« L’attente » de Keum Suk Gendry-Kim (Futuropolis, 2021)

L’annonce d’une nouvelle publication de keum Suk Gendry-Kim est toujours un événement pour moi. Et le sujet de ce roman graphique a fait encore monter d’un cran mon impatience : la partition de la Corée et, avec elle, la terrible séparation des familles. Aujourd’hui encore la blessure est vive, incarnée par la disparition de proches, l’absence de leurs nouvelles. Keum Suk Gendry-Kim nous livre l’histoire d’une famille et, avec elle, celle de milliers d’autres.

Quatrième de couverture : « Soixante-dix ans se sont écoulés depuis le déclenchement de la guerre de Corée. Depuis 1953, la Corée est divisée en deux pays distincts, la Corée du Sud et la République populaire démocratique. Des familles entières ont été séparées. La mère de la narratrice n’a jamais revu son premier mari et son fils. Aujourd’hui encore, des démarches sont entreprises pour retrouver des proches disparus. Saisie par un sentiment d’urgence alors que la génération qui a connu la guerre s’éteint et la nouvelle oublie le passé, Keum Suk Gendry-Kim a interrogé sa mère pour qu’elle lui raconte ces blessures traumatisantes de la guerre et de la séparation.

Séoul, de nos jours. Guja a 92 ans. Sa vie de retraitée est bousculée le jour où, parlant avec une amie, elle découvre le programme gouvernemental permettant à des familles coréennes séparées par la guerre en 1950 de se retrouver. Lui revient alors son passé, sa jeunesse, son premier mariage, ses deux premiers enfants. Et surtout, cet exode qui va la séparer de son mari et de son premier fils alors qu’elle reste seule avec son nourrisson. Jamais plus elle ne les reverra. Au crépuscule de sa vie, elle raconte à sa fille Jina, dessinatrice pour la jeunesse, cette vie brisée, ces moments de désespoir, sa vie d’après.

Après Les Mauvaises Herbes, Keum Suk Gendry-Kim s’attaque à un autre pan dramatique de l’histoire de la Corée. »

Keum Suk Gendry-Kim a composé ce livre à partir des souvenirs de sa mère ainsi que de deux autres témoins. Pas précisément biographique mais juste et pensé pour être au plus près de la réalité, elle montre les souffrances des personnes ayant vécu les séparations familiales, la perte des racines ainsi que le poids que portent certains descendants. Un hommage émouvant à une mère immensément courageuse et un message universel dédié à toutes les personnes forcées de quitter leur foyer et de se couper de leurs proches pour une durée indéterminée.

Guja est une vieille dame qui a passé la presque intégralité de sa vie à porter une douleur aussi intime que profonde. Elle a été séparée de son mari et, surtout, de son fils, encore petit, en fuyant les zones de combat lors de la guerre de Corée. Depuis, elle ne l’a plus jamais revu et ne sait même pas s’il est encore en vie.

Nous vivons le présent de Guja tout en faisant des sauts dans le temps, découvrant son enfance et sa jeunesse, entre l’occupation japonaise et celle des soviétiques, entre la Seconde Guerre mondiale et la guerre de Corée. A ses côtés nous comprenons – autant qu’il nous est possible de le faire – la violence des différents déchirements qu’elle devra traverser, auxquels elle devra survivre.

En 2018, des retrouvailles familiales sont permises entre le Nord et le Sud. Des retrouvailles sous surveillances, conditionnées qui se révèlent parfois aussi douloureuses que l’incertitude et l’absence. Tant d’années d’espoir et d’attentes pour si peu de temps et la certitude que cela ne se pourra pas se reproduire avant très longtemps, peut-être même jamais !

Il était courant que les personnes passées dans le Sud et ayant perdu leurs familles, restées au Nord, se remarient, refondent une famille. Nombre de personnes avaient donc deux familles. La représentation de cela est particulièrement touchante dans ce roman graphique. Ecartelée entre la nécessité d’avancer et l’impossibilité d’oublier.

Ce livre nous transmet à la fois une histoire d’hier et une histoire d’aujourd’hui, alors que les dernier·ère·s survivant·e·s s’éteignent et que les relations entre les deux Corées sont encore extrêmement tendues. Une nouvelle fois, Keum Suk Gendry-Kim porte haut la volonté de faire mémoire et rend hommage à une population à l’histoire meurtrie.

Il ne manque qu’un ouvrage de Keum Suk Gendry-Kim à ma collection, il rejoindra donc ma bibliothèque sous peu, en espérant faire découvrir cette autrice à toujours plus de lecteurs et lectrices. J’ouvrirai ensuite mes horizons en découvrant des ouvrages qu’elle a traduits du coréen vers le français.

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« L’arbre nu » de Keum Suk Gendry-kim (Les Arènes, 2020)

Librement adapté du roman culte de Park Wan-seo, Keum Suk Gendry-kim a voulu partager à sa façon l’un des romans qui l’a le plus marquée. Elle le dit elle-même : dès sa lecture elle a eu envie de l’adapter. C’est maintenant chose faite (et bien faite), le rendant sous cette forme accessible au public français, le roman original n’étant pas disponible.

Quatrième de couverture : « En 1950, quand la guerre de Corée éclate, Kyung a vingt ans. Elle habite à Séoul avec sa mère. Pour survivre, elle est vendeuse dans un magasin de l’armée américaine. Un jour, elle y rencontre Ok Heedo, un artiste peintre ; il a fui le nord du pays et, pour nourrir sa famille, réalise des portraits commandés par les GI’s. Kyung tombe aussitôt amoureuse de cet homme si différent des autres, si doué. Et surtout, cet amour l’aide à oublier le terrible drame qui vient de frapper les siens… Malheureusement, Ok est marié.

Bien des années plus tard, elle visite une exposition posthume consacrée à ce peintre. Le passé sombre qu’elle croyait endormi resurgit d’un coup. Elle entreprend alors d’écrire son histoire pour se réconcilier avec les fantômes qui la hantent. »

Le personnage principal, Lee Kyung, est une jeune femme de vingt ans qui doit à la fois supporter des drames personnels difficiles à surmonter et un quotidien de guerre tout aussi anxiogène. Seule avec sa mère – qui n’est plus qu’ombre dépuis le début de la guerre et la disparition de ses fils – à Séoul, son travail consiste à démarcher des commandes de portraits sur soie auprès de soldats américains. C’est dans le cadre de ce travail qu’un jour son patron recrute un nouveau peintre : Ok Heedo.

Ok Heedo est un homme différent des autres et Lee Kyung, dont l’enfance révolue a fait éclore une jeune femme en quête d’attaches et de repères dans les temps troublés de la guerre, va rapidement tomber amoureuse de lui. Mais Ok est marié, l’amour est impossible à vivre, en même temps qu’impossible à totalement réprimer pour la jeune fille.

L’arbre nu, c’est cet arbre qui ressemble à un arbre mort mais qui a encore de la force en lui. Il attend désespérément des temps plus cléments pour s’exprimer de toutes ses feuilles et de toutes ses couleurs. L’arbre nu c’est Ok Heedo, c’est Lee Kyung, c’est l’image des vies en suspens alors que a guerre vole chaque jour des âmes et des avenirs. Mais, malgré toutes les douleurs et les peurs, il n’est pas mort, il espère des lendemains.

Entre les vagues de sentiments interdits et les plaies des blessures personnelles, Lee Kyung traverse la guerre de Corée et avec elle de nombreux aspects de la vie quotidienne qu’en France nous ne connaissons pas forcément, ou dont nous n’avons pas pleinement conscience.

Keum Suk Gendry-kim nous offre une nouvelle fois un beau roman graphique, enrichissant nos connaissances sur l’histoire contemporaine de la Corée, précisant des faits parfois ignorés ou déformés, tout en nous faisant découvrir une histoire devenue culte dans la culture coréenne depuis sa parution, en 1970. Elle nous fait également découvrir l’oeuvre de Park Soo-keun, nom réel du personnage d’Ok Heedo, l’auteure du roman original ayant écrit L’arbre nu à partir d’éléments autobiographiques.

Je ne veux pas gâcher le plaisir ni l’intensité de votre découverte, je ne vous en dis donc pas plus et vous invite à découvrir ce roman graphique, comme je le fais toujours avec le travail de Keum Suk Gendry-kim. De mon côté, je continue à suivre de très près cette auteure dont j’attends avec impatience le prochain livre prévu pour début mai et qui traitera de la douloureuse séparation de la Corée et, forcément, de celle des familles coréennes.

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Et vous, quel est votre roman graphique préféré de Keum Suk Gendry-Kim ?
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« Le chant de mon père » de Keum Suk Gendry-Kim (Sarbacane, 2012)

Keum Suk Gendry-Kim s’attache à raconter l’histoire de la Corée à travers des histoires individuelles, témoignages des événements du pays. Le présent roman graphique suit une petite fille, Gusoon, des années 1970 en Corée du sud aux années 2010 à Paris. Décrit comme autobiographique, j’ai cependant eu du mal à évaluer la part fictionnelle et celle plus personnelle. Mais cela n’a pas affecté mon plaisir de lecture.

Quatrième de couverture : « C’est l’histoire d’une famille coréenne, leur famille, que l’on va suivre du début années 70 à nos jours ; celle d’une famille d’agriculteurs modestes mais protégés, qui décident de monter à la capitale, en espérant toucher, eux aussi, les dividendes du rêve coréen. Plus dure – et cruelle – sera la chute.

Une mère rend, pour la première fois, visite à sa fille, installée à Paris depuis des années. Elles sont coréennes. Pendant les quelques jours que la vieille femme passe avec sa fille, souvenirs et secrets de famille, enfouis au plus profond d’une culture coréenne du secret, vont resurgir, et permettre de dénouer enfin les fils de leur relation. »

Lu une première fois il y a plusieurs mois, j’ai relu dernièrement ce roman graphique afin de vous en proposer (enfin) la chronique. J’ai été étonnée de l’apprécier encore plus lors de cette deuxième lecture, alors que je connaissais déjà le parcours de Gusoon et de sa famille.

Gusoon est la neuvième enfant de la famille (son prénom, qu’elle n’aime pas, signifie d’ailleurs sa place dans la fratrie). La famille est installée dans une campagne au sud-ouest de la Corée, les conditions de vie y sont rudes mais Gusoon vit librement sur les chemins et dans la nature. Régulièrement, des habitants s’en vont pour Séoul afin d’obtenir de meilleures situations. La famille de Gusoon va être amenée à prendre également cette décision. Pour la petite fille c’est un véritable déracinement ainsi que la découverte de discriminations dont elle devient victime. Pour les parents, Séoul se révèle être un mirage doublé d’une trahison familiale écoeurante.

Keum Suk Gendry-Kim met des mots sur les blessures et les inquiétudes de l’enfance face à un monde adulte plein d’injustices, face aux tensions et répressions politiques, face à une famille qui se délite sous le poids du travail précaire, des accidents de la vie et des relations parfois toxiques. Son père, en particulier, a changé. Lui qui était connu pour être un excellent chanteur de Pansori et un homme gai, ne chante plus, se met facilement en colère et dépérit à vue d’oeil. Alternant passé et présent, alors que la mère de Gusoon lui rend visite à Paris où elle s’est installée adulte, cette dernière porte également ses réflexions sur les stigmates de ses parents, avec une compréhension d’adulte.

J’ai beaucoup aimé découvrir la vie en Corée du sud au cours de différentes périodes, comprendre certains faits et enjeux et suivre Gusoon qui, malgré la dureté de certaines situations, ne se défait pas de sa savoureuse espièglerie. Une nouvelle fois, le regard de l’enfance porte une force qui m’a émue.

Les illustrations correspondent parfaitement à l’ambiance générale du récit : entre une réalité froide et la malice enfantine. Un travail à l’encre, intégralement composé en noir et blanc, très reconnaissable et qui me plait toujours autant.

Je ne peux que vous conseiller de découvrir cette auteure qui réussi à chaque lecture à me toucher et à me transporter dans la culture et l’histoire coréennes. Avec trois romans graphiques publiés en 2020, Keum Suk Gendry-Kim se fait une place méritée parmi les auteurs graphiques contemporains et est également traductrice du coréen vers le français. Il me manque encore quelques unes de ces oeuvres, mais plus pour très longtemps…

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❤ « Les mauvaises herbes » de Keum Suk Gendry-Kim (Delcourt, 2018)

Ce roman graphique dort depuis des mois et des mois dans ma bibliothèque. Je l’ai commencé une première fois mais je n’ai pas réussi à aller très loin car son sujet s’aborde avec un certain esprit, du temps, de la disponibilité, du calme. Il faut être entièrement à sa lecture. Un beau livre pour la mémoire, un impressionnant roman graphique de presque 500 pages et dont pas une seule n’est de trop.

Je l’ai repris et lu cette semaine suite à une actualité que souhaitais partager ici avec vous, par soutien pour ces femmes (vivantes comme décédées) qui demandent et méritent justice, reconnaissance des préjudices et à qui on refuse les excuses :

C’est un jugement lourd à l’impact diplomatique retentissant. Ce vendredi 8 janvier, un tribunal sud-coréen a jugé que Tokyo devait dédommager les victimes d’esclavage sexuel durant la Seconde Guerre Mondiale. C’est la première fois qu’une telle sanction est prononcée.

RFI, « Corée du Sud : Tokyo condamné pour esclavage sexuel durant la Seconde Guerre mondiale » 8 janvier 2021

Quatrième de couverture : « 1943, en pleine guerre du Pacifique, la Corée se trouve sous occupation japonaise. Oksun, seize ans, est vendue par ses parents adoptifs comme esclave sexuelle à l’armée japonaise basée en Chine. Après avoir vécu 60 ans loin de son pays, Oksun revient sur sa terre natale.

Cet ouvrage, témoignage à la fois bouleversant, documenté et objectif d’une femme par une femme, retrace non seulement le parcours d’une vie, mais à travers lui tout un pan de l’histoire moderne de la Corée du Sud. »

Dans toute guerre le ventre des femme devient un territoire à conquérir comme un autre. Si les femmes et les jeunes filles sont les principales victimes de ces crimes, hommes et enfants de tout sexe n’y échappent pas.

Ce roman graphique est un témoignage difficile mais nécessaire : Keum Suk Gendry-Kim a ressenti un besoin profond et urgent de parler de ces femmes. Elle s’est rendue dans une maison de partage en Corée, lieu dans lequel vivent d’anciennes femmes de réconfort (comprenez officiellement esclaves sexuelles) dès lors qu’elles ont pu quitter la Chine pour retrouver leur pays de naissance. C’est lors d’une de ses visites que l’auteure a rencontrée Lee Oksun qui a accepté, petit à petit, de lui confier son histoire afin que l’oubli ne fasse pas son oeuvre, afin qu’on n’oublie pas ces femmes qui on connu le même sort qu’elle (leur nombre est estimé à 200 000 selon les historiens).

Oksun revient sur son enfance marquée par la pauvreté, la faim, la colonisation japonaise, le début de la guerre, la séparation d’avec sa famille et son exploitation par des adultes. Vient ensuite sa jeunesse. Une adolescence (puis une vie) déplacée en Chine, brisée par le viol et l’esclavage sexuel au cours de la Seconde Guerre mondiale. Les jeunes coréennes étaient trompées, enlevées ou achetées puis envoyées près des stationnements militaires, par et pour les militaires japonais.

A travers ses mots et ses souvenirs elle explique la peur, sa déportation en Chine, l’horreur de ses conditions de détention – prisionnière d’un couple – violentée durant plusieurs années par les soldats japonais. Et dans son témoignage éprouvant pour elle, une place est aussi faite à d’autres jeunes filles qu’elle a connues. Viendra la fin de la guerre et alors la question se pose : qu’allons-nous devenir ? Qu’allons-nous faire ? Est-ce que quelqu’un nous attend quelque part ? Vers où aller ? Comment continuer à vivre ?

Oksun montre l’impact psychologique encore vif de ces années de guerre et de supplices physiques, intimes. Sa voix porte lors des rassemblements pour demander justice : que le Japon reconnaisse sa responsabilité dans l’établissement de nombreuses maisons de passe pour les soldats, qu’il reconnaisse les femmes qui y étaient envoyées de force et exploitées des victimes de guerre, des victimes de leurs soldats.

J’ai été très émue de lire ce roman graphique au regard de l’actualité, même si le verdict du tribunal de Séoul implique des tensions diplomatiques avec le Japon. Je suis d’une grande naïveté mais j’ai toujours du mal à comprendre pourquoi il est si difficile pour un État de reconnaître ses torts alors même que s’excuser est l’une des premières choses que l’on apprend à un enfant.

Concernant le travail graphique, nous reconnaissons immédiatement le style de Keum Suk Gendry-Kim, entre les traits tendres et les encrages forts, entre la douceur qu’elle porte à ses personnages et le traitement pudique et respectueux mais marquant des moments traumatiques, comme on peut beaucoup le retrouver dans Jiseul. Une identité artistique que j’apprécie beaucoup et que je vais continuer à découvrir avec plaisir et émotion.

Cette lecture entre dans le Challenge coréen organisé par Cristie du blog Depuis le cadre de ma fenêtre.

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Ils/Elles l’ont aussi lu et chroniqué  : Les critiques de YuyineSambaBDInstantané

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« Jiseul » de Keum Suk Gendry-Kim d’après O Muel (Sarbacane, 2015)

Jiseul

L’histoire coréenne est, parfois, une histoire interdite. C’était le cas lorsque j’ai lu Mémoires d’un frêne de Park Kun-woong, c’est à nouveau le cas avec ce roman graphique tiré du film éponyme d’O Muel (né à Jeju) et mis en encre de Chine par Keum Suk Gendry-Kim.

Quatrième de couverture : « Un livre bouleversant, vibrant hommage aux victimes du massacre de Jeju.

Le livre revient sur l’une des pages les plus sombres de l’histoire de la Corée : le massacre de dizaines de milliers d’habitants de l’île de Jeju, en 1948, marquant l’établissement du régime autoritaire de Syngman Rhee, soutenu par les forces d’occupation américaine. Jiseul est basée sur l’histoire vraie de 120 villageois, habitants de l’île, qui se sont cachés dans les cavernes de Seogwipo, après que les autorités d’occupation américaines eurent désigné tous les habitants dans un rayon de 5 km depuis les côtes comme des émeutiers et donné l’ordre qu’ils soient exécutés. Le mot Jiseul désigne, dans le dialecte de Jeju, la pomme de terre et le symbole de l’espoir de survie des insulaires. »

Impossible après la lecture d’oublier un jour le mot jiseul ou l’île de Jeju. Quand l’art fait mémoire je ne suis jamais loin et j’ai été littéralement impressionnée par ce travail. Difficile, donc, de ne pas avoir envie de découvrir le film après la lecture, pour voir, entendre et ressentir l’oeuvre d’origine et mieux visualiser son travail d’adaptation.

Dans ce moment tragique de l’histoire coréenne, je découvre que l’armée américaine est une fois encore impliquée, je constate qu’un régime autoritaire est à nouveau à l’oeuvre dans des massacres de civils, qu’un pouvoir tue ses propres enfants.

L’histoire est construite en miroir : d’un côté un groupe de civils qui cherchent une grotte dans laquelle se cacher en attendant que la violence et la barbarie s’apaisent, de l’autre une faction militaire qui obéit aux ordres d’éxécutions de masse. Mais si le roman graphique est intégralement en noir et blanc (choix que je trouve particulièrement percutant), il y a des zones grises pour certains personnages.

Dès le départ, le ton est donné et le lecteur sait que l’histoire ne finira pas bien, que les civils auxquels chacun•e peut s’identifier, ne survivront pas. A chaque page le souffle est retenu. Mais ce que j’ai trouvé particulièrement intéressant c’est le doute qui s’insinue dans l’esprit de jeunes soldats : et si ce n’était pas juste ?

Jiseul signifie pomme de terre dans le dialecte propre à l’île de Jeju. Ce tubercule essentiel pour la survie dans nombre de conflits à travers le monde. Un trésor en situation de famine qui pousse sous la terre qui renvoie à la situation des civils (adultes et enfants) terrés pour tenter de survivre à la folie meurtrière.

Mais qu’ai-je pensé du film par rapport au livre ? Le film a eu plusieurs avantages à mes yeux : entendre la langue et mieux voir les visages. Car je dois avouer qu’il manque parfois d’un peu de précision dans les dessins à l’encre de Chine concernant les traits des différents protagonistes (et il y en a un certain nombre). Je me suis rendue compte que je n’avais pas tout parfaitement saisi à la lecture grâce au film qui a remis certains passages en place. Cependant, l’adaptation graphique est extrêmement fidèle, les scènes sont parfaitement représentées dans leur ensemble : le travail de la dessinatrice est tout simplement impressionnant.

Je ressors donc de cette lecture (et de ce visionnage) avec la conscience de l’importance de cette mémoire qui demande à ne plus être muette et qui demande justice. Je souhaite maintenant lire d’autres oeuvres de Keum Suk Gendry-Kim, dont j’ai déjà Les mauvaises herbes dans ma bibliothèque.

Si vous vous intéressez à l’histoire contemporaine et aux événements peu connus, courez découvrir ce roman graphique et/ou ce film.

Pour en savoir plus

Challenge coréen


Ils/Elles l’ont aussi lu et chroniqué : Pas de chronique trouvée pour le moment.


 

Et vous, avez-vous vu ce film ou avez-vous déjà lu un roman graphique de cette auteure ?

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