêcher de pleurer. Et je pense à ce que seraient devenus tous ces enfants si beaux, si vifs, s’ils n’avaient pas été massacrés. »

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Merci, Madame Veil.

👁 « Reporter : Bloody Sunday » de Renaud Garreta, Laurent Granier et Gontran Toussaint (Dargaud, 2016)

Premier tome de la série Reporter son sous-titre est Alabama 1965 : une marche pour la liberté. Je souhaitais terminer cette série thématique (je suis encore à peu près dans les temps) avec cet ouvrage car la marche continue.


Quatrième de couverture : « Le principe de Reporter est simple : nous suivons un jeune journaliste français qui, envoyé aux quatre coins du monde, vit en direct des événements qui ont marqué l’histoire contemporaine.

Dans ce premier tome, il est envoyé aux États-Unis en 1965 pour faire un reportage sur les mouvements des droits civiques des Afro-Américains.

Il sera amené à suivre les marches de Selma et assistera à l’assassinat de Malcom X. »


Le point fort de cette bande-dessinée c’est son ambiance et son rythme, indéniablement. On suit un journaliste qui va couvrir des événements liés à la lutte pour les droits civiques. À partir de cela, nous allons vivre des marches, des rencontres, des assassinats, des poursuites, des actions du FBI moins connues.

Le dessin m’a un peu déçue car je trouve la couverture magnifique et une fois ouverte, le style est un peu trop classique à mon goût, très représentatif.

Fort de nombreuses références et d’un scénario extrêmement efficace, le personnage principal m’a cependant laissée un peu de marbre, trop direct et sans vraiment l’épaisseur que j’aime et que je recherche. Son esprit de lutte pour des convictions humanistes, au prix parfois de quelques coups, m’a malgré tout plu : on ne peut parfois assumer ses idées sans être blessé.

Je trouve que cette bande-dessinée est une bonne conclusion de mes lectures, avec des personnages aux positionnements multiples, du suprématisme blanc à l’abnégation, en passant par l’un des visages du racisme qui m’inquiète le plus, l’ordinaire, qui ne se pose pas de questions et laisse faire, avec des propos insultants qui reflètent la mentalité majoritaire de la société américaine (notamment) de l’époque.

Une jolie découverte que je recommande, qui est suivie d’un deuxième volume sur Che Guevara pour ceux qui seraient intéressés par ce sujet aussi.

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Ce thème m’a permis d’apprendre beaucoup, de me rappeler l’importance des enjeux, de me confronter à la réalité qui n’est toujours pas très très jolie, de me recueillir aussi. Car notre histoire et notre avenir nous l’écrivons aussi au regard de nos morts.