👁 « Akû, le chasseur maudit – Tome 1 » d’Akeji Fujimura et Muneyuki Kaneshiro (Pika, 2019)

Ce manga au contexte particulier de l’ère paléolithique (revisitée tout de même) m’avait interrogée à sa sortie, dans un sens positif. Une couverture qui à la fois m’attirait et me mettait en position de réserve, une quatrième de couverture qui me tentait plus. Bref, curieuse mais un peu sceptique quand même au départ.


Quatrième de couverture : « Akû, petit homme des âges farouches naît un soir de lune rouge. L’ancêtre du village lui prédit un destin funeste, synonyme de destruction, et presse ses parents de sacrifier l’enfant. Mais Dadâ, son père, meilleur chasseur de la tribu est du genre à braver le destin et se moque des superstitions, il décide alors d’affronter une bête terrible pour racheter la vie de son fils… »


Et j’ai eu raison, au moins pour le début de l’intrigue, de finir par me laisser tenter. Après tout, qu’est-ce que je risquais ? J’ai beaucoup aimé la force de caractère de Dadâ, prêt à tout pour que son fils vienne au monde et ne soit pas sacrifié au nom de principes relevant de la superstition, bel et bien celle qui tue.

Akû va pouvoir survivre grâce au courage et à l’amour de ses parents. Mais même si Dadâ a pu permettre sa naissance et sa croissance, l’enfant reste mis à l’écart, discriminé, marqué dans sa tribue par le sceau du malheur.

Heureusement, s’il y a beaucoup de personnages cruels il y en a aussi qui montrent de l’humanité. Cela ne rend pas le quotidien facile mais chaque soutien est précieux. Quand le moment est venu pour Akû de prouver à son tour sa valeur il se pourrait que ce soit le début d’autres épreuves et difficultés…

Je sors de ce premier tome séduite, avec déjà des émotions fortes. Une très belle découverte qui, je dois l’avouer, ne se poursuit pas vraiment avec le deuxième tome que j’ai commencé. J’espère finalement me tromper et retrouver mon enthousiasme pour cette série.

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Et vous, êtes-vous prêts à remonter le temps ?

❤ 👁 « Last Hero Inuyashiki – Tome 1 » de Hiroya Oku (Ki-oon, 2015)

J’ai lu toutes sortes d’avis sur cette série c’est pourquoi j’ai eu envie de me faire le miens. Malgré un contexte dont j’avais donc pris connaissance, je ne m’attendais pas pour autant à ça : j’ai été complètement convaincue.


Quatrième de couverture : « À 58 ans, Ichiro Inuyashiki est loin d’être un modèle pour ses enfants. Vieux avant l’âge, méprisé de tous, il a vécu toute sa vie en employé de bureau minable et n’a pour toute amie que sa chienne Hanako. Comme si cela ne suffisait pas, on lui diagnostique un cancer en phase terminale lors d’un examen de routine… C’en est trop pour le pauvre vieillard. Alors qu’il pleure de désespoir dans un parc en pleine nuit, une lumière aveuglante apparaît… et c’est l’impact !

À son réveil, étendu dans l’herbe, Inuyashiki n’est plus le même. Il a été transformé en cyborg surpuissant, libre de faire ce qu’il veut de ses nouveaux pouvoirs, le meilleur comme le pire. Et il n’est pas le seul dans ce cas… À nouveau corps, nouvelles responsabilités : devenir un héros, ou le pire cauchemar de l’humanité…

Découvrez Last Hero Inuyashiki, la nouvelle série choc de Hiroya Oku (Gantz), le maître de la SF contemporaine ! »


Ichiro c’est LA victime. Le mec qui a passé sa vie à faire ce qu’il pouvait pour ses proches et qui ne récolte que dédain et humiliations. Honnêtement, le fait qu’il n’ait pas craqué et renvoyé sa femme et ses enfants dans des cordres de ring en dit long sur sa gentillesse. Car les remettre à leur place ne serait que justice. Mais non, Ichiro fait son petit bonhomme de chemin. Le jour où il apprend qu’il est condamné par la maladie est aussi le jour au cours duquel l’événement se produit. Désormais, il possède des pouvoirs incroyables et n’est plus enfermé dans un corps malade mais dans un corps qui n’est tout simplement plus le sien.

Qu’est-ce que j’ai pu trouver ce personnage touchant ! Alors oui, il est archi-méga-gentil, au point que l’on peut se demander si quelqu’un comme ça existe. Je me plais à croire que oui, ça rassure.

Ce premier tome prend le temps d’installer l’ambiance familiale puis de nous accompagner aux côtés d’Ichiro pour découvrir ses nouveaux pouvoirs (utilisés en situations réelles). Avec lui, l’espoir est permis et l’ère du bien s’ouvre devant nous. À moins que… Il faut dire que ce soir là, au parc, un autre homme a probablement été comme lui victime de transformations… Et ces meurtres dont il est question à la télévision… Se pourrait-il…?

Un manga qui traite autant de la frustration à laquelle peut conduire une vie que du bonheur de faire du bien autour de soi. Un premier volume lumineux qui laisse pressentir une suite plus sombre.

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Et vous, les récits sur le pouvoir et l’utilisation qui en est faite vous intéressent-ils ?

👁 « Noise – Tome 1 » de Tetsuya Tsutsui (Ki-oon, 2018)

Je tenais à découvrir ce manga car la quatrième de couverture m’a tout de suite accrochée mais aussi pour son ancrage réaliste. Si j’ai réussi à m’ouvrir à des univers auxquels je ne suis pas habituée grâce aux mangas, j’aime quand même retrouver du terre à terre, je l’avoue. Bon, c’est quand même un thriller, donc ce n’est pas non plus un récit de quotidien, je vous l’accorde.


Quatrième de couverture : « Dans un village que la dépopulation condamne à disparaître, une lueur d’espoir naît : Keita, un agriculteur du coin, a créé une nouvelle espèce de figues qui fait sensation dans tout le Japon grâce aux recommandations d’une star du web ! Avec la couverture médiatique, l’économie locale repart. Keita espère que ce renouveau permettra de rouvrir l’école, ce qui pourrait convaincre sa femme partie à la grande ville de revenir avec leur fille.

Mais la paisible bourgade voit son quotidien bouleversé par l’arrivée d’un inconnu à la mine patibulaire, Mutsuo Suzuki. Il dit vouloir travailler comme journalier, seulement son attitude bravache et ses mensonges évidents inspirent la méfiance. Les doutes de Keita se confirment quand son meilleur ami lui apprend qu’il a reconnu l’étranger : condamné il y a plusieurs années pour une affaire de harcèlement et de meurtre, c’est un criminel fraîchement sorti de prison ! Que faire s’il s’installait dans la région ?

Après Prophecy et Poison City, Tetsuya Tsutsui est de retour pour un nouveau thriller palpitant, avec la campagne japonaise pour toile de fond ! Un récit intense mené de main de maître, où la frontière entre le bien et le mal n’est jamais clairement définie… »


J’ai beaucoup accroché à ce premier tome qui installe une atmosphère pesante et tendue digne d’un thriller très efficace. Nous faisons petit à petit la connaissance des forces en présence : Keita et son commerce de figues qui a permi à son village de reprendre vie grâce à la ressource économique qu’il génère ; Jun, son meilleur ami qui travaille avec lui sur l’exploitation ; Shinichiro, tout jeune policier qui prend son premier poste dans le village et qui manque terriblement de confiance en lui ; Mutsuo, un homme particulièrement sombre qui aurait peut-être mérité un peu plus de nuance et Tsutomu, inspecteur hanté par un passé qui ne passe pas.

Vraiment, le début de cette série est construit avec rythme et efficacité. Nous découvrons les personnages, leurs failles, leurs regrets et leur noirceur respective en alternant différentes trames parallèles. J’ai tout de suite été séduite même si je n’aurais pas fait les mêmes choix que les personnages principaux : le fait est que parfois nous prenons de mauvaises décisions pour de bonnes raisons. C’est tout le questionnement que pose ce manga. Où se situe la frontière entre le bien et le mal et jusqu’où aller pour sauver ce qui compte le plus pour nous ? Et, au bout d’un moment, comment passer à travers les mailles du filet quand personne (ou presque) n’est innocent et quand l’irréversible a été commis ? Pour répondre à cette question, rendez-vous au tome suivant !

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Et vous, seriez-vous prêts à tout pour protéger ce qui vous est cher ?

« Vous n’aurez pas ma haine » d’Antoine Leiris (Fayard, 2016)

Ce livre, c’est de l’amour, énormément d’amour, de la pudeur et la force de vivre pour un petit bonhomme trop petit pour comprendre que sa maman ne rentrera pas mais déjà assez grand pour sentir le manque. Ce manque qui restera. Cette absence engendrée par des hommes pourris par la haine.

Merci à La plume critique qui m’a rappelé, grâce à sa chronique, l’importance de cette lecture.


Quatrième de couverture : « Antoine Leiris a perdu sa femme, Hélène Muyal-Leiris, le 13 novembre 2015, assassinée au Bataclan. Accablé par la perte, il n’a qu’une arme : sa plume.

À l’image de la lueur d’espoir et de douceur que fut sa lettre Vous n’aurez pas ma haine, publiée au lendemain des attentats, il nous raconte ici comment, malgré tout, la vie doit continuer. C’est ce quotidien, meurtri mais tendre, entre un père et son fils, qu’il nous offre. Un témoignage bouleversant.

Ancien chroniqueur culturel à France Info et France Bleu, Antoine Leiris est journaliste. Vous n’aurez pas ma haine est son premier livre. »


Cette haine, Antoine Leiris n’en veut pas. Dans le flot de l’émotion qui a suivi les attentats du 13 novembre 2015, il publie un texte extrêmement fort et qui va à l’encontre de nombreuses réactions vengeresses, terreau fertile des extrêmismes. Non, il ne choisira pas la haine. Il ne pardonnera pas non plus. Mais il ne laissera pas gagner les instigateurs de la mort de ce jour noir, il ne leur cèdera pas son humanité. Car la haine c’est la solution de facilité. Car la haine c’est un raccourcis. Car la haine c’est jouer le jeu de l’assaillant. Car la haine engendre la haine. Il est de ceux qui cassent la chaîne. Parce qu’Hélène, son épouse et la mère de son fils, ne peut être associée à la haine.

Ce témoignage est précieux car il porte en lui un lendemain. Il doit tenir sur ses pieds pour un enfant qui a toute sa vie à vivre même si elle est déjà amputée. On ne peut transmettre la haine à un enfant, on se doit de l’aider à affronter chaque jour, ce n’est pas pareil. Cela, Antoine Leiris le dit avec un amour tellement fort que notre coeur ne peut que se serrer : de compassion, de soutien et de respect.

Du soir des attentats puis jour après jour, ce jeune papa va raconter les épreuves. L’attente, ce moment où l’on ne sait rien et où l’amour est à la fois vivant et mort. L’annonce. La famille. La morgue. Les autres. Bébé Melvil. La journée à tenir. L’enterrement. Les lendemains. Deux bonhommes qui doivent continuer leur chemin sans oublier leur soleil, mais qui doivent apprendre à vivre sans.

Difficile, oui, mais tendre, ce livre est une déclaration d’amour et d’humanité.

Pour en savoir plus • Paru au format poche en 2017

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Et vous, quel livre sans haine conseillez-vous contre la haine ?

❤ 👁 « Le mari de mon frère – Tome 1 » de Gengoroh Tagame (Akata, 2016)

Les actualités sont d’une tristesse affligeante. Le 17 mai portait avec lui la journée mondiale contre l’homophobie et la transphobie et a mis en lumière une augmentation significative des agressions et attaques homophobes recensées par rapport à 2017. Les coups blessent, les mots aussi, la bêtise s’enlise.

Je ne suis pas en avance mais mieux vaut publier un peu plus tard que prévu que de ne rien publier. C’est pourquoi j’ai choisi ce manga qui m’a énormément émue et en même temps beaucoup fait rire. C’est selon moi la force de ce récit de Gengoroh Tagame, en plus de son sens de la pédagogie.


Quatrième de couverture : « Yaichi élève seul sa fille. Mais un jour, son quotidien va être perturbé… Perturbé par l’arrivée de Mike Flanagan dans sa vie. Ce Canadien n’est autre que le mari de son frère jumeau… Suite au décès de ce dernier, Mike est venu au Japon, pour réaliser un voyage identitaire dans la patrie de l’homme qu’il aimait. Yaichi n’a alors pas d’autre choix que d’accueillir chez lui ce beau-frère homosexuel, vis-à-vis de qui il ne sait pas comment il doit se comporter. Mais ne dit-on pas que la vérité sort de la bouche des enfants ? Peut-être que Kana, avec son regard de petite fille, saura lui donner les bonnes réponses… »


L’histoire se construit autour de quatre personnages : deux hommes et une enfant ; un être aimé décédé récemment que nous découvrons à travers les souvenirs des deux hommes. Mike était son mari, au Canada. Yaichi était son frère jumeau. Le premier l’a connu jusqu’à la fin, le second l’a connu au début de sa vie mais a ensuite perdu le contact. La jeune Kana, elle, n’a jamais connu cet oncle qui aujourd’hui vient, d’une certaine manière, animer leur existence à tous.

Quand Mike arrive au Japon, il va trouver un foyer dans celui de Yaichi et de sa fille. Entre différences de caractères, différences de cultures et préjugés, un quotidien un peu mal à l’aise va s’installer. Mais c’est sans compter l’innocence, la curiosité et la spontanéité de Kana, qui va permettre de briser, petit à petit, les a priori. Car à son age, Kana n’a pas conscience du poids de la société et des normes qu’elle impose, elle vit sa vie d’enfant et pose des questions à cet oncle qu’elle adore déjà, tout simplement.

Si l’on pense, adulte, que les questions ne doivent pas être posées au risque de paraître bêtes, les enfants osent tout et ils sont alors les plus sages. Poser des questions sur ce que nous ne comprenons pas, car nous ne le vivons pas, c’est bien la plus simple des manières de comprendre l’autre – ou du moins d’essayer, ce qui relève déjà de l’exploit pour certains.

Ce mélange d’une histoire de deuil amoureux, de famille décomposée et d’ouverture d’esprit, voilà une bien belle recette pour un manga réussi. Croisons les doigts pour qu’il soit lu par le plus grand nombre et que les statistiques de la haine, pour une fois, reculent.

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Et vous, est-ce aussi une série qui vous a plue ?

« Haïkus de Sibérie » de Jurga Vilé et Lina Itagaki (Sarbacane, 2019)

L’histoire de la Lituanie, voilà un sacré programme ! En 1940-1941 s’organise une reconquête territoriale par l’URSS, dont le contre-pied est une lutte pour l’indépendance des lituaniens, ces deux positionnements étant surplombés par l’appétit nazi. Un pays, deux appétits de conquête et d’expansion. En 1940, l’URSS croit encore pouvoir récupérer ces terres perdues suite à la Première Guerre mondiale. La Lituanie est devenue indépendante, il faut donc la reprendre et la soviétiser. Après plusieurs ultimatums adressés à la présidence lituanienne, l’URSS prend le contrôle du pays et va déporter plusieurs milliers de personnes dans des camps, notamment en Sibérie. L’objectif ? Épurer la population de tous ses éléments qui viendraient déranger la soviétisation en cours. C’est ce voyage auquel va survivre Algis, déporté avec sa famille en 1941.


Quatrième de couverture : « Un roman graphique mêlant narration, collages et haïkus : incroyablement dépaysant !

La vie est belle. Lituanie, 1941. Algis est encore un enfant quand il est déporté dans un camp sibérien. Il raconte son quotidien où l’on croise le fantôme de son jars domestique, une chorale, des Russes impitoyables, et même des soldats japonais ! Avec son regard pur comme l’azur et sa fantaisie d’enfant, Algis nous fait rire, nous surprend et nous émeut. »


Je dois dire que j’ai été très émue par les traits, par la délicatesse apportée à la fois aux textes et aux images, par la technique de collage qui apporte une sorte d’authenticité à l’ensemble. J’aime ce côté trésors rassemblés, que l’on pouvait également découvrir avec force dans le roman graphique de Nora Krug, Heimat.

Un autre point fort de ce livre est sa narration par Algis, jeune garçon, qui va interpréter le quotidien avec l’espoir inépuisable et l’imagination libératrice de l’enfance. Les conditions de détention sont extrêmement difficiles, indignes, inhumaines. La maladie s’invite avec le froid, l’humidité et la malnutrition. L’épuisement est encore alourdi par l’absence d’humanité et de compassion des gardes. Mais, malgré tout cela, Algis va réussir à puiser en lui-même pour ne pas perdre pied.

Ce voyage en terres de glaces et de mémoires oubliées est porté par les deux auteures pour raviver avec force l’histoire. Une histoire dans laquelle des familles entières ont été envoyées à l’extrémité du monde, dans laquelle l’humanité a essayé de résister. Et ici, la résistance passe par l’imagination, le chant, le fait d’être ensemble et de se tenir les uns les autres, l’amour, mais aussi les messages imaginaires envoyés en Lituanie par le fantôme d’un jars assassiné. Des pensées, des souvenirs, des mots qui forment, au fil des pages et par-dessus les murs, des Haïkus de Sibérie. Qui reviendra (et quand) de cette région où vivre, en l’occurrence, se résume à survivre ?

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Et vous, quel livre sur la Lituanie conseilleriez-vous ?

« Un temps de chien : histoires naturelles » de Xavier-Laurent Petit (L’Ecole des loisirs, 2019)

J’ai tout de suite craqué sur ce roman jeunesse pour plusieurs raisons. La première est cette couverture d’Amandine Delaunay, sobre et attirante, la deuxième est l’auteur que j’avais beaucoup apprécié avec L’oasis, la troisième est la thématique qui touche à la fois au cyclone Katrina et à l’amitié entre un enfant et un chien. Bref, j’ai craqué.


Quatrième de couverture : « J’ai rencontré Snowball un jour où je n’avais pas très envie d’aller à l’école. Je traînais le long de la digue d’Industrial Canal avec un hameçon au bout d’un fil de pêche, et j’avais dans l’idée de revenir à la maison avec un poisson ou deux. Quand je l’ai pris dans mes bras, il était si léger que j’ai eu l’impression de soulever une boule de coton. La petite langue rose de Snowball me chatouillait les doigts, et j’ai tout de suite compris que plus rien, jamais, ne pourrait nous séparer. Pas même un ouragan de catégorie 5. »


Le roman se déroule du point de vue de Junior, un petit garçon qui préfère s’essayer à la pêche et aux promenades plutôt qu’à l’école. Un petit garçon des quartiers pauvres de La Nouvelle-Orléans et qui va ramener à sa mère une nouvelle petite bouche à nourrir : Snowbal, un petit chien tout pelucheux et tout blanc.

Un jour, alors que Junior s’est levé trop tard pour aller à l’école (je serais bien mal placée pour le juger), le garçon va discuter avec Mama Bea, la voisine. Une tempête arrive, et elle sera plus terrible que la plus terrible des tempêtes passées ici. L’air le dit. Junior ne sent rien et pourtant, elle va bel et bien arriver.

Des premières bourrasques, de la montée des eaux, de l’évacuation et des autres péripéties de Junior, Xavier-Laurent Petit nous offre un récit d’aventure et social. Personne n’est responsable du cyclone et il faudra beaucoup de courage pour l’affronter, mais l’évacuation tardive des quartiers pauvres, elle, aurait pu être anticipée. Et Junior a bien conscience de cela, que ces quartiers sont les derniers à être considérés.

Un roman que je me suis empressée de mettre entre les mains du plus grand des mes adoramonstres (comprenez neveux), qui nous rappelle la force de l’entraide et la puissance de l’instinct, qui ne manque pas de parler d’amitié, d’amour et d’espoir. Personnellement, j’ai été très touchée par cette histoire qui nous fait remonter en 2005 mais dont je me souviens comme si c’était hier. Je précise quand même que les faits sont très bien adaptés à un lectorat jeunesse.

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Et vous, est-ce un livre qui pourrait vous intéresser ?

« J’ai cru qu’ils enlevaient toute trace de toi » de Yoan Smadja (Belfond, 2019)

Quelle claque ! Dimanche dernier ont débuté les commémorations des 25 ans du génocide des Tutsi au Rwanda et je n’ai pas cessé de parcourir les articles mémoriels et les reportages. En lisant ce livre, je n’ai pu que constater la qualité de sa documentation et le talent que possède Yoan Smadja pour écrire une histoire aussi difficile, mais nécessaire pour la transmission aux générations qui, comme moi, étaient alors des enfants grandissants dans un pays en paix.


Quatrième de couverture : « Printemps 1994. Le pays des mille collines s’embrase. Il faut s’occuper des Tutsi avant qu’ils ne s’occupent de nous.

Rose, jeune Tutsi muette, écrit tous les jours à Daniel, son mari médecin, souvent absent. Elle lui raconte ses journées avec leur fils Joseph, lui adresse des lettres d’amour… Jusqu’au jour où écrire devient une nécessité pour se retrouver. Obligée de fuir leur maison, Rose continue de noircir les pages de son cahier dans l’espoir que Daniel puisse suivre sa trace.

Sacha est une journaliste française envoyée en Afrique du Sud pour couvrir les premières élections démocratiques post-apartheid. Par instinct, elle suit les nombreux convois de machettes qui se rendent au Rwanda. Plongée dans l’horreur et l’indicible, pour la première fois de sa vie de reporter de guerre, Sacha va poser son carnet et cesser d’écrire…

Dans ce premier roman bouleversant d’humanité, Yoan Smadja raconte le génocide des Tutsi du Rwanda à travers le regard de deux femmes éblouissantes, Rose et Sacha qui, sans le savoir, et par la seule force de leur plume, vont tisser le plus beau des liens, pour survivre à l’inhumain. »

pro_reader_120.pngMerci à NetGalley pour l’accès à ce livre en service de presse.


Les personnages choisis par Yoan Smadja sont essentiels pour capter différents moments de cette histoire tragique. Sacha et Benjamin sont des journalistes européens qui, par hasard et par instinct vont se retrouver au Rwanda dès le déclenchement du génocide ; Daniel est un proche de Paul Kagame, alors à la tête du FPR et aujourd’hui président du Rwanda ; Rose et son fils, Joseph, sont les civils, abandonnés par la diplomatie française ; Hervé, le médecin et les militaires internationaux, forcés d’abandonner du terrain.

On pourrait croire, après ces rapides présentations, que le texte est complexe et difficile à appréhender. Il n’en est rien. L’écriture est claire et fluide, les dialogues se croisent pour mieux se répondre et le plus dur est souvent dit en peu de mots, notamment par les personnages de Rose dont la délicatesse et la puissance maternelle nous déchirent, et de Sacha, dont les articles sont des cris, des appels aux oreilles européennes qui ont du mal à entendre. Ce roman est une quête, une course contre la montre et contre la mort pour Daniel : il doit retrouver sa femme et son fils à tout prix alors que le pays s’embrase et sombre dans la folie. Un amour puissant et absolu. Prêt à tout pour protéger. Un amour qui hurle.

Ce qui est complexe, c’est la capacité qu’à l’homme à tuer ses frères, ses voisins, ses enfants. La difficulté est d’accepter la réalité sans, bien entendu, pouvoir se représenter réellement tellement sa violence dépasse l’entendement. Mais je suis persuadée que Yoan Smadja, avec cette histoire, donne des clés de compréhension accessibles et marque son récit de nuances qu’il est important de souligner : tous les Hutu n’ont pas été des meurtriers et certains en ont payé le prix fort, les retours par avion étaient bien restreints à une partie de la population, des pays occidentaux ont fait le choix de retirer la majeure partie des troupes de maintien de l’ordre, le génocide n’est pas né en avril 1994 mais est le résultat de nombreuses années de stigmatisation et de propagande, etc.

C’est un livre dur mais dans lequel la personnalité des personnages nous permet de toujours nous accrocher pour avancer, de croire qu’une fin meilleure est possible, que la résilience a ses chances. À la question de savoir si la littérature peut s’emparer de sujets graves comme celui-ci, pour participer à maintenir la mémoire, c’est indéniable. À lire.

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Ils/Elles l’ont aussi lu et chroniqué : Pas de chroniques trouvées pour le moment.


 

Et vous, quels récits sur le génocide au Rwanda conseillez-vous ?

« Celle du milieu » de Kirsty Applebaum (Flammarion jeunesse, 2019)

Ce roman adolescent m’a tout de suite rendue curieuse : la séparation des espaces et des êtres, la mise en avant de certains par rapport à d’autres, voilà un sacré programme qui peut être porteur de sens dans sa déconstruction !


Quatrième de couverture : « Le courage ce n’est pas l’absence de peur, c’est savoir l’accepter et l’affronter.

Maggie vit avec ses deux frères, dans une communauté coupée du monde. Elle, c’est celle du milieu, celle que personne n’écoute. Un jour Maggie rencontre Una, une fille de l’extérieur qui lui demande de l’aide. Maggie y voit la chance d’être enfin remarquée. Mais la loi est claire : il est interdit de s’aventurer au-delà des frontières… »


Maggie est une adolescente coincée derrière un frère aîné qui, du fait d’être né le premier, a automatiquement reçu l’étoffe d’un héro dans cette communauté qui vit séparée de tout. Il paraît qu’une guerre fait rage à l’extérieur et, pour protéger le village, chaque aîné est désigné pour, dès l’âge de quatorze ans, partir dans un camp militaire et combattre.

Mais combattre qui ? L’étranger. Celui de l’extérieur. Peu d’informations précises viennent étayer cette guerre silencieuse qui est pourtant bruyante dans les esprits. En plus de ce conflit fantôme, il est absolument interdit de sortir des limites du village. Dehors, des vagabonds sournois, menteurs et lâches. Ils tuent des familles entières, gardent prisonniers des aînés et mettent le feu aux maisons. Il paraît.

Sa place du milieu, Maggie en a un peu marre, même si elle aime ses frères. Alors quand elle va avoir l’occasion de se faire remarquer en piégeant des vagabonds, Una et son père, hésitera-t-elle ? Verra-t-elle en l’autre son propre reflet avant qu’il ne soit trop tard ? Reverra-t-elle un jour son frère Jed qui, du haut de ses quatorze ans, est en route pour le camp militaire ?

Ce roman est une démonstration de l’autoritarisme, celui qui n’est pas remis en question parce que c’est comme ça et que l’on poursuit sur la lignée des générations précédentes, parce que la confiance n’est pas toujours donnée aux bonnes personnes. Un récit qui rappelle la dangerosité de certains discours clivants et stigmatisants, qui interroge aussi les intérêts que certains trouvent à entretenir une peur irrationnelle dans la population.

Si le récit se développe sur un sujet particulier, certaines lignes viennent questionner le monde actuel et certaines théories du complot qui violentent et saignent les cœurs et les corps. Un roman qui se lit très bien et avec aisance, et qui permet aussi de confronter le personnel et le collectif en montrant que les deux ne sont pas antinomiques mais plutôt des vases communiquants.

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Ils/Elles l’ont aussi lu et chroniqué : Petit moment littéraire


 

Et vous, quelle est votre dernier livre pour la jeunesse lu ?

« Sans même nous dire au revoir » de Kentarô Ueno (Kana, 2011)

Je commence fort cette chronique en reconnaissant que j’ai des a prioris vis-à-vis des mangas. Oui, c’est vrai. Mais je les travaille en essayant d’en découvrir qui correspondent à mon univers littéraire. Quand j’ai lu la quatrième de couverture de celui-ci j’ai tout de suite voulu en savoir plus. Et je ne suis pas déçue même si j’ai eu le cœur brisé.


Quatrième de couverture : « 2004, Kentarô Inoue est mangaka. Il habite avec sa femme et sa fille de 10 ans, dans une petite maison qui lui sert aussi d’atelier. C’est une famille heureuse même si sa femme souffre d’une maladie. Elle se soigne et tout a l’air de bien se passer. Jusqu’au jour où, avant d’aller se coucher, Inoue la retrouve allongée face contre sol. Sans même nous dire au revoir raconte ce qui se passe après dans la vie de l’auteur jusqu’à aujourd’hui. »


Ce récit est une histoire vraie. C’est l’histoire de Kentarô qui a perdu sa femme. Comme ça. Sans prévenir. Une fragilité au coeur. Et puis plus rien. Elle est partie. Sans dire au revoir. Sans souffrir, aussi.

Kentarô se retrouve seul avec sa fille de dix ans. Déclarer le décès, accueillir le corps pour un dernier adieu dans le foyer, suivre les rites funéraires et revenir dans une maison vide, sans l’amour de sa vie. Voir que le monde peut continuer à tourner sans Kiho, que les rues sont toujours les mêmes sans elles, c’est insupportable. C’est le deuil qui commence son long chemin.

Cette épreuve, Kentarô décide de la dessiner le plus tôt possible, en étant dans l’épreuve afin de témoigner. Cela ne l’empêche pas d’avoir un regard critique sur cette période et ce qu’il en a exprimé lors de l’édition française. Mais ce témoignage c’est une déclaration d’amour. C’est un récit qui peut presque répondre au roman Vigile d’Hyam Zaytoun paru en ce début d’année et qui a bouleversé tant de lecteurs. Ici l’espoir n’a pas duré, le sujet se concentre à mettre un pas devant l’autre, à se souvenir et à nous confronter nous-même au quotidien.

Aimons-nous assez les personnes qui nous sont chères ? Leur disons-nous assez bien et leur montrons-nous comme il faut ? Kentarô nous demande d’y penser à la lecture de ce manga autobiographique, comme s’il nous permettait de ne pas passer à côté de certaines choses afin de ne pas porter de possibles regrets. *Donc, depuis que je l’ai lu je m’accroche à mon chéri comme une moule à un rocher. #rationnelle*

Ce récit permet également de poser un pied (mais délicat) dans la culture japonaise. J’ai beaucoup aimé les rites, les traditions et le mélande de douceur et de pudeur représentés par l’auteur. C’était triste et beau à la fois, même si le premier l’emporte sur le second.

Merci, monsieur Ueno, pour cette leçon de vie et cette leçon d’amour que le quotidien semble parfois ternir et pourtant…

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Ils/Elles l’ont aussi lu et chroniqué : Pas de chronique trouvée pour le moment.


 

Et vous, connaissez-vous ce manga et l’avez-vous aimé ?

👁 « Mon grand-père s’efface » de Gilles Baum et Barroux (Albin Michel jeunesse, 2019)

Il est parfois difficile de parler de vieillesse et de décès avec les enfants. Personnellement, si je me projette dans cette situation je me vois très bien en grand malaise. Cet album aborde le sujet avec délicatesse et permet même de parler de changements liés aux troubles de la mémoire.


Quatrième de couverture : « Le grand-père du héros a bientôt cent ans, presque un siècle ! Il a tellement vécu qu’il ne sait plus trop où il en est. Alors quand son petit-fils vient lui rendre visite… il le prend pour son frère, et l’appelle Prosper ! Le garçon envisage de le détromper, mais décide finalement de jouer le jeu. Il suivra son grand-père dans le jardin de sa résidence, devenu pour l’occasion un véritable Far West, avec des canyons à traverser et des Sioux à attaquer. Car, malgré la maladie, c’est un grand-père qui a encore plein d’aventures en lui. »


Grand-père n’est plus tout à fait le même, il confond, il change et raconte des histoires. Son petit-fils est là. Il a le choix : soit partir et revenir quand son papi le reconnaîtra, soit rester et profiter de ce moment, comme dans un jeu d’enfants. Il choisit de rester, car son papi, il l’aime et être avec lui est tout ce qui compte.

On dirait qu’on serait… 

Grand-père s’efface peu à peu, mais ses souvenirs d’enfance ressurgissent pour en créer de nouveaux qui perdureront dans l’esprit de son petit-fils. Ainsi, alors que l’effacement ne peut reculer, les jeux et les moments partagés se poursuivent. Des jeux qui rapprochent, qui n’ont pas d’âge.

Grand-père a disparu, complètement effacé mais présent dans le coeur et la tête. On trouve de la consolation dans le fait d’avoir aimé et d’avoir été présent autant que nous avons pu. De ne pas avoir eu peur des changements, d’avoir été simplement là pour partager.

Le texte joue avec les mots, avec les sonorités comme dans une poésie ou une comptine enfantine mais un peu triste quand même, pleine d’indiens et de malice, pleine d’affection.

On reconnaît un bon livre jeunesse quand, en plus d’accompagner les enfants dans une étape de leur vie, il apporte aussi quelque chose aux adultes.

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Et vous, avez-vous un livre pour enfants sur le deuil à recommander ?

« Point cardinal » de Léonor de Récondo (Sabine Wespieser, 2017)

Avec ce livre j’ai choisi de m’intéresser à mon tour au phénomène Léornor de Récondo. Une littérature de l’émotion, de l’identité, de la lutte pour être soi : un sujet qui n’en finit pas d’être actuel et de faire couler le sang, la bile ou les larmes (qu’elles soient de joie ou non).


Quatrième de couverture : « Sur le parking d’un supermarché, dans une petite ville de province, une femme se démaquille. Enlever sa perruque, sa robe de soie, rouler ses bas sur ses chevilles : ses gestes ressemblent à un arrachement. Bientôt, celle qui, à peine une heure auparavant, dansait à corps perdu sera devenue méconnaissable.

Laurent, en tenue de sport, a remis de l’ordre dans sa voiture. Il s’apprête à rejoindre femme et enfants pour le dîner. Avec Solange, rencontrée au lycée, la complicité a été immédiate. Laurent s’est longtemps abandonné à leur bonheur calme. Sa vie bascule quand, à la faveur de trois jours solitaires, il se travestit pour la première fois dans le foyer qu’ils ont bâti ensemble. À son retour, Solange trouve un cheveu blond…

Léonor de Récondo va alors suivre ses personnages sur le chemin d’une transformation radicale. Car la découverte de Solange conforte Laurent dans sa certitude : il est une femme. Reste à convaincre ceux qu’il aime de l’accepter.

La détermination de Laurent, le désarroi de Solange, les réactions contrastées des enfants – Claire a treize ans, Thomas seize –, l’incrédulité des collègues de travail : l’écrivain accompagne au plus près de leurs émotions ceux dont la vie est bouleversée. Avec des phrases limpides et d’une poignante justesse, elle trace le difficile parcours d’un être dont toute l’énergie est tendue vers la lumière.

Par-delà le sujet singulier du changement de sexe, Léonor de Récondo écrit un grand roman sur le courage d’être soi. »


Ce qui touche à l’identité m’intéresse toujours. Et dans un monde dans lequel nous avons l’impression de pouvoir être qui nous souhaitons être, qui semble n’avoir jamais été aussi ouvert, nous nous rendons vite compte qu’il ne s’agit que d’un écran de fumée. Après tout, ne sommes-nous pas les mieux placés pour savoir qui nous sommes ? Alors pourquoi l’autre nous refuse-t-il ce droit ? Au nom de qui ? Au nom de quoi ?

J’ai immensément admiré le personnage de Laurent qui lutte pour maintenir un équilibre familial autant qu’il lutte pour ne pas devenir fou. Un personnage qui comprend qu’il doit s’écouter pour être, s’exprimer en tant qu’individu pour vivre. J’ai souffert avec lui des différentes réactions de son entourage, que j’ai trouvé très justement dosées : alternant l’étonnement, le rejet et l’acceptation. J’ai vécu sa transformation avec beaucoup de force, ses attentes et ses frustrations. *On en parle de la gamine qui cherche la forme de ses seins pendant des heures devant le miroir ?*

Le pire, je pense, est cette idée de maladie mentale associée à la question de l’identité. C’est ce qui m’a le plus secouée. Vous ne correspondez pas à un standard socialement prédéfini ? Vous êtes malade. J’ai eu l’impression de remonter à la nuit des temps *naïveté des jeunes générations* alors qu’en y regardant de plus près il faudra attendre les années 2010 pour que les personnes transgenres ne soient plus considérées comme des cas psychiatriques en France. Et vous savez quoi ? Nous ne sommes pas encore au bout du chemin, notamment concernant les questions d’état civil.

La difficulté dans ce récit est d’accepter que tout va changer. Pas tant concernant Laurent/Lauren en tant que personne, mais dans le cadre familial, social, professionnel. Comme si le fait d’avoir ou de ne pas avoir de pénis pouvait maintenir ou détruire l’ordre d’une vie et ses nombreuses ramifications. Personnellement, je ne me définie/présente pas comme porteuse de vagin dans la vie de tous les jours.

Ce roman m’a amenée à la conclusion suivante : d’un personnage vu comme malade c’est la société qui montre son infection. L’intolérance. Mais c’est aussi un roman qui déborde d’amour, cet amour qui voit la personne telle qu’elle est, au-delà de ses attributs sexués. Cet autre amour, aussi, qui souffre de ne plus pouvoir aimer, à qui l’on confisque l’homme de sa vie. Accepter le bonheur de l’autre au détriment du sien c’est beau sur le papier, c’est plus difficile dans la réalité.

Une forte découverte qui invite à découvrir davantage Léonor de Récondo (et en plus, les éditions Sabine Wespieser sont canons) ! Manifesto est dans mon viseur oculaire…

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👉 Ce livre est disponible au format poche.


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Et vous, quel livre de cette auteure recommanderiez-vous particulièrement ?

👁 « Le chant des revenants » de Jesmyn Ward (Belfond, 2019)

Grande attente de ce début d’année avec Le nouveau de Tracy Chevalier, je me suis jetée dans ce roman pour me retrouver embourbée dans les eaux et les larmes du bayou, coincée dans la carlingue d’une voiture qui traine les plaies de ses hôtes, envahie par des mémoires douloureuses.


Quatrième de couverture : « Seule femme à avoir reçu deux fois le National Book Award, Jesmyn Ward nous livre un roman puissant, hanté, d’une déchirante beauté, un road trip à travers un Sud dévasté, un chant à trois voix pour raconter l’Amérique noire, en butte au racisme le plus primaire, aux injustices, à la misère, mais aussi l’amour inconditionnel, la tendresse et la force puisée dans les racines.

Jojo n’a que treize ans mais c’est déjà l’homme de la maison. Son grand-père lui a tout appris : nourrir les animaux de la ferme, s’occuper de sa grand-mère malade, écouter les histoires, veiller sur sa petite sœur Kayla.

De son autre famille, Jojo ne sait pas grand-chose. Ces blancs n’ont jamais accepté que leur fils fasse des enfants à une noire. Quant à son père, Michael, Jojo le connaît peu, d’autant qu’il purge une peine au pénitencier d’État.

Et puis il y a Leonie, sa mère. Qui n’avait que dix-sept ans quand elle est tombée enceinte de lui. Qui aimerait être une meilleure mère mais qui cherche l’apaisement dans le crack, peut-être pour retrouver son frère, tué alors qu’il n’était qu’adolescent.

Leonie qui vient d’apprendre que Michael va sortir de prison et qui décide d’embarquer les enfants en voiture pour un voyage plein de dangers, de fantômes mais aussi de promesses… »


L’écriture de Jesmyn Ward est envoûtante comme un chant venu du fond des forêts du sud des États-Unis, le chant de ceux qui ont une histoire teintée de chagrin, le chant qui demande justice pour les pères et pour les fils, pour les mères et pour les filles. Elle décrit une famille aux prises avec le meurtre d’un oncle encore adolescent, l’addiction aux drogues d’une mère, l’amour intense des petits-enfants qui se protègent et s’accompagnent l’un et l’autre, la maladie d’une grand-mère qui s’est substituée à la mère pour que les petits survivent. Et un père, l’absent qui sort de prison.

Ce roman à trois voix a un rythme parfait. Chacun de ces trois protagonistes (Jojo, Leonie et Richie) mettent à nu leurs pensées, leurs émotions et leurs colères. Chacun a son regard sur la situation mais tous expiment une souffrance : de la disparition d’un proche, de ne pas être aimé naturellement de ses parents, du racisme qui a scellé le sort, des actes qui ont dû être commis pour éviter encore pire, de l’impossibilité d’atteindre l’autre rive.

Le racisme est au cœur de ce roman qui, pourtant, aborde d’autres sujets (l’incarcération, le deuil, la drogue, la maternité, la pauvreté). Un racisme ancien qui remonte des souvenirs comme un racisme contemporain qui montre, comme le dit le fantôme de Richie, que si le décor a changé ce qu’il y a derrière est toujours pareil. Jesmyn Ward, dans ce roman court mais dense, en appelle aux prières ancestrales et aux cœurs innocents d’aujourd’hui pour que la mémoire et l’âme des victimes trouvent le repos et rejoignent le cours de la rivière.

La poursuite de la découverte de cette auteure dont j’ai adoré l’écriture se fait cette semaine avec Les moissons funèbres.

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Et vous, quel roman de Jesmyn Ward recommandez-vous ?

❤ « Les loyautés » de Delphine De Vigan (JC Lattès, 2018)

Je n’ose dire le nombre de retours positifs lus sur ce livre sans réussir vraiment à avoir envie de m’y plonger. Et finalement, le croisant dans les rayons d’Emmaus (oui, toujours et éternellement) je l’ai ramené avec moi. Ce fut le début d’une lecture très touchante de par son histoire et enthousiasmante vis-à-vis de l’écriture de Delphine de Vigan.


Quatrième de couverture : « Chacun de nous abrite-t-il quelque chose d’innommable susceptible de se révéler un jour, comme une encre sale, antipathique, se révelerait sous la chaleur de la flamme ? Chacun de nous dissimule-t-il en lui-même ce démon silencieux capable de mener, pendant des années, une existence de dupe ? »


Vraiment, je n’arrêtais pas d’en entendre parler et je pense que dans ces cas-là il m’arrive de prendre de la distance avec un livre. Peut-être que par fierté mal placée je cherche davantage les pépites peu abordées ou peut-être aussi ai-je peur de ne pas aimer contrairement aux autres lecteurs(trices).

Le fait est que, parfois, je me mets des barrières idiotes mais je suis contente de parfois les lever. Et quelle lecture que celle-ci ! Delphine de Vigan nous embarque dans un monde cruel : le nôtre. Elle alterne différents points de vue : deux femmes et deux enfants. L’une des femmes, Hélène, est enseignante et son passé ressurgit face à un élève, Théo, qui lui semble être dans une situation qu’elle a connu par le passé : maltraité. L’autre femme, Céline, est la mère de Mathis, qui lui est le meilleur ami de Théo.

Une fois que l’on a compris ce schéma l’histoire peut prendre son envol. Le récit, par ces différentes voix, touche plusieurs sujets : la reconstruction de ses blessures d’enfant, la lutte pour aider un enfant qui semble être brutalisé, le mal être dans un couple qui n’est qu’une supercherie qui étouffe, l’inconscience de la jeunesse bien trop consciente, pourtant, et qui veut se protéger et protéger les autres. Quatre coeurs qui ne s’expriment pas toujours de la meilleure manière, qui ne font pas toujours les bon choix mais qui se veulent loyaux : à eux-même, à leur passé, à leurs origines, à leurs amis, à leurs enfants. Une loyauté qui se révèle avoir un prix.

Une lecture forte qui, avec chaque interlocuteur, nous entraîne dans des blessures et des frustrations, dans des situations de malaise mais aussi parfois de petites victoires. Une très belle lecture (même un joli petit coup de cœur) qui éveille clairement mon intérêt pour Delphine de Vigan.

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Et vous, avez-vous parfois ce réflexe de ne pas lire certains succès littéraires ?

❤ « Vigile » d’Hyam Zaytoun (Le Tripode, 2019)

Début 2019 ressemble fort à début 2018 dans le sens où j’ai utilisé beaucoup de mouchoirs et ressenti immensément d’amour en lisant un ouvrage de la rentrée littéraire. Janvier 2018 fut marqué par Cette nuit de Joachim Schnerf, janvier 2019 est quant à lui marqué par Hyam Zaytoun et son bouleversant Vigile.


Quatrième de couverture : « Un bruit étrange, comme un vrombissement, réveille une jeune femme dans la nuit. Elle pense que son compagnon la taquine. La fatigue, l’inquiétude, elle a tellement besoin de dormir… il se moque sans doute de ses ronflements. Mais le silence revenu dans la chambre l’inquiète. Lorsqu’elle allume la lampe, elle découvre que l’homme qu’elle aime est en arrêt cardiaque.

Avec une intensité rare, Hyam Zaytoun confie son expérience d’une nuit traumatique et des quelques jours consécutifs où son compagnon, placé en coma artificiel, se retrouve dans l’antichambre de la mort.

Comment raconter l’urgence et la peur ? La douleur ? Une vie qui bascule dans le cauchemar d’une perte brutale ? Écrit cinq ans plus tard, Vigile bouleverse par la violence du drame vécu, mais aussi la déclaration d’amour qui irradie tout le texte. Récit bref et précis, ce livre restera à jamais dans la mémoire de ceux qui l’ont lu. »


Je vais continuer à me faire une image de pleureuse, mais j’ai craqué dès la première page. Bim, les grandes eaux pendant une heure et demie. Ce que Hyam Zaytoun écrit c’est l’amour qu’elle porte et qu’elle est sur le point de perdre, c’est l’injustice du choix de la faucheuse, ce sont les regrets de ne pas avoir su montrer à l’autre à quel point on l’aime quand on le pouvait, c’est la force de tenir pour protéger les enfants, ce sont les heures interminables à l’hôpital à attendre un signe qui tarde, qui tarde, qui tarde…

Ce récit est d’une humanité immense et je me suis beaucoup identifiée à l’auteure, moi, la flippée de la vie qui s’imagine aussi le pire dès que quelqu’un que j’aime a cinq minutes de retard, dès que j’oublie de débrancher une prise qui ne m’inspire pas confiance, dès que je sens la moindre anomalie dans mon quotidien. #facileàvivre

Ce qu’a vécu et enduré Hyam Zaytoun c’est le cauchemar que je ne souhaite à personne même si la lumière revient dans sa vie et celle de ses enfants. Elle décrit sa façon de tenir en extérieur alors que l’intérieur s’effrite et tombe de trop trembler, d’avoir peur de ne pas faire face sans son mari, son amour, celui qui fait qu’à deux ils peuvent tout affronter. La solitude possible m’a tordu le cœur et m’a renvoyé à mes propres peurs.

C’est un livre qui a un impact sur les personnes qui ne sont pas confrontées à cette épreuve mais je pense qu’il peut aussi être un compagnon pour les hommes et les femmes qui le sont. Hyam Zaytoun leur dit qu’elle comprend, qu’elle souffre avec eux et qu’ils sont capables de tenir debout. Car le lecteur n’a envie que de ça, de la rassurer. Alors peut-être que ce livre peut permettre de se dire que nous aussi, si la vie se montre cruelle, nous devons nous rassurer et nous dire que nous tiendrons, pour les autres et pour nous-même. Et, quand tout va bien, ce livre nous invite à aimer très fort tant qu’on le peut. Il nous rappelle l’importance de cultiver les moments de bonheur quels qu’ils soient, qui sont éphémères et qui ne doivent jamais se mêler aux regrets. Un grand coup au cœur !

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Ils/Elles l’ont aussi lu et chroniqué : Au fil des livresUn brin de SybouletteLes lectures de SophieLes chroniques de KoryféeBonnes feuilles et mauvaise herbe22h05 Rue des DamesA book is always a good ideaLaurent Gourlay


 

Et vous, quelle lecture émouvante recommandez-vous ?

👁 « Un pacte avec Dieu » de Will Eisner (Delcourt, 2018)

J’ai souhaité poursuivre ma découverte de Will Eisner avec sa trilogie du Bronx car elle commence par un récit très personnel de l’auteur, bien qu’adapté de la réalité car trop douloureux à transmettre entièrement. Il me faisait aussi imaginer découvrir une vision de la vie des familles juives immigrées et cela m’intéressait beaucoup.


Quatrième de couverture : « Cet ouvrage est la réédition très attendue de ce qui demeure l’oeuvre majeure d’Eisner. Cette nouvelle édition est augmentée de plusieurs textes signés notamment de Scott McCloud (L’Art invisible) et de Will Eisner lui-même.

Au 55, Dropsie Avenue, dans le Bronx à New York, il y avait cet immeuble. Dans ces appartements vivaient les familles de petits fonctionnaires, ouvriers et autres commis… tous occupés à élever leur progéniture et à rêver d’une vie meilleure.

Les histoires recueillies dans cet ouvrage décrivent la vie telle qu’elle était dans ces immeubles, pendant les années 1930. Ces histoires sont toutes véridiques. »


Un pacte avec Dieu est ce qu’il est grâce à l’un des récits qui le composent, le récit éponyme. On y rencontre Frimm Hersch, un personnage aussi attachant qu’il est immensément détruit par la mort de sa fille. Pourtant, il a fait tout ce qu’il pensait devoir faire pour répondre aux attentes de Dieu, et tout le monde lui disait qu’il était avec lui. Alors pourquoi la mort d’une jeune fille qui commençait à peine à vivre ? L’histoire est très touchante et l’on ne peut qu’imaginer la peine de Will Eisner en l’écrivant et en la dessinant. C’est vraiment pour moi (et pour d’autres je pense) le récit clé de ce livre.

Les autres récits montrent la vie quotidienne dans l’avenue Dropsie en suivant plusieurs personnages : le chanteur de rue qui n’arrive pas à trouver de travail, l’ancienne diva qui se rêve une nouvelle gloire, le concierge intimidant qui va être victime de ses pulsions mal placées mais aussi du jugement intransigeant des locataires, une enfant qui aura peut-être compris la déformation de l’adage la faim justifie les moyens (mais ça reste carrément glauque), de jeunes gens à la recherche de fiançailles avec avantages pécuniers si possible, la violence envers les femmes, aussi.

Un ensemble de personnages et de situations qui rendent le livre à la fois passionnant et terriblement triste. On se sent comme dans un film noir, enthousiasmés par l’ambiance et le dépaysement mais bien contents de revenir ensuite dans notre réalité. Will Eisner transcrit une société malade de ne pouvoir vraiment vivre, une société qui a besoin de croire en de meilleurs lendemains mais qui ne choisit malgré tout pas toujours le bon chemin. On réalise à la lecture qu’à tout bon visage on attend d’en voir apparaître le côté sombre. Comme l’avenue Dropsie, qui possède les deux.

Un premier volet absolument remarquable ! Pour découvrir mon avis sur la suite de la trilogie, je vous donne rendez-vous mardi prochain !

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Ils/Elles l’ont aussi lu et chroniqué : Comics Inside


 

Et vous, quelle littérature sur les années 1930 conseillez-vous ?

👁 « Amère patrie » de Frédéric Blier et Christian Lax (Dupuis, Int. 2018)

Cette bande dessinée avait tout pour attirer mon attention : déjà le sujet de la Grande Guerre qui m’intéresse au-delà de la thématique de ce mois, puis une exécution pour l’exemple qui revêt pour moi un autre visage de l’horreur de la guerre, et enfin la question du racisme vis-à-vis des soldats venus en métropole depuis les colonies françaises (ou d’ailleurs, comme des États-Unis par exemple).


Quatrième de couverture : « Jean Gadoix, Ousmane Dioum ; deux jeunes gens que rien ne destinait à se rencontrer, jetés dans les mêmes tranchées en 1914…

L’un sera fusillé sur une fausse accusation, l’autre survivra à la guerre mais subira l’offense répétée du racisme ordinaire, dans cette France des années 1920.

À travers les destinées particulières de Jean et d’Ousmane, c’est le destin d’une génération sacrifiée mais aussi le combat quotidien de femmes contre l’injustice, le mensonge et la calomnie, que nous raconte Lax sans complaisance ni faux-semblants, avec l’oeil de la vérité. »


Cette intégrale rassemble cette années les deux volumes parus en 2011. Les rééditer en un volume unique cette année a été, je pense, une excellente idée car le propos de cette histoire vient en complément des nombreuses autres parutions sur cet épisode tragique de notre histoire.

Le départ nous fait faire connaissance avec Jean Gadoix et Ousmane Dioum, deux hommes éloignés sur le globe et qui se rencontreront sur le front, dont le survivant restera fidèle en pensée à celui qui subira le châtiment. Ce récit permet de parler des troupes étrangères dans la guerre et de la façon dont elles seront traitées après-guerre, dans une France encore friande de racialisme.

L’ouvrage se découpe en trois parties clés : l’avant-guerre (de l’enfance à l’engagement), la guerre, l’après-guerre (sur une vingtaine d’années). Une trame longue en peu de pages qui met l’accent sur la réhabilitation du soldat exécuté, accusé de désertion. Ce combat, il sera mené par sa femme et c’est le courage de ceux qui restent qui est aussi mis en avant. Il nous est donné à voir l’impact social sur les familles de déserteurs : la honte, la mise à l’écart, les calomnies à répétition. C’est quelque chose dont on parle peu et qui est frappant de bêtise.

Un récit qui contient pas mal d’informations et d’éléments, donc, mais qui sont liés avec finesse et clarté. Si j’ai apprécié le propos, je suis un peu restée à distance du tout car j’ai eu du mal à me laisser séduire par les dessins (ce qui est un peu problématique avec une bande dessinée) que j’ai trouvés trop classiques. Cela étant, j’ai été ravie de la découvrir et je pense ne pas être la seule !

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Et vous, quels types de bandes dessinées préférez-vous ?

« La servante du Seigneur » de Jean-Louis Fournier (Stock, 2013)

J’ai découvert Jean-Louis Fournier avec Où on va papa ? qui m’avait autant émue que mise face à une énorme difficulté au moment d’en faire la chronique : j’étais mal à l’aise avec l’humour noir. Avec La servante du Seigneur, ça va beaucoup mieux.


Quatrième de couverture : « Ma fille était belle, ma fille était intelligente, ma fille était drôle… Mais elle a rencontré Monseigneur. Il a des bottines qui brillent et des oreilles pointues comme Belzébuth. Il lui a fait rencontrer Jésus. Depuis, ma fille n’est plus la même. Elle veut être sainte. Rose comme un bonbon, bleue comme le ciel. »

Feuilleter les premières pages


Oui, il y a de l’humour noir mais il y a aussi une introspection et une douleur de père. Où est passée sa fille si gaie, si complice ? C’est à sa recherche qu’il part, alors qu’elle a choisi de suivre une voie sur laquelle il ne l’imaginait pas vraiment. Pas comme ça. Pas en se coupant du monde et considérant détenir la vérité de Dieu. Pas comme ça. Pas avec la violence dans leurs échanges et les reproches sur une enfance qu’il avait cru heureuse.

Jean-Louis Fournier cherche à renouer quelque chose avec sa fille autant qu’il souhaite pouvoir la comprendre et la voir telle qu’elle est, malgré des colères perçantes, que je comprends. Des incohérences ont de quoi faire naître la fureur, mais l’amour reste un lien indéfectible et, dans cette relation difficile, l’amour est douloureux.

Elle ne l’a jamais vraiment abandonné mais elle n’est pas là non plus quand il voudrait lui parler, l’appeler, la voir. La relation est conditionnée et la menace de l’enfer jamais très loin.

Un très beau récit, qui brise quand même pas mal le cœur, sur deux êtres qui s’aiment mais qui ne se comprennent plus. Un moment aussi tendre que violent, des mots qui touchent et percent le ventre, qui tuent le diable qui pourrait s’y trouver, si seulement il existait (il a sacrément bon dos).

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Et vous, quel livre de Jean-Louis Fournier préférez-vous ?

👁 « Gold Star Mothers » de Catherine Grive et Fred Bernard (Delcourt, 2017)

C’est avec beaucoup de délicatesse de Catherine Grive et Fred Bernard nous racontent ces voyages peu connus, organisés par les États-Unis, pour des mères et des femmes de soldats tombés sous les balles pour la France, entre 1930 et 1933.


Quatrième de couverture : « À l’heure du centenaire de l’entrée des États-Unis dans la Première Guerre mondiale, les auteurs rendent ici un hommage particulièrement sensible aux femmes et aux mères des Sammies morts sur le sol français.

Dix ans après la fin du premier conflit mondial, le Congrès américain vote un budget pour permettre aux Américaines de se recueillir sur la tombe de leurs fils ou maris inhumés en France.

Ce séjour à Paris, puis sur les lieux de mémoire, va permettre à de nombreuses femmes de découvrir ce pays étranger qui leur a tant coûté, mais aussi d’alléger un temps, par le partage, le poids de leur deuil. »


Elles ont des statuts sociaux différents, des histoires différentes mais sont unies par le deuil et le chagrin. Nous suivons ces femmes, pour la plupart des mères, pendant leur traversée jusqu’en France et durant leur visite du pays qui leur a pris leurs enfants. Les soldats étaient dans un premier temps des engagés volontaires puis ils firent partie des troupes envoyées par les États-Unis, une fois le pays entré en guerre.

Ils aimaient la France, pays qui représentait la liberté pour de nombreuses autres nations, leurs familles ont choisi de laisser leur corps reposer sur le sol qu’ils ont défendu jusqu’à la mort. Mais le deuil doit se faire et les cœurs ont besoin de paix. Ces voyages permettent aux mamans, aux épouses et, ici aussi, aux sœurs de se recueillir et de s’assurer que les corps reposent dans de bonnes conditions.

Nous suivons plus particulièrement Jane, avide photographe meurtrie par la perte de son frère Alan, qui va essayer d’en savoir plus sur la raison de son engagement, lui, l’amoureux de la vie, de l’amour et de la poésie, à qui l’avenir tendait ses bras grands ouverts.

Un roman graphique doux et pudique, qui aborde un sujet peu évoqué et qui ne manque pas de rappeler en fin d’ouvrage que toutes les familles n’ont pas eu le même traitement de faveur, à l’image des mères de soldats noirs dont la traversée n’était pas du tout du même luxe, du même confort et qu’il ne fallait pas mélanger aux autres femmes, entendez blanches.

Une façon différente d’aborder les stigmates de la Grande Guerre, qui rappelle les troupes étrangères qui s’y sont engagées.

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Ils/Elles l’ont aussi lu et chroniqué : Serialblogueuses


 

Et vous, avez-vous envie de découvrir ce voyage ?

« La rue de l’Ours » de Serge Bloch et Marie Desplechin (L’Iconoclaste, 2018)

Quel joli moment que celui passé avec livre ! Entre nostalgie et tendresse, une histoire familiale au charme intemporel d’un Marcel Pagnol saupoudré de drames silencieux et de culture juive.


Quatrième de couverture : « Dans la rue de l’Ours, à Colmar,il y a une boucherie casher. Derrière le comptoir, il y a la tante Thérèse, dite Loulou. Dans l’arrière-boutique, Georges, l’oncle, fait les comptes. Traversez la petite cour, Sylvain est dans son laboratoire. C’est ici que Serge retrouve son père qui prépare la viande. La boucherie, c’est l’épicentre de la famille Bloch. Et pour cause, on se la transmet de père en fils. Serge Bloch se remémore. Il raconte le grand-père, ses parents qui durent fuir la région pendant la guerre. Les années 1960. Les rites juifs. Les grands bonheurs et les petits larcins de l’enfance. Et dresse une galerie de personnages forts et attachants. Le portrait d’une famille attendrissante, où l’amour se dit sans mots.

Si la boucherie a fermé et n’est plus aujourd’hui qu’une devanture aveugle, il n’en reste pas moins que subsiste un héritage. Celui de la beauté du mouvement. Attention, travail, précision. Serge y apprend l’amour du travail bien fait. Du geste précis. Le couteau s’est transformé en crayon. Mais l’héritage est bien ancré.

Qui de mieux placé que Marie Desplechin pour conter cette histoire de famille ? D’une plume juste, elle se faufile dans le passé des Bloch, avec une tendresse inouïe. En regard, Serge Bloch, d’un coup de crayon, croque ces scènes, qui étaient jusque-là restées blotties dans sa mémoire. Deux artistes qui ont en partage un irrésistible sens de l’humour. »


La plume de Marie Desplechin est aussi douce que taquine et les dessins de Serge Bloch font corps avec elle. Les deux auteurs se lient pour porter une histoire de vie touchante. On se retrouve dans le récit car certains traits peuvent être comparés aux membres de notre propre famille et on se laisse conter car on découvre les différences et l’intimité familiale de Serge Bloch avec humour, douceur et parfois regret.

Je ne veux pas mal croquer certaines anecdotes dans cette chronique tant le livre est beau et les chapitres courts. Ce sont de petites capsules temporelles qui se font écho dans une mémoire d’homme qui s’est construit en portant avec lui l’histoire de sa famille qui fut parfois tue. Car si l’on parle de portrait de famille de confession juive, la Shoah n’est jamais loin et pourtant toujours couverte d’un silence qui en dit long.

Je ne peux que vous inviter à découvrir ce texte qui nous donne l’impression de passer une soirée avec un nouvel ami, dont l’écriture est tellement juste qu’on en oublie qu’elle n’est pas de Serge Bloch, dont les dessins sont attachants et retiennent l’attention entre chaque chapitre. Un regard d’enfant au creux de celui de l’homme. Une très belle parution.

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Et vous, quel livre conseilleriez-vous de ces auteurs ?