« Vies volées. Buenos Aires, Place de Mai » de Matz et Mayalen Goust (Rue de Sèvres, 2018)

Les éditions Rue de Sèvres créent souvent l’effusion avec leurs publications, pourtant, je ressors très souvent partagée de mes lectures. Après réflexion sur ma frustration personnelle – que je vis cependant bien – j’en arrive à une conclusion : j’ai passé l’âge. Alors, oui, il n’y a pas forcément d’âge pour lire tel ou tel livre surtout dans le rapport que peut entretenir un•e adulte avec la littérature jeunesse. Je suis d’accord. Pour autant, certains procédés narratifs et certaines informations – en prenant de plus en compte les différents niveaux d’information – n’impactent pas de la même manière selon l’âge, les expériences et les connaissances lors de la lecture. Et c’est le principal reproche que j’ai à formuler à l’encontre de ce roman graphique, qui a par ailleurs de nombreuses qualités. Il ne m’a pas surprise, je n’ai rien appris et j’ai presque tout anticipé. Du coup… le plaisir de lecture a été plutôt limité.

Quatrième de couverture : « De 1976 à 1983, la dictature militaire qui régit l’Argentine fait disparaître près de 30 000 opposants politiques. Parmi eux, des jeunes femmes enceintes auxquelles leurs enfants seront arrachés à la naissance. Depuis 1977, leurs grands-mères recherchent ces 500 bébés volés… »

Cela fait un bon moment que je souhaitais découvrir ce roman graphique mettant en avant l’histoire des enfants volés sous la dictature militaire en Argentine (1976-1983) – il faut dire que je n’en ai lu que du bien. Visuellement magnifique, cet ouvrage mêle un scénario rythmé agrémenté de suspens à des propos clairs pour les lectorats cibles de la maison d’édition : adolescents et jeunes adultes.

Dans cette histoire qui se positionne dans notre époque, deux amis vont voir leur monde bouleversé du jour au lendemain : alors que sont aujourd’hui médiatisés les vols d’enfants d’opposant politiques par le régime dictatorial durant les années 1970-80 – notamment rendus publics grâce à la lutte soutenue des Grands-mères de la place de Mai – ils vont décider pour différentes raisons de réaliser chacun un test ADN. Ces tests ne seront que le début de questionnements sur ce qui fut, ce qui est, ce qui aurait dû être et ce qui ne sera jamais. Autour d’eux, plusieurs personnages illustreront les différentes douleurs associées à ces actes inhumains, dont les plaies sont aujourd’hui encore ouvertes.

Plutôt bien mené – même si le suspens a peu fonctionné avec moi – cet album sensibilise à l’une des grandes injustices de l’histoire contemporaine argentine et montre les vies brisées, volées, et l’impact du crime sur la durée. Une injustice qui perdure, de nombreuses familles et enfants enlevés restants sans réponses.

C’est un roman graphique que je trouve particulièrement remarquable au niveau des illustrations. Le scénario, même s’il est intéressant, n’a pas réussi à me convaincre pleinement ni à me surprendre – sauf peut-être à la toute fin. Un album qui s’adresse parfaitement à un lectorat assez jeune (15-20 ans) ou à un public n’ayant pas du tout connaissance de cette époque tragique et ne cherchant pas un livre aux contenus théoriques et historiques trop poussés.

J’aime les romans graphiques qui frôlent le reportage illustré et ici nous sommes dans de la fiction marquée par des faits historiques, une nuance qui a son importance pour moi car j’ai vraiment manqué de données factuelles, presque documentaires. C’est un peu le fossé qui était apparu lors de ma lecture de Les indésirables alors que j’avais été subjuguée par Nous étions les ennemis, beaucoup plus pointu au niveau de son contenu.

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Et vous, quel•s livre•s sur ce sujet conseillez-vous ?

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« Dora » d’Ignacio Minaverry (L’Agrume, 2012)

Gibert Joseph est peut-être la librairie que je préfère et avec laquelle j’ai vraiment un rapport sentimental. Passer faire le plein de belles lectures prévisionnelles m’a permis de tomber par hasard sur cette bande dessinée que j’avais repérée au cours de l’une de mes nombreuses pérégrinations numériques. La Shoah sous l’angle de la chasse aux nazis, il ne m’a pas fallu hésiter beaucoup pour ramener avec moi cet ouvrage (le premier d’une série de trois tomes) plus complexe qu’il n’y paraît.


Quatrième de couverture : « Allemagne, 1960. Dora, jeune juive dont le père est mort en camp de concentration, travaille comme archi­viste au Berlin Document Center. Confrontée à l’horreur des crimes nazis, elle entreprend sa propre enquête. Elle rejoint sa mère en France, se lie à un groupe de jeu­nes communistes de Bobigny, puis fait la connaissance d’un espion israélien qui lui propose de partir en Argen­tine sur les traces de Mengele, le célèbre médecin nazi d’Auschwitz… À travers ces rencontres et ces aventures, Dora reconstitue une partie de sa propre histoire et passe de l’adolescence à l’âge adulte.

Dora est une aventure passionnante qui nous entraîne dans le contexte géopolitique de l’après Seconde Guer­re mondiale. Chasse aux nazis rocambolesques à travers le monde, c’est aussi un récit historique et documentaire, et un roman d’apprentissage palpitant. Cet ouvrage a rencontré un grand succès d’estime et commercial en Argentine. »


L’histoire ne se concentre pas uniquement sur la poursuite de Josef Mengele, elle se déroule dans un contexte socio-politique marqué par la guerre d’Algérie, par la Guerre froide également. Le monde est en mouvement et des plaies sont encore très vives, notamment pour Dora Bardavid qui a perdu son père, déporté.

« – Tu sais pourquoi je m’appelle Dora ?
– Pourquoi ?
– À cause du camp de Dora-Mittelbau où ils ont emmené mon père. Ma mère m’a donné ce nom pour que je n’oublie jamais d’où je viens. »

Installée en colocation avec Lotte à Berlin, Dora va être assignée à l’inventaire des archives saisies aux nazis à la fin de la guerre. Elle découvre alors des informations que très peu de gens connaissent et elle va commencer à faire des copies pirates de certains documents, pour constituer ses propres archives, en lien avec un drame mondial qui n’aura pas épargné sa famille. Ce travail aux archives couplé à ses échanges avec Lotte sur son passé familial interroge l’après-guerre en Allemagne, la nouvelle génération dépositaire de ce poids parfois trop lourd à porter mais pourtant innocente.

Peu à peu, revenant en France et faisant de nombreuses connaissances, elle va être approchée par un espion qui l’invitera à partir en Argentine sur la piste de Josef Mengele. Traquer et arrêter ce nazi tristement célèbre sera sa seule motivation. Nous découvrons avec elle des techniques de détective et suivons les avancées de la recherche. Mais rendre la justice peut recouvrir plusieurs méthodes, ce qu’elle découvrira, et l’échec fait parfois partie de l’aventure. Malgré cela, il ne faut pas se désengager.

« Traquer les nazis, c’est comme chasser les fantômes avec un filet à papillons. »

J’ai aimé être emmenée dans cet univers aux multiples problématiques et découvrir le personnage de Dora qui se découvre elle-même à cet âge des entre-deux, mi enfant mi adulte mais qui commence à s’affirmer en tant qu’individu, en tant que femme, en tant que Dora.

Un ouvrage intéressant au graphisme très soigné, qui attend de trouver par hasard ses deux autres tomes dans les rayons d’une librairie…

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