❤ « Sourvilo » d’Olga Lavrentieva (Actes Sud BD, 2020)

Traduit du russe par Polina Petrouchina

Après avoir découvert avec forte émotion Requiem d’Anna Akhmatova, ce roman roman graphique se positionne un peu comme un écho au recueil de poésie. Nous sommes plongés dans la terreur stalinienne, confrontés aux arrestations arbitraires, aux disparitions et aux familles, celles et ceux qui restent et son laissé·e·s dans l’ignorance.

Quatrième de couverture : « En Russie, les grand-mères sont la mémoire vivante de l’histoire tragique de leur pays. Svetlana Alexievitch raconte d’ailleurs qu’enfant, sa grand-mère lui avait appris à écouter ce qu’on avait pas le droit de dire.

Valentina Sourvilo, 94 ans, se raconte à sa petite fille : une enfance heureuse à Leningrad, brutalement interrompue par l’arrestation de son père, en 1937. Puis viennent l’assignation à résidence à la campagne, la mort de sa mère, et le retour dans sa ville natale, qui va être assiégée pendant plus de deux ans. C’est le tristement célèbre Siège de Leningrad. La faim, le froid, la peur, les bombardements et les fusillades, la trahison des amis mais, aussi, parfois, la surprise d’une main tendue… À travers le témoignage exceptionnel de sa grand-mère Valentina, c’est le destin de tout un pays que nous raconte Olga Lavrentieva, qui, grâce à une maîtrise stupéfiante, donne ses lettres de noblesse au roman graphique russe. »

C’est en donnant la parole à sa grand-mère qu’Olga Lavrentieva dévoile tout une partie de l’histoire russe. Un partie des victimes de la Grande Terreur instaurée par Staline concernera des personnes d’origine polonaise. Ce sera le cas du père de Valentina Sourvilo. Arrêté sur de fausses accusations, la famille est expulsée de son logement et est envoyée dans une région éloignée de Leningrad.

De cet évènement à l’époque contemporaine, Valentina esquisse presque un siècle d’histoire russe en montrant l’injustice d’un système qui l’a malmenée de longues années. Elle dit aussi cette peur qui s’est inscrite en elle et qui ne l’a jamais quittée. Une peur née de l’arrestation de son père, de la perte de sa mère, de la guerre et du siège de Leningrad, des malheurs qui l’ont longuement accablée.

Je me suis laissée entraîner dans les soubresauts de cette histoire dans l’histoire, séduite par un scénario efficace et un témoignage profondément touchant. Un livre qui peut être lu en regard de la poésie d’Anna Akmatova, qui dit l’attente, le silence, le coeur qui meurt de chagrin, la douleur du temps qui passe sans nouvelles des proches, l’entière incertitude des lendemains. En complément de ces deux ouvrages, je me suis offert Envers et contre tout d’Euphrosinia Kersnovskaïa.

Ce livre est le premier d’Olga Lavrentieva qui soit traduit en français et j’ai hâte de pouvoir découvrir d’autres des œuvres.

Cette lecture a été faite dans le cadre du challenge #autricesdumonde de janvier, organisé par Claire de Des pages et des lettres.

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Et vous, appréciez-vous l’histoire dessinée ?

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« Irmina » de Barbara Yelin (Actes Sud, 2014)

Traduit de l’allemand par Paul Derouet.

Je n’ai pas pu profiter du réseau des médiathèques comme je l’aurais voulu depuis un an et demi et quel plaisir de pouvoir y retourner sereinement ! Parmi mes premiers emprunts, ce livre qui me faisait de l’oeil depuis des mois et des mois. Un roman graphique de près de 300 pages, bel objet littéraire qui vient interroger une trajectoire individuelle dans l’histoire collective allemande des années 1930 et 1940.

Quatrième de couverture : « Inspiré d’une histoire vraie, le parcours d’une femme allemande des années 1930 à 1980. Un drame poignant sur le conflit entre l’intégrité personnelle et les compromis auxquels peut conduire l’ambition. À travers des images suggestives et pleines d’atmosphère, l’évocation d’une carrière pleine de fractures, exemplaire de la complicité que beaucoup ont nouée avec le régime hitlérien, en détournant les yeux et parce qu’ils y trouvaient avantage. »

Irmina est une jeune femme allemande qui va chercher l’émancipation en Angleterre. Etudiante dans une école la formant au secrétariat et à la dactylographie, elle a de grandes ambitions et souhaite faire ce dont elle a envie, comme elle en a envie. C’est dans ce pays qu’elle va faire la rencontre d’Howard, originaire de la Barbade (alors colonie de l’empire britannique). Un amour va naître, faisant fi des convenances racistes de l’époque, car Howard est noir.

Forcée de rentrer en Allemagne où le parti national-socialiste a pris le pouvoir, Irmina va se retrouver confrontée à des déconvenues et à des choix.

A travers ce portrait de femme, inspiré par les carnets de sa propre grand-mère, Barbara Yelin explore l’adhésion passive à un système fasciste et génocidaire. Avec Irmina, elle montre comment des frustrations autocentrées peuvent rendre aveugles, comment une soif d’ascension sociale peut se faire complice d’un modèle abject. C’est ce profil de passivité qui intéresse ici. Comment tant d’Allemands ne pouvaient-ils pas savoir ce qui se passait réellement, comme il a été dit à la sortie de la guerre ? Pourquoi ne voulaient-ils pas savoir serait plus juste. Car il s’agit bien de regards détournés qui, couverts par cette fameuse passivité, ont permis en partie l’inimaginable et l’irréparable.

Une réflexion passionnante sur les vies civiles en périodes de tensions et en temps de guerre. Presque un appel à la vigilance dans nos propres comportements : ne pas se laisser berner par de trop belles promesses, conserver des valeurs morales.

Un style graphique impressionnant dans ses plans larges de paysages et ses planches sur doubles-pages, moins convainquant dans sa représentation rapprochée des visages et des expressions.

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Ils/Elles l’ont aussi lu et chroniqué : Enna lit, Enna vit !Femmes de lettresLa bibliothèque du DolmenLes.lectures.de.CaroLettre exprès

Et vous, quel livre avec un personnage principal moralement critiquable conseillez-vous ?

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« Chambres intimes » de Cristina Spanó (Bang, 2014)

Et si vous repensiez à un foyer important dans votre vie et que vous réfléchissiez à des moments tout aussi importants qui y ont eu lieu… Qu’est-ce que ça donnerait ? Qu’est-ce que ça dirait de vous et de votre histoire familiale ?

Quatrième de couverture : « Camila est une jeune femme italienne qui revient dans la maison de son enfance pour les vacances pour visiter ses parents qui y vivent toujours. Chaque pièce de la maison lui remémore des souvenirs enfouis de sa jeunesse ce que le livre nous raconte chapitre après chapitre, pièce par pièce. Grâce à tous ces fragments intimes, le lecteur reconstruit petit à petit sa vie, et l’observe. Il la voit à 16 ans, fumer une cigarette avec un ami en cachette de ses parents, découvrir l’amour et la mort, ou partir chercher un travail à l’étranger.

Camila est une fille normale indécise et complexée, son père est un ouvrier et sa mère de nationalité algérienne immigrée en Italie travaille comme femme de ménage. Camila va grandir dans ce contexte familial prospère, alors que dehors existe une crise économique très forte entre fermetures d’usine, chômage et expropriation. Malgré le peu d’éducation de ses parents, elle a pu comprendre la réalité de la vie.

La maison est, non seulement un lieu, mais elle devient un mélange de sentiments attachés à elle, où chaque chapitre est un souvenir de l’une des chambres. »

Un appartement et la vie d’une famille qui s’y dessine. Nous y découvrons Camila, de l’enfance à la trentaine. Elle nous fait découvrir sept pièces en sept temps pour exprimer des moments clés de son histoire qui s’ancre aussi dans l’histoire italienne très contemporaine, avec ses difficultés économiques et sociales.

Du côté des illustrations, nous avons de la douceur, une palette de couleurs douces avec des pointes plus vives et chaudes. Un peu comme les souvenirs eux-mêmes, qui se floutent tout en ayant des points de précision, qui s’habillent d’approximatif et en même temps de clarté dans les sentiments.

Des histoires intimes qui se ressentent et qui invitent à un voyage dans les espaces de notre histoire et de nos propres foyers. Avec nos moments de bonheur et de tristesse.

Je n’avais jamais entendu parler de ce roman graphique avant de faire mes recherches pour le challenge et je me suis laissée pleinement séduire par l’idée que des lieux portent une mémoire et une histoire, par l’idée que les lieux nous marquent dans notre histoire. Une vision qui m’inspire particulièrement comme belle opportunité narrative de parler d’histoire intime de façon originale et avec une distance pudique.

Peut-être pas un coup de coeur mais un réussite malgré tout.

Cette lecture a été faite dans le cadre du challenge #autricesdumonde organisé par Claire de Des pages et des lettres.

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Et vous, êtes-vous sensible à l’exploration de l’intime en littérature ?

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« La capacité de survie » de Kim Sung-hee (Çà et là, 2021) • Rentrée littéraire

Traduit du coréen par Lim Yeong-hee

Ce manhwa nous fait découvrir, page après page, les réflexions d’une femme sur la société coréenne et sa propre situation : à travers son mal-être c’est celui d’un pays que nous percevons.

Présentation de l’éditeur : « Une femme coréenne en proie à des doutes existentiels dans une société ultralibérale qui laisse de nombreuses personnes dans la précarité.

Yeong-jin, jeune quarantenaire, enseigne dans un lycée privé protestant de Séoul. Elle est confrontée à des violences sociales de toutes parts. Non titulaire, elle se sent obligée, pour conserver son poste, d’accepter tout ce que lui demande son employeur. Submergée de travail – elle s’occupe aussi des enfants de sa sœur pendant ses vacances – elle souffre de n’avoir aucune reconnaissance de sa hiérarchie. Son petit ami travaille dans une association d’aide aux travailleurs migrants qui se font exploiter par les agriculteurs coréens dans des conditions qui frôlent l’esclavagisme. Sa mère continue à faire les ménages bien qu’ayant l’âge de la retraite. Et Yeong-jin vient de subir un hystérectomie… La violence de la société libérale l’affecte de plus en plus et l’amène à se poser des questions sur son rapport au travail, sur sa relation avec ses parents et sur l’avenir de son couple. »

Entre des problèmes de santé aux répercussions importantes et une précarité dont il est difficile de sortir malgré les études et les compétences, l’autrice nous propose un récit extrêmement réaliste qui nous pousse à nous interroger nous-mêmes sur les personnes et le monde qui nous entourent. Entre ce qu’il faut accepter et ce contre quoi il faut se lever, ce qu’il faut remettre en question et dont il ne faut plus se rendre complice.

Parmi tous ces questionnements il y a la fameuse capacité de survie, celle dont l’autrice précise que la société a une dette envers elle. Car cette capacité est celle qu’ont les individus à faire face, à se battre et à donner encore et encore à une société ingrate malgré les difficultés et les sacrifices. C’est un constat amer même si cette capacité traduit des forces individuelles : on ne devrait pas en arriver là.

A partir de la personne de Yeong-jin ce sont aussi d’autres vies et d’autres injustices et complications qui se révèlent : d’avoir travaillé toute sa vie et de ne pouvoir prendre sa retraite, d’avoir des difficultés à élever des enfants et à ne pas répondre à l’image d’une maternité épanouie, d’immigrer pour trouver du travail et se retrouver coincé, exploité, maltraité. C’est aussi un regard sur la famille qui est porté, avec ce moment où on réalise que nos parents commencent à vieillir.

Kim Sung-hee livre une image que je ne connaissais pas de la Corée et que je trouve donc très intéressante.

Si je n’ai pas réussi à être séduite pas le style graphique de l’autrice et que j’ai trouvé la qualité de la narration parfois inégale, j’ai malgré tout adhéré à sa motivation et aux sujets qu’elle explore. Parfois la force de l’intention me fait dépasser ma retenue, c’est le cas ici et je serai au rendez-vous de ses prochaines traductions.

Cette lecture entre dans le cadre du Challenge coréen organisé par le blog Depuis le cadre de ma fenêtre

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Et vous, quel·s livre·s sur la société contemporaine coréenne conseillez-vous ?

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« Infidel » de Pornsak Pichetshote, Aaron Campbell et José Villarrubia (Urban Comics, 2021) • Rentrée littéraire

Je n’avais pas prévu de faire une chronique spécialement adaptée à Halloween car ce n’est pas dans mes habitudes de fêter d’une quelconque façon cette journée mais, lorsque j’ai croisé le chemin de ce comics, j’ai décidé de changer un peu mes habitudes. De la même manière, je ne lis pas de littératures d’horreur mais si on me parle de forces occultes nourries par le racisme et la xénophobie d’une société, j’y vais.

Quatrième de couverture : « Lorsque Aisha, jeune musulmane, emménage dans un nouvel appartement, ses nuits sont perturbées par des cauchemars terrifiants. Elle découvre cependant que les démons qui peuplent ses rêves ne sont pas le produit de son imagination mais révèlent un mal plus grand, tapis derrière dans les murs de cet immeuble où un drame a eu lieu quelques mois plus tôt. À leur tour, les voisins d’Aisha se retrouvent victimes d’entités qui ne se nourrissent pas de la peur, mais de la xénophobie. »

Aisha emménage dans un nouvel appartement avec son conjoint, sa belle-fille et sa belle-mère. L’immeuble a abrité un drame quelques mois plus tôt. Alors que je m’attendais à un meurtre assez classique et habituel dans le genre, j’ai été surprise. Ce comics sait prendre des risques en s’emparant de sujets d’actualité, en nous tendant un miroir dessiné, une façon terrifiante de montrer la réalité avec les outils de la fiction et de l’imaginaire.

Un nouveau drame va avoir lieu.

Au coeur de cette histoire qui se construit entre les appartements, les étages et les murs d’un immeuble : le racisme, la xénophobie et plus particulièrement l’islamophobie qui alimentent la violence d’esprits malfaisants. Ca vous rappelle quelque chose ? C’est un peu comme si on mélangeait CNews avec de la magie noire. Sacrée tambouille. Mais ce que l’on constate c’est que les esprits malfaisants n’ont pas besoin d’être des phénomènes occultes, un pont entre les vivants et les morts, pour faire du mal.

J’ai apprécié : le réalisme et la complexité des conversations, des réflexions et des réactions ; la diversité des personnages principaux comme secondaires ; l’ambiance visuelle et la construction de la tension qui ont été très efficaces sur moi ; la violence qui reste équilibrée sans abus de gore ; la morale, bien évidemment, subtilement présente et pas martelée.

En achetant ce livre je repensais au film Get Out de Jordan Peele, que je trouve remarquable. J’ai été rassurée de voir que c’était la référence avancée dans la préface de l’album, écrite par Tananarive Due. Réaliser un récit engagé c’est souvent prendre le risque de proposer une œuvre cousue de fil blanc, plate malgré ses bonnes intentions. Mais quand l’engagement se pense en même temps qu’une ambiance franche et une histoire percutante, il y a davantage de chances pour que la magie opère et je pense que l’horreur s’y prête particulièrement bien.

Je n’ai pas pris ma tension lors de la lecture mais je peux vous assurer qu’elle a fait quelques bonds. Si vous avez aimé Get Out ou si vous êtes curieux•se de voir ce que peut donner une histoire qui interroge ce qui est le plus terrifiant entre les monstres et les personnes aux pensées haineuses, laissez-vous tenter.

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Ils/Elles l’ont aussi lu et chroniqué : L’étagère imaginaire

Et vous, l’horreur porteuse de messages engagés, vous y croyez ?

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« Lettres perdues » de Jim Bishop (Glénat, 2021) • Rentrée littéraire

Ma fin de semaine est indéniablement graphique et après maintes hésitations j’ai succombé à celui-ci. Pour ses couleurs, pour ses personnages intrigants et ses illustrations influencées par l’univers de Hayao Miyazaki.

Présentation de l’éditeur : « Comme tous les matins, Iode attend impatiemment cette lettre que le facteur tarde à lui apporter. Surement une blague de ce farceur de poisson-clown qui s’amuse à livrer son courrier aux voisins… Ou peut-être a-t-il simplement été égaré ? Il n’y a qu’un seul moyen d’en avoir le cœur net : se rendre en ville. Embarqué dans sa petite auto vert pomme, Iode fait la rencontre de Frangine, une autostoppeuse au caractère bien trempé qui effectue une livraison pour le compte du mystérieux groupe mafieux la pieuvre. Seulement, lorsque cette dernière décide de lui fausser compagnie, le jeune garçon s’inquiète et décide naïvement de partir à sa recherche. Sans le savoir, Iode vient de mettre les pieds dans une affaire qui le placera au cœur d’un terrible drame.

Sur l’île du soleil où poissons et humains cohabitent, mafieux sans vergognes et policiers incompétents sont monnaie courante. Une cavalcade absurde naviguant entre humour, douceur et drame mélancolique. Un premier roman graphique réalisé par un prodige du dessin nourri au travail de Hayao Miyazaki. Un récit où la rondeur du dessin et la beauté irradiante des couleurs forment paradoxalement une œuvre tragique qui perturbera les âmes les plus sensibles. »

Il n’y a pas que les illustrations qui sont marquées par l’influence du travail de Hayao Miyazaki. Un récit de science-fiction, mêlant une histoire personnelle, des épreuves de la vie et des questionnements écologiques.

Iode attend désespérément une lettre de sa mère exploratrice dans laquelle est a promis de lui dire où la retrouver. Tardant à arriver, Iode se décide à se mettre en route pour la ville afin de demander des renseignements au bureau de poste. En route il croise le chemin de Frangine. Le garçon va alors s’accrocher d’une façon très particulière à la jeune femme. Sauf que cette dernière a une mission secrète a accomplir. La vie de ces personnages ne sera plus jamais la même : ils vivront des péripéties et des épreuves irréversibles qui irradieront jusqu’aux personnages secondaires.

Certes, les illustrations sont empruntes de beaucoup de douceur, les couleurs sont à la fois acidulées et pop comme du colorant de bonbons et il y a régulièrement des marques d’humour mais chaque page construit bel et bien un drame.

Une histoire qui installe un mystère qui saura surprendre et émouvoir quand bien même un partie de l’intrigue se devine. Je me suis faite avoir malgré mes justes suspicions. J’étais convaincue même si le coup de coeur ne s’est malheureusement pas déclaré et j’ai trouvé l’épilogue très bien amené. Une conclusion qui change de ce que la littérature propose généralement, qui marque par son réalisme et qui a clairement répondu à l’une de mes douleurs personnelles.

J’ai réussi à ne pas pleurer, mais il s’en est fallu de peu et ce fut au prix d’un certain effort. De fait, si vous aimez les histoires faisant réquisitionnant vos cordes sensibles tout en étant originales, je ne peux que vous inviter à découvrir ce roman graphique qui saura sans aucun doute se démarquer parmi les nouveautés.

Jim Bishop (de son vrai nom Julien Bicheux) est un jeune bédéaste qui s’est lancé dans ce milieu en 2015. Lettres perdues est son premier album en solo et promet une carrière à suivre de très très près.

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Ils/Elles l’ont aussi lu et chroniqué : Pas d’autres chroniques trouvées pour le moment.

Et vous, aimez-vous les graphiques très colorés quitte à ce qu’ils perdent en réalisme ?

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« Kill Annie Wong » de Swann Meralli, Gaël Henry et Paul Bona (Sarbacane, 2021) • Rentrée littéraire

J’avais eu l’occasion de découvrir Swann Meralli avec Algériennes. 1954-1962, que j’avais apprécié. Mais pouvoir le lire dans de la fiction pure m’a sérieusement chatouillée et c’est avec Gaël Henry aux illustrations et Paul Bona à la couleur que ce souhait se réalise.

Quatrième de couverture : « À Chogsu Siti, mégapole coréenne tentaculaire, au bord de l’implosion, où politique rime avec crime organisé, vit Enzo, 24 ans, muet et tueur à gages ultra performant. Enzo a deux passions dans la vie : Le grand bleu, et la voix d’une mystérieuse chanteuse dont il se repasse le morceau en boucle quand il massacre des anonymes pour le compte de ses clients. Sa dernière mission qui lui vient tout droit du chef de la police : s’en prendre à ce salaud de Mon-Sik, gangster qui veut détrôner la puissante maire aux élections, en attaquant sa petite copine.

Mais voilà, alors qu’Enzo s’apprête à passer à l’action, il s’aperçoit que sa cible est en fait la cantatrice qui se cache derrière la voix qu’il aime tant. Pour Enzo, c’est le dilemme : tuer ou sauver Annie Wong ? »

Je lis presque toujours des œuvres écrites à partir de faits réels, qui explorent l’histoire contemporaine ou des sujets de société examinés par l’angle de la fiction. Ici le contexte est une ville coréenne qui n’existe pas mais qui reprend certains codes de cette culture. L’histoire est un complot politique qui implique une maire un peu pourrie sur les bords, un flic corrompu pour raisons personnelles, un tueur à gages muet, une célèbre chanteuse et son amant aussi violent qu’ambitieux. Un mélange explosif, surtout quand un contrat est mis sur l’une de ces têtes et que le plan ne se déroule pas comme prévu.

Une histoire dynamique, sympathique et touchante, forte de son ambiance singulière et de ses illustrations expressives aux couleurs chatoyantes.

J’y ai retrouvé les ingrédients de ce qui a su m’émouvoir dans certains films de Luc Besson – alors que je ne le porte pas spécialement dans mon coeur, mais reconnaissons-lui certains films réussis. Mais les références ne font pas tout dans cette histoire qui sait vivre indépendamment de l’hommage rendu au réalisateur. La violence est bien dosée et bien représentée, l’ambiance est très efficace et j’ai adoré la psychologie prêtée au personnage d’Enzo.

Une lecture qui m’a fait agréablement changer d’univers littéraire et qui saura, je pense, séduire les amateur·ices du Grand bleu (dont j’ai un souvenir plus que relatif) et de Léon.

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Et vous, quelles sont vos dernières belles découvertes faites hors de votre zone de confort ?

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« Vies volées. Buenos Aires, Place de Mai » de Matz et Mayalen Goust (Rue de Sèvres, 2018)

Les éditions Rue de Sèvres créent souvent l’effusion avec leurs publications, pourtant, je ressors très souvent partagée de mes lectures. Après réflexion sur ma frustration personnelle – que je vis cependant bien – j’en arrive à une conclusion : j’ai passé l’âge. Alors, oui, il n’y a pas forcément d’âge pour lire tel ou tel livre surtout dans le rapport que peut entretenir un•e adulte avec la littérature jeunesse. Je suis d’accord. Pour autant, certains procédés narratifs et certaines informations – en prenant de plus en compte les différents niveaux d’information – n’impactent pas de la même manière selon l’âge, les expériences et les connaissances lors de la lecture. Et c’est le principal reproche que j’ai à formuler à l’encontre de ce roman graphique, qui a par ailleurs de nombreuses qualités. Il ne m’a pas surprise, je n’ai rien appris et j’ai presque tout anticipé. Du coup… le plaisir de lecture a été plutôt limité.

Quatrième de couverture : « De 1976 à 1983, la dictature militaire qui régit l’Argentine fait disparaître près de 30 000 opposants politiques. Parmi eux, des jeunes femmes enceintes auxquelles leurs enfants seront arrachés à la naissance. Depuis 1977, leurs grands-mères recherchent ces 500 bébés volés… »

Cela fait un bon moment que je souhaitais découvrir ce roman graphique mettant en avant l’histoire des enfants volés sous la dictature militaire en Argentine (1976-1983) – il faut dire que je n’en ai lu que du bien. Visuellement magnifique, cet ouvrage mêle un scénario rythmé agrémenté de suspens à des propos clairs pour les lectorats cibles de la maison d’édition : adolescents et jeunes adultes.

Dans cette histoire qui se positionne dans notre époque, deux amis vont voir leur monde bouleversé du jour au lendemain : alors que sont aujourd’hui médiatisés les vols d’enfants d’opposant politiques par le régime dictatorial durant les années 1970-80 – notamment rendus publics grâce à la lutte soutenue des Grands-mères de la place de Mai – ils vont décider pour différentes raisons de réaliser chacun un test ADN. Ces tests ne seront que le début de questionnements sur ce qui fut, ce qui est, ce qui aurait dû être et ce qui ne sera jamais. Autour d’eux, plusieurs personnages illustreront les différentes douleurs associées à ces actes inhumains, dont les plaies sont aujourd’hui encore ouvertes.

Plutôt bien mené – même si le suspens a peu fonctionné avec moi – cet album sensibilise à l’une des grandes injustices de l’histoire contemporaine argentine et montre les vies brisées, volées, et l’impact du crime sur la durée. Une injustice qui perdure, de nombreuses familles et enfants enlevés restants sans réponses.

C’est un roman graphique que je trouve particulièrement remarquable au niveau des illustrations. Le scénario, même s’il est intéressant, n’a pas réussi à me convaincre pleinement ni à me surprendre – sauf peut-être à la toute fin. Un album qui s’adresse parfaitement à un lectorat assez jeune (15-20 ans) ou à un public n’ayant pas du tout connaissance de cette époque tragique et ne cherchant pas un livre aux contenus théoriques et historiques trop poussés.

J’aime les romans graphiques qui frôlent le reportage illustré et ici nous sommes dans de la fiction marquée par des faits historiques, une nuance qui a son importance pour moi car j’ai vraiment manqué de données factuelles, presque documentaires. C’est un peu le fossé qui était apparu lors de ma lecture de Les indésirables alors que j’avais été subjuguée par Nous étions les ennemis, beaucoup plus pointu au niveau de son contenu.

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Ils/Elles l’ont aussi lu et chroniqué : A venir…

Et vous, quel•s livre•s sur ce sujet conseillez-vous ?

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👁 « Chez toi. Athènes 2016 » de Sandrine Martin (Casterman, 2021)

Sujet peu abordé, que ce soit dans l’actualité ou dans la littérature, ce roman graphique se concentre sur le parcours d’une femme (composé à partir de cinq témoignages réels) en exil et enceinte. Arrivée en Grèce avec son conjoint, nous la suivons dans son parcours de migration en même temps que dans son parcours médical et de maternité.

Quatrième de couverture : « En 2016, Sandrine Martin s’est rendue en Grèce avec le projet EU Border Care et a suivi les sages-femmes et les médecins qui prennent en charge les réfugiées pendant leur grossesse. Cette expérience humaine marquante lui a inspiré un récit bouleversant qui entremêle le parcours de deux femmes que les grandes crises contemporaines vont confronter à l’exil : une sage-femme grecque et une jeune syrienne.

Un roman graphique d’une grande acuité, qui témoigne autant de l’enlisement de la société grecque que de l’espoir et de l’énergie déployés dans l’expérience de déracinement. »

Ce travail littéraire et graphique découle d’un travail de recherche réalisé à l’échelle européenne. Une démarche dont le sérieux est aussi appréciable que les illustrations sont belles. Difficile de ne pas être impressionné·e par ce livre qui donne à voir un parcours de femme à travers le personnage de Mona, Syrienne, mais aussi de Monika, sage-femme grecque qui ausculte et suit des femmes migrantes en cours de grossesse.

C’est finalement plusieurs sujets qu’aborde ce récit : la situation concrète de personnes en transit, la douloureuse séparation d’avec les familles et le pays d’origine, les grossesses vécues alors que les femmes (ou les couples) ne savent pas où elles seront dans deux jours, deux mois ou deux ans, les injonctions médicales à l’encontre du corps des femmes et la place démesurée faite à la césarienne plutôt qu’aux accouchement par voie basse, ainsi que la crise économique qui impacte la Grèce.

A travers le parcours de deux femmes aux situations très différentes, ce sont des questions sociales qui sont posées et qui trouvent, à un moment ou à un autre, un écho en chacun·e de nous. A cheval entre la fiction et le documentaire, ce livre est terriblement intéressant et, si j’ai trouvé que certains aspects manquaient quant au sujet des grossesses de femmes migrantes, il a le mérite de rendre visibles des vécus invisibilisés et de le faire magnifiquement bien. Pour ma part, j’ai versé ma petite larme et la construction plus que crédible des deux personnages principaux m’a fait forte impression.

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Ils/Elles l’ont aussi lu et chroniqué : LyvresLes petites addictions de Cranberries

Et vous, connaissez-vous des livres ou d’autres oeuvres sur ce sujet ?

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👁 ❤ « A bord de l’Aquarius » de Marco Rizzo et Lelio Bonaccorso (Futuropolis, 2019)

Sur la liste de mes envies depuis sa publication, ce roman graphique a reçu un très bel accueil, amplement mérité. A la fois factuel et didactique, il montre le fonctionnement d’un navire de sauvetage, la composition de son personnel, le déroulement des sauvetages ainsi que des parcours de personnes secourues. Il montre aussi les moments difficiles, les incompréhensions et le sentiment d’impuissance.

Présentation de l’éditeur : « Un récit documentaire à bord de l’Aquarius, un bateau humanitaire qui parcourt la Méditerranée pour secourir des migrants.

En juin 2018, l’Italie et la France lui refusaient d’accoster condamnant le navire à une errance de 9 jours, mettant ainsi en lumière les ambigüités des gouvernements européens sur la politique d’accueil des réfugiés. »

Je crois que je n’ai aucun point négatif à relever dans ce travail impressionnant, à la fois du point de vue de la scénarisation, des contenus et des illustrations. Ce roman graphique est complet, humain et pertinent dans sa démarche de transmission.

Ouvrir, représenter clairement et rendre publique l’organisation sur l’Aquarius et les processus d’aide humanitaire permet de désamorcer des idées préconçues et souvent fausses sur les interventions et les motivations des ONG. Cela permet aussi de contrecarrer les idées courtes liées aux parcours à la fois individuels et collectifs des personnes qui ont pris les chemins de l’exil, infiniment dangereux.

En refermant ce roman graphique, je ne peux qu’espérer que son succès a pu faire bouger des lignes, notamment en France, où des sondages réalisés en 2018 se sont révélés glaçants. Le gouvernement français refusait alors d’accueillir l’Aquarius dans l’un de ses ports alors que plusieurs centaines de rescapés de la traversée de la Méditerranée étaient à bord.

Un faible espoir, mais un espoir quand même.

En décembre 2018, près avoir sauvé plus de 30 000 vies, l’Aquarius sera immobilisé et ses activités seront stoppées. Un arrêt salué par des représentants de l’extrême droite européenne, dont Marine Le Pen, marquant ouvertement une satisfaction quant au fait de ne plus porter secours aux personnes en détresse dont la vie est menacée. Les activités de sauvetage reprendront en juillet 2019 avec Ocean Viking, sous pavillon norvégien, avec des victoires et de terribles journées, comme celle du 22 avril dernier.

L’histoire de l’Aquarius est éminemment représentative des attaques des politiques contre l’aide humanitaire, sujet au coeur du livre récemment paru de Roberto Saviano, En mer, pas de taxis.

Mêlant les témoignages du personnel, des rescapés et des auteurs, ce roman graphique est à découvrir et à partager au plus grand nombre.

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Ils/Elles l’ont aussi lu et chroniqué : A propos de livres…VDBOOKMes échappées livresques

Et vous, vous joignez-vous à mon espoir ?

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« Somnolences » de Chen Pei-hsiu (Actes Sud BD, 2021)

Première traduction en français de Chen Pei-hsiu, ce recueil d’instantanés de vies de femmes taïwanaises s’inscrit dans un courant ultra réaliste, sans fioritures. Des nouvelles graphiques qui montrent des situations, des moments, des questionnements en même temps que des aperçus de la société taïwanaise qui ont en commun la vie d’une femme.

Présentation : « Dix nouvelles, dix vies banales de femmes de Taipeï aujourd’hui.

L’autrice, qui a reçu pour ce livre en 2020, le prix de la meilleure bande dessinée taiwanaise, dépeint ces femmes, leurs habitudes, leur manies, leurs doutes et préoccupations. »

J’aime les sentiments qui se transmettent par les non-dits, les émotions cachées dans les espaces vides entre les mots. Dans le cadre des romans graphiques, les dessins qui se passent de mots, les scènes suspendues qui ne portent pas d’actions particulières. J’aime la contemplation, parce que la vie est aussi remplie de ces moments et de ces silences, de ces retenues, de ces vides qui peuvent aussi être source d’angoisses, de questionnements sur la vie comme de calme intérieur.

Ce recueil graphique ne plaira pas à tout le monde. Si vous cherchez des histoires avec des chutes, vous ne les trouverez pas ici. Si vous cherchez des anecdotes particulièrement marquantes pour chacune de ces dix histoires, vous ne les trouverez pas non plus. Si vous aimez les micro-histoires optimistes et feel-good, vous ne les trouverez pas.

Il s’agit davantage d’une déambulation dans dix vies à partir de souvenirs ou d’expériences de l’autrice que celle-ci prête à des personnages.

J’ai aimé le style graphique de Chen Pei-hsiu, au crayonné et à l’aquarelle, ses choix de couleurs dans des palettes froides mais tendres. J’ai également apprécié les scènes du quotidien dans lesquelles chacun·e peut se retrouver avec en plus une découverte de la culture Taïwanaise. C’est sincère et doux, avec parfois un peu d’amertume, ça a la saveur de la vie. Ces tranches de vies se lisent et se relisent avec plaisir et invitent à la réflexion et à l’introspection. Bonus : une belle place est faite aux chats, avis aux amateur·trice·s.

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Et vous, aimez-vous les histoires courtes et les tranches de vies ?

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« Idiss » de Richard Malka et Fred Bernard d’après Robert Badinter (Rue de Sèvres, 2021)

Paru chez Fayard en 2018, Idiss est adapté cette année en roman graphique. Voici l’occasion de redécouvrir ou de découvrir tout court – ce qui est mon cas – cet hommage de Robert Badinter à sa grand-mère qui est aussi un regard sur plusieurs générations de proches prises dans les tourments de l’histoire.

Quatrième de couverture : « J’ai écrit ce livre en hommage à ma grand-mère maternelle, Idiss. Il ne prétend être ni une biographie, ni une étude de la condition des immigrés juifs de l’Empire russe venus à Paris avant 1914. Il est simplement le récit d’une destinée singulière à laquelle j’ai souvent rêvé. Puisse-t-il être aussi, au-delà du temps écoulé, un témoignage d’amour de son petit-fils. Robert Badinter.

Richard Malka et Fred Bernard s’emparent de ce récit poignant et intime pour en livrer une interprétation lumineuse tout en pudeur et à l’émotion intacte. »

Si je n’ai pas été vraiment sous le charme des illustrations (dont je reconnais cependant la qualité) j’ai vraiment apprécié le scénario et les propos. De la Bessarabie de la fin du 19ème siècle à la France des années noires, Idiss va connaître une vie avec des ruptures, des blessures intimes mais aussi de grands bonheurs grâce à sa famille. Car Idiss est une femme droite, combattive et déterminée pour ses proches, en cela elle ne peut être qu’infiniment attachante.

D’un caractère affirmé et attaché à la tradition, Idiss va devoir faire face au deuil encore jeune et à des conflits familiaux. Ses petits-enfants seront ses soleils, notamment Robert dont elle est proche. Mais le monde s’enflamme et la Seconde Guerre mondiale est déclarée.

J’ai été très émue à plusieurs reprises au cours de ma lecture, pour cet amour inconditionnel vécu entre Idiss et Schulim, face à l’antisémitisme, pour les vies séparées et les adieux imposés, pour celles et ceux qui ne sont pas revenu·e·s.

Avec cette histoire familiale Robert Badinter transmet aussi son amour pour la France : celle qui a accueilli des familles entières qui fuyaient les haines, cette France en laquelle les familles Rosenberg et Badinter avaient mis leur confiance et dont elles ne doutaient pas. Mais cette France a collaboré, poussé à l’exil, déporté sans scrupules. Une histoire collective et individuelle qui permet de comprendre d’une belle façon l’homme investi dans le combat des injustices qu’est Robert Badinter.

Des éléments documentaires et des dessins préparatoires sont présents en fin de volume. Pour moi c’est toujours un plus : de contextualisation historique et de partage concernant la démarche créative.

Je l’ai lu avec mille précautions (même si je n’ai pas l’habitude d’abîmer les livres, je suis un peu maladroite) car ce sera un cadeau. Son format est tellement beau qu’il est parfait pour faire plaisir. Ma mère admire Robert Badinter, apprécie les histoires de vies et les romans graphiques, alors je le glisse tout de suite dans ma valise en croisant les doigts pour qu’elle ne se l’achète pas. Ce suspens qui balance entre préserver la surprise et prendre le risque de faire une surprise loupée.

En conclusion : si vous aimez les histoires familiales qui traversent l’histoire de l’Europe et/ou si vous cherchez un beau livre à offrir à quelqu’un qui a aussi ces centres d’intérêts, Idiss vous attend.

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Et vous, quel autre récit familial marqué par l’histoire conseillez-vous ?

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« L’homme de la mer » de Jang Deok-hyun (Pika Graphic, 2017)

Finissons la semaine avec un manhwa un peu plus léger (mais pas totalement non plus, faut pas pousser). Deux personnages très différents vont se rencontrer : Anna, presque trentenaire paumée qui cherche le sens de la vie, et Deok-hyun, pêcheur pratiquant un art ancestral coréen normalement accompli par des femmes, les haenyos.

Quatrième de couverture : « Licenciée à la suite d’une altercation avec son patron, Anna, jeune vendeuse désabusée par la vie, se réfugie au bord de la mer pour oublier son triste sort. C’est là qu’elle rencontre Deok-hyun, un pêcheur de coquillages mutique dont le passé est nimbé de mystères. Fascinée, Anna va contraindre cet homme à lui enseigner son métier de pêcheur en apnée pour, qui sait, trouver enfin un vrai sens à sa vie… »

Rien ne semblait présager de cette rencontre et pourtant il aurait été dommage qu’elle n’ait pas lieu. Virée de son travail alimentaire dans lequel Anna ne prenait aucun plaisir (c’est rien de le dire), elle se retrouve au bord de mer pour fuir sa situation, aidée d’un peur d’alcool. Éméchée, elle va croiser Deok-hyun rentrant chez lui après la pêche. Elle, excessive et spontanée ; lui, renfermé comme une huître. Découvrant le travail et le mode de vie de cet homme, Anna va lui demander de l’initier à l’art des haenyos. Pour cette excellente nageuse qui ne trouve de répis à son mal-être qu’en nageant, sa recherche de sens a peut-être trouvé un but. De son côté, Deok-hyun cache un passé lourd de regrets. Il est hanté par un fantôme du passé et par ses erreurs qu’il ne peut corriger.

Ce que j’ai particulièrement apprécié dans ce manhwa ce sont les personnages, leurs différences et la façon dont celles-ci se confrontent puis se comprennent. Portée par un humour plutôt efficace, cette histoire se lit toute seule et, sans que nous ne nous en rendions compte, nous réalisons que nous sommes attachés à ce duo improbable que les hasards de la vie savent créer. J’ai également été sous le charme des illustrations au trait assuré habité par un petit quelque chose de désinvolte.

Avec leurs parcours et la relation qu’ils vont se créer, ils font comprendre à chaque lecteur•trice que toutes les vies comportent de mauvaix choix, des erreurs et des faux pas. Faut-il pour autant les réduire uniquement à cela ? Il est toujours possible de trouver du positif, de changer de chemin, de faire autrement, d’y croire. Remonter le temps est impossible, le fantasmer est dangeureux et peut nous enfoncer loin dans les abysses. Au fond, gagner ne compte pas, tout se joue dans le fait d’essayer.

Rendant à la fois hommage aux haenyos et parlant de la situation de la jeune génération coréenne, Jang Beok-hyun signe un récit à la fois chatoyant et orageux, doux et amer. La vie dans ses nuances. Le dernier chapitre du récit se distinguant par le fait de n’être qu’en noir et blanc, le•la lecteur•trice sera libre d’interpréter la conclusion à sa façon : optimiste ou pessimiste.

Si vous aimez les récits en lien avec l’océan, les personnages pimentés mais attachants et les messages ouverts sur le sens de la vie et le poids de ses épreuves, ce manhwa est fait pour vous.

Cette lecture entre dans le cadre du Challenge coréen organisé par le blog Depuis le cadre de ma fenêtre.

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Et vous, avez-vous un manhwa à conseiller ?

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« Ma vie en prison. Le récit d’un cri pour la démocratie ! » de Kim Hong-mo (Kana, 2020)

Dans le cadre de mes lectures liées au soulèvement pro-démocratiques de Gwangju, je me suis dirigée vers ce roman graphique autobiographique dans lequel l’auteur revient sur son expérience d’enfermement dans une maison d’arrêt (1996-1997) du fait de ses activités politiques dans une association étudiante. Quel lien me direz-vous ? La découverte de la répression sanglante de mai 1980 est source d’engagement pour le jeune Yongmin, alter ego de l’auteur.

Quatrième de couverture : « Corée du Sud, mai 1980. En pleine période d’instabilité politique, des manifestations d’étudiants et de syndicats réclament la fin de la corruption et la révélation des malversations de l’Etat. Le gouvernement militaire sud-coréen leur oppose une répression violente. À Gwangju, 6e plus grande ville de Corée du Sud, l’armée avec le soutien de la loi martiale perpètre un véritable massacre : 163 morts, 166 disparus et plus de 3 000 blessés. 17 ans plus tard, révolté quand il se rend compte de la gravité de ces faits et de l’impunité de leurs responsables, Yongmin, jeune dessinateur et étudiant à l’université de Hongik, délaisse ses études pour rejoindre les mouvements étudiants de protestation, réclamant justice. Lors d’une manifestation, il est arrêté par la police et incarcéré. Il rejoint alors une cellule où il va devoir se familiariser avec les gangsters, meurtriers et autres détenus de droit commun ! L’auteur nous offre une plongée dans l’histoire contemporaine de la Corée du Sud. Mais c’est surtout une saine piqûre de rappel : la liberté d’expression est un droit chèrement acquis et qui n’est jamais irrévocable ! »

Réalisé dans un premier temps en feuilletons, l’intégralité de ce témoignage a été rassemblé pour être publié en un volume unique, notamment en français. Cela se ressent dans certaines redites qui ne sont pas particulièrement agréables à la lecture : le•la lecteur•trice n’oubliant pas l’information en tournant une simple page, certains passages auraient peut-être mérité un petit travail d’adaptation.

La chronique ne commence pas sur un point positif et malheureusement ça risque de durer encore un peu… La préface d’Alain Delissen annonçait une lecture passionnante sur divers aspects et finalement je n’ai pas trouvé ce que je cherchais et les réflexions que je souhaitais alimenter.

Dans la préface, Alain Delissen présente ce livre et le travail de Kim Hong-mo comme important dans la réflexion sur la mémoire et la représentation de l’histoire contemporaine de la Corée, citant à cette occasion Park Kun-woong. Je suis amatrice de l’œuvre de Park Kun-woong dans ce qu’elle montre et dans sa manière de montrer les faits, même si parfois la lecture est éprouvante. J’ai donc été déçue en découvrant que Kim Hong-mo avait adapté son témoignage notamment pour éviter l’ennui des lecteurs•lectrices. Je peux être assez sévère et je m’en excuse, mais, dans une démarche de témoignage, de sensibilisation et de mémoire, j’ai tendance à préférer les œuvres les plus justes possibles. De fait, cette œuvre interroge ce que l’on choisit de dire et de ne pas dire en pensant à l’attention et à la réception du lectorat (ici adulte). Un souci pertinent ou pas ?

Ce témoignage est visuellement agréable et expressif mais je déplore certains choix de l’auteur : minimiser l’impact de l’enfermement et les conditions de détention, ne représenter que des co-détenus qui ont été sympathiques et/ou lui ont laissé un bon souvenir et donc ne pas faire apparaître ceux qui étaient plus malveillants.

Pour revenir sur l’histoire, nous suivons Yongmin qui a été arrêté et attend d’être jugé pour son activisme politique au sein d’une association étudiante. La Corée du Sud est en pleine transition démocratique, des affaires politiques éclaboussent des membres du gouvernement et certaines violences d’Etat persistent, ce que dénoncent les étudiants. Contraint à l’enfermement dans une maison d’arrêt durant huit mois, Kim Hong-mo transmet ses souvenirs et montre, derrière les murs, ce que normalement la population ne voit pas, n’entend pas, ne sait pas. Il montre aussi comment la lutte s’est poursuivie malgré l’isolement des étudiants (séparés entre les cellules, les étages et les bâtiments), la détermination de Yongmin à ne pas renier son engagement.

Si ce roman graphique revêt sans aucun doute un intérêt socio-historique et littéraire, je dois bien dire qu’il ne m’a pas particulièrement convaincue. J’ai justement ressenti l’absence de certains faits, de certaines tensions et/ou difficultés ce qui a rendu l’ensemble finalement assez lisse. Et ce qui me dérange, au fond, c’est que cette volonté d’alléger le témoignage et de l’aérer avec des touches plutôt amusantes en pensant aux lecteurs•trices. Je pense que cela peut avoir le biais de donner l’impression de minimiser l’épreuve vécue, de dédramatiser le dramatique et ce ne sont pas des choix qui ont répondu à mes attentes.

Cependant, le parcours de l’auteur force l’admiration par sa détermination et sa droiture, dans son choix de rester fidèle à ses convictions malgré les risques d’emprisonnement encourus. J’ai également été émue par la représentation du père de Yongmin, infiniment attachant. De même, l’histoire de l’engagement de Yongmin permet d’approcher l’histoire socio-politique de la Corée du Sud contemporaine, ce qui est très instructif. Il y a donc aussi du positif, je ne peux tout de même pas dire l’inverse même si ce fut un rendez-vous un peu manqué.

Cette lecture entre dans le cadre du Challenge coréen organisé par le blog Depuis le cadre de ma fenêtre.

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Et vous, préférez-vous les témoignages adaptés ou fidèles* ?
*Dans la limite de ce qui peut être exprimé/dicible.

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❤ « Toutes les fois où je me suis dit… Je suis gay ! » d’Eleanor Crews (Steinkis, 2021)

Décidément, les éditions Steinkis nous offrent de bien belles publications. C’est le cas avec ce récit graphique autobiographique qui a su me toucher en plein coeur.

Quatrième de couverture : « Les aventures quotidiennes d’une jeune femme qui se découvre !

Ellie est une petite fille singulière. Elle porte du noir, est obsédée par le personnage de Willow dans Buffy contre les vampires et ne semble pas beaucoup s’intéresser aux garçons. Oui, parce qu’Ellie est lesbienne. Mais cela va lui prendre de nombreuses années et des coming-out à répétition avant d’accepter pleinement qui elle est.

Dans Toutes les fois où je me suis dit… je suis gay ! Eleanor Crewes nous relate avec humour et tendresse sa difficulté à identifier sa sexualité, sa recherche d’identité mais aussi le difficile passage de l’adolescence à l’âge adulte. »

Mon intérêt est né dès le début de la lecture de ce témoignage graphique, justement dans ce qu’il a de personnel et d’authentique pour l’auteure. En effet, Eleanor a réalisé, il y a plusieurs années et en amatrice, de petits fanzines retraçant sont processus de coming-out et d’acceptation de soi. Ces fanzines ont reçu un tel accueil enthousiaste que l’histoire a cheminée jusqu’à nous, aujourd’hui, dans ce beau volume de plus de 300 pages.

Ne se voulant absolument pas conçu comme un guide pour aider à faire son (ou ses) coming-out, Eleanor Crews a pensé ce roman graphique (et les fanzines à son origine) comme un témoignage pouvant peut-être aider des lecteurs et lectrices dans leur propre vie. Elle aurait aimé rencontrer ce genre de livres quand elle cherchait à se comprendre, je pense qu’elle a réussi à réaliser ce qui lui manquait et que ce livre touchera un large public.

Ellie a le sentiment d’être différente depuis l’enfance mais a aussi celui qu’il ne faut pas que ça se sache. Lors de l’enfance et de l’adolescence naissent différentes peurs : de ne pas plaire, de ne pas rentrer dans une certaine norme et, aussi, de faire les frais de la méchanceté (pour ne pas dire cruauté) des autres, d’être montré du doigt du fait de certaines différences. Alors Ellie va tout faire pour s’enfermer dans ce à quoi elle pense devoir ressembler, elle va mouler son apparence et ses comportements, maltraiter son corps.

Cette maltraitance du corps est aussi une maltraitance de l’esprit. C’est l’aliénation de soi-même et, malgré tous les efforts d’Ellie pour atteindre ses objectifs relationnels, rien ne se passe comme prévu. La frustration et la mal-être, en revanche, explosent les scores.

Comme un château de carte qui s’effondrerait au moindre coup de vent, essayer de s’affirmer comme autre que soi sans résultat, dédoubler son comportement en fonction des contextes relationnels épuise et empêche de se construire vraiment et solidement, laisse une confiance en soi de plus en plus fragile.

Il faudra à Ellie tout un processus pour déconstruire le leurre qu’elle se sera fabriqué durant de nombreuses années, plusieurs étapes à franchir, plusieurs coming-out jusqu’à celui qui sera le bon et lui ouvrira des perspectives nouvelles et fera souffler en elle un vent de liberté. Bien sûr, toutes les anxiétés et les questions ne disparaissent pas d’un coup, mais elles s’interrogent autrement : en changeant l’angle, en reformulant, en les affrontant avec une nouvelle certitude et donc plus de confiance.

L’auteure propose un point de vue personnel sur la difficulté, aujourd’hui encore, de réussir à s’affirmer lorsque l’on sort du schéma hétéronormé, celui-là même qui amène parfois certaines personnes à se mentir consciemment ou inconsciemment et, logiquement, à se nier.

J’ai apprécié le fait que la représentation de couples gays/lesbiens dans la culture populaire – ici avec Buffy contre les vampires – soit abordée. Il est évident qu’une représentation des diversités dans des oeuvres culturelles populaires est aussi un moyen de faire évoluer les mentalités. La situation n’est déjà plus la même aujourd’hui que dans les années 1990. C’est aussi un moyen de dire à des jeunes (et moins jeunes) qui pourraient se reconnaître : tout va bien, nous sommes comme toi, tu n’as pas à te cacher, tu n’as pas à avoir honte et tu as le droit de prétendre au bonheur comme n’importe qui.

J’ai également trouvé ce témoignage très intéressant car Eleanor montre la difficulté de dépasser beaucoup de carcans sociétaux même lorsqu’on est entouré de personnes non jugeantes et dignes de confiance, émotionnellement sécurisantes.

De la forme du récit, des propos et des illustrations, j’ai adhéré à tout. Le noir et blanc ne m’a absolument pas posé de souci, je ne me suis même pas rendu compte de l’absence de couleurs. Seul petit bémol sur la forme du livre, je pense qu’il aurait mérité une couverture rigide pour des questions de durabilité de l’objet. Je crains que la tranche soit atteinte après peu de lectures.

Un roman graphique très intéressant, touchant dans son authenticité mais aussi dans son humour, qui fait du bien et qui mérite largement d’être découvert. J’en suis ressortie émue et sincèrement heureuse pour l’auteure, face au chemin parcouru et à son sentiment d’enfin vivre.

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Et vous, aimez-vous les témoignages contemporains ?

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« Patria » de Toni Fejzula d’après Fernando Aramburu (Ankama, 2021)

Repéré lors de sa parution en version originale, je m’étais alors dit que ce roman graphique serait une bonne occasion de me remettre à l’espagnol. Les mois sont passés et l’annonce de sa traduction française est tombée, j’ai finalement décidé d’attendre encore un peu afin de la découvrir dans ma langue. Et j’ai bien fait, car je n’aurais probablement rien compris en VO.

Quatrième de couverture : « 2011 : L’ETA dépose les armes. Un armistice inédit qui bouleversera le destin d’une Espagne divisée par la haine et le nationalisme. Au cœur de ce conflit, deux familles, deux femmes : Bittori et Miren, amies d’enfance séparées par le terrorisme ; l’une est la femme d’un assassiné, l’autre la mère d’un terroriste. 2011 résonne différemment chez elles. Deux points de vue, deux destinées…

Librement adapté du best-seller de Fernando Aramburu (Patria, Tusquets Editores, 2016) vendu à plus d’un million d’exemplaires, ce roman graphique bouleverse par la portée de ses textes et la force de son trait et de ses couleurs, taillés dans le vif de la violence terroriste. »

Avec ce roman graphique, nous sommes catapultés dans des années de tensions liées à l’activité du groupe terroriste basque, l’ETA, des années où un nationalisme et des revendications d’indépendance ont mené à une escalade de la violence et à de nombreuses intimidations et assassinats. Arguant d’oeuvrer pour le peuple basque (avec des idées bien arrêtées sur le sujet), l’ETA s’en est pris à lui.

Pour s’immerger dans cette période et ce contexte très spécifiques, Toni Fejzula a choisi d’adapter le roman de Fernando Aramburu (paru en France chez Actes Sud) et de nous faire découvrir deux familles prises dans la tourmente : par l’histoire de deux femmes qui étaient des amies inséparables avant qu’un acte irréparable soit commis, puis par celui de leurs enfants, des conjoints… De nombreuses ramifications qui montrent la complexité d’une réalité comprenant l’implication de proches dans les crimes et l’impact intime de la violence sur les vies. A partir de deux familles dont les destins sont terriblement liés, ce sont les histoires de milliers de familles qui sont évoquées.

Ce roman graphique est ausi complexe que passionnant, il se lit comme un thriller politique et est porté par une volonté d’un personnage de savoir, de lever le voile sur des années opaques qui hantent le présent, qui empêchent d’avancer et de partir en paix.

Adapter un roman choral de plus de 700 pages en un roman graphique est un sacré défi et je pense que Toni Fejzula l’a relevé. Cependant, je dois quand même préciser que la lecture n’a pas été particulièrement facile et qu’elle a même parfois été épuisante.

Nous suivons huit personnages principaux (plus, Txato, le mari de Bittori, dont l’assassinat est le noeud dramatique de l’histoire). Avec l’album est fourni un marque-page qui reprend ces personnages et leur associe une couleur. Ne l’égarez surtout pas et vérifiez bien sa présence dans le livre avant de l’acheter ! Vous ne pourrez pas suivre sans car chaque couleur est utilisée dans le roman graphique pour relier une narration à un personnage en particulier. L’ensemble de l’oeuvre est constuite sur ces narrations croisées qui recomposent des événements avec différents points de vues. J’ai trouvé l’idée intéressante mais j’ai aussi eu du mal à différencier certains personnages de façon récurrente tant les couleurs étaient proches (trois nuances de vert, deux nuances de rose), ce qui m’a fait sérieusement m’interroger sur l’accessibilité visuelle du livre (d’autant plus si vous avez une perception particulière des couleurs).

En dehors de cet aspect parfois pesant lors de la lecture, j’ai beaucoup aimé les illustrations, les choix de couleurs et les différentes ambiances qu’a su leur donner Toni Fejzula, j’ai également apprécié le rythme de l’histoire et la tension présente dans la recherche de la vérité et l’exploration des passés individuels. Un récit qui nous tient du début à la fin et dont les différentes temporalités sont bien pensées.

En conclusion, ce roman graphique est bien mené et prenant mais je le considère cependant exigeant et il fera peut-être baisser les bras à une partie des lecteurs•trices, considérant un suivi des personnages parfois épuisant.

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Et vous, connaissez-vous cette histoire par le roman original, l’adaptation graphique ou encore l’adaptation en série ?

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« Lignes de vies » de Birgit Weyhe (Cambourakis, 2021)

J’apprécie le travail de Birgit Weyhe car elle s’intéresse à des sujets qui bouillonnent en moi au quotidien : la mémoire, les trajectoires de vies sur plusieurs générations, les exils et migrations qui composent les sociétés depuis toujours, les conflits contemporains qui continuent d’impacter le monde.

Quatrième de couverture : « Zahi ne connaît pas la date exacte de sa naissance en Somalie, il devient pirate après avoir perdu sa famille, puis est emprisonné en Allemagne ; née en Californie de parents italiens, Gianni rencontre au Mozambique un Allemand qui deviendra son mari ; menacé par les talibans, le jeune Afghan Moh décide de traverser la Méditerranée en 2015 puis marche pendant quatre mois vers l’Europe de l’Ouest où il rêve d’étudier l’informatique…

Par choix ou par nécessité, quitter son lieu de naissance pour rebâtir une vie ailleurs est au cœur de l’expérience humaine. À travers trente portraits de femmes et d’hommes qui correspondent à autant de récits de migration d’un continent à l’autre, du XXe siècle jusqu’à nos jours, Birgit Weyhe poursuit l’exploration des thématiques qui irriguent toute son œuvre : l’exil, l’influence de l’Histoire sur les destins individuels, le sentiment d’être chez soi.

Kaléidoscope de la migration initialement publié dans le journal berlinois Der Tagesspiegel, Lignes de vies dessine une société ouverte. »

Dans ce recueil graphique, elle met mots et dessins sur trente parcours, souvent liés à un moment donné à l’Allemagne (il s’agit du travail d’une auteure allemande pour un journal allemand), pour illustrer le fait que les migrations sont l’histoire du monde. Dans le même temps, Birgit Weyhe rappelle d’une certaine façon que si les gros titres se concentrent sur les personnes rejoignant l’Europe depuis un autre continent, les migrations se font depuis très longtemps dans toutes les directions, sur des motivations différentes, par choix ou par manque de choix.

Avec différents ancrages temporels entre le 20ème et le 21ème siècle et différents parcours, Birgit Weyhe déconstruit les stéréotypes que l’on retrouve trop souvent autour du sujet des migrations, montre qu’elles ne concernant pas que des populations géographiquement très ciblées mais que le monde s’est construit et développé avec elles (et continuera de le faire). L’auteure nous invite également à penser nos propres migrations familiales, ce qui me passionne et me donne l’impression au quotidien d’être liée à plusieurs pays, continents et (autre sujet qui fait exploser le tensiomètre de certain•e•s) différentes religions. Ces histoires familiales responsabilisent aussi dans le présent, dans l’engagement, l’altruisme, la compréhension, au regard de ce qu’ont vécu nos aïeux ou de ce qu’ils ont pu faire.

Chaque parcours est présenté de façon factuelle et est composé de quelques pages. A la fin, le•la témoin nous dit ce qui fait qu’il•elle se sent chez lui•elle. Une question plus ou moins difficile selon les motivations des départs mais dont les réponses montrent l’importance des relations humaines pour se reconstruire dans un ailleurs ou, au contraire, la difficulté d’avancer quand on est invisibilisé dans les regards.

Construit à partir de travaux publiés dans le journal allemand Der Tagesspiegel entre avril 2017 et mai 2019, augmenté de trois parcours inédits, j’ai apprécié ce recueil graphique pensé dans une démarche journalistique, sociétale et humaniste. Si je suis toujours un peu moins convaincue par le style graphique de Birgit Weyhe que par ses scénarisations, je vais continuer à la suivre avec plaisir. Ne manque plus dans ma bibliothèque et dans ma tête que l’album Madgermanes.

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Et vous, connaissez-vous cette auteure ?
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« Le chant de mon père » de Keum Suk Gendry-Kim (Sarbacane, 2012)

Keum Suk Gendry-Kim s’attache à raconter l’histoire de la Corée à travers des histoires individuelles, témoignages des événements du pays. Le présent roman graphique suit une petite fille, Gusoon, des années 1970 en Corée du sud aux années 2010 à Paris. Décrit comme autobiographique, j’ai cependant eu du mal à évaluer la part fictionnelle et celle plus personnelle. Mais cela n’a pas affecté mon plaisir de lecture.

Quatrième de couverture : « C’est l’histoire d’une famille coréenne, leur famille, que l’on va suivre du début années 70 à nos jours ; celle d’une famille d’agriculteurs modestes mais protégés, qui décident de monter à la capitale, en espérant toucher, eux aussi, les dividendes du rêve coréen. Plus dure – et cruelle – sera la chute.

Une mère rend, pour la première fois, visite à sa fille, installée à Paris depuis des années. Elles sont coréennes. Pendant les quelques jours que la vieille femme passe avec sa fille, souvenirs et secrets de famille, enfouis au plus profond d’une culture coréenne du secret, vont resurgir, et permettre de dénouer enfin les fils de leur relation. »

Lu une première fois il y a plusieurs mois, j’ai relu dernièrement ce roman graphique afin de vous en proposer (enfin) la chronique. J’ai été étonnée de l’apprécier encore plus lors de cette deuxième lecture, alors que je connaissais déjà le parcours de Gusoon et de sa famille.

Gusoon est la neuvième enfant de la famille (son prénom, qu’elle n’aime pas, signifie d’ailleurs sa place dans la fratrie). La famille est installée dans une campagne au sud-ouest de la Corée, les conditions de vie y sont rudes mais Gusoon vit librement sur les chemins et dans la nature. Régulièrement, des habitants s’en vont pour Séoul afin d’obtenir de meilleures situations. La famille de Gusoon va être amenée à prendre également cette décision. Pour la petite fille c’est un véritable déracinement ainsi que la découverte de discriminations dont elle devient victime. Pour les parents, Séoul se révèle être un mirage doublé d’une trahison familiale écoeurante.

Keum Suk Gendry-Kim met des mots sur les blessures et les inquiétudes de l’enfance face à un monde adulte plein d’injustices, face aux tensions et répressions politiques, face à une famille qui se délite sous le poids du travail précaire, des accidents de la vie et des relations parfois toxiques. Son père, en particulier, a changé. Lui qui était connu pour être un excellent chanteur de Pansori et un homme gai, ne chante plus, se met facilement en colère et dépérit à vue d’oeil. Alternant passé et présent, alors que la mère de Gusoon lui rend visite à Paris où elle s’est installée adulte, cette dernière porte également ses réflexions sur les stigmates de ses parents, avec une compréhension d’adulte.

J’ai beaucoup aimé découvrir la vie en Corée du sud au cours de différentes périodes, comprendre certains faits et enjeux et suivre Gusoon qui, malgré la dureté de certaines situations, ne se défait pas de sa savoureuse espièglerie. Une nouvelle fois, le regard de l’enfance porte une force qui m’a émue.

Les illustrations correspondent parfaitement à l’ambiance générale du récit : entre une réalité froide et la malice enfantine. Un travail à l’encre, intégralement composé en noir et blanc, très reconnaissable et qui me plait toujours autant.

Je ne peux que vous conseiller de découvrir cette auteure qui réussi à chaque lecture à me toucher et à me transporter dans la culture et l’histoire coréennes. Avec trois romans graphiques publiés en 2020, Keum Suk Gendry-Kim se fait une place méritée parmi les auteurs graphiques contemporains et est également traductrice du coréen vers le français. Il me manque encore quelques unes de ces oeuvres, mais plus pour très longtemps…

Cette lecture entre dans le cadre du Challenge coréen organisé par le blog Depuis le cadre de ma fenêtre.

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Ils/Elles l’ont aussi lu et chroniqué : Pas de chronique trouvée pour le moment.

Et vous, connaissez-vous et appréciez-vous cette auteure ?

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« Geronimo » de Matz et Jef (Rue de Sèvres, 2017)

Geronimo : tout le monde connaît son nom mais qui connaît vraiment son histoire ? A l’occasion des 112 ans de son décès, le 17 février 1909, j’ai envie de vous parler de cet homme qui incarne la résistance des premières nations.

Quatrième de couverture : « Le récit d’une figure historique emblématique des luttes indiennes.

1850, dans les paysages grandioses du nord du Mexique. Goyahkla, guerrier et homme-médecine Apache, alerte ses compagnons : il a une vision d’horreur, il leur faut vite rentrer au camp. À leur arrivée, femmes et enfants ont été décimés. La guerre contre les Mexicains fait rage et est d’une violence sans limite. De cet épisode, Goyahkla gardera une haine inextinguible contre les Mexicains et un désir de vengeance qui guidera peut-être parfois à tort les décisions de celui qui sera bientôt renommé Geronimo… Mais la vraie guerre est peut-être plus sournoise, celle des blancs qui s’accaparent les terres sous couvert de collaboration.

Voici le récit de l’affrontement de deux hommes et deux visions : Geronimo, à la tête du dernier groupe Apache résistant aux blancs et aux Mexicains, et Chapo, qui fait le choix de collaborer avec les blancs en échange d’une semi-liberté. »

Ce roman graphique aux illustrations impressionnantes (même si je ne les ai pas toujours trouvées égales en qualité – à mon goût) retrace l’histoire qui a fait que Goyathlay est devenu Geronimo, puis ce qui a fait de lui un symbole international. Nous le rencontrons adulte, homme médecine apache alors que des troupes mexicaines assassinent les membres de la tribu, profitant que les guerriers se soient absentés. Parmi les victimes il y a les membres de sa famille, dont sa femme et ses enfants. Ces assassinats, Goyathlay n’en fera jamais vraiment le deuil et se lancera sur le chemin de la guerre. Son sens de la stratégie, sa bravoure et son besoin de vengeance auront pour effet d’effrayer les troupes mexicaines, ces dernières fuyant en appelant saint Jérôme : Geronimo est né.

Alors que la situation ne s’apaise pas avec les mexicains, des yeux pâles font leur apparition sur les terres apaches… Ils veulent le contrôle sur les populations, ils veulent la propriété des terres.

C’est l’histoire d’un peuple qui n’avait qu’une parole et qui a fait confiance à un autre qui n’en avait souvent pas, par avidité, cupidité et une vision conquérante et raciste du monde. C’est l’histoire d’un homme qui a parfois été épuisé par la guerre mais qui ne voyait pas d’autre chemin à emprunter pour protéger son peuple, sa culture et la terre de ses ancêtres. C’est l’histoire d’un homme qui a parfois été aveuglé par sa colère et son besoin de vengeance mais qui a toujours été fidèle à ses valeurs et loyal envers sa tribu. C’est l’histoire des terres spoliées, des peuples dépossédés, des tribus écrasées par la masse colonisatrice. C’est l’histoire d’un homme qui voulait, pour lui et ses proches, une vie libre.

J’ai vraiment apprécié découvrir l’histoire de Geronimo, même si je n’ai pas toujours été en accord avec les voies de la vengeance, j’ai compris sa douleur et sa détermination. Avec cette histoire nous découvrons le processus de création des réserves indiennes et comprenons que les combats – et la vie d’avant – étaient perdus d’avance. Ce roman graphique, construit en une succession de périodes, d’épisodes importants de la vie de Geronimo et des Apaches, est très dynamique. La lecture est tout simplement captivante.

J’ai tenu à vous parler de ce roman graphique en le liant à l’actualité, car encore aujourd’hui des populations sont menacées et assassinées pour des questions de terres, de richesses des sols à exploiter et d’incompréhension face aux personnes qui ne souhaitent pas vivre dans une société mondialisée (ce serait dommage de ne pas épargner une seule zone de la planète et de laisser des gens libres de vivre selon leurs cultures et croyances). Sur ce sujet, vous pouvez retrouver ma chronique du roman graphique Amazona de Canizales. Également, les descendants des premières nations d’Amérique du Nord sont toujours bafoués dans leurs droits et discriminés.

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Ils/Elles l’ont aussi lu et chroniqué : Pas de chronique trouvée pour le moment.

Et vous, quel livre sur une personnalité historique avez-vous aimé ?

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« Battue » de Lilian Coquillaud et Marine Levéel (6 pieds sous terre, 2020)

D’un magnifique très grand format, ce roman graphique explore un sujet très intéressant : l’embrigadement dans un obscur groupuscule et la tentative d’enquête sur celui-ci, pour lever le masque porté par une organisation qui flirte avec les limites en public mais les dépasse probablament dès lors qu’il ne peut y avoir de preuves.

Présentation de l’éditeur : « Alors qu’elle mène une nouvelle vie, loin de sa contrée natale et de ses racines, Camille reçoit la visite d’Hassan, un ami d’enfance devenu journaliste. Des retrouvailles amères qui font ressurgir un passé qu’elle avait chassé depuis longtemps.

Hassan cherche à infiltrer la Grande Battue, chasse exclusive menée une fois l’an dans les montagnes de leur région par les Blanchistes, un groupuscule d’influence néo-païenne et réputé proche de l’extrême-droite. il voudrait mettre au jour ce mouvement et son idéologie, persuadé depuis toujours que cette chasse cache les complots ou les exactions qui permettraient de les dissoudre. Camille, fille repentie d’un Blanchiste, pourrait l’aider dans sa mission. Très froide, la jeune femme prend rapidement congé de son vieil ami : elle ne veut plus se pencher sur cette part de son histoire. Les hasards de la vie, avec la mort de son père, figure tutélaire de ce mouvement, se chargeront de brouiller ses plans et la feront replonger dans ce passé haï qu’elle avait fui enfant, grâce à sa mère. »

Alors que Camille a mis des années à se libérer de son passé et que la mort de son père l’y ramène en pensées, Hassan, un ami d’enfance, revient dans sa vie. Il est journaliste et enquête sur les Blanchistes, groupuscule présumé d’extrême droite dont le père de Camille était jusqu’alors le meneur. Son idée : faire re-rentrer la jeune femme dans ce milieu à l’occasion de la Grande battue annuelle afin d’obtenir des informations que seules les personnes admises possèdent. Des informations qui pourraient faire tomber l’organisation, en dévoilant ses vraies motivations. Une rencontre quelque peu intéressée mais qui repose sur une complicité perdue qui a comptée et sur l’envie de mettre un terme à l’impact de démons personnels.

Camille va s’engager dans cette Grand battue et c’est à travers elle que nous allons découvrir l’organisation des Blanchistes et leur mode opératoire, leur habile mode de séduction utilisant la nature et son pouvoir exaltant, les frustrations personnelles et le manque de valorisation individuelle, le pouvoir du groupe et l’orgueil de chacun, la construction d’une fierté territoriale et le besoin de compter au regard des autres et de l’histoire.

Sous-couvert de principes qui semblent ne pas être problématiques, le cheminement à tavers les forêts et les montagnes va peu à peu dévoiler une perversité que je vous laisse découvrir. Ce récit ne sera pas sans rappeler, à la fin, certains groupes existants en France (pourtant moins discrets) et qui échappent globalement à la justice malgré la violence de leurs démarches et des finalités de celles-ci.

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Et vous, quelles oeuvres dénonçant des idées extrêmistes recommandez-vous ?

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