« La station Saint-Martin est fermée au public » de Joseph Bialot (Fayard, 2004 ; Libretto, 2013)

Joseph Bialot est né en 1923 à Varsovie dans une famille juive qui quittera la Pologne pour s’installer en France en 1930. Engagé dans la résistance, il sera déporté en 1944 à Auschwitz-Birkenau. Il sera un survivant. Joseph Bialot s’est éteint en 2012.

Quatrième de couverture : « Un homme marche dans Paris. Il a été ramassé quasi mort à la fin de la Seconde Guerre mondiale par des soldats américains sur une route parsemée de cadavres et porte un matricule sur l’avant-bras gauche. S’il a tout oublié de l’enfer traversé, il ne sait plus non plus ce que fut sa vie d’avant la déportation. A-t-il une famille ? Des enfants ? Un métier ? Doté par défaut d’un prénom de hasard, il réapprend à vivre dans une capitale française qui, comme lui, veut panser ses plaies. Bribes et souvenirs lui reviennent au fur et à mesure de ses déambulations et des quartiers traversés. Un nom frappe sa mémoire : celui d’une station de métro. Son passé est là, tout près, il le sent. Pourra-t-il enfin renouer les fils d’une mémoire occultée ? »

Auteur de romans policiers, il est également connu pour son texte autobiographique C’est en hiver que les jours rallongent (paru en 2002) qui revient sur sa déportation. Le roman dont je vous parle aujourd’hui a paru en 2004 et, s’il s’agit d’une fiction, il est évidemment nourri de l’expérience personnelle de l’auteur.

Des Jeep avancent sur des routes de l’Est. Des routes couvertes de linges étranges. Des hommes. Parmi eux se trouve un vivant.

Ne se souvenant de rien, l’homme baptisé Alex va devoir réaliser un travail intense pour se retrouver. Les souvenirs qui ressurgissent lors de séances médicalement encadrées sont ceux du camp, à travers eux le lecteur découvre également ce qui a été.

La construction narrative donne un sentiment de porosité entre la fiction et le témoignage. Nous souhaitons infiniment qu’Alex retrouve son histoire – et, espérons, sa famille -, nous devons parcourir le vide et le remplir avec lui, affronter ce que sa conscience a voulu effacer.

A partir de la quête d’un homme, Joseph Bialot montre également une France d’après-guerre nuancée qu’il est très intéressant de souligner. Celle qui cherche les absents, celle qui découvre ce qui a été, celle qui a encore son lot d’antisémites.

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❤ « Charlotte » de David Foenkinos (Gallimard, 2014)

J’ai découvert ce roman il y a plusieurs années. J’en étais intégralement tombée sous le charme. Il y a peu, j’ai vu qu’il existait une version de ce texte au format beau livre, illustré d’une sélection d’œuvres de Charlotte Salomon. Comment résister ? Pourquoi hésiter ?

Quatrième de couverture : « Le roman de David Foenkinos retrace la vie de Charlotte Salomon, artiste peintre morte à vingt-six ans alors qu’elle était enceinte. Après une enfance à Berlin, Charlotte est exclue par les nazis de toutes les sphères de la société allemande. Elle vit une passion amoureuse fondatrice, avant de devoir tout quitter pour se réfugier en France. Elle y entreprend la composition d’une œuvre picturale autobiographique d’une modernité fascinante. Se sachant en danger, elle confie ses dessins à son médecin en lui disant : C’est toute ma vie.

Ce roman a connu un succès considérable depuis sa publication en septembre 2014 et a obtenu deux prestigieux prix littéraires, le prix Renaudot et le prix Goncourt des lycéens.

De nombreux lecteurs ont demandé à l’auteur de montrer les œuvres peintes de Charlotte, quelques-unes des centaines de gouaches qu’elle a laissées et dont l’ensemble, intitulé Vie? ou Théâtre? raconte son histoire.

Cette édition intégrale illustrée du roman est accompagnée de cinquante gouaches de Charlotte Salomon choisies par David Foenkinos, et d’une dizaine de photographies représentant Charlotte et ses proches. »

De ce roman, devenu un classique contemporain, j’ai entendu du bien et du moins bien. J’en avais un très bon souvenir mais cette belle édition s’est présentée à moi comme l’occasion de remettre en jeu mon premier avis.

Je me souviens que cette lecture m’avait marquée par son sujet – un roman biographique extrêmement fort – mais aussi par sa forme. Il s’agissait du premier roman en vers libres que je découvrais et j’avais beaucoup apprécié. Cette forme donne un rythme, une musique, en même temps qu’il met en avant des hésitations, des doutes, des cassures.

Je suis ressortie de cette seconde lecture émue et à nouveau conquise, trouvant que dérouler la vie de Charlotte avec ses œuvres en regard du texte est un vrai plus, apporte une réelle force page après page. Même si je ne suis pas amatrice du style pictural de l’artiste, j’ai été sensible au sentiment d’urgence dont ses œuvres sont particulièrement empruntes.

Charlotte Salomon est allemande. Sa famille est frappée d’une sorte de malédiction : la dépression et/ou la folie qui mènent toutes deux à de nombreux suicides. Puis, dans les années 1930 et 1940 en Allemagne, le danger est autre. Car Charlotte et sa famille sont juifs. Dès le début de la lecture nous savons qu’elle ne survivra pas à la haine, qu’elle sera déportée et assassinée. Entre sa naissance et sa mort prématurée, à 26 ans, une vie se déploie : avec ses passions, son art, ses doutes, ses blessures, ses chutes, ses forces, ses renaissances. C’est une femme complexe, confrontée à la perte dès son jeune âge, dont le parcours me bouleverse.

L’une des critiques qui revient régulièrement à l’encontre de ce roman est la place que prend David Foenkinos dans l’histoire. Il s’invite de temps en temps pour évoquer l’avancée de ses recherches, partager des anecdotes ou insister sur l’impact qu’a eu Charlotte sur lui. C’est quelque chose qui a dérangé certaines lectrices, trouvant qu’il venait prendre de la place là où ce n’était pas nécessaire au lieu de laisser l’espace à Charlotte. Une sorte d’abus de présence masculine, si je résume grossièrement. C’est notamment cette critique assez ferme qui m’a invitée à la relecture : aurais-je été légère dans mon féminisme à la première lecture ?

Je ne trouve pas. Je ne suis pas d’accord avec cette critique et je ne vois pas où est le problème dans ces quelques moments de rupture qui permettent à l’auteur d’exprimer son admiration et son émotion dans sa quête de Charlotte mais aussi son enthousiasme à nous la faire connaître. Si je devais avoir un parcours similaire concernant un•e artiste que j’admire, je serais sûrement tentée de faire le même genre d’apartés qui rappellent aussi une réalité : dans la mémoire – ou l’oubli – des lieux, dans la difficulté de trouver des traces et des archives, dans la joie quand l’ombre d’une réponse se profile. Je crois que réduire ce texte à une problématique sexiste c’est se tromper de combat et annihiler son message, ce qui me paraît assez dommage.

Je vais donc conclure sur mon coup de coeur qui se déclare pour la seconde fois : ce roman est à la fois beau, passionné, dramatique et révoltant. Un hommage réussi dont on sent l’importance pour David Foenkinos.

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« L’aiguilleur » de Bertrand Schmid (Inculte, 2021) • Rentrée littéraire

Poursuivons ensemble le chemin des déceptions de cette rentrée littéraire avec le second roman de Bertrand Schmid. Promis, des chroniques plus enthousiastes arrivent. Si j’ai beaucoup aimé le fond de ce récit, son contexte et le personnage principal qu’est Vassili, j’ai été refroidie par sa forme.

Quatrième de couverture : « Au fond de la forêt où il vit, le vieux Vassili n’entend plus le fracas des villes. Les délires de grandeur de la nation se perdent dans les bois avant de l’atteindre. Seul un portrait de Staline, accroché au mur de sa cabane, témoigne de l’omniprésence du régime. Qu’il neige ou qu’il vente, l’aiguilleur solitaire doit entretenir une portion de voie, même si les rails semblent ne mener que dans un grand nulle part…

Mais un jour, un train passe, laissant derrière lui une pluie de petits messages. En cherchant à les décrypter, Vassili va être rattrapé par les fantômes du passé et s’aventurer dans un territoire dangereux, celui des amours défuntes et des condamnés à l’exil.

Récit d’un exil au fond de soi, L’Aiguilleur dépeint la lente métamorphose d’un monde sombrant dans le silence et la nuit. Sensible aux moindres détails, aux plus subtiles nuances, l’écriture de Schmid nous plonge dans les derniers jours d’un solitaire et parvient à faire de Vassili un personnage de légende, digne des grands romans russes. »

Vassili est à l’automne de sa vie. Celle-ci a été consacrée au respect des directives du Parti, dans les espaces silencieux et sans pitié de la Sibérie. Et justement, l’hiver s’installe dans cette région dans laquelle le moindre faux pas peut s’avérer fatal.

Entre taches du quotidien et souvenirs volontairement refoulés, des lettres vont venir perturber la vie graissée, huilée, quasi conformée de Vassili. Des lettres échappées de trains qui réveillent ces années lointaines au cours desquelles il avait appris à lire ainsi qu’à aimer. Leurs phrases attendent d’être déchiffrées, pleines d’espoir d’être portées à leur destinataire maintenu dans l’insupportable silence. Mais si elles réveillaient plutôt, malgré elles, des feux, dont ceux du refus, de la recherche de l’être aimé, des trains transportant les opposants politiques ?

Vraiment, sur le fond j’ai été séduite. J’ai été surprise par certains rebondissements et émue par le caractère et l’histoire de Vassili. C’est un personnage qui impressionne par son combat entre soumission et insoumission dans un pays dont les dirigeants ne tolèrent pas l’opposition et savent la contraindre, aidés de membres attentifs dispersés dans tous les territoires.

Ce qui m’a laissée en retrait fut la langue de Bertrand Schmid, sa recherche permanente d’effets qui, pour moi, fonctionne un temps mais pas sur la durée. Par exemple, personne ne me transperce plus que Hubert Mingarelli, dont l’écriture s’ancrait dans la – difficile – recherche de simplicité. Autant dire qu’ici c’est une toute autre école en termes de stylistique. J’ai parfois eu le sentiment de crouler sous les formules, sous une quantité de phrases modelées qui perdaient en naturel. Alors que la nature hivernale et sa rudesse sont le décor du roman, que le vide et la solitude sont presque des personnages à part entière, j’aurais préféré une écriture plus épurée, élaguée, ne donnant d’elle que l’essentiel – ce qui n’empêche pas la poésie.

Je retiendrai de cette lecture un beau personnage complexe et réaliste, des espaces intimant à l’homme une humilité permanente et infiniment violents pour les personnes qui y furent exilées de force. Cependant, je ne pense pas me laisser tenter à l’avenir par un autre roman de Bertrand Schmid, nos sensibilités de style ne me paraissant pas vraiment s’accorder.

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Et vous, quel•s roman•s se déroulant en Sibérie conseillez-vous ?

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« Mon père couleur de nuit » de Carl Friedman (Folio Gallimard, 2003)

Ce roman avait, jusqu’à présent, échappé à mon radar et pourtant il est recommandé en lecture scolaire, édité également dans la collection Étonnant classiques chez Flammarion. Positionné du point de vue d’une enfant, et vous savez probablement que j’ai un faible pour ce procédé narratif, je n’ai pu résister et je vous le conseille dès à présent.

Quatrième de couverture : « Le père d’Hannah est un survivant des camps de concentration. Il fait partager chaque jour à sa famille sa souffrance et les atrocités qu’il a vécues : les baraquements, la faim, les tortures, les maladies, le travail forcé… Peu à peu, cet univers de mort et de douleur s’empare de la vie de la jeune Hannah qui tente de dire l’indicible avec ses mots d’enfant, légers comme des bulles.

Hannah parviendra-t-elle à arracher son père à la nuit de ses souvenirs ? La tendresse et l’innocence pourront-elles le sauver de la barbarie et le ramener à la vie ?

Un roman d’une force étonnante. »

Publié à la fois chez Gallimard, pour un public adulte, et chez Flammarion, pour une lecture en classe de 3ème, je pense qu’il est effectivement adapté à une lecture à partir de 15 ans. Si certains chapitres peuvent peut-être se lire avant cet âge, la plupart demandent une certaine matûrité ainsi que des connaissances sur la Seconde Guerre mondiale, la déportation et les camps. Mais l’une de ses forces se situe dans le fait que sans avoir des connaissances exhaustives il replace des moments, des situations marquantes qui témoignent de la vie dans les camps. Une œuvre littéraire qui se positionne très bien comme outil pédagogique mais aussi comme roman de sensibilisation et de mémoire pour les publics qui ne sont plus sur les bancs de l’école. Et ça, c’est déjà un point très positif !

Une enfant nous parle de son père, Jochel, qui a le camp. Avec ses deux frères et sa mère, elle reçoit au quotidien le témoignage d’un père qui a connu la déportation et dont les souvenirs débordent, ont besoin d’être exprimés. Si les enfants comprennent plus de choses qu’on ne peut le penser, comment comprendre ce qui est parfois indicible ? La beauté de ce texte réside dans ce qu’il transmet au lecteur et dans l’imagination des enfants à tordre le sens en essayant de se représenter ce qu’ils n’arrivent pas à saisir (et à ne rien oublier pour, un jour, comprendre complètement en remettant toutes les pièces du puzzle à leur place).

Positionné dans les années 60 (le procès Eichmann se déroule au cours du récit), après des années de silence sur la Shoah dans les sociétés européennes, la parole se libère au sein du foyer familial, quand il est possible de dire.

Chaque chapitre se concentre sur un moment de vie quotidienne au cours duquel Jochel va se livrer à sa famille. Deux à trois pages maximum à chaque fois, pour un ensemble de souvenirs qui relate à la fois la vie d’un père et la vie de la famille qui se construit, dans un passé-présent, car il n’est pas toujours facile pour les enfants de faire face aux souvenirs qui leur sont confiés.

En liant les souvenirs traumatiques d’un père et l’innocence de sa fille, Carl Friedman mêle le poids de l’histoire qui ne doit être oubliée et l’espoir dans les futures générations. Elle nous parle aussi de la responsabilité de chacun à être gardien de la mémoire : familiale mais aussi de l’humanité.

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Et vous, connaissiez-vous ce livre ?

 

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❤ « Les neiges bleues » de Piotr Bednarski (Le Livre de Poche, 2008)

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Quelle émotion à la lecture de ce récit autobiographique ! Piotr Bednarski nous emmène dans sa mémoire, dans son enfance, il retrouve ce regard plein d’espoir et en même temps sans ignorance de la réalité. Une lecture qui touche au cœur et qui interroge le mal qui ronge l’humanité.

Quatrième de couverture : « Au cœur du système répressif soviétique des années 1940, dans l’antichambre du goulag, quelque part en Sibérie, un petit garçon de huit ans tente de conserver cette joie de vivre propre à l’enfance. Malgré les morts, les disparitions, les emprisonnements, le jeune Petia, condamné à devenir adulte avant d’avoir dix ans, va survivre grâce à la foi, mais surtout grâce à la poésie. Un récit autobiographique bouleversant. »

Le père de l’auteur est considéré comme ennemi du système soviétique en tant que militaire polonais, il est là-bas, un peu plus loin, au goulag. Le reste de la famille est considérée comme une sous-population, elle n’a plus de droit et doit rester dans un village de Sibérie sous la surveillance de membres du Parti. Un pas de travers, un mot de travers et c’est la menace du goulag qui se pose sur eux. Et, bien sûr, le froid et la faim qui mordent et tiraillent au quotidien dans cette région où les conditions de vie sont extrêmes.

Dans ce contexte, le jeune Petia va nous parler du quotidien. Chaque chapitre concerne un souvenir et les chapitre créent un maillage de cette période de sa vie, avec ses petites chances et ses grands malheurs. Il nous parle de sa mère, dont la grande beauté sera à la fois sa protection et sa condamnation, de son père, ce fantôme fier et source de fierté, de ses amis, des hommes au grand coeur qui sont passés dans sa vie, de sa grand-mère perdue sur la route puis retrouvée, mais tout le temps, dans chaque chapitre, de l’influence et de l’impact des membres du Parti qui assombrissent les instants, qui menacent au nom de Staline comme au nom de leur intérêt personnel.

Cette autobiographie est aussi emprunte de foi, cette foi transmise par sa mère et qui donnera du courage au jeune garçon et à ses amis. Cette foi comme une lumière dans l’obscurité, qui bénit les opprimés et qui parle au cœur du lecteur qu’il soit croyant ou non car elle est portée dans ce qu’elle a de plus humain : l’amour des autres.

Une magnifique découverte emprunte d’un immense goût de vivre, parfois un peu humide de larmes, mais qui gonfle notre humanité. J’ai déjà la suite dans ma bibliothèque, Un goût de sel, qui sera lu sans tarder.

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Ils/Elles l’ont aussi lu et chroniqué : Des livres et des films


 

Et vous, quel témoignage ou roman sur la déportation en Sibérie recommanderiez-vous ?

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❤ 👁 « Comment j’ai rencontré les poissons » d’Ota Pavel (Editions do, 2016)

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Cette chronique est le résultat d’un voyage aussi doux qu’intense, au bord des rivières tchèques et en compagnie d’un enfant attachant. Cela faisait longtemps que je devais m’y engager et, à peine fini, j’ai commencé à faire la liste des personnes à qui j’ai envie de l’offrir. C’est un livre comme ça, que l’on aime et que l’on veut faire découvrir.

Quatrième de couverture : « Les poignantes histoires de ce livre, classique de la littérature tchèque, composent la tendre chronique d’un homme qui se souvient de son père, géant captivant et charmeur aux yeux de l’enfant qu’il était. En apparence elles reconstituent la vie de sa famille, avec en arrière-plan l’histoire de l’Europe centrale au XXe siècle, mais elles sont en réalité beaucoup plus que cela : ce sont des méditations sur la vie et la survie, la mort et la mémoire, l’humour, la justice et la compassion. »

Le petit Otto Popper (nom de naissance de l’auteur) nous parle de son enfance dans la région de Prague avec une langue qui rappelle la force de l’instant et avec un ton parfois espiègle. En quelques mots, ce livre est une superbe évocation de l’enfance, de l’admiration d’un garçon pour son père, de l’amour des poissons, de l’impact de la guerre et de l’antisémitisme sur une famille qui traverse le XXe siècle. Mais le talent de l’auteur c’est de nous parler de fragments de mémoire qui l’ont marqués en nous émouvant autant qu’en nous faisant rire.

J’ai eu un immense attachement pour ce narrateur, à la fois enfant et adulte, qui nous parle de son père, personne au caractère exhalté et vendeur hors-pair qu’il admire énormément, de sa mère et de sa patience infinie, de son oncle Prosek, grand tendre réfugié derrière une attitude distante, du peintre Nechleba et d’autres encore. Car ce récit kaléidoscopique nous fait croiser le chemin de personnes qui ont marqué Ota Pavel et ils nous marquent à notre tour.

Ces rencontres se produisent souvent en lien avec la pêche. On nous parle des rivières, des différents poissons qui la peuplent, des rêves de pêches miraculeuses, du courant et des pluies, des déceptions et des victoires. Ces moments ont suivi l’auteur à chaque étape de sa vie – et l’enfance est riche en étapes. Ils ont été des moments de partage avec le père, des blessures mais aussi des opportunités de survie.

Ota Pavel a été un journaliste sportif reconnu mais va peu à peu développer des symptomes dépressifs et paranoïaques. L’écriture lui a été vivement conseillée pour améliorer son état, alors qu’il était en hôpital psychiatrique. La beauté qui ressort de ce texte traduit une immense sensibilité. Pour citer le préfacier, Mariusz Szczygiel : « Seul un grand dépressif pouvait écrire le livre le plus antidépressif du monde. » Après cela, comment ne pas se plonger dans la lecture ?

Ce roman est sorti en poche dans la collection Folio chez Gallimard début mars. Vous avez donc le choix entre les deux formats si vous voulez vous faire plaisir ou l’offrir.

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Ils/Elles l’ont aussi lu et chroniqué : Les liseusesAux vents des mots


 

Et vous, allez-vous rejoindre la rivière et son flot de souvenirs ?

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« Primo Levi : non à l’oubli » de Daniele Aristarco et Stéphanie Vailati (Actes Sud junior, 2019)

Pour l’anniversaire des 100 ans de la naissance de Primo Levi (31 juillet), il y a des chances que plusieurs livres soient chroniqués sur le blog cette année. Cette parution ne pouvait que trouver sa place dans ma bibliothèque, non seulement pour son sujet mais aussi pour sa collection Ceux qui ont dit non, que j’apprécie beaucoup.


Quatrième de couverture : « Dans les années 1980, au moment où certains nient l’extermination des Juifs dans les chambres à gaz, Primo Levi rencontre Vittorio, 11 ans. Le jeune garçon en veut terriblement à son grand-père de refuser de raconter son passé. Primo Levi décide de l’aider à exhumer le secret ainsi enfoui. Quarante ans après avoir témoigné de son expérience concentrationnaire, il comprend qu’il n’en a pas encore fini avec le récit de la Shoah. Lui qui fut déporté à Auschwitz à 24 ans, et écrivit le témoignage le plus implacable sur l’horreur concentrationnaire sait que la mémoire doit plus que jamais être entretenue. Il s’y engage corps et âme. »


Voilà un récit de fiction qui nous invite à suivre Primo Levi qui va apprendre à connaître un garçon, Vittorio. Ce dernier a beaucoup de questions suite à la lecture de son livre Si c’est un homme. Des questions, pas forcément sur l’histoire du survivant mais plutôt sur ce que son grand-père – qui refuse de parler – a bien pu faire pendant la guerre.

Nous sommes en 1983, Klaus Barbie est emprisonné à Lyon, les pensées attribuées à Primo Levi sont alors : ils sont encore parmi nous, la justice doit encore être rendue et il ne faut jamais oublier. Va alors commencer un travail entre l’homme et le garçon pour trouver des indices dans un premier temps, puis pour faire parler le grand-père.

Ce roman nous emmène sur les chemins de la mémoire, de la justice et de la transmission pour que l’oubli ne s’installe jamais parmi les hommes. La personnalité de Primo Levi demande de ne jamais oublier les victimes de la Shoah, les auteurs rappellent également en fin d’ouvrage d’autres personnalités qui ont également refusé l’oubli : Serge et Beate Klarsfeld (auxquels je souhaite personnellement associer Ita-Rosa Halaunbrenner et Fortunée Benguigui dans le cas de la traque de Klaus Barbie), les mères de la place de Mai, Ceija Stojka, Jean Hatzfeld et tous les témoins directs d’expériences traumatiques.

Même si le livre rappelle des faits difficiles, il reste abordable par de jeunes lecteurs à partir de 12 ans. Les auteurs ont réussi à rendre vivant et parfois léger ce récit, notamment grâce au personnage de Vittorio qui séduit par son culot et son besoin de savoir.

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Ils/Elles l’ont aussi lu et chroniqué : Pas de chronique trouvée pour le moment.


 

Et vous, est-ce une collection pour la jeunesse qui vous intéresse ?

« Haïkus de Sibérie » de Jurga Vilé et Lina Itagaki (Sarbacane, 2019)

L’histoire de la Lituanie, voilà un sacré programme ! En 1940-1941 s’organise une reconquête territoriale par l’URSS, dont le contre-pied est une lutte pour l’indépendance des lituaniens, ces deux positionnements étant surplombés par l’appétit nazi. Un pays, deux appétits de conquête et d’expansion. En 1940, l’URSS croit encore pouvoir récupérer ces terres perdues suite à la Première Guerre mondiale. La Lituanie est devenue indépendante, il faut donc la reprendre et la soviétiser. Après plusieurs ultimatums adressés à la présidence lituanienne, l’URSS prend le contrôle du pays et va déporter plusieurs milliers de personnes dans des camps, notamment en Sibérie. L’objectif ? Épurer la population de tous ses éléments qui viendraient déranger la soviétisation en cours. C’est ce voyage auquel va survivre Algis, déporté avec sa famille en 1941.


Quatrième de couverture : « Un roman graphique mêlant narration, collages et haïkus : incroyablement dépaysant !

La vie est belle. Lituanie, 1941. Algis est encore un enfant quand il est déporté dans un camp sibérien. Il raconte son quotidien où l’on croise le fantôme de son jars domestique, une chorale, des Russes impitoyables, et même des soldats japonais ! Avec son regard pur comme l’azur et sa fantaisie d’enfant, Algis nous fait rire, nous surprend et nous émeut. »


Je dois dire que j’ai été très émue par les traits, par la délicatesse apportée à la fois aux textes et aux images, par la technique de collage qui apporte une sorte d’authenticité à l’ensemble. J’aime ce côté trésors rassemblés, que l’on pouvait également découvrir avec force dans le roman graphique de Nora Krug, Heimat.

Un autre point fort de ce livre est sa narration par Algis, jeune garçon, qui va interpréter le quotidien avec l’espoir inépuisable et l’imagination libératrice de l’enfance. Les conditions de détention sont extrêmement difficiles, indignes, inhumaines. La maladie s’invite avec le froid, l’humidité et la malnutrition. L’épuisement est encore alourdi par l’absence d’humanité et de compassion des gardes. Mais, malgré tout cela, Algis va réussir à puiser en lui-même pour ne pas perdre pied.

Ce voyage en terres de glaces et de mémoires oubliées est porté par les deux auteures pour raviver avec force l’histoire. Une histoire dans laquelle des familles entières ont été envoyées à l’extrémité du monde, dans laquelle l’humanité a essayé de résister. Et ici, la résistance passe par l’imagination, le chant, le fait d’être ensemble et de se tenir les uns les autres, l’amour, mais aussi les messages imaginaires envoyés en Lituanie par le fantôme d’un jars assassiné. Des pensées, des souvenirs, des mots qui forment, au fil des pages et par-dessus les murs, des Haïkus de Sibérie. Qui reviendra (et quand) de cette région où vivre, en l’occurrence, se résume à survivre ?

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Ils/Elles l’ont aussi lu et chroniqué : Les lectures d’Antigone


 

Et vous, quel livre sur la Lituanie conseilleriez-vous ?

« Le requiem de Terezin » de Josef Bor (Le Sonneur, 2019)

Cette réédition était l’une des parutions de janvier que j’attendais le plus. Elle vient à la fois marquer le quarantième anniversaire du décès de son auteur mais aussi souligner sa place dans le catalogue des Éditions du Sonneur, comme livre fondateur de la maison (édité pour la première fois en 2007).


Quatrième de couverture : « Schächter se souvint de l’instant précis qui l’avait amené à commencer l’étude de cette œuvre. Prouver l’imposture, l’aberration des notions de sang pur ou impur, de race supérieure ou inférieure, démontrer cela précisément dans un camp juif par le moyen de la musique.

Au cœur de la ville tchèque de Terezin, transformée par les nazis en ghetto et en camp de concentration, le chef d’orchestre et pianiste Raphaël Schächter ose un pari fou : faire jouer le Requiem de Verdi par les détenus. Pour lui comme pour ses compagnons, il s’agit de prouver aux Allemands que des Juifs sont capables de donner de cette messe catholique une interprétation sans pareille. Mais où trouver les instruments quand on manque de tout ? Et comment composer un chœur de plus de cent chanteurs en dépit des convois et des exécutions ?

Le Requiem de Terezin est le récit de ce combat remarquable et vrai, de ces longs mois d’efforts et de répétitions, véritable acte de résistance à la barbarie. »


Ce que je retiens dans un premier temps de ce récit c’est le rythme qui fait appel à la musicalité. Nous sommes confrontés à des événements qui montrent la détermination, l’effusion d’émotions positives, puis le drame, la difficulté, laissant place à la stupeur avant de repartir avec détermination. Tout se compose autour de la représentation du requiem de Verdi, donc tout se compose de musique. Nous avons le sentiment de nous représenter deux requiems à la fois : celui de Verdi (pour lequel des libertés ont été prises, prévient l’éditeur, personnellement je n’ai rien remarqué tellement je suis une bille) et celui de Terezin.

Car ce qui frappe c’est la force mise par chacun dans ce requiem, qui devient une motivation pour tenir, pour montrer aux bourreaux qu’ils peuvent faire du beau et du beau qui, sur le papier idéologique nazi, n’est pas de leur catégorie de sous-hommes. Mener à bien ce projet et réussir une représentation ce serait un pied-de-nez qui leur redonnerait l’honneur et la dignité perdus dans ce camp modèle voulu par l’occupant.

C’est dans ce contexte que Raphaël Schächter va tout faire pour que le requiem soit joué, certes, mais parfaitement bien. Nous le suivons en nous demandant parfois s’il ne va pas y laisser sa santé (mais quoi qu’il en soit Terezin finirait par la lui prendre) et nous commençons peu à peu à y croire avec lui. Si les trains n’étaient pas si nombreux, si les convois n’étaient pas si fréquents.

Ce livre nous propose un combat de tous les instants, une lutte acharnée pour obtenir un peu de liberté par l’art et ses bienfaits, pour s’accrocher chaque jour un peu plus, pour une dignité arrachée et piétinée. Terezin a été l’un des camps dans lequel la création musicale fut notable, mais elle fut aussi bien vecteur de résistance personnelle que destructrice à son tour. Quand le loup a faim, il trouve toujours une raison de croquer.

Une lecture très intéressante par sa mise en perspective historique, par la passion exprimée au fil des pages et par l’humanité qui se dégage de l’ensemble dirigé par Raphaël Schächter, accompagné de Josef Bor dans les coulisses.

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Ils/Elles l’ont aussi lu et chroniqué : Et si on bouquinait un peu ?


 

Et vous, quel récit historique vous a marqué en ce début d’année ?

« La plus précieuse des marchandises » de Jean-Claude Grumberg (Seuil, 2019)

J’avais infiniment hâte de découvrir ce livre ! Un récit écrit sur la Shoah avec un angle d’approche très particulier, rédigé sur le modèle littéraire du conte, de quoi fortement éveiller ma curiosité ! Un texte qui se présente comme de la fiction mais qui porte en lui des blessures bien réelles.


Quatrième de couverture : « Il était une fois, dans un grand bois, une pauvre bûcheronne et un pauvre bûcheron. Non non non non, rassurez-vous, ce n’est pas Le Petit Poucet ! Pas du tout. Moi-même, tout comme vous, je déteste cette histoire ridicule. Où et quand a-t-on vu des parents abandonner leurs enfants faute de pouvoir les nourrir ? Allons…

Dans ce grand bois donc, régnaient grande faim et grand froid. Surtout en hiver. En été une chaleur accablante s’abattait sur ce bois et chassait le grand froid. La faim, elle, par contre, était constante, surtout en ces temps où sévissait, autour de ce bois, la guerre mondiale.

La guerre mondiale, oui oui oui oui oui. »


Ce conte se passe dans un pays qui n’est pas nommé mais où pauvre bûcheronne et pauvre bûcheron vivent, reculés dans la campagne, non loin d’un nouveau chemin de fer sur lequel des trains passent en laissant tomber de précieux morceaux de papier griffonnés. Ces papiers, pauvre bûcheronne les conserve bien que ne sachant pas lire. Ce sont des dons des dieux du train.

Un jour, le train lui dépose un enfant, elle qui rêve d’être mère par-dessus tout. Ce qu’elle ignore, c’est que cet enfant se retrouve entre ses bras fébriles car un homme a dû faire le choix de l’enlever du sein de sa mère pour soit lui offrir une chance de survie, soit donner celle-ci à son jumeau resté dans le wagon. D’un bonheur plein et naïf pour pauvre bûcheronne, le miroir est un malheur sans nom, la déchirure dans la chair et l’âme pour l’homme dans le wagon et sa femme.

L’enfant, petit paquet, est une fille, petite marchandise. Le conte se concentre à montrer les discriminations et le cœur noir des hommes face à l’enfant juste née. Un ennemi ? Sur quels critères et par quels principes monstrueux ? Si certains cœurs finissent pas comprendre et voir au-delà du venin de la propagande, tous ne peuvent s’en vanter. Pauvre bûcheronne, elle, connait sa mission : tout faire pour sauver l’enfant. Mais, la famille de la petite reviendra-t-elle un jour ? Le miroir reflète aussi le côté sombre du conte.

La conclusion nous laisse pensifs et nous confronte tantôt à la négation tantôt à la réalité. En cette époque où le complot et le révisionnisme font rage, à nous de savoir regarder et juger l’information. Il aurait mieux valu que ce soit inventé, cependant la réalité dépasse parfois les horreurs permises par la fiction. Les traces et les preuves sont là pour ne pas déformer ni oublier.

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Et vous, quel livre de Jean-Claude Grumberg conseilleriez-vous ?

❤ « Le fabricant de poupées de Cracovie » de R. M. Romero (Gallimard jeunesse, 2018)

J’ai dévoré ce livre après être revenue de trois jours à Oświęcim, au musée d’Auschwitz-Birkenau et d’une petite demie-journée à Cracovie (en particulier dans le quartier de Kazimierz). Autant dire que le récit, né du même voyage de l’auteure, a trouvé en moi beaucoup d’écho.


Quatrième de couverture : « Pologne, 1939. Un soir, une poupée du nom de Karolina prend vie dans l’atelier de Cyryl, le fabricant de jouets. La joie et le courage de la petite poupée enchantent le quotidien de l’homme solitaire. Karolina lui apprend que le monde des poupées d’où elle vient est en guerre, tout comme celui des hommes. En ces temps sombres et tourmentés, la magie de Karolina et de Cyryl suffira-t-elle à protéger ceux qu’ils aiment ? » Feuilleter les premières pages


Je pense que ce livre jeunesse est celui que j’ai préféré cette année sur le sujet de la Shoah. Il y a eu plusieurs parutions d’éditeurs de qualité mais celui-ci remporte ma préférence haut la main.

Karolina vit au pays de poupées et c’est la guerre, les rats sont là. Un jour, elle est appelée par un fabricant de jouets de Cracovie, Cyryl Brzezick, malgré lui, au pays des humains. Il est magicien sans le savoir et il porte avec lui les stigmates de la Première Guerre mondiale. Alors que le nazisme déferle sur l’Europe et qu’il prend possession de territoires de l’Est, les deux personnages vont construire une grande amitié qui leur donnera la force d’affronter de nombreuses épreuves. De leur rencontre avec la famille Trzmiel jusqu’au dernier voyage, c’est une histoire de courage et de sauvetage à tout prix qui nous est donnée à lire.

Le récit montre l’invasion de la Pologne par l’Allemagne nazie, avec l’antisémitisme, la collaboration, la passivité mais aussi la résistance civile… Il  montre la force de l’engagement pour aider quoi qu’il en coûte, de la résistance face à l’oppression, de l’amitié et du cœur. Aider, avec chacun les moyens que la vie nous a donnés et ne pas laisser faire. A l’inverse d’autres romans, celui-ci va au bout de l’explication du système génocidaire nazi tout en gardant un positionnement adapté aux lecteurs adolescents avec des appels à la littérature fantastique. Un coup de cœur !

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Et vous, quel a été le roman jeunesse qui vous a le plus convaincu ?

« De longues nuits d’été » d’Aharon Appelfeld (L’École des loisirs, 2017)

J’ai commencé dans l’année un livre d’Aharon Appelfeld sans l’avoir fini. *Honte* J’ai choisi de retenter l’expérience avec celui-ci adressé à la jeunesse. Une ode à la liberté en même temps qu’un regard particulier sur la fuite et la protection d’un enfant en temps de guerre.


Quatrième de couverture : « Grand-père Sergueï, un ancien soldat, devenu aujourd’hui un vieil homme aveugle et Janek, un garçon juif placé sous sa protection, effectuent un long voyage. En toile de fond, la Seconde Guerre mondiale fait rage, les deux compagnons vont de village en village pour mendier et luttent pour leur survie. Les épreuves rencontrées prennent une dimension mythologique et Yanek ne trouve son destin qu’à l’issue de cette migration. »


Yanek a été confié à Sergueï par son père, pour le protéger dans une Ukraine où la chasse aux Juifs fait rage. D’ailleurs, Yanek, ce n’est pas son vrai nom. Son nom à lui est celui de son grand-père, un homme juste et qui inspirait le respect dans son village et au-delà, un homme que Sergeï a bien connu.

L’homme est un vagabond depuis que l’entreprise de la famille de Yanek a fait faillite. Cette entreprise qui continuait à employer Sergueï malgré ses yeux qui ne voulaient plus voir. C’est un lien fort qui uni l’homme à l’enfant, par devoir envers des gens qui ont été bons avec lui, envers l’enfance qui doit être protégée.

Yanek va ainsi accompagner durant plusieurs mois Sergueï, de village en village. L’enfant devient les yeux de l’homme, l’homme se fait l’enseignant de l’enfant. Sergueï, ancien soldat respecté dont le nom ne laisse pas indifférent quand il est prononcé, va apprendre à Yanek à se renforcer, à faire face à l’adversité, à se défendre et à défendre ceux qui en ont besoin, et à voir le monde avec chaque jour des yeux différents. Un lien immensément fort les uni et ce périple va être pour le jeune garçon de onze ans, qui a dû oublier qu’il il était, un véritable parcours initiatique.

Malgré l’affection qu’ils ont l’un pour l’autre, Yanek attend de pouvoir retrouver ses parents. Il a entendu parler des camps. Plus les sons des canons soviétiques approchent, plus il espère les revoir. Ce livre, dont l’errance est inspirée de la propre histoire d’Aharon Appelfeld, est l’histoire d’un enfant forcé de ne plus en être un qui devra aller de l’avant, regarder plus loin que le bout du chemin.

Une très belle découverte dont les évocations spirituelles m’ont moins touchée, mais dont le sens général m’a émue.

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Et vous, voulez-vous prendre la route avec eux ?

❤ « Le journal d’Anne Frank » d’Ari Folman et David Polonsky (Calmann-Lévy, 2017)

Cela faisait un bon moment que je souhaitais découvrir ce roman graphique. L’occasion de me lancer m’a été donnée récemment et j’ai vraiment passé un excellent moment ! Ce livre mérite sans aucun doute les éloges qui lui ont été faits !


Quatrième de couverture  : « Ari Folman et David Polonsky, scénariste et illustrateur de Valse avec Bachir, ont réalisé cette adaptation en roman graphique du Journal d’Anne Frank.

Anne Frank est née le 12 juin 1929 à Francfort. Sa famille a émigré aux Pays-Bas en 1933. À Amsterdam, elle connaît une enfance heureuse jusqu’en 1942, malgré la guerre. Le 6 juillet 1942, les Frank s’installent clandestinement dans l’Annexe de l’immeuble du 263, Prinsengracht, où Anne écrit son journal. Le 4 août 1944, la famille est arrêtée vraisemblablement sur dénonciation. Déportée à Auschwitz, puis à Bergen-Belsen, Anne meurt du typhus en février ou mars 1945, peu après sa soeur Margot. »


Ari Folman explique que ce projet est né de la demande de la Fondation Anne Frank et qu’il a longtemps hésité à le réaliser. Le journal a tellement été adapté, Anne Frank est un tel symbole des victimes de la Shoah, notamment des enfants, que cette réflexion ne donne que plus de force à la démarche des auteurs : il y a un réel sérieux dans cette adaptation et du sens.

J’ai lu au collège ce journal et je dois avouer que je n’avais plus en mémoire les contenus en détail quand j’ai commencé à lire le roman graphique. Je pense que ça a été bénéfique car j’ai pu redécouvrir les mots de la jeune fille et sa façon de dire les choses. Nous suivons la famille Frank, en grande partie dans leur cachette avec notamment la famille van Daan, jusqu’à leur arrestation.

Le texte est respecté dans son contenu, les libertés prises concernent les dessins qui cependant traduisent bien le ton de la jeune fille. L’intégralité du texte n’a pas été adapté, seulement une partie représentative de l’ensemble et cela fonctionne magnifiquement bien. Nous sentons la difficulté de vivre enfermé, avec notamment l’obsession de la nourriture, mais la force du journal d’Anne Frank réside aussi dans sa personnalité. C’est une jeune fille qui se découvre et qui écrit avec une grande maturité. Elle a un caractère malicieux, moqueur, passionné et indépendant, elle ne se laisse pas faire et elle n’hésite pas à croquer les autres autant qu’elle entretien un regard critique sur elle-même. C’est un texte immensément sensible et cette réalisation graphique lui fait honneur. J’ai ri autant que j’ai été émue. Indéniablement, c’est un livre à mettre entre toutes les mains.

Que dire de plus si ce n’est avoir une pensée pour Miep Gies, une jeune femme qui a aidé la famille losquelle était dans l’Annexe et la personne qui a retrouvé le carnet après l’arrestation de ses habitants secrets. Aujourd’hui, les mots d’Anne Frank sont traduits dans plus de soixante-dix langues à travers le monde, elle est devenue un symbole mondial contre la barbarie.

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Ils/Elles l’ont aussi lu et chroniqué : Les pages qui tournentMot envoléLa bibliothèque de CélineLes fringales littérairesLivres de FolavrilMes pages versicoloresMissbookLittérairement vôtre !Les lectures de Fabienne et EmilieLes carnets de lectureDeux pour uneL’étagère à livresLe hibou à lunettesVoyage dans mon univers livresqueLire dit-elleLe blog de Jean-Claude Prinz


 

Et vous, une adaptation en particulier vous a-t-elle marqué ?

« Les amours d’un fantôme en temps de guerre » de Nicolas de Crecy (Albin Michel, 2018)

À peine sorti en librairie et déjà primé, c’est d’un beau livre dont je vais vous parler aujourd’hui. Je vous parlais d’un prix ? Ah oui ! Le prix Vendredi qui, en référence à Michel Tournier récompense depuis 2017 la richesse et la créativité de la littérature jeunesse française contemporaine.

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Quatrième de couverture : « Dans le monde des fantômes, une guerre impitoyable fait rage. Des spectres malfaisants, idéologues et criminels, ont pris le pouvoir.

Alors que la Résistance s’organise, un jeune fantôme, à la recherche de ses parents disparus, s’y enrôle avec espoir et conviction. Avant d’être impliqué dans une autre guerre, plus violente encore : celle des humains. Le hasard amène le jeune fantôme jusqu’à une maison étrange, où se cache une jeune fille. Il en tombe amoureux, voudrait lui déclarer sa flamme, alors que celle-ci ne se doute même pas de son existence. Mais un soir elle disparaît…

Pour les jeunes lecteurs comme pour les adultes (à partir de 13 ans). »


Pour commencer, si ce livre est autant pour les adolescents que pour les adultes, que chacun y verra une histoire avec ses références historiques ou découvrira l’un des grands drames de l’époque contemporaine sans effet de choc, je le trouve malgré tout plus adapté pour de jeunes lecteurs. Difficile pour moi de ne pas le lire avec mes yeux adultes c’est donc de ce point de vue que je vais vous en parler.

L’histoire se passe toujours en avance dans le monde des fantômes par rapport au monde des humains. La guerre gronde dans le premier, elle grondera donc dans le second, mais pas tout de suite. Pour le moment, différents clans de draps blancs s’organisent entre les Fantômes Acides, les Résistants ou encore d’autres qui sont plus sur la voie de la collaboration. Nous découvrons un jeune fantôme, qui ouvre les yeux sur le monde, avec sa beauté mais aussi l’horreur qui s’y cache. Séparé de ses parents qu’il ne reverra pas, il s’engage dans la résistance et va être confronté à des situations qui expliquent en partie le caractère totalitaire et idéologique du nazisme, le courage et l’organisation des réseaux de résistance.

Il m’a semblé très pédagogique et très facile d’accès et il va falloir que je le prête à une jeune lectrice pour avoir un avis complémentaire. L’écriture est claire et touchante, les illustrations sont généreuses et envoûtantes, nous avons là un très beau livre qui devrait trouver une jolie place de référence pour aborder la Seconde Guerre mondiale et la Shoah auprès de jeunes lecteurs. L’auteur dit les choses, il parle des camps, de l’extermination, mais le monde fictif des fantômes permet une mise à distance nécessaire pour les jeunes lecteurs. Il ne s’agit pas de tout se prendre en pleine poire mais de donner un premier niveau d’information, comme une première marche à gravir avant d’aller plus loin quand le lecteur sera prêt.

Beau, intelligent, original : je vais bien entendu le défendre pour qu’il soit mis en vente dans la librairie du musée dans lequel je travaille car je suis convaincue qu’il peut être un outil pour les enseignants et un fort moment de lecture.

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Ils/Elles l’ont aussi lu et chroniqué : En Quête


 

Et vous, avez-vous envie de le découvrir ?