❤ « Talashi » d’Alexis Cordesse (Atelier EXB, 2021)

Comment ne pas être remuée par ce projet et accrochée à chaque page, à chaque visage, à chaque pixel du passé dont témoignent les clichés ici rassemblés ? Alexis Cordesse, photographe, a rencontré des syriens et syriennes qui ont fuit leur pays en guerre, a écouté leur histoire et a pu découvrir les photographies qui ont survécu aux routes de l’exil.

Présentation de l’éditeur : « Comment évoquer une tragédie rendue paradoxalement invisible par trop d’images ? 

Le photographe Alexis Cordesse, habitué des zones de guerre, a pris le contrepied en collectant les rares images emportées dans l’exil, dans une valise, sur un téléphone portable, qui témoignent de la mémoire de vies déracinées. Fuir la Syrie en prenant avec soi ses images personnelles est un risque : en cas d’arrestation, les photographies sont saisies, analysées. Les personnes qui y figurent deviennent suspectes pour le régime. Dans un tel contexte, la photographie devient dangereuse. Au fil de ses rencontres, plus d’une centaine en France, en Allemagne et en Turquie entre 2018 et 2020, Alexis Cordesse a écrit les histoires de ces photographies vernaculaires et de ceux qui les lui ont confiées.

La guerre est perçue autrement, à travers le prisme de la parole de l’exilé et la mémoire des images que celui-ci a choisies de garder. La photographie comme trace tangible est mise en tension : que nous dit-elle du vécu, que nous raconte-t-elle de chacun ? Talashi parle de la circulation des images à travers l’expérience de l’exil. Ces photographies ont survécu aux destructions et à l’oubli. Leur présence dit l’absence de celles à jamais disparues.

Talashi est un mot de la langue arabe qui peut se traduire par fragmentation, érosion, disparition. Inscrit dans le hors champ des images d’actualité, ce travail de réappropriation propose un récit sobre et modeste, à la croisée de l’intime et de l’Histoire. Alexis Cordesse »

Vous l’imaginez, c’est un ouvrage tout en sensibilité dont je vous parle aujourd’hui. L’image a un pouvoir incroyable, souvent trop mal utilisé. Ici nous entrons dans l’intime mais en adoptant une approche décente et autorisée.

L’ensemble photographique vient de dizaines de fonds privés et est entrecoupé de textes à la fois humains et factuels (forme très efficace avec moi) qui transmettent des histoires vécues.

J’ai été extrêmement impressionnée, les larmes montant aux yeux devant l’authenticité des documents qui rappellent nos propres photographies familiales et qui soulignent un peu plus à chaque page les absents et les moments qui appartiennent à un monde que la tyrannie a détruit et que les ruines abritent désormais. Le passé est une chose, la déchirure en est une autre.

Ces images sont purement saisissantes. Un visage flou, mal cadré ou des corps à contre-jour : une photographie pas très bien prise dans la vie normale, la dernière trace d’un•e proche par temps de guerre et dans l’exil. Des pixels marqués : la mémoire qui se force pour combler les manques jusqu’à ne plus pouvoir vraiment recréer les traits avec précision en pensée.

Après la lecture et quelques minutes de silence, ce livre m’a semblé être un excellent support pédagogique. Proposer à des jeunes de choisir une photographie et d’imaginer une histoire construite avec des informations réelles sur la Syrie ; les inviter à choisir quelques-unes de leurs propres photographies familiales pour dire leur histoire ; afficher en commun les photographies des élèves et celles du livre et animer un moment d’expression et d’échanges ; les sensibiliser à l’observation afin de souligner la valeur universelle des instants immortalisés et, ainsi, la valeur universelle de la vie et des droits humains.

La photographie est un objet très particulier – que je collectionne et sur lequel j’ai travaillé durant plusieurs années – qui n’a jamais été aussi présente dans l’histoire de l’humanité qu’aujourd’hui. Celle qui est partagée, survolée, aperçue. Ici on regarde, vraiment. Celle qui cherche le buzz, qui veut l’effet de choc collectif. Ici on nous fait voir d’une façon différente, avec l’invisible aussi fort que le visible, avec la présence émouvante de l’intention qui ignore encore l’importance de son geste.

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Et vous, quel est votre rapport à la photographie ?

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❤ « Un pays dans le ciel » d’Aiat Fayez et Charlotte Melly (Delcourt, 2021) • Rentrée littéraire

L’exil est un thème important dans mes lectures, je n’ai donc pas attendu pour me plonger dans cette nouveauté, cherchant seulement à avoir plusieurs heures de libres pour m’y glisser et l’éprouver sans impact extérieur.

Quatrième de couverture : « Un récit d’une extrême richesse qui nous plonge dans une zone méconnue, entre deux territoires, et interroge les notions d’étranger et d’exil dans ses dimensions les moins visibles, les plus surprenantes.

Une nuit, une étudiante arrive chez un écrivain. Pour la garder près de lui, ce dernier relate à la jeune femme son séjour au Bunker. Lieu d’attente et de crainte, les demandeurs d’asile y racontent leur épopée dans le but d’obtenir la protection d’un pays. Se dessine ainsi le parcours d’exilés mais aussi le fonctionnement d’une institution composée d’humains qui doivent décider d’une vie. »

Dès la première page nous sommes invités à lire ce livre en étant dans de bonnes dispositions. Et ce n’est pas anecdotique. J’ai l’habitude de lire des contenus difficiles et j’ai pourtant eu quelques chocs.

Dans ce scénario, Aiat Fayez se crée un double qui héberge une jeune femme venue faire du tourisme à Vienne. Au cours d’une soirée, qui va devenir une nuit, il va lui raconter sa résidence au sein d’un office qui reçoit et interroge les demandeur•se•s d’asile en vue d’obtenir ou non la nationalité française.

Pour cela il faut raconter. Tout raconter des raisons du départ. Raconter les moments de courage, raconter les moments de honte, raconter les moments de souffrance, raconter l’insupportable. En face de ces personnes, des agents qui posent des questions pour avoir le matériau nécessaire à prendre leur décision. Mais tous et toutes n’ont pas le même état d’esprit. Alors, nous comprenons que la décision peut avoir un goût très arbitraire.

Chaque témoignage vient illustrer des situations particulières, des injustices, des violences, des opportunités, des vies très différentes qui espèrent en commencer une nouvelle ou fuir la précédente. Ils montrent la diversité des personnes demandant la nationalité française. J’ai appris beaucoup, j’ai été fortement secouée, prise d’empathie comme mise face à certains témoins qui interrogent franchement la moralité. Quand tu es contre la peine de mort et face à une personne ayant eu des actes criminels hautement condamnables, que faut-il faire ? Lui donner l’asile en sachant qu’un risque existe ou la renvoyer dans un pays où elle est d’ores et déjà condamnée à mort ?

Il faut prendre plusieurs heures pour lire, intégrer et digérer ces plus de 300 pages de témoignages. Je suis persuadée que la lecture de ce roman graphique n’a rien d’anodin et je salue mille fois sa réalisation (je l’ai attendu pendant des mois). Le travail d’illustration de Charlotte Melly est très beau, très communicatif : il magnifie autant qu’il terrifie en fonction du message. J’ai vraiment admiré de nombreuses planches, quelles que soient leurs ambiances.

Je retiens vraiment la capacité qu’a ce roman graphique à nous questionner, questionner les procédures administratives et leurs biais, questionner les refus ainsi que les accords – surtout les refus en ce qui me concerne -, questionner la conscience d’individus qui doivent décider de la vie d’autres personnes.

Remarquable.

Si nous sommes dans une trame fictionnelle, elle est ancrée de plein pied dans la réalité. Un roman graphique qui, sans aucun doute, vous marquera longtemps et alimentera votre vision de l’immigration et des naturalisations aujourd’hui. Il me donne également très envie de découvrir davantage les œuvres d’Aiat Fayez et de Charlotte Melly.

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Et vous, quels sujets vous tiennent à coeur dans la vie et dans les livres ?

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👁 ❤ « La loi de la mer » de Davide Enia (Le livre de poche, 2020)

Quelle lecture éprouvante et émouvante ! Ce livre m’a été conseillé par Flo du blog Thé toi et lis ! et je lui en suis reconnaissante car j’ai été profondément touchée par la démarche de Davide Enia : se rendre à Lampedusa pour rencontrer des témoins des drames qui s’y jouent depuis plus de vingt ans. En parallèle, se déroule un drame personnel dans la vie de l’auteur.

Quatrième de couverture : « Le ciel si proche qu’il vous tombe presque sur les épaules. La voix omniprésente du vent. La lumière qui frappe de partout. Et devant les yeux, toujours, la mer, éternelle couronne de joie et d’épines. Les éléments s’abattent sur l’île sans rien qui les arrête. Pas de refuge. On y est transpercé, traversé par la lumière et le vent. Sans défense.

Pendant plus de trois ans, à Lampedusa, cette île entre Afrique et Europe, Davide Enia a rencontré habitants, secouristes, exilés, survivants. En se mesurant à l’urgence de la réalité, il donne aux témoignages recueillis la forme d’un récit inédit, déjà couronné par le prestigieux prix Mondello en Italie. »

Deux histoires distinctes qui se rencontrent, deux histoires humaines, avec une puissante compassion qui nous touche au plus profond. Cela faisait longtemps que je n’avais pas pleuré à ce point, émue, ne pouvant me retenir même en public. Ce récit n’est pas un tire-larmes, il relate des entretiens et des souvenirs de sauveteurs professionnels et bénévoles. Mais le factuel peut-être triste à pleurer et les larmes peuvent aussi venir en découvrant la beauté de certains cœurs.

Deux histoires, donc, qui s’entremêlent avec le passage du temps et rythment avec force ce récit de vie, ce récit qui concerne deux continents amenés à se rencontrer par la marche naturelle des plaques tectoniques, un récit qui concerne le monde.

Lampedusa est une île connue, très médiatisée pour parler des migrations et des drames dont la mer est le cimetière. C’est une île aride dont la population s’est mobilisée, chacun·e avec ses forces et ses aptitudes, pour agir là où les politiques n’interviennent pas – ou trop peu ou mal. Car fermer les yeux est devenu impossible. Un fil rouge traverse les différents témoignages : le naufrage du 3 octobre 2013.

Les faits sont inimaginables. Quand tu penses que ça ne peut pas être pire, ça l’est. Davide Enia, par ses entretiens et ses observations, met en lumière des éléments généralement peu évoqués. Il donne à voir et à entendre et c’est un travail essentiel qu’il nous confie, écrit avec soin et prévenance envers les personnes qui ont affronté l’impitoyable mer Méditerranée.

Ce livre exprime des dualités difficiles : le quotidien marqué par les tragédies mais aussi par les vies sauvées ; les cadavres charriés par les eaux et la volonté de se battre contre la mort ; l’amour de la vie et la maladie.

A la fin, il manque cependant une part importante de l’histoire, très justement soulignée par Davide Enia lui-même : la paroles directes des survivants. Celle-ci s’exprime dans d’autres publications, nécessaires à la compréhension collective des motivations de départ, des risques encourus et des conditions d’accueil. Pour une prise de conscience et l’amélioration des processus sociaux et humains car l’urgence c’est tous les jours.

Ce récit n’a pas manqué de me faire penser au documentaire (difficile, lui aussi) Numéro 387 : Disparu en Méditerranée diffusé par Arte. Il n’est plus disponible en intégralité mais je vous partage cette capsule :

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Ils/Elles l’ont aussi lu et chroniqué : Thé toi et lis !Charybde 27Tu vas t’abîmer les yeuxLe capharnaüm éclairéUn dernier livre avant la fin du monde.

Et vous, quelle excellente recommandation vous ayant été faite récemment voulez-vous à votre tour partager ?

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👁 « Prête-moi une fenêtre » & « Ce peu de vie » de Hala Mohammad (Bruno Doucey, 2018 ; Al Manar, 2016)

Lors de la préparation de ce mois thématique, plusieurs recueils de poésie se sont imposés à moi. Comme une évidence. Ces deux recueil d’Hala Mohammad en font pleinement partie et, depuis que je les ai lus, je les ouvre et les réouvre régulièrement. Je découvre et redécouvre sa voix, faite de lumière pour éclairer les ombres. Ce deux recueils sont présentés dans une édition bilingue arabe-français.

Née à Lattaquié, en Syrie, en 1958, Hala Mohammad a été amenée à fuir son pays pour trouver refuge en France.

« Ce peu de vie »

Quatrième de couverture : « Les papillons / Emigrant avec les familles / Sur les ballots / Sur les fleurs des robes des filles / Dans les poches des grands-mères / Dans les supplications des mères, / A la frontière / Ils ont ôté leurs couleurs / Et sont entrés dans leur exil / Photo souvenir / En noir et blanc. »

Premier recueil de Hala Mohammad publié en français, vingt-cinq poèmes qui disent l’absence, les lieux quittés, les joies passées, les violences qui perdurent dans la patrie perdue. L’autrice mêle aux mots emprunts de douceur, aux espaces de l’enfance et de la maison, la réalité crue. Elle crée un espace qui se déchire entre espoir et quotidien qui le malmène.

Un recueil qui nous parle d’humanité et de la Syrie dévastée. Parfait pour une première découverte de l’autrice et pour découvrir, en même temps, la maison d’édition Al Manar que je ne connaissais pas.

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« Prête-moi une fenêtre »

Présentation de l’éditeur : « La maison a beaucoup changé après ton départ… Les mots par lesquels s’ouvre le recueil d’Hala Mohammad laissent entendre qu’il y a un avant et un après, un ici et un ailleurs. Plus encore, un billet aller qui ne donne à l’exilée que peu d’espoir de retrouver indemne le pays qu’elle a laissé derrière elle. De poème en poème, l’auteure cartographie l’absence et son cortège de chagrins. Une révolution orpheline. La guerre. Les routes de l’exil. Les dures conditions de vie des gens qui ont parfois tout perdu mais qui continuent à vivre et à aimer. Car ce sont eux qui intéressent la poète-documentariste qui progresse caméra au poing. Avec un sens inné du court-métrage, elle défie la peur et nous livre un texte d’une force rare contre la géographie de la tyrannie. Sois la bienvenue, Hala : cette maison d’édition aux fenêtres ouvertes sur le monde est la tienne ! »

C’est avec le même ton que Hala Mohammad compose ce second recueil avec les éditions Bruno Doucey. A la fois dans l’évocation personnelle et tournée vers l’autre, l’autrice nous parle de son quotidien, de ses souvenirs, de ses proches, de l’adaptation à une nouvelle vie qui crie l’absence, de ce qui ne passe jamais, de la guerre, de la tyrannie, de l’effort pour l’oubli ne serait-ce que quelques minutes, d’autres personnes déracinées, des disparu·e·s.

C’est un recueil extrêmement dense et percutant. Certains poèmes sont gravés en moi, notamment lorsqu’elle parle d’être une gardienne de cimetière – ce dernier n’étant pas celui qu’on s’imagine – ou lorsqu’elle dépose des fleurs sur des tombes, au hasard, espérant que quelqu’un en déposera une sur celle de sa mère, sous l’olivier, en Syrie. Ce sont des pensées à la fois quotidiennes, que chacun·e de nous peut saisir, et en même temps complexes que partage Hala Mohammad.

On sent puissamment la déchirure et les voyages mentaux qu’elle réalise dans la maison de son enfance, probablement détruite depuis. Elle pense à la porte, au seuil, aux murs, aux détails qui faisaient un lieu réconfortant et unique pour elle, dans lequel ont déambulé des êtres chers. Ces pensées ont eu beaucoup d’écho chez moi, alors même que je ne peux en aucune manière comparer mon parcours au sien. Mais là est aussi la puissance de l’universalité de certaines expériences, comme celle des chansons de l’enfance qui s’inscrivent, se tatouent, en nous pour la vie.

Si j’ai été plus sensible à certains aspects qu’à d’autres, chaque poème est fort et porte une voix que je vous invite à lire et dire à voix haute à votre tour, pour qu’elle s’envole librement et qu’elle touche, peut-être, d’autres personnes encore. De mon côté, je vous donne rendez-vous très vite pour vous reparler de cette autrice, même s’il m’est toujours difficile de rassembler mes idées pour vous parler de poésie.

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Ils/Elles l’ont aussi lu et chroniqué : Pas de chroniques trouvées pour le moment.

Et vous, quelle est votre dernière découverte poétique ?

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👁 « Le livre des départs » de Velibor Čolić (Gallimard, 2020)

J’ai découvert Velibor Čolić il y a quelques temps avec son livre Les Bosniaques – difficilement soutenable mais nécessaire – et je me suis procuré plusieurs de ses romans immédiatement après. Une écriture dans laquelle l’humour est le dernier rempart pour ne pas sombrer. Né en Bosnie en 1964, fait prisionnier lors de la guerre, il parvient à s’enfuir et arrive en France en 1992.

Quatrième de couverture : « Je suis un migrant, un chien mille fois blessé qui sait explorer une ville. Je sors et je fais des cercles autour de mon immeuble. Je renifle les bars et les restaurants.

Velibor Čolić, à travers le récit de son propre exil, nous fait partager le sentiment de déréliction des migrants, et l’errance sans espoir de ceux qui ne trouveront jamais vraiment leur demeure. Il évoque avec ironie ses rapports avec les institutions, les administrations, les psychiatres, les écrivains, et bien sûr avec les femmes qui tiennent une grande place ici bien qu’elles aient plus souvent été source de désir ardent et frustré que de bonheur. Son récit est aussi un hommage à la langue française, à la fois déchirant et plein de fantaisie. »

Si ses considérations sur les femmes et ses histoires de coeur ne m’ont pas particulièrement emballée (je ne suis généralement pas bon public sur ce sujet) j’ai été sensible au reste de ce roman autofictionnel. Parce que Velibor Čolić a le don de me faire passer du rire aux larmes en un claquement de doigts et qu’au détour d’une anecdote c’est un vrai sujet social qu’il révèle.

J’ai retrouvé dans ce livre le Velibor Čolić qui m’a tant émue au cours de visionnages de conférences et de rencontres publiques (ce que je rêve de vivre un jour) : dans une vie d’équilibriste entre un passé traumatique et un présent étroit, dans un combat d’écriture et de langues, dans une force de vivre, malgré tout.

C’est assez difficile à expliquer mais si je ne partage rien des expériences de l’auteur (et j’en suis bien heureuse), je partage cependant son regard incisif – voire intransigeant – sur les faits et comportements qui l’agacent. Un regard qui sait aussi se faire tendre, souvent à l’encontre des oubliés et des invisibles. Il est souvent question de situations du quotidien d’un homme en exil qui regarde le pays d’accueil et ses travers et qui nous les fait voir de l’intérieur. Et je suis très très bon public quand je croise un compatriote de cet humour sarcastique. Alors, oui, j’ai ri, parfois très fort, de bon coeur mais aussi avec amertume.

Et il y a la douleur qui ne quitte pas l’auteur, une douleur liée à l’absence, à la frustration d’un quotidien insatisfaisant, une douleur qui rappelle que la guerre n’est pas complètement passée. Et ce dernier point est peut-être le passage qui m’a le plus brisé le coeur.

D’une vie faite de multiples départs, Velibor Čolić livre un récit singulier et infiniment émouvant écrit dans une langue inventive qui crie la liberté.

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Ils/Elles l’ont aussi lu et chroniqué : D’une berge à l’autre

Et vous, connaissez-vous cet auteur ?

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👁 « Ailleurs » de David Guyon et Hélène Crochemore (Talents hauts, 2019)

Pour ce mercredi, jour des petits, je vous propose ce bel album travaillé en miroir entre doubles pages et entre textes et images. Un travail percutant qui trouvera son public auprès des jeunes lecteurs et lectrices à partir de 10 ans.

Quatrième de couverture : « Un hommage puissant à tous les enfants du monde qui rêvent, où qu’ils soient, d’un ailleurs. »

La potentielle difficulté avec cet album ne se cachera pas dans le texte mais au niveau du sujet lui-même car la comparaison demande du recul et un minimum de connaissances sur le fait que des enfants, des adolescents et adultes d’ailleurs regardent d’autres pays que le leur, rêvant à ces derniers au futur, au cœur de leurs nuits noires et de leurs journées maigres en espoir.

Chaque double page compare des situations : humaines, sociales, géographiques, météorologiques, politiques. Car il existe dans certains pays le travail des enfants, les famines, les enfants-soldats, les sécheresses, les guerres, les dictatures… Et quelques rares instants où les enfants peuvent être des enfants. Ils rêvent d’un ailleurs, là où l’avenir ne rime pas avec la peur de mourir.

Viendront le départ, la traversée qui frôle le drame, l’arrivée et le regard qui se dirige de l’autre côté, où les proches sont restés.

Peu à peu, des images viennent se désunir des textes d’espoir et montrent que le pays rêvé, fantasmé, n’est pas parfait, qu’il laisse certaines personnes au bord des routes. Ce double positionnement invite de fait le·la lecteur·trice à regarder sa situation et à voir les écarts de traitement des populations dans le monde tout en étant conscient·e de ce qui doit être amélioré.

Un album grave, fort et éloquent, publié avec le soutien d’Amnesty International.

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Ils/Elles l’ont aussi lu et chroniqué : La littérature jeunesse de Judith & Sophie

Et vous, est-ce que le soutien à des publications de la part d’ONG peut vous influencer ?

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👁 « Le silence des esprits » de Wilfried N’Sondé (Actes Sud, 2010 ; Babel, 2018)

L’un de mes petits défis de ces dernières semaines a été de trouver un roman parlant d’exil et comprenant le mot silence dans son titre afin de participer au challenge Un mot, des titres du blog Les lectures d’Azilis. Ce fut l’occasion de découvrir Wilfried N’Sondé et je ne le regrette pas une seule seconde. J’ai été chamboulée par son énergie et sa poésie.

Quatrième de couverture : « Ils se sont rencontrés dans un train de banlieue. Clovis Nzila, émigré clandestin sans ressources ni abri, a sauté dans le wagon pour échapper à un contrôle de police. Il s’installe sur une banquette en face de Christelle, aide-soignante qui rentre du travail, triste et fatiguée. Il suffit d’un échange de regards pour que l’un et l’autre se reconnaissent dans leur solitude, leur fragilité. Elle lui tend la main et lui propose de l’héberger pour la nuit. Dans le modeste appartement, ils créent une bulle de confiance et de tendresse, se racontent, tentent de réécrire leur histoire et de s’offrir une seconde chance.

De la violence d’une guerre civile en Afrique à la morosité d’un quotidien de banlieue parisienne, Wilfried N’Sondé habille notre époque d’espoir et de sensualité au fil d’une douce ballade mélancolique. »

Clovis arpente les rues de la ville à la recherche d’un endroit où se poser, quelques minutes ou quelques heures. Christelle traverse les couloirs de l’hôpital, prenant soin de tous ses patients. Clovis a fui son pays, Christelle fuit ses pensées. Tous les deux essaient d’échapper à leurs souvenirs et traumatismes, tous les deux vont prendre le même train et se rencontrer.

Leur recontre est de celles qui changent une vie.

A travers Clovis nous découvrons l’histoire d’un pays martyrisé par la colonisation et dont il fut victime de différentes façons, toujours terribles. Un pays ravagé par la guerre qui n’épargne pas les enfants. Il nous ouvre une fenêtre sur l’histoire de son enfance et celle de sa soeur, Marcelline – qu’il voit dans ses rêves -, son ultime lieu de recueillement également habité par l’esprit Nzambi A Mpoungou. Christelle, de son côté, témoigne des violences familiales et déceptions amoureuses.

Du trauma colonial aux violences contemporaines envers les personnes en situation dite irrégulière, Wilfried N’Sondé invoque des douleurs et des blessures avec puissance et comme pour les exorciser. Si cela est possible. A la fois hors du temps et ancré dans le présent, ce roman montre à la fois beauté de la renaissance et la violence d’une société du rejet.

Deux vies abîmées qui se rencontrent et se pansent. Une fulgurante envie de vivre qui renaît sous les cendres. Un roman puissant en ce qu’il révèle des vies passées et présentes, du visible et de l’invisible.

Le nouveau mot du challenge est sorti, il s’agit de jamais. Étant donné que j’adore faire des recherches bibliographiques et des listes (imaginez l’ambiance folle de mes soirées) je me suis amusée à sélectionner neuf potentielles lectures. Vous pouvez les découvrir ci-dessous :

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Et vous, quel est votre roman préféré de Wilfried N’Sondé ?

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👁 « Les enfants de la Clarée » de Raphaël Krafft (Marchialy, 2021)

Depuis le temps que je souhaitais découvrir concrètement le catalogue des éditions Marchialy, ce mois thématique en a été l’occasion. Roman documentaire, récit journalistique, ce texte oscille entre roman-reportage et enquête sociale. Passionnant.

Quatrième de couverture : « En novembre 2017, Raphaël Krafft part en reportage à la frontière franco-italienne au niveau du col de l’Échelle. Il accompagne un habitant de la région parti en maraude à la rencontre d’éventuels migrants venus d’Italie, perdus dans la montagne au milieu de la nuit. Les premières neiges viennent de tomber. Ce soir-là, ils découvrent cachés dans un bosquet, transis de froid, quatre mineurs tous originaires d’Afrique de l’Ouest. Alors qu’ils les emmènent en voiture dans un lieu dédié à l’accueil des personnes migrantes, la gendarmerie les arrête avant d’abandonner les quatre adolescents dans la montagne au niveau de la borne frontière. Trois d’entre eux sont guinéens, comme la majorité des jeunes migrants qui passent par ce col.

Marqué par cette expérience, Raphaël Krafft se lie d’amitié avec les habitants du village de Névache situé juste en dessous du col et propose aux enfants de l’école communale de partir pour eux en Guinée réaliser des reportages et les aider ainsi à comprendre pourquoi tant et tant de jeunes décident de quitter leur foyer. Là-bas, il découvre un pays démuni, marqué par des années de dictature. »

Raphaël Krafft ne découvre pas le sujet de l’exil et du passage des frontières avec ce livre. En 2017 son livre Passeur paraissait aux éditions Buchet-Chastel, un premier reportage que j’ai désormais envie de découvrir. Egalement, Raphaël Krafft a réalisé de nombreux reportages sur le sujet – dont un résultant du livre Les enfants de la Clarée – pour France Culture.

A l’occasion d’un reportage dans les Hautes-Alpes, Raphaël Krafft va découvrir un groupe de jeunes au col de l’Echelle. Comme il le dit lui-même, il est bien différent de savoir que des mineurs traversent le col et de les rencontrer, dans la nuit, dans la neige, face à leur fatigue, leur faim, leur soif, leur regard.

Explorant à la fois l’organisation et l’engagement citoyen d’une partie de la population du village de Névache, le cynisme de l’État et l’irrespect des droits des prétendants à l’asile par les forces de l’ordre, les méthodes d’intimidation des autorités à l’encontre des groupes d’aide aux réfugiés, les témoignages des jeunes migrants, Raphaël Krafft fait un double constat, à la fois encourageant et affligeant. Le premier au regard du courage et de la ténacité des personnes engagées, le second face au manque d’humanité de nombre de représentants d’un pays connu comme étant celui de la déclaration des droits de l’homme. Ici, les droits des mineurs sont niés, la minorité elle-même peut l’être, par principe de méfiance.

Quatre jeunes sont au col, trois d’entre eux sont guinéens. Une nationalité de beaucoup de personnes affrontant les dangers de cette zone de la montagne. La question se pose alors : que se passe-t-il en Guinée qui pousse tant de mineurs à se lancer sur les routes de l’exil ? Un reportage dans le reportage se construit alors, augmenté de témoignages, alimenté par les questions des enfants de Névache. Avec l’auteur, nous découvrons un pays dont nous entendons peu parler et, même de très loin, nous comprenons.

Clair et engagé, ce livre est très intéressant. Il décrit un quotidien encore trop peu compris et considéré, dénonce des traitements irresponsables et illégaux, met en lumière des dysfonctionnements et des accords internationaux clairement discutables.

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Et vous, connaissez-vous cette maison d’édition ?

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👁 « C’est quoi un réfugié ? » d’Elise Gravel (Alice, 2021)

J’ai découvert Elise Gravel il y a quelques années, dans le cadre d’un travail qui visait – notamment – à déconstruire les stéréotypes et préjugés auprès de jeunes publics et certains des supports qu’elle rend disponibles sur son site sont merveilleusement bien conçus. Elle prouve avec talent que l’on peut s’atteler à de grandes causes et mener des combats citoyens et humains avec des pitchounes et des préadolescents sans se départir d’humour. Ce dernier étant parfois même essentiel pour ouvrir le dialogue, libérer la parole, confronter différentes visions du monde et enfin désamorcer des idées reçues.

Quatrième de couverture : « Un réfugié, c’est quoi ? Un être humain comme toi et moi !

Qui sont les réfugiés ? Pourquoi fuient-ils leur pays ? À quels dangers sont-ils confrontés ? Et sont-ils toujours bien accueillis ? »

C’est sans aucune hésitation que j’ai souhaité découvrir cet album et vous en parler dans le cadre du mois thématique de juin. Les enfants entendent parler du sujet des réfugiés à toutes les sauces depuis plusieurs années et ce livre souhaite expliquer clairement qui ils sont. Car les enfants sont sensibles à ce qui est juste ou injuste, j’aime leur confier des livres leur permettant contrer de possibles amalgames couramment portés au sein de la société des adultes.

Elise Gravel prend le temps de représenter – avec des phrases simples – différentes situations qui expliquent la nécessité de partir de chez soi pour des raisons de survie et de respect des droits humains tout en rappelant que nous sommes tous égaux. L’autrice parle des contextes, des difficultés, des risques, du manque d’accueil et des camps de réfugiés. Avec un dessin tendre, en rondeur et coloré, elle montre des réalités adaptées à l’âge des jeunes lecteurs et lectrices sans oublier de dire que ce que cherchent ces personnes ce sont des vies normales et en sécurité.

L’album se termine sur des portraits de réfugiés célèbres, d’hier et d’aujourd’hui, ainsi que sur des portraits d’enfants réfugiés d’aujourd’hui. Une ouverture qui ne manquera pas de créer des moments d’échanges ainsi que de nombreuses réflexions.

Un livre d’utilité publique qui a sa place dans toutes les écoles.

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Ils/Elles l’ont aussi lu et chroniqué : Escale livresLivre à coeur

Et vous, connaissez-vous cette autrice et son travail contre les discriminations ?

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👁 « Chez toi. Athènes 2016 » de Sandrine Martin (Casterman, 2021)

Sujet peu abordé, que ce soit dans l’actualité ou dans la littérature, ce roman graphique se concentre sur le parcours d’une femme (composé à partir de cinq témoignages réels) en exil et enceinte. Arrivée en Grèce avec son conjoint, nous la suivons dans son parcours de migration en même temps que dans son parcours médical et de maternité.

Quatrième de couverture : « En 2016, Sandrine Martin s’est rendue en Grèce avec le projet EU Border Care et a suivi les sages-femmes et les médecins qui prennent en charge les réfugiées pendant leur grossesse. Cette expérience humaine marquante lui a inspiré un récit bouleversant qui entremêle le parcours de deux femmes que les grandes crises contemporaines vont confronter à l’exil : une sage-femme grecque et une jeune syrienne.

Un roman graphique d’une grande acuité, qui témoigne autant de l’enlisement de la société grecque que de l’espoir et de l’énergie déployés dans l’expérience de déracinement. »

Ce travail littéraire et graphique découle d’un travail de recherche réalisé à l’échelle européenne. Une démarche dont le sérieux est aussi appréciable que les illustrations sont belles. Difficile de ne pas être impressionné·e par ce livre qui donne à voir un parcours de femme à travers le personnage de Mona, Syrienne, mais aussi de Monika, sage-femme grecque qui ausculte et suit des femmes migrantes en cours de grossesse.

C’est finalement plusieurs sujets qu’aborde ce récit : la situation concrète de personnes en transit, la douloureuse séparation d’avec les familles et le pays d’origine, les grossesses vécues alors que les femmes (ou les couples) ne savent pas où elles seront dans deux jours, deux mois ou deux ans, les injonctions médicales à l’encontre du corps des femmes et la place démesurée faite à la césarienne plutôt qu’aux accouchement par voie basse, ainsi que la crise économique qui impacte la Grèce.

A travers le parcours de deux femmes aux situations très différentes, ce sont des questions sociales qui sont posées et qui trouvent, à un moment ou à un autre, un écho en chacun·e de nous. A cheval entre la fiction et le documentaire, ce livre est terriblement intéressant et, si j’ai trouvé que certains aspects manquaient quant au sujet des grossesses de femmes migrantes, il a le mérite de rendre visibles des vécus invisibilisés et de le faire magnifiquement bien. Pour ma part, j’ai versé ma petite larme et la construction plus que crédible des deux personnages principaux m’a fait forte impression.

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Et vous, connaissez-vous des livres ou d’autres oeuvres sur ce sujet ?

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👁 ❤ « A bord de l’Aquarius » de Marco Rizzo et Lelio Bonaccorso (Futuropolis, 2019)

Sur la liste de mes envies depuis sa publication, ce roman graphique a reçu un très bel accueil, amplement mérité. A la fois factuel et didactique, il montre le fonctionnement d’un navire de sauvetage, la composition de son personnel, le déroulement des sauvetages ainsi que des parcours de personnes secourues. Il montre aussi les moments difficiles, les incompréhensions et le sentiment d’impuissance.

Présentation de l’éditeur : « Un récit documentaire à bord de l’Aquarius, un bateau humanitaire qui parcourt la Méditerranée pour secourir des migrants.

En juin 2018, l’Italie et la France lui refusaient d’accoster condamnant le navire à une errance de 9 jours, mettant ainsi en lumière les ambigüités des gouvernements européens sur la politique d’accueil des réfugiés. »

Je crois que je n’ai aucun point négatif à relever dans ce travail impressionnant, à la fois du point de vue de la scénarisation, des contenus et des illustrations. Ce roman graphique est complet, humain et pertinent dans sa démarche de transmission.

Ouvrir, représenter clairement et rendre publique l’organisation sur l’Aquarius et les processus d’aide humanitaire permet de désamorcer des idées préconçues et souvent fausses sur les interventions et les motivations des ONG. Cela permet aussi de contrecarrer les idées courtes liées aux parcours à la fois individuels et collectifs des personnes qui ont pris les chemins de l’exil, infiniment dangereux.

En refermant ce roman graphique, je ne peux qu’espérer que son succès a pu faire bouger des lignes, notamment en France, où des sondages réalisés en 2018 se sont révélés glaçants. Le gouvernement français refusait alors d’accueillir l’Aquarius dans l’un de ses ports alors que plusieurs centaines de rescapés de la traversée de la Méditerranée étaient à bord.

Un faible espoir, mais un espoir quand même.

En décembre 2018, près avoir sauvé plus de 30 000 vies, l’Aquarius sera immobilisé et ses activités seront stoppées. Un arrêt salué par des représentants de l’extrême droite européenne, dont Marine Le Pen, marquant ouvertement une satisfaction quant au fait de ne plus porter secours aux personnes en détresse dont la vie est menacée. Les activités de sauvetage reprendront en juillet 2019 avec Ocean Viking, sous pavillon norvégien, avec des victoires et de terribles journées, comme celle du 22 avril dernier.

L’histoire de l’Aquarius est éminemment représentative des attaques des politiques contre l’aide humanitaire, sujet au coeur du livre récemment paru de Roberto Saviano, En mer, pas de taxis.

Mêlant les témoignages du personnel, des rescapés et des auteurs, ce roman graphique est à découvrir et à partager au plus grand nombre.

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Et vous, vous joignez-vous à mon espoir ?

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« L’attente » de Keum Suk Gendry-Kim (Futuropolis, 2021)

L’annonce d’une nouvelle publication de keum Suk Gendry-Kim est toujours un événement pour moi. Et le sujet de ce roman graphique a fait encore monter d’un cran mon impatience : la partition de la Corée et, avec elle, la terrible séparation des familles. Aujourd’hui encore la blessure est vive, incarnée par la disparition de proches, l’absence de leurs nouvelles. Keum Suk Gendry-Kim nous livre l’histoire d’une famille et, avec elle, celle de milliers d’autres.

Quatrième de couverture : « Soixante-dix ans se sont écoulés depuis le déclenchement de la guerre de Corée. Depuis 1953, la Corée est divisée en deux pays distincts, la Corée du Sud et la République populaire démocratique. Des familles entières ont été séparées. La mère de la narratrice n’a jamais revu son premier mari et son fils. Aujourd’hui encore, des démarches sont entreprises pour retrouver des proches disparus. Saisie par un sentiment d’urgence alors que la génération qui a connu la guerre s’éteint et la nouvelle oublie le passé, Keum Suk Gendry-Kim a interrogé sa mère pour qu’elle lui raconte ces blessures traumatisantes de la guerre et de la séparation.

Séoul, de nos jours. Guja a 92 ans. Sa vie de retraitée est bousculée le jour où, parlant avec une amie, elle découvre le programme gouvernemental permettant à des familles coréennes séparées par la guerre en 1950 de se retrouver. Lui revient alors son passé, sa jeunesse, son premier mariage, ses deux premiers enfants. Et surtout, cet exode qui va la séparer de son mari et de son premier fils alors qu’elle reste seule avec son nourrisson. Jamais plus elle ne les reverra. Au crépuscule de sa vie, elle raconte à sa fille Jina, dessinatrice pour la jeunesse, cette vie brisée, ces moments de désespoir, sa vie d’après.

Après Les Mauvaises Herbes, Keum Suk Gendry-Kim s’attaque à un autre pan dramatique de l’histoire de la Corée. »

Keum Suk Gendry-Kim a composé ce livre à partir des souvenirs de sa mère ainsi que de deux autres témoins. Pas précisément biographique mais juste et pensé pour être au plus près de la réalité, elle montre les souffrances des personnes ayant vécu les séparations familiales, la perte des racines ainsi que le poids que portent certains descendants. Un hommage émouvant à une mère immensément courageuse et un message universel dédié à toutes les personnes forcées de quitter leur foyer et de se couper de leurs proches pour une durée indéterminée.

Guja est une vieille dame qui a passé la presque intégralité de sa vie à porter une douleur aussi intime que profonde. Elle a été séparée de son mari et, surtout, de son fils, encore petit, en fuyant les zones de combat lors de la guerre de Corée. Depuis, elle ne l’a plus jamais revu et ne sait même pas s’il est encore en vie.

Nous vivons le présent de Guja tout en faisant des sauts dans le temps, découvrant son enfance et sa jeunesse, entre l’occupation japonaise et celle des soviétiques, entre la Seconde Guerre mondiale et la guerre de Corée. A ses côtés nous comprenons – autant qu’il nous est possible de le faire – la violence des différents déchirements qu’elle devra traverser, auxquels elle devra survivre.

En 2018, des retrouvailles familiales sont permises entre le Nord et le Sud. Des retrouvailles sous surveillances, conditionnées qui se révèlent parfois aussi douloureuses que l’incertitude et l’absence. Tant d’années d’espoir et d’attentes pour si peu de temps et la certitude que cela ne se pourra pas se reproduire avant très longtemps, peut-être même jamais !

Il était courant que les personnes passées dans le Sud et ayant perdu leurs familles, restées au Nord, se remarient, refondent une famille. Nombre de personnes avaient donc deux familles. La représentation de cela est particulièrement touchante dans ce roman graphique. Ecartelée entre la nécessité d’avancer et l’impossibilité d’oublier.

Ce livre nous transmet à la fois une histoire d’hier et une histoire d’aujourd’hui, alors que les dernier·ère·s survivant·e·s s’éteignent et que les relations entre les deux Corées sont encore extrêmement tendues. Une nouvelle fois, Keum Suk Gendry-Kim porte haut la volonté de faire mémoire et rend hommage à une population à l’histoire meurtrie.

Il ne manque qu’un ouvrage de Keum Suk Gendry-Kim à ma collection, il rejoindra donc ma bibliothèque sous peu, en espérant faire découvrir cette autrice à toujours plus de lecteurs et lectrices. J’ouvrirai ensuite mes horizons en découvrant des ouvrages qu’elle a traduits du coréen vers le français.

Cette lecture entre dans le cadre du Challenge coréen organisé par le blog Depuis le cadre de ma fenêtre.

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Et vous, quel·le auteur·trice de graphiques suivez-vous de près ?

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« Lignes de vies » de Birgit Weyhe (Cambourakis, 2021)

J’apprécie le travail de Birgit Weyhe car elle s’intéresse à des sujets qui bouillonnent en moi au quotidien : la mémoire, les trajectoires de vies sur plusieurs générations, les exils et migrations qui composent les sociétés depuis toujours, les conflits contemporains qui continuent d’impacter le monde.

Quatrième de couverture : « Zahi ne connaît pas la date exacte de sa naissance en Somalie, il devient pirate après avoir perdu sa famille, puis est emprisonné en Allemagne ; née en Californie de parents italiens, Gianni rencontre au Mozambique un Allemand qui deviendra son mari ; menacé par les talibans, le jeune Afghan Moh décide de traverser la Méditerranée en 2015 puis marche pendant quatre mois vers l’Europe de l’Ouest où il rêve d’étudier l’informatique…

Par choix ou par nécessité, quitter son lieu de naissance pour rebâtir une vie ailleurs est au cœur de l’expérience humaine. À travers trente portraits de femmes et d’hommes qui correspondent à autant de récits de migration d’un continent à l’autre, du XXe siècle jusqu’à nos jours, Birgit Weyhe poursuit l’exploration des thématiques qui irriguent toute son œuvre : l’exil, l’influence de l’Histoire sur les destins individuels, le sentiment d’être chez soi.

Kaléidoscope de la migration initialement publié dans le journal berlinois Der Tagesspiegel, Lignes de vies dessine une société ouverte. »

Dans ce recueil graphique, elle met mots et dessins sur trente parcours, souvent liés à un moment donné à l’Allemagne (il s’agit du travail d’une auteure allemande pour un journal allemand), pour illustrer le fait que les migrations sont l’histoire du monde. Dans le même temps, Birgit Weyhe rappelle d’une certaine façon que si les gros titres se concentrent sur les personnes rejoignant l’Europe depuis un autre continent, les migrations se font depuis très longtemps dans toutes les directions, sur des motivations différentes, par choix ou par manque de choix.

Avec différents ancrages temporels entre le 20ème et le 21ème siècle et différents parcours, Birgit Weyhe déconstruit les stéréotypes que l’on retrouve trop souvent autour du sujet des migrations, montre qu’elles ne concernant pas que des populations géographiquement très ciblées mais que le monde s’est construit et développé avec elles (et continuera de le faire). L’auteure nous invite également à penser nos propres migrations familiales, ce qui me passionne et me donne l’impression au quotidien d’être liée à plusieurs pays, continents et (autre sujet qui fait exploser le tensiomètre de certain•e•s) différentes religions. Ces histoires familiales responsabilisent aussi dans le présent, dans l’engagement, l’altruisme, la compréhension, au regard de ce qu’ont vécu nos aïeux ou de ce qu’ils ont pu faire.

Chaque parcours est présenté de façon factuelle et est composé de quelques pages. A la fin, le•la témoin nous dit ce qui fait qu’il•elle se sent chez lui•elle. Une question plus ou moins difficile selon les motivations des départs mais dont les réponses montrent l’importance des relations humaines pour se reconstruire dans un ailleurs ou, au contraire, la difficulté d’avancer quand on est invisibilisé dans les regards.

Construit à partir de travaux publiés dans le journal allemand Der Tagesspiegel entre avril 2017 et mai 2019, augmenté de trois parcours inédits, j’ai apprécié ce recueil graphique pensé dans une démarche journalistique, sociétale et humaniste. Si je suis toujours un peu moins convaincue par le style graphique de Birgit Weyhe que par ses scénarisations, je vais continuer à la suivre avec plaisir. Ne manque plus dans ma bibliothèque et dans ma tête que l’album Madgermanes.

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Ils/Elles l’ont aussi lu et chroniqué : Pas des chroniques trouvées pour le moment.

Et vous, connaissez-vous cette auteure ?
Avez-vous envie de la découvrir ?

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« Issouf. Un aller simple pour la France » d’Issouf Ag Aguidid avec Estelle Lenartowicz (L’Iconoclaste, 2021)

Après presque un an de report de parution, ce témoignage, ce parcours de vie peut enfin être accessible aux lecteurs et lectrices ! Un texte autobiographique qui retrace à la fois l’histoire du Mali, la culture touareg, la douloureuse expérience de l’exil et des démarches administratives jusqu’à la composition d’une nouvelle vie en France.

Quatrième de couverture : « J’ouvre les yeux, tout est noir. Déjà trois heures que je tourne mes pensées, à la recherche d’un calme qui ne viendra plus. Dans ma vie d’avant, je dormais sans effort. L’insomnie, je l’ai découverte après.

Il a quitté́ le désert pour la France. C’était un aller simple, en avion. Il fallait partir, il n’avait plus le choix. Touareg luttant pour l’indépendance de son peuple, Issouf Ag Aguidid a obtenu l’asile politique. Depuis il construit sa vie ici, pris entre les souvenirs de son Sahara natal et la réalité d’un quotidien âpre, où tout est à conquérir.

Un récit incarné et fort sur le courage et la liberté. »

Issouf Ag Aguidid nous parle de son enfance, de son adolescence, de la situation du Mali que les français connaissent mal en dehors du fait que l’armée française y soit présente dans le cadre de l’opération Barkhane. A travers ses souvenirs, l’auteur partage une philosophie de vie, des saveurs et des parfums, des basculements politiques, des violences subies, des inactions gouvernementales jusqu’à une douloureuse rupture pour sauver sa vie. Le message est clair : personne ne quitte son pays, sa culture, ses proches sans y être forcé.

Le texte mêle les souvenirs du Mali, du Sahel, avec la situation des demandeurs d’asile en France. L’ordre des démarches administratives qui se révèlent labyrinthiques, le fait de devoir convaincre de sa légitimité, la peur de ne pas avoir dit ce qu’il fallait, que tout ne tient qu’à quelques minutes d’entretien. Et puis l’isolement, la solitude, les différences culturelles à comprendre qui amusent mais réveillent aussi une nostalgie, la difficulté de trouver un travail… jusqu’à la peur d’oublier qui l’on est.

Issouf Ag Aguidid se livre avec coeur et conviction, avec tout ce qui fait qu’il est qui il est. Un récit vrai qui donne à voir de l’intérieur une réalité de l’exil alors que les images que nous voyons au quotidien sont anonymisées, trop souvent déshumanisées. Un livre à mettre entre toutes les mains, surtout entre celles qui ont peur de l’autre et vivent dans des fantasmes paranoïaques, tant qu’à faire.

Grâce à un atelier d’écriture organisé au sein des locaux des éditions de L’Iconoclaste, grâce à des rencontres qui sont des richesses, ce texte a pu être publié. Lecteurs et lectrices, nous en sommes reconnaissant•e•s, ces belles rencontres nous irradient à leur tour.

Je tiens à remercier les éditions de L’Iconoclaste d’avoir accepté de me faire parvenir ce livre en service de presse. C’était il y a un an, mais ça y est, il est enfin arrivé dans les librairies et il le mérite !

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Ils/Elles l’ont aussi lu et chroniqué : Pas de chronique trouvée pour le moment.

Et vous, quel récit sur l’exil avez-vous envie de partager ?

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« Le passeur » de Stéphanie Coste (Gallimard, 2021)

Premier roman de l’auteure, je me suis laissée tenter car il s’agit ici d’approcher la traversée de la Méditerranée du point de vue de ceux pour qui le malheur, la guerre et les violences sont source de richesse. Car ne fermons pas les yeux, les conditions de vie des femmes, hommes et enfants qui passent frontières terrestres ou maritimes sont plus que précaires. La vie se monnaye et peut rapporter gros.

Quatrième de couverture : « Quand on a fait, comme le dit Seyoum avec cynisme, de l’espoir son fonds de commerce, qu’on est devenu l’un des plus gros passeurs de la côte libyenne, et qu’on a le cerveau dévoré par le khat et l’alcool, est-on encore capable d’humanité ?

C’est toute la question qui se pose lorsque arrive un énième convoi rempli de candidats désespérés à la traversée. Avec ce convoi particulier remonte soudain tout son passé : sa famille détruite par la dictature en Érythrée, l’embrigadement forcé dans le camp de Sawa, les scènes de torture, la fuite, l’emprisonnement, son amour perdu…

À travers les destins croisés de ces migrants et de leur bourreau, Stéphanie Coste dresse une grande fresque de l’histoire d’un continent meurtri. Son écriture d’une force inouïe, taillée à la serpe, dans un rythme haletant nous entraîne au plus profond de la folie des hommes. »

Seyoum Ephrem est un passeur. Il réceptionne des livraisons pas comme les autres mais ne s’en émeut pas spécialement. Ses marchandises : des êtres humains portés par l’espoir d’un demain, d’un ailleurs. Il est l’une des têtes couronnées d’un milieu couvert par des membres de la police à la patte graissée, une mafia construite dans le sillage des dictatures, des guerres et du piétinement des droits humains. La dernière traversée-transaction de la saison doit avoir lieu dans les prochains jours. C’est en simulacre de chef d’entreprise de type import-export, aux méthodes abjectes et aux addictions nocives, que nous le suivons jusqu’à ce qu’il croise le regard émeraude d’une femme.

Seyoum n’a pas toujours été cet homme cynique à l’humanité amputée. Le récit croise son passé en Érythrée (pays au système dictatorial officiellement appelé république à régime présidentiel à parti unique) et le présent du roman, en Libye en 2015 (pour en savoir plus sur la situation des migrants en Libye en 2015 : rapport de Human Rights Watch). Cette année n’est pas choisie au hasard, il s’agit d’une année particulièrement meurtrière lors des traversées de la Méditerranée, notamment en ce qui concerne la disparition d’enfants (les naufrages avec le plus de victimes provenaient de Libye).

Nous découvrons le quotidien de Seyoum et son caractère particulièrement antipathique qui cache cependant de profondes blessures. La force dramatique, humainement dramatique, se trouve dans ce passé qui l’a amené sur cette côte libyenne. De quoi est capable un homme qui a perdu tout espoir et dont on a voulu effacer l’humanité, l’individualité ? Que devenir quand la personne qui nous tenait debout, en vie, est sortie de notre vie ? Déshumaniser les autres ne mène-t-il pas à se déshumaniser soi-même ?

Si je me suis laissée surprendre et émouvoir par le parcours de Seyoum, il est un personnage difficile à accompagner tant il s’est mué en ce qui aurait pu le détruire quelques années auparavant. Mais peut-on annihiler tous les sentiments malgré la douleur du passé ?

Ce court roman campé dans l’esprit d’un passeur au cynisme glaçant, extrêmement inquiétant mais d’actualité, laisse percer un espoir, faible mais bien là malgré tout : celui de réveiller, celui d’arriver. Il questionne la déshumanisation, le marché obscène du prix de la vie, la violence qui engendre la violence. Il montre également les conditions de détention puis de voyage des personnes qui tentent les routes de l’exil, qui n’ont plus rien à perdre si ce n’est leur propre vie et celle de leurs proches, quand elles en ont encore. Un premier roman prenant.

Entre janvier 2014 et septembre 2018, 28 555 migrants sont morts ou disparus en Méditerranée alors qu’ils tentaient d’atteindre les côtes de l’Europe. Parmi eux, au moins 1300 enfants.

Amnesty International, « Réfugiés : ce que nous disent les chiffres »

Ce roman se déroule il y a cinq ans. Fin septembre 2020 Amnesty International alertait une fois de plus sur la situation des réfugiés en Libye. Un sujet nécessaire qui rappelle que le trafic d’êtres humains est aussi rendu possible par le manque de coordinations, d’aides et d’intentions à l’échelle internationale.

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Et vous, quel•s livre•s sur l’exil recommandez-vous ?

Information en avant-première : le mois de juin, en lien avec la journée internationale des réfugiés, sera consacré à cette thématique sur le blog.

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❤ « Les ombres » de Zabus et Hippolyte (Dargaud, 2020)

Décidément, j’enchaîne d’excellentes lectures dernièrement. Des ouvrages forts et engagés qui méritent d’être lus par un maximum de personnes à l’heure où l’on regarde l’autre avec méfiance quand on ne le condamne pas d’office.

Quatrième de couverture : « Une fable contemporaine sincère et émouvante qui raconte l’exil et l’émigration sous un angle métaphorique. »

S’il y a une place pour l’imaginaire dans ce roman graphique il reste très réaliste dans les épreuves que doivent affronter les personnes cherchant un ailleurs où survivre.

L’histoire commence dans un bureau. Un homme immense en interroge un autre, plus petit, écrasé par la lumière des néons et le poids des dossiers qui lui font face. Il doit raconter, justifier de sa légitimité. Dire la vérité ou s’arranger avec elle ? Redonner leur place aux fantômes.

Avant tout cela, quelque part dans le monde, des hordes d’hommes avides de ressources et de violence détruisent tout sur leur passage : villages, hommes, femmes, enfants. Il faut partir, passer les frontières et essayer d’atteindre l’autre monde. Cet endroit vers lequel d’autres sont partis avant, cet endroit porteur de promesses qui ne sont peut-être que des mirages. Mais que faire d’autre ?

En suivant un jeune homme et sa petite soeur, les épreuves se succèdent et montrent l’insoutenable : il y a toujours quelqu’un pour te priver de tes droits, de ta dignité et pour te prendre de force ton droit de vivre.

La planète est couverte de tombeaux, qu’ils soient sous le sable, entre les arbres des forêts, au creux des vagues ou entre les murs des administrations. Le roman graphique dépeint des vies mais aussi les conditions d’accueil de l’autre monde, nous amenant à nous inerroger sur les conditions que posent les États quant à l’acceptation du droit d’asile.

Je vous laisse à votre tour rencontrer et suivre les ombres. Publié pour la première fois en 2013 et réédité cette année, ce roman graphique est aussi puissant qu’indispensable.

Je remercie Mo’ du blog Bar à BD pour sa belle chronique qui m’a convaincue d’acheter ce livre et dont je rejoins désormais le plein enthousiasme même si c’est le coeur lourd.

Ils/Elles l’ont aussi lu et chroniqué  : Bar à BDMoka, au milieu des livresLes mercredis jolisLyvresSin CityLa bibliothèque du Dolmen

Et vous, quel roman graphique vous semble être un indispensable ?

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❤ « Rhapsodie en bleu » d’Andrea Serio d’après Silvia Cuttin (Futuropolis, 2020)

Librement adapté du roman (non traduit en français) Ci sarebbe bastato de Silvia Cuttin, ce roman graphique m’a beaucoup impressionnée. Graphiquement irréprochable, sa construction narrative tressant différentes périodes rend l’histoire très émouvante, d’autant plus dans ce contexte historique – italien, européen, mondial – des années de guerre.

Quatrième de couverture : « Trieste, été 1938. Rien, durant cet été tranquille, ne laisse présager le sort dramatique qui attend le jeune Andrea Goldstein. Pourtant, quelques semaines plus tard, la proclamation de lois raciales par le pouvoir fasciste l’obligera à s’exiler aux États-Unis. New York deviendra un lieu sûr pour retrouver une vie normale, ouverte à mille possibilités.

Cependant, lorsque l’écho des horreurs de la guerre en Europe deviendra assourdissant, Andrea – désormais Andrew, citoyen américain – fera un choix difficile mais courageux. »

Difficile de chroniquer ce roman graphique sans risquer de dévoiler certains passages qu’il vous faut découvrir lors de la lecture pour ne pas qu’ils soient gâchés. Je pourrais dire cela de tous les livres, mais je ressens que celui-ci en particulier me demande de prendre des précautions.

Cette histoire trouve son origine dans la mise en place des lois raciales en Italie sous le régime fasciste et de leur impact sur une famille, plus particulièrement par le prisme de la vie d’Andrea Goldstein. Il y a l’avant et l’après déclaration des lois abjectes. Il y a ceux qui restent mais aussi ceux qui partent et pensent à ceux qui sont restés. Il y a le nouveau pays d’accueil, par-delà l’Atlantique et lui-même raciste, et le monde qui s’embrase. Il y a une nouvelle vie à construire ainsi que des choix à faire, pour soi et pour les autres. Et dans toutes ces situations, différents tons de bleus qui expriment chacun une ambiance, une émotion particulière.

Le travail d’illustration et de colorisation est à couper le souffle, chaque page se savoure dans ses nuances et sa précision, c’est absolument superbe. Vous n’aurez pas fini de voir les bleus dans votre quotidien après en avoir tourné la dernière page, comme vous penserez aux hommes et aux femmes forcés de quitter leur foyer.

Je ressors de cette lecture très émue, charmée par le talent d’Andrea Serio et avec une immense envie de pouvoir découvrir le roman de Silvia Cuttin, écrit à partir de son histoire familiale. Je croise donc les doigts pour qu’il soit un jour traduit car je ne peux compter sur mes ridicules aptitudes en langues étrangères.

J’ai conscience de ne pas vous avoir dit grand chose, mais ce roman graphique est l’un de ceux parus cette année à découvrir de toute urgence et/ou à offrir. Et pour faire découvrir Andrea Serio aux plus jeunes (de 6 à 106 ans), cette fois-ci en tant qu’illustrateur d’album, vous pouvez vous diriger vers L’épouse de laque écrit par Anne Jonas.

En savoir plusFeuilleter le livre

Ils/Elles l’ont aussi lu et chroniqué  : L’accro des bullesLa bibliothèque de Noukette

Et vous, quel roman graphique avez-vous envie d’offrir ?

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❤ « Là où vont nos pères » de Shaun Tan (Dargaud, 2007)

Cet album m’a été conseillé à plusieurs reprises et il est possible qu’il vous ait également été chaudement recommandé. Faites confiance à ces conseils : c’est une merveille d’humanité, de narration et d’illustration.

Quatrième de couverture : « Pourquoi tant d’hommes et de femmes sont-ils conduits à tout laisser derrière eux pour partir, seuls, vers un pays mystérieux, un endroit sans famille ni amis, où tout est inconnu et l’avenir incertain ? Cette bande dessinée silencieuse est l’histoire de tous les immigrés, tous les réfugies, tous les exilés, et un hommage à ceux qui ont fait le voyage… »

Une ville occidentale comme beaucoup d’autres, une famille, une ombre qui plane sur eux. Le père fait sa valise et part. Sa destination : un ailleurs inconnu, une ville dans laquelle il va tenter de reconstruire un quotidien, une nouvelle vie.

Sans aucun texte, Shaun Tan nous parle d’exils et d’accueil, de parcours de vies, de rencontres, de rêves perdus et de l’espoir en l’avenir. C’est un véritable tour de force car les mots ne manquent pas, les illustrations sont tellement expressives qu’elles se suffisent à elles-même et que l’ensemble est extrêmement lisible. L’absence de textes me fait même me dire que si cet album est à destination des adultes il pourrait aussi être accessible à des lecteurs•trices plus jeunes. Le propos mélange réalisme, poésie et onirisme pour aborder des situations concrètes vécues par des personnes déracinées : la barière des langues et l’universalité du langage des gestes, les coutumes, l’alimentation, les technologies du quotidien, etc.

Une œuvre absolument remarquable — inspirée de récits de personnes ayant vécu l’exil ou de l’histoire comme celle d’Ellis Island — qui risque de se faire une place dans le cœur des lecteurs•trices durant encore de très nombreuses années. Une lecture qui va me pousser à lire les livres déjà parus de Shaun Tan et à rester attentive aux prochains.

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Ils/Elles l’ont aussi lu et chroniqué : Histoires de livresLes fanas de livresDélivrer des livresMon coin lectureLes Lectures de Mademoizelle NebeL…Sin City


Et vous, quel album sans texte vous a conquis ?

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❤ « Affaires personnelles » d’Agata Tuszyńska (L’Antilope, 2020)

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En mars 1968, une campagne antisémite du gouvernement communiste polonais est lancée, appuyée sur des événements internationaux et pensée suite à des manifestations en Pologne. Le poison se répand dans les hautes instances politiques, dans les milieux de l’éducation, dans l’armée, dans la population. Stigmatisations, harcèlements, surveillances, licenciements, évictions, intimidations, violences.

Quatrième de couverture : « Qui s’en souvient ? En 1968, la Pologne a de nouveau été traversée par une campagne antisémite, cette fois, orchestrée par le pouvoir communiste.

Toute une génération – ou presque –, celle qui a environ vingt ans à ce moment-là, se retrouve obligée de partir, n’emportant que très peu d’affaires personnelles.

Cinquante ans plus tard, Agata Tuszyńska va à la rencontre de celles et de ceux qui ont dû quitter leur pays et se sont exilés à travers le monde. En réunissant d’émouvants témoignages, elle nous fait entrer au cœur de cette génération de Juifs, souvent enfants de la nomenklatura communiste, ignorant pour la plupart leur judéité et le passé de leurs parents. »

Entre 1968 et 1972, plusieurs milliers de personnes quitteront leur pays, leur patrie, abandonnant leur foyer, leurs vies, leur identité pour tout reconstruire dans un ailleurs parce qu’aucune autre option ne paraissait envisageable. Dans ce livre aussi passionnant qu’émouvant, Agata Tuszyńska donne la parole pour aborder différents aspects biographiques de témoins de ces années. Témoins d’un exil mais également d’une histoire familiale difficilement transmise, dont les affaires personnelles sont à la fois ce qu’ils n’ont pu emmener avec eux et ce qu’ils portent en eux.

D’une photographie montrant le départ d’un jeune homme, sur le quai de la gare Gdański de Varsovie, d’autres histoires se mêlent. Des amis d’enfance racontent comment ils ont vécu la Pologne des années 1960 puis l’exil, comment ils ont reconstruit un quotidien, comment ils se souviennent. Car si la mémoire n’est pas toujours exacte, elle témoigne d’une émotion, d’un impact sur la personne, d’une vérité pour l’intime. Beaucoup de la bande sont partis, peu sont restés. Voici la façon dont ils se rappellent une enfance, une adolescence, le point de bascule de mars 1968, ce qui a suivi.

Le texte, découpé en trois grandes parties est un maillage de témoignages qui se répondent. Un dialogue reconstitué comme lors d’une soirée de retrouvailles entre amis. Le commun qui a bouleversé leur vie reste intact : l’antisémitisme et l’exil (le leur ou celui de leurs amis).

De la découverte du judaïsme et de l’histoire récente au cours de leurs jeunes années jusqu’à la transmission d’un patrimoine familial auprès de leurs propres enfants, nés ailleurs, ce sont des parcours de vie différents, avec des similitudes, des complémentarités ou des oppositions qu’Agata Tuszyńska rassemble. Des souvenirs qui nous mènent du rire au larmes, en passant par l’indignation. J’ai été très émue par ce que chaque personne a choisi de partager, car même ce qui pourrait sembler être anodin n’est pas raconté par hasard.

Ils appartenaient à des familles intellectuelles aux idéaux socialistes après la guerre. Les idéaux ont été déçus, anéantis par la réalité. Des familles dans lesquelles le stigmate du passé planait sur le quotidien, sur l’arbre généalogique, sur les traditions, sur la pratique religieuse, sur les langues utilisées par les parents mais pas par les enfants. Le passé comme un secret, le présent comme une menace.

J’ai été particulièrement marquée par cette découverte des secrets familiaux, des blessures impossibles à cicatriser, par l’importance d’entretenir ce que personne ne pourra leur prendre, par la violence du mois de mars 1968, par les conditions de départ ou de non-départ, mais aussi par la douleur de la langue à l’étranger, par la rupture avec la Pologne et, pour certains, le besoin de transmission à la troisième génération, de revenir sur les pas du passé familial.

Riche et dense, passionnant et déchirant, je ne veux pas rentrer plus dans le détail car la plus belle façon de découvrir ce livre et tous les points qu’il explore est de le lire (mais aussi car je pourrais passer des heures à revenir sur chaque point). Sa lecture peut se faire de plusieurs façons : linéaire et en reprenant le parcours de chaque personne. Je ne peux que vous inviter à découvrir ce livre qui appelle à la vigilance et témoigne d’une diaspora oubliée. Un coup de cœur historique et sociologique.

Je tiens à remercier chaleureusement Gilles Rozier et les éditions de l’Antilope pour la confiance qu’ils m’ont accordée.

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Ils/Elles l’ont aussi lu et chroniqué : La viduité


 

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❤ 👁 « L’âge du fer » d’Arja Kajermo, illustré par Susanna Kajermo (Editions do, 2019)

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Ce roman est celui qui m’a fait m’intéresser de très près aux Editions do. J’aime les récits d’enfance car ils sont le berceau de toute une vie, car ils sont aussi souvent emprunts de mélancolie, car ils nous invitent à retrouver un regard parfois perdu. Arja Kajermo m’a beaucoup émue et je n’attends qu’une chose : un autre roman pour lequel je serai au rendez-vous dès le jour de sa sortie.

Quatrième de couverture : « L’Âge du fer est à la fois un conte et un roman du passage à l’âge adulte. Une histoire racontée du point de vue d’une enfant qui a grandi dans la Finlande, puis la Suède, des années 50. L’Âge du fer, parce que la vie dans la ferme familiale est rudimentaire et difficile mais aussi en référence aux éclats d’obus entrés dans les jambes du père. L’Âge du fer, parce que la petite fille pense que ce fer a affecté non seulement les jambes de son père, mais son coeur aussi. Et même celui de toute la famille. Dans L’Âge du fer, l’apparente simplicité du style contraste avec la force d’une histoire qui oblige doucement mais inexorablement à reconnaître, sous le paysage magique et les fables populaires, l’impact psychologique de la pauvreté, de la violence domestique, de la marginalisation et de l’immigration. »

S’il s’agit d’un roman de fiction, l’histoire reprend néanmoins des éléments que l’auteure a connus. La naissance et la petite enfance en Finlande, la vie dans une petite ferme rurale, le départ pour la Suède avec sa famille alors qu’elle n’était pas bien grande. La fiction puise ici clairement dans le réel et ajoute de la force au propos.

Arja Kajermo nous emporte dans un voyage dans le temps, direction la Finlande rurale des années 50, dans une famille qui n’a pas beaucoup de moyens, ne vit pas dans un grand confort et n’a pas non plus un cadre familial rassurant et sécurisant. Mais la petite fille affronte les jours et les difficultés. Sauf que dans la ferme où le confort est rudimentaire, les tensions familiales et économiques auront des conséquences par-delà les frontières, sur les liens qui les unissent. Du jour au lendemain, tout ce que l’enfant aura connu sera bouleversé.

Il est question de conditions sociales, d’ambitions qui nous portent plus loin au risque de perdre ce que l’on a, de la figure d’un père dur et intimidant, de séparations, d’exil, d’intégration alors que les autres vous regardent de biais. La pauvreté est aussi présente que les espoirs et la langue d’Arja Kajermo adoucit les jours et les nuits de la petite au fil des jours, des mois.

Je ne veux pas vous en dire plus pour vous laisser le plaisir de découvrir cette histoire d’enfance qui, personnellement, m’a émue autant qu’elle m’a fait voyager dans le temps et dans l’espace. Une magnifique découverte.

Cette chronique est enfin l’occasion de souligner le plaisir que l’on peut prendre à voir apparaître des illustrations au fil du récit. Je n’ai pu que constater, dans des groupes de discussions littéraires, des remarques violentes et méprisantes à l’encontre de la littérature graphique/illustrée. Ce mépris, je leur laisse. A mes yeux le dessin porte aussi un propos et vient en complémentarité du texte et le travail de Susanna Kajermo le démontre avec talent et sensibilité. La littérature générale mériterait de proposer plus de textes qui proposent cette complémentarité texte-image.

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