❤ « Sourvilo » d’Olga Lavrentieva (Actes Sud BD, 2020)

Traduit du russe par Polina Petrouchina

Après avoir découvert avec forte émotion Requiem d’Anna Akhmatova, ce roman roman graphique se positionne un peu comme un écho au recueil de poésie. Nous sommes plongés dans la terreur stalinienne, confrontés aux arrestations arbitraires, aux disparitions et aux familles, celles et ceux qui restent et son laissé·e·s dans l’ignorance.

Quatrième de couverture : « En Russie, les grand-mères sont la mémoire vivante de l’histoire tragique de leur pays. Svetlana Alexievitch raconte d’ailleurs qu’enfant, sa grand-mère lui avait appris à écouter ce qu’on avait pas le droit de dire.

Valentina Sourvilo, 94 ans, se raconte à sa petite fille : une enfance heureuse à Leningrad, brutalement interrompue par l’arrestation de son père, en 1937. Puis viennent l’assignation à résidence à la campagne, la mort de sa mère, et le retour dans sa ville natale, qui va être assiégée pendant plus de deux ans. C’est le tristement célèbre Siège de Leningrad. La faim, le froid, la peur, les bombardements et les fusillades, la trahison des amis mais, aussi, parfois, la surprise d’une main tendue… À travers le témoignage exceptionnel de sa grand-mère Valentina, c’est le destin de tout un pays que nous raconte Olga Lavrentieva, qui, grâce à une maîtrise stupéfiante, donne ses lettres de noblesse au roman graphique russe. »

C’est en donnant la parole à sa grand-mère qu’Olga Lavrentieva dévoile tout une partie de l’histoire russe. Un partie des victimes de la Grande Terreur instaurée par Staline concernera des personnes d’origine polonaise. Ce sera le cas du père de Valentina Sourvilo. Arrêté sur de fausses accusations, la famille est expulsée de son logement et est envoyée dans une région éloignée de Leningrad.

De cet évènement à l’époque contemporaine, Valentina esquisse presque un siècle d’histoire russe en montrant l’injustice d’un système qui l’a malmenée de longues années. Elle dit aussi cette peur qui s’est inscrite en elle et qui ne l’a jamais quittée. Une peur née de l’arrestation de son père, de la perte de sa mère, de la guerre et du siège de Leningrad, des malheurs qui l’ont longuement accablée.

Je me suis laissée entraîner dans les soubresauts de cette histoire dans l’histoire, séduite par un scénario efficace et un témoignage profondément touchant. Un livre qui peut être lu en regard de la poésie d’Anna Akmatova, qui dit l’attente, le silence, le coeur qui meurt de chagrin, la douleur du temps qui passe sans nouvelles des proches, l’entière incertitude des lendemains. En complément de ces deux ouvrages, je me suis offert Envers et contre tout d’Euphrosinia Kersnovskaïa.

Ce livre est le premier d’Olga Lavrentieva qui soit traduit en français et j’ai hâte de pouvoir découvrir d’autres des œuvres.

Cette lecture a été faite dans le cadre du challenge #autricesdumonde de janvier, organisé par Claire de Des pages et des lettres.

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Et vous, appréciez-vous l’histoire dessinée ?

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❤ « Que sur toi se lamente le Tigre » d’Emilienne Malfatto (Elyzad, 2020)

Tout début 2021 j’ai lu un roman pour lequel j’ai été incapable de trouver les mots. Alors, quand ça ne veut pas, je ne force pas. Les mots viendront quand ils seront prêts. C’est à l’occasion du visionnage du reportage En Irak, le combat des femmes pour leur liberté, réalisé par Lucile Wassermann et Jack Hewson et diffusé sur France 24, que j’ai senti qu’il était temps de secouer mon lexique interne pour faire jaillir ces fameux mots.

Quatrième de couverture : « Dans l’Irak rural d’aujourd’hui, sur les rives du Tigre, une jeune fille franchit l’interdit absolu : hors mariage, une relation amoureuse, comme un élan de vie. Le garçon meurt sous les bombes, la jeune fille est enceinte : son destin est scellé. Alors que la mécanique implacable s’ébranle, les membres de la famille se déploient en une ronde d’ombres muettes sous le regard tutélaire de Gilgamesh, héros mésopotamien porteur de la mémoire du pays et des hommes.

Inspirée par les réalités complexes de l’Irak qu’elle connaît bien, Emilienne Malfatto nous fait pénétrer avec subtilité dans une société fermée, régentée par l’autorité masculine et le code de l’honneur. Un premier roman fulgurant, à l’intensité d’une tragédie antique. »

C’est l’histoire d’une femme et d’un homme qui s’aiment. C’est l’histoire de l’homme tué à la guerre et de la femme qui découvre sa grossesse. C’est une histoire d’honneur aussi absurde que réaliste dans laquelle la famille envisage le crime pour laver la honte. Mais quelle honte ?

En alternant les points de vues nous découvrons des positions qui ont soif de violence, d’autres qui déplorent la situation à venir mais, que voulez-vous, c’est comme ça… d’autres ne comprennent pas mais ne voient pas les alternatives. Des voix qui décrivent un tragédie et s’y inscrivent.

Ce roman est terrible et dit les menaces qui entravent les femmes, le poids de la loi tribale qui supplante la loi de l’Etat, comme le dit si bien le reportage. Cette loi tribale qui est revenue à une pratique parfois radicale de l’Islam, qui est revenue à une oppression très marquée des femmes et à la négation de leurs droits et de leurs libertés.

C’est l’histoire d’une terre saoule à la nausée d’avoir trop bu le sang des femmes. Un sang versé par la main des hommes mais aussi par celle de femmes qui s’intègrent à l’organisation sociale et familiale sans la remettre en question.

Un premier roman qui a été sélectionné et lauréat de nombreux prix : Goncourt du Premier Roman 2021, Prix Hors Concours des Lycéens, Prix Ulysse du livre, Prix Zonta Olympe de Gouges, Mention spéciale des lecteurs Prix Hors Concours, Lauréate du Festival du Premier Roman de Chambéry 2021, Finaliste du Prix Régine Desforges.

Comment ne pas penser également à la nouvelle Seher de Selahattin Demirtaş, extrait de son recueil L’aurore ? Si vous avez aimé ce roman et que vous ne connaissez pas les nouvelles de Selahattin Demirtaş, je ne peux que vous recommander de le découvrir.

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Et vous, quelle•s œuvre•s sur les crimes dits d’honneur conseillez-vous ?

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« Mère à mère » de Sindiwe Magona (Mémoire d’encrier, 2020)

Une mère écrit une longue lettre à une autre mère. Chacune porte un infini chagrin en elle. La narratrice est la mère de l’un des accusés, elle s’adresse à celle d’Amy Biehl, jeune femme blanche, étudiante américaine militante anti-apartheid, assassinée le 25 août 1993 à Cap Town.

Quatrième de couverture : « Grand roman de l’apartheid où violence et quête d’humanité demeurent l’héritage de l’histoire. Sindiwe Magona signe un récit bouleversant sous forme de lettre. L’Afrique du Sud y est racontée tout en nuances, complexité et passion. »

Mon fils a tué votre fille, c’est ainsi que le livre commence. Car c’est ainsi et ce ne sera plus jamais autrement.

Pourtant, la narratrice ne peut définir son fils, Mxolisi, uniquement comme un meurtrier. Comment en est-il arrivé là ? Est-il le seul coupable de ses actes ? En tissant cette lettre des fils de sa propre vie et de celle de son fils, c’est l’histoire contemporaine de l’Afrique du Sud et les extrêmes violences de l’Apartheid qui se dessinent, broyant les vies et les destins, brouillant les regards d’une colère de feu allumée et alimentée dès les plus jeunes années. Alors qu’une transition politique est en cours en 1993, le quotidien dans les townships ne change pas.

La colère n’est pas clairvoyante et la colère de la foule la rend totalement aveugle.

Rien n’enlève la douleur, rien n’efface l’acte meurtrier. Mais la nuance s’impose. La société sud-africaine a créé la violence que l’on impute à quelques personnes qui ont commis l’irréversible. C’est une indéniable complexité sociohistorique que nous dévoile avec force Sindiwe Magona.

En 1998 – qui est aussi l’année de publication du roman de Sindiwe Magona dans sa version originale -, à l’occasion de la Commission vérité et réconciliation d’Afrique du Sud, les jeunes accusés seront graciés. La famille d’Amy Biehl accordera son pardon.

Un livre essentiel sur l’histoire de l’Afrique du Sud.

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Et vous, connaissez-vous cette histoire ?

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« Les impatientes » de Djaïli Amadou Amal (Emmanuelle Collas, 2020)

Trois femmes, troix voix. Ramla, Hindou et Safira sont confrontées à des situations qui ont toutes pour points communs le patriarcat écrasant, le poids des traditions qui assimilent les femmes à des objets, la négation de leur soif de liberté alors même qu’on les exhorte sans cesse à la patience. Mais comment être patiente de vivre, d’être libre et de disposer de son corps ?

Quatrième de couverture : « Trois femmes, trois histoires, trois destins liés. Ce roman polyphonique retrace le destin de la jeune Ramla, arrachée à son amour pour être mariée à l’époux de Safira, tandis que Hindou, sa soeur, est contrainte d’épouser son cousin. Patience ! C’est le seul et unique conseil qui leur est donné par leur entourage, puisqu’il est impensable d’aller contre la volonté d’Allah. Comme le dit le proverbe peul : Au bout de la patience, il y a le ciel. Mais le ciel peut devenir un enfer. Comment ces trois femmes impatientes parviendront-elles à se libérer ?

Mariage forcé, viol conjugal, consensus et polygamie : ce roman de Djaïli Amadou Amal brise les tabous en dénonçant la condition féminine au Sahel et nous livre un roman bouleversant sur la question universelle des violences faites aux femmes. »

Dans la région du Sahel, des mariages sont célébrés. Des mariages qui inspirent aux trois femmes crainte, colère, tristesse. Car ces mariages sont souhaités par les hommes – maris, oncles, pères – mais pas par les femmes elles-mêmes qui vont voir leur vie bouleversée à jamais, souvent pour le pire, contre leur gré.

Révoltant, ce roman met en avant différentes violences et injustices subies par les trois protagonistes principales. Il nous ouvre les yeux sur la place de femmes d’aujourd’hui dans une partie du monde – parmi d’autres – ainsi que sur la pratique de la polygamie.

Si j’ai apprécié la dénonciation des faits, la volonté de les rendre visibles ainsi que la construction narrative à trois regards, je suis un peu restée en retrait. J’ai trouvé que l’autrice n’avait pas tout à fait incarné chacune des femmes, ne leur avait pas donné à chacune une voix assez reconnaissable. Les trois points de vue se succèdent et heureusement car s’ils avaient été tressés je doute que nous les aurions facilement différenciés.

Un roman fort mais qui aura manqué d’un petit quelque chose dans le style pour me convaincre pleinement.

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Et vous, quel roman ayant convaincu de nombreux·ses lecteur·ice·s vous a déçu·e ?

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« Une baignoire dans le désert » de Jadd Hilal (Elyzad, 2020)

Gagnant du Grand prix du roman métis en 2018 pour Des ailes au loin – également sélectionné pour le prix de la Porte Dorée en 2019 -, Jadd Hilal revient avec un court roman initiatique qui appelle à la réflexion autant qu’au refus de l’obéissance systématique.

Quatrième de couverture : « Lorsque la guerre fait irruption dans son village, le quotidien d’Adel bascule. Parents divorcés, amis absents, il lui reste heureusement ses deux insectes imaginaires qui lui tiennent lieu de compagnons. Amené à prendre très vite des décisions qui le dépassent, Adel se retrouve dans un camp au milieu du désert où les combattants, ces grandes personnes, ont l’air d’enfants perdus et où le cheikh le force à agir en adulte. L’occasion pour Adel de s’interroger sur le regard que l’on porte sur lui, et de se forger, seul, sa propre identité…

Jadd Hilal signe ici avec fraîcheur le roman d’un apprentissage quelque peu décalé, en miroir de nos interrogations. »

Un garçon, Adel, est confronté à la guerre qui vient ravager son village. Il est séparé de sa mère et de son père, seul avec ses deux amis-insectes imaginaires. Fuyant des hommes menaçants, il se retrouve dans le désert, prisonnier de l’un des deux camps qui s’affrontent.

Je ne peux faire une chronique conséquente sur ce court roman (104 pages) sans en dire trop, je vais donc me limiter à l’essentiel.

La morale au coeur de ce roman initiatique ? La nécessité de se construire une identité, une volonté propre, d’exprimer son opinion et d’être en capacité de s’opposer à ce qui ne nous semble pas juste. Ne pas attendre de l’autre de savoir qui nous sommes, qui nous devrions être et ce que nous devons faire.

En s’affirmant face à l’adversité – faite de toute la complexité humaine -, Adel se découvrira et sortira de l’enfance.

Un court texte qui invite à un petit temps de méditation et de réflexion.

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Ils/Elles l’ont aussi lu et chroniqué : L’horizon et l’infiniLa cause littéraire

Et vous, connaissez-vous le Grand prix du roman métis ?

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❤ « La mort et son frère » de Khosraw Mani (Actes Sud, 2020)

L’auteur, né à Kaboul en 1987, réside en France depuis 2015. Observateur malheureusement intime des drames qui se déroulent dans le pays depuis de nombreuses années, c’est avec un regard pointu et précis qu’il nous livre le roman aux multiples facette d’un drame.

Quatrième de couverture : « Dans l’étrange ville de Kaboul, un matin d’hiver, un jeune homme sort de chez lui pour aller retrouver celle qu’il aime. Dix minutes après, une roquette tombe sur sa maison et tue quatre membres de sa famille. L’attentat, son contexte et ses conséquences sont ensuite évoqués à partir d’une trentaine de points de vue différents, ceux de protagonistes qui de près ou de loin ont un rapport avec le drame, d’un chauffeur de taxi à un chien errant, d’une journaliste de la télévision à l’arbre planté face au bâtiment détruit, d’un terroriste à un gamin des rues, d’un détrousseur de cadavres à la pelle qui creuse pour préparer les tombes.

Ainsi les voix de Kaboul, de l’aube jusqu’à tard dans la nuit, racontent-elles des histoires d’amour, de corruption, de remords, de sexe, de massacres, de pertes, de gains, de mensonges, de cruauté, d’amitié… Une journée dans un coin du monde où la mort n’est qu’une anecdote à peine commentée, vite oubliée. Par sa narration collective, par son style aussi fluide que sobre, le roman touche à l’universel en révélant l’insupportable fragilité humaine. »

Une roquette est tombée sur une maison, il n’y a aucun survivant. Un peu avant la tombée de la bombe, un homme quittait le foyer pour rejoindre sa maîtresse. Dans la maison : ses parents, sa femme et son frère. A partir de son regard, point de départ d’une journée singulière et en même temps terriblement comme les autres dans un pays qui connait des morts prématurées et non naturelles chaque jour.

D’un regard nous partons sur un autre, nous dévions et peu à peu la journée est dépeinte à travers différents angles et à différents moments, tous articulés autour du drame : humains, animaux ou encore arbre, les angle se multiplient et Khosraw Mani tisse un récit polyphonique avec une précision arachnéenne. C’est impressionnant.

L’auteur nous fait approcher une famille en même temps qu’une société dans laquelle on peine à trouver quelques espoirs. Il y a des passages difficilement soutenables mais dans la noirceur, l’espace d’un instant, un geste emprunt d’humanité peut encore apparaître.

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Et vous, avez-vous déjà lu de la littérature afghane ?

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👁 ❤ « La loi de la mer » de Davide Enia (Le livre de poche, 2020)

Quelle lecture éprouvante et émouvante ! Ce livre m’a été conseillé par Flo du blog Thé toi et lis ! et je lui en suis reconnaissante car j’ai été profondément touchée par la démarche de Davide Enia : se rendre à Lampedusa pour rencontrer des témoins des drames qui s’y jouent depuis plus de vingt ans. En parallèle, se déroule un drame personnel dans la vie de l’auteur.

Quatrième de couverture : « Le ciel si proche qu’il vous tombe presque sur les épaules. La voix omniprésente du vent. La lumière qui frappe de partout. Et devant les yeux, toujours, la mer, éternelle couronne de joie et d’épines. Les éléments s’abattent sur l’île sans rien qui les arrête. Pas de refuge. On y est transpercé, traversé par la lumière et le vent. Sans défense.

Pendant plus de trois ans, à Lampedusa, cette île entre Afrique et Europe, Davide Enia a rencontré habitants, secouristes, exilés, survivants. En se mesurant à l’urgence de la réalité, il donne aux témoignages recueillis la forme d’un récit inédit, déjà couronné par le prestigieux prix Mondello en Italie. »

Deux histoires distinctes qui se rencontrent, deux histoires humaines, avec une puissante compassion qui nous touche au plus profond. Cela faisait longtemps que je n’avais pas pleuré à ce point, émue, ne pouvant me retenir même en public. Ce récit n’est pas un tire-larmes, il relate des entretiens et des souvenirs de sauveteurs professionnels et bénévoles. Mais le factuel peut-être triste à pleurer et les larmes peuvent aussi venir en découvrant la beauté de certains cœurs.

Deux histoires, donc, qui s’entremêlent avec le passage du temps et rythment avec force ce récit de vie, ce récit qui concerne deux continents amenés à se rencontrer par la marche naturelle des plaques tectoniques, un récit qui concerne le monde.

Lampedusa est une île connue, très médiatisée pour parler des migrations et des drames dont la mer est le cimetière. C’est une île aride dont la population s’est mobilisée, chacun·e avec ses forces et ses aptitudes, pour agir là où les politiques n’interviennent pas – ou trop peu ou mal. Car fermer les yeux est devenu impossible. Un fil rouge traverse les différents témoignages : le naufrage du 3 octobre 2013.

Les faits sont inimaginables. Quand tu penses que ça ne peut pas être pire, ça l’est. Davide Enia, par ses entretiens et ses observations, met en lumière des éléments généralement peu évoqués. Il donne à voir et à entendre et c’est un travail essentiel qu’il nous confie, écrit avec soin et prévenance envers les personnes qui ont affronté l’impitoyable mer Méditerranée.

Ce livre exprime des dualités difficiles : le quotidien marqué par les tragédies mais aussi par les vies sauvées ; les cadavres charriés par les eaux et la volonté de se battre contre la mort ; l’amour de la vie et la maladie.

A la fin, il manque cependant une part importante de l’histoire, très justement soulignée par Davide Enia lui-même : la paroles directes des survivants. Celle-ci s’exprime dans d’autres publications, nécessaires à la compréhension collective des motivations de départ, des risques encourus et des conditions d’accueil. Pour une prise de conscience et l’amélioration des processus sociaux et humains car l’urgence c’est tous les jours.

Ce récit n’a pas manqué de me faire penser au documentaire (difficile, lui aussi) Numéro 387 : Disparu en Méditerranée diffusé par Arte. Il n’est plus disponible en intégralité mais je vous partage cette capsule :

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Ils/Elles l’ont aussi lu et chroniqué : Thé toi et lis !Charybde 27Tu vas t’abîmer les yeuxLe capharnaüm éclairéUn dernier livre avant la fin du monde.

Et vous, quelle excellente recommandation vous ayant été faite récemment voulez-vous à votre tour partager ?

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👁 « Le livre des départs » de Velibor Čolić (Gallimard, 2020)

J’ai découvert Velibor Čolić il y a quelques temps avec son livre Les Bosniaques – difficilement soutenable mais nécessaire – et je me suis procuré plusieurs de ses romans immédiatement après. Une écriture dans laquelle l’humour est le dernier rempart pour ne pas sombrer. Né en Bosnie en 1964, fait prisionnier lors de la guerre, il parvient à s’enfuir et arrive en France en 1992.

Quatrième de couverture : « Je suis un migrant, un chien mille fois blessé qui sait explorer une ville. Je sors et je fais des cercles autour de mon immeuble. Je renifle les bars et les restaurants.

Velibor Čolić, à travers le récit de son propre exil, nous fait partager le sentiment de déréliction des migrants, et l’errance sans espoir de ceux qui ne trouveront jamais vraiment leur demeure. Il évoque avec ironie ses rapports avec les institutions, les administrations, les psychiatres, les écrivains, et bien sûr avec les femmes qui tiennent une grande place ici bien qu’elles aient plus souvent été source de désir ardent et frustré que de bonheur. Son récit est aussi un hommage à la langue française, à la fois déchirant et plein de fantaisie. »

Si ses considérations sur les femmes et ses histoires de coeur ne m’ont pas particulièrement emballée (je ne suis généralement pas bon public sur ce sujet) j’ai été sensible au reste de ce roman autofictionnel. Parce que Velibor Čolić a le don de me faire passer du rire aux larmes en un claquement de doigts et qu’au détour d’une anecdote c’est un vrai sujet social qu’il révèle.

J’ai retrouvé dans ce livre le Velibor Čolić qui m’a tant émue au cours de visionnages de conférences et de rencontres publiques (ce que je rêve de vivre un jour) : dans une vie d’équilibriste entre un passé traumatique et un présent étroit, dans un combat d’écriture et de langues, dans une force de vivre, malgré tout.

C’est assez difficile à expliquer mais si je ne partage rien des expériences de l’auteur (et j’en suis bien heureuse), je partage cependant son regard incisif – voire intransigeant – sur les faits et comportements qui l’agacent. Un regard qui sait aussi se faire tendre, souvent à l’encontre des oubliés et des invisibles. Il est souvent question de situations du quotidien d’un homme en exil qui regarde le pays d’accueil et ses travers et qui nous les fait voir de l’intérieur. Et je suis très très bon public quand je croise un compatriote de cet humour sarcastique. Alors, oui, j’ai ri, parfois très fort, de bon coeur mais aussi avec amertume.

Et il y a la douleur qui ne quitte pas l’auteur, une douleur liée à l’absence, à la frustration d’un quotidien insatisfaisant, une douleur qui rappelle que la guerre n’est pas complètement passée. Et ce dernier point est peut-être le passage qui m’a le plus brisé le coeur.

D’une vie faite de multiples départs, Velibor Čolić livre un récit singulier et infiniment émouvant écrit dans une langue inventive qui crie la liberté.

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Ils/Elles l’ont aussi lu et chroniqué : D’une berge à l’autre

Et vous, connaissez-vous cet auteur ?

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❤ « Girls’ Last Tour – Série complète » de Tsukumizu (Omaké Books, 2020-2021)

En juin 2020 je partageais avec vous mon coup de coeur pour le premier tome de cette surprenante et remarquable série. Depuis, elle s’est développée, s’est terminée en six tomes (tristitude) et mon intérêt n’a jamais faibli. Que vous soyez lecteurs•trices ou non de mangas, cette série mérite vraiment d’être découverte.

Présentation de l’éditeur : « Cette dystopie raconte la vie après la fin de notre monde, suite aux dérives de notre civilisation actuelle. Mais, loin des clichés pessimistes inhérents aux autres récits post-apocalyptiques, la naïveté et l’innocence des deux héroïnes offrent ici un regard inédit, tendre et très profond sur notre humanité…

La civilisation s’est éteinte il y a déjà de nombreuses années. Le monde n’est plus que villes dévastées et machines inutiles. Chito et Yuri sont désormais seules et errent sans véritable but dans les décombres. Les deux jeunes filles ont grandi dans ce monde, sans savoir comment elles ont pu survivre par elles-mêmes. Aujourd’hui, elles déambulent sans vraiment comprendre tout ce qu’elles voient, à la recherche d’un toit et de nourriture. Leur périple dans ce monde sans vie est, pour elles, l’occasion de se poser de nombreuses questions sur l’existence et la vie que menaient leurs ancêtres, mais aussi sur le futur… »

Je ne suis pas une adepte du post-apocalyptique et s’il y a bien des livres qui m’aident à m’y aventurer ce sont les graphiques. Dans cette histoire nous suivons deux jeunes filles – difficile de leur donner un âge mais je les imagine adolescentes – qui parcourent un monde dévasté, a priori sans vie humaine.

Que s’est-il passé ? D’où viennent-elles ? Où vont-elles ?

Chaque tome permet de comprendre un peu mieux ce monde déserté, de recueillir des indices sur le monde d’avant, de formuler des hypothèses sur la raison de son extinction. C’est parfois avec une surprise particulière que nous découvrons des objets se référant à notre présent, révolu. Nous découvrons aussi des créatures et des machines qui nous transportent davantage dans un espace imaginaire. Chacun des six tomes est également pensé pour explorer une notion particulière : philosophique, humaine, technologique, spirituelle.

De leurs caractères aussi diamétralement opposés que complémentaires, Chito et Yuri nous emmènent pour quelques heures de lecture loin du monde réel et nous font passer par une large gamme d’émotions. Comment ne pas s’attacher à elles ? Ne pas craindre pour elles ? Ne pas espérer avec elles ? A la fois adultes trop jeunes mais conservant une précieuse part de candeur, ce sont des personnages que nous regrettons sincèrement de quitter.

Sans aucun doute (et sans m’y connaître beaucoup) cette série restera l’une des meilleures de ces dernières années. Philosophique, sensibilisatrice sur des questions sociétales et humaines, antimilitariste, écologique, à la fois drôle, tendre et mélancolique… Si on y ajoute des illustrations à couper le souffle, dépaysantes et riches en détails ainsi que des character design infiniment attachants, elle a un très grand nombre de qualités (et je ne lui vois pas de défauts).

Je sais déjà que je relirai et relirai encore cette série à l’avenir, car elle est devenue pour moi une incontournable de ma bibliothèque graphique (je ne manquerai pas non plus de l’offrir). Idéale pour des moments durant lesquels je souhaite me couper de la réalité tout en réfléchissant – presque en méditant – à des idées bien réelles et universelles, et cela en l’excellente compagnie de Chito et Yuri.

Une quête dont l’essentiel ne se trouve pas au bout du chemin mais bien dans le chemin lui-même.

Pour conclure en peu de mots : jetez-vous dessus !

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Et vous, quelle est votre série manga chouchoue ?

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« Les enfants du silence » de Gong Ji-young (Picquier, 2020)

Sur les conseils de Cristie (organisatrice du Challenge coréen et rédactrice du blog Depuis le cadre de ma fenêtre) j’ai souhaité découvrir l’autrice Gong Ji-young. J’avais noté deux titres en particulier : Très chère grande soeur et Les enfants du silence. Cette première découverte me donne envie de poursuivre mon exploration de l’oeuvre de Gong Ji-young. Vive les maxi-commandes trimestrielles de livres d’occasion ! Je n’en peux déjà plus d’attendre…

Quatrième de couverture : « Il faut avant tout savoir que les événements racontés dans ce roman sont vrais. Ils ont réellement eu lieu.

Lorsque Inho arrive dans cette petite ville coréenne noyée dans le brouillard, il a un mauvais pressentiment. Il vient d’être nommé professeur dans une école privée et rien ne le destinait au combat qu’il va devoir y mener pour faire éclater la vérité. Ce que découvre rapidement Inho, c’est que les élèves de cette institution sont victimes de sévices et d’abus sexuels depuis plusieurs années, avec la complicité de membres de la police et des autorités locales. Ces enfants sont d’autant plus réduits au silence qu’ils sont atteints de surdité.

Face à la puissance et au mépris de ceux qui détiennent le pouvoir, la solidarité, le courage, l’obstination seront-ils suffisants pour que justice soit rendue ?

Gong Ji-young est une écrivaine profondément convaincue que les livres peuvent changer le monde. Et parfois en effet ils y arrivent. Ce roman poignant a provoqué un séisme dans la société coréenne et une nouvelle loi a été votée, qui durcit les peines pour les auteurs d’agressions sexuelles sur les mineurs et les handicapés. »

Pour être tout à fait franche, je n’étais pas certaine de réussir à terminer la lecture de ce roman, j’ai d’ailleurs fait une pause de quelques jours à la moitié. Le sujet – extrêmement difficile – est abordé de front, il n’épargne pas les lecteurs•trices et en même temps l’autrice adopte un ton qui évite des glissements maladroits. C’est vraiment un roman face auquel je me suis débattue : je ne voulais pas le poursuivre, continuer à lire les actes abjectes qu’ont subi ces enfants… mais je n’arrivais pas à arrêter de penser au combat pour la justice qui allait se dérouler et auquel je m’accrochais.

Contextualisé dans une ville appartenant à l’imaginaire littéraire coréen, l’histoire est basée sur des faits bien réels. Elle dénonce les abus sexuels sur des mineurs handicapés en même temps que le règne de l’impunité dès lors qu’il est question de relations de pouvoir et d’argent. C’est un livre choquant mais nécessaire, il tord les ventres et frappe les esprits en même temps qu’il engage. Car même si les choses peuvent sembler perdues d’avance face à certains cercles, ce n’est pas une raison de baisser les bras.

Gong Ji-young nous propose une variété de personnages intéressante : les coupables, les victimes infiniment émouvantes, un enseignant qui arrive un peu par hasard dans l’institution et va découvrir ce qui s’y passe, une femme engagée dans la défense des droits humains, les familles, un policier mouillé dans les magouilles, deux pasteurs qui n’ont pas fait les mêmes choix moraux, des responsables volontairement aveugles, des avocats aux approches différentes…

Avec beaucoup de réalisme, que ce soit dans la description de l’établissement pour enfants sourds, dans les démarches pour ouvrir l’enquête ou dans la partie plus judiciaire, Gong Ji-young interroge l’humanité et l’inhumanité, la moralité et l’immoralité, la société, la nature humaine, la force des intérêts personnels ou, au contraire, la capacité d’abnégation.

Je n’ose imaginer les difficultés qu’a pû rencontrer l’autrice lors de l’écriture de ce roman, car la réalité est là et elle dépasse parfois le pire que nous puissions inventer. Le résultat de cet éprouvant travail prend la forme de jeunes personnages aussi courageux qu’inoubliables, d’une réaction légale en Corée et d’une conscience collective.

Un film a été adapté de ce roman qui a fortement secoué la société coréenne : Silenced de Hwang Dong-hyeok (2011). J’ai prévu de le découvrir dans les semaines à venir, le temps de digérer un peu le texte et de trouver le courage d’affronter cette histoire en images.

Cette lecture entre dans le cadre du Challenge coréen organisé par le blog Depuis le cadre de ma fenêtre.

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Et vous, quel•s roman•s de Gong Ji-young conseillez-vous ?

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« Kim Jiyoung, née en 1982 » de Cho Nam-joo (NiL, 2020 ; 10/18, 2021)

Depuis sa traduction en français, impossible de ne pas croiser ce roman qui décrit le patriarcat en Corée du Sud, le sexisme quotidien qui enferme les femmes et les assigne à des rôles bien définis, les conditionnent au sacrifice de leurs envies et de leurs besoins. Ces sujets m’intéressent et lire qu’il a fait polémique en Corée du Sud lors de sa parution m’a rendue encore plus curieuse. Qu’est-ce qui a tant dérangé ? Le fait de rendre visibles des injustices récurrentes et de remettre en cause la place d’une masculinité dominante ? Il fallait bien que ce soit dit.

Quatrième de couverture : « Kim Jiyoung est une femme ordinaire, affublée d’un prénom commun – le plus donné en Corée du Sud en 1982, l’année de sa naissance. Elle vit à Séoul avec son mari, de trois ans son aîné, et leur petite fille. Elle a un travail qu’elle aime mais qu’il lui faut quitter pour élever son enfant. Et puis, un jour, elle commence à parler avec la voix d’autres femmes. Que peut-il bien lui être arrivé ?

En six parties, qui correspondent à autant de périodes de la vie de son personnage, d’une écriture précise et cinglante, Cho Nam-joo livre une photographie de la femme coréenne piégée dans une société traditionaliste contre laquelle elle ne parvient pas à lutter. Mais qu’on ne s’y trompe pas : Kim Jiyoung est bien plus que le miroir de la condition féminine en Corée – elle est le miroir de la condition féminine tout court. »

Kim Jiyoung est une femme, une épouse, une mère. Un jour elle se met à être habitée par d’autres personnes qui s’expriment à travers elle. Quel est ce phénomène ? Il résulte d’une vie d’expériences qui l’ont heurtée, elle ainsi que les autres femmes de son entourage, elle et les autres femmes tout court. Chacune d’entre nous habite les voix d’autres femmes, d’hier et d’aujourd’hui.

Revenant sur l’histoire de Kim Jiyoung depuis son enfance jusqu’à une trentaine d’années, Cho Nam-joo montre les discriminations dont les filles, les adolescentes et les femmes sont victimes.

J’ai beaucoup aimé cette lecture qui dépasse les frontières et nous fait réfléchir sur le sexisme quotidien : au sein de la famille, au cours des études, dans la recherche d’emploi puis au cours de la vie professionnelle, lors de l’installation en couple et du projet de maternité, etc. A chaque étape de la vie d’une femme des assignations sont tapies dans l’ombre. Cho Nam-joo les fait passer dans la lumière pour que chacun•e puisse en prendre conscience. Pourtant, ce texte ne se termine pas de façon optimiste, loin de là. Un point final qui fait s’éveiller en nous une volonté de révolte et de rébellion. Et pour ça, le choix est très efficace.

Agrémenté de statistiques sur la société coréenne, ce texte est aussi engageant que rageant. J’avais peur que l’effet médiatique surnote la qualité du texte mais je dois reconnaître que j’ai apprécié ma lecture, l’écriture n’est pas exceptionnelle mais l’efficacité est là et la dénonciation est bien menée, explorant bien la psychologie des personnages féminins et les violences sociales malheureusement d’actualité.

Si vous hésitez à découvrir ce roman, je ne peux que vous inviter à vous lancer. Chaque livre compte étant donné la lenteur de l’évolution des mentalités, notamment sur le vaste sujet de la maternité, que ce soit sur l’expérience même que cela représente ou que ce soit en lien avec la vie professionnelle ou au sein de l’intimité des foyers.

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Et vous, quel roman féministe conseillez-vous ?

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« L’arbre nu » de Keum Suk Gendry-kim (Les Arènes, 2020)

Librement adapté du roman culte de Park Wan-seo, Keum Suk Gendry-kim a voulu partager à sa façon l’un des romans qui l’a le plus marquée. Elle le dit elle-même : dès sa lecture elle a eu envie de l’adapter. C’est maintenant chose faite (et bien faite), le rendant sous cette forme accessible au public français, le roman original n’étant pas disponible.

Quatrième de couverture : « En 1950, quand la guerre de Corée éclate, Kyung a vingt ans. Elle habite à Séoul avec sa mère. Pour survivre, elle est vendeuse dans un magasin de l’armée américaine. Un jour, elle y rencontre Ok Heedo, un artiste peintre ; il a fui le nord du pays et, pour nourrir sa famille, réalise des portraits commandés par les GI’s. Kyung tombe aussitôt amoureuse de cet homme si différent des autres, si doué. Et surtout, cet amour l’aide à oublier le terrible drame qui vient de frapper les siens… Malheureusement, Ok est marié.

Bien des années plus tard, elle visite une exposition posthume consacrée à ce peintre. Le passé sombre qu’elle croyait endormi resurgit d’un coup. Elle entreprend alors d’écrire son histoire pour se réconcilier avec les fantômes qui la hantent. »

Le personnage principal, Lee Kyung, est une jeune femme de vingt ans qui doit à la fois supporter des drames personnels difficiles à surmonter et un quotidien de guerre tout aussi anxiogène. Seule avec sa mère – qui n’est plus qu’ombre dépuis le début de la guerre et la disparition de ses fils – à Séoul, son travail consiste à démarcher des commandes de portraits sur soie auprès de soldats américains. C’est dans le cadre de ce travail qu’un jour son patron recrute un nouveau peintre : Ok Heedo.

Ok Heedo est un homme différent des autres et Lee Kyung, dont l’enfance révolue a fait éclore une jeune femme en quête d’attaches et de repères dans les temps troublés de la guerre, va rapidement tomber amoureuse de lui. Mais Ok est marié, l’amour est impossible à vivre, en même temps qu’impossible à totalement réprimer pour la jeune fille.

L’arbre nu, c’est cet arbre qui ressemble à un arbre mort mais qui a encore de la force en lui. Il attend désespérément des temps plus cléments pour s’exprimer de toutes ses feuilles et de toutes ses couleurs. L’arbre nu c’est Ok Heedo, c’est Lee Kyung, c’est l’image des vies en suspens alors que a guerre vole chaque jour des âmes et des avenirs. Mais, malgré toutes les douleurs et les peurs, il n’est pas mort, il espère des lendemains.

Entre les vagues de sentiments interdits et les plaies des blessures personnelles, Lee Kyung traverse la guerre de Corée et avec elle de nombreux aspects de la vie quotidienne qu’en France nous ne connaissons pas forcément, ou dont nous n’avons pas pleinement conscience.

Keum Suk Gendry-kim nous offre une nouvelle fois un beau roman graphique, enrichissant nos connaissances sur l’histoire contemporaine de la Corée, précisant des faits parfois ignorés ou déformés, tout en nous faisant découvrir une histoire devenue culte dans la culture coréenne depuis sa parution, en 1970. Elle nous fait également découvrir l’oeuvre de Park Soo-keun, nom réel du personnage d’Ok Heedo, l’auteure du roman original ayant écrit L’arbre nu à partir d’éléments autobiographiques.

Je ne veux pas gâcher le plaisir ni l’intensité de votre découverte, je ne vous en dis donc pas plus et vous invite à découvrir ce roman graphique, comme je le fais toujours avec le travail de Keum Suk Gendry-kim. De mon côté, je continue à suivre de très près cette auteure dont j’attends avec impatience le prochain livre prévu pour début mai et qui traitera de la douloureuse séparation de la Corée et, forcément, de celle des familles coréennes.

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Et vous, quel est votre roman graphique préféré de Keum Suk Gendry-Kim ?
Avez-vous envie de la découvrir ?

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« Ma vie en prison. Le récit d’un cri pour la démocratie ! » de Kim Hong-mo (Kana, 2020)

Dans le cadre de mes lectures liées au soulèvement pro-démocratiques de Gwangju, je me suis dirigée vers ce roman graphique autobiographique dans lequel l’auteur revient sur son expérience d’enfermement dans une maison d’arrêt (1996-1997) du fait de ses activités politiques dans une association étudiante. Quel lien me direz-vous ? La découverte de la répression sanglante de mai 1980 est source d’engagement pour le jeune Yongmin, alter ego de l’auteur.

Quatrième de couverture : « Corée du Sud, mai 1980. En pleine période d’instabilité politique, des manifestations d’étudiants et de syndicats réclament la fin de la corruption et la révélation des malversations de l’Etat. Le gouvernement militaire sud-coréen leur oppose une répression violente. À Gwangju, 6e plus grande ville de Corée du Sud, l’armée avec le soutien de la loi martiale perpètre un véritable massacre : 163 morts, 166 disparus et plus de 3 000 blessés. 17 ans plus tard, révolté quand il se rend compte de la gravité de ces faits et de l’impunité de leurs responsables, Yongmin, jeune dessinateur et étudiant à l’université de Hongik, délaisse ses études pour rejoindre les mouvements étudiants de protestation, réclamant justice. Lors d’une manifestation, il est arrêté par la police et incarcéré. Il rejoint alors une cellule où il va devoir se familiariser avec les gangsters, meurtriers et autres détenus de droit commun ! L’auteur nous offre une plongée dans l’histoire contemporaine de la Corée du Sud. Mais c’est surtout une saine piqûre de rappel : la liberté d’expression est un droit chèrement acquis et qui n’est jamais irrévocable ! »

Réalisé dans un premier temps en feuilletons, l’intégralité de ce témoignage a été rassemblé pour être publié en un volume unique, notamment en français. Cela se ressent dans certaines redites qui ne sont pas particulièrement agréables à la lecture : le•la lecteur•trice n’oubliant pas l’information en tournant une simple page, certains passages auraient peut-être mérité un petit travail d’adaptation.

La chronique ne commence pas sur un point positif et malheureusement ça risque de durer encore un peu… La préface d’Alain Delissen annonçait une lecture passionnante sur divers aspects et finalement je n’ai pas trouvé ce que je cherchais et les réflexions que je souhaitais alimenter.

Dans la préface, Alain Delissen présente ce livre et le travail de Kim Hong-mo comme important dans la réflexion sur la mémoire et la représentation de l’histoire contemporaine de la Corée, citant à cette occasion Park Kun-woong. Je suis amatrice de l’œuvre de Park Kun-woong dans ce qu’elle montre et dans sa manière de montrer les faits, même si parfois la lecture est éprouvante. J’ai donc été déçue en découvrant que Kim Hong-mo avait adapté son témoignage notamment pour éviter l’ennui des lecteurs•lectrices. Je peux être assez sévère et je m’en excuse, mais, dans une démarche de témoignage, de sensibilisation et de mémoire, j’ai tendance à préférer les œuvres les plus justes possibles. De fait, cette œuvre interroge ce que l’on choisit de dire et de ne pas dire en pensant à l’attention et à la réception du lectorat (ici adulte). Un souci pertinent ou pas ?

Ce témoignage est visuellement agréable et expressif mais je déplore certains choix de l’auteur : minimiser l’impact de l’enfermement et les conditions de détention, ne représenter que des co-détenus qui ont été sympathiques et/ou lui ont laissé un bon souvenir et donc ne pas faire apparaître ceux qui étaient plus malveillants.

Pour revenir sur l’histoire, nous suivons Yongmin qui a été arrêté et attend d’être jugé pour son activisme politique au sein d’une association étudiante. La Corée du Sud est en pleine transition démocratique, des affaires politiques éclaboussent des membres du gouvernement et certaines violences d’Etat persistent, ce que dénoncent les étudiants. Contraint à l’enfermement dans une maison d’arrêt durant huit mois, Kim Hong-mo transmet ses souvenirs et montre, derrière les murs, ce que normalement la population ne voit pas, n’entend pas, ne sait pas. Il montre aussi comment la lutte s’est poursuivie malgré l’isolement des étudiants (séparés entre les cellules, les étages et les bâtiments), la détermination de Yongmin à ne pas renier son engagement.

Si ce roman graphique revêt sans aucun doute un intérêt socio-historique et littéraire, je dois bien dire qu’il ne m’a pas particulièrement convaincue. J’ai justement ressenti l’absence de certains faits, de certaines tensions et/ou difficultés ce qui a rendu l’ensemble finalement assez lisse. Et ce qui me dérange, au fond, c’est que cette volonté d’alléger le témoignage et de l’aérer avec des touches plutôt amusantes en pensant aux lecteurs•trices. Je pense que cela peut avoir le biais de donner l’impression de minimiser l’épreuve vécue, de dédramatiser le dramatique et ce ne sont pas des choix qui ont répondu à mes attentes.

Cependant, le parcours de l’auteur force l’admiration par sa détermination et sa droiture, dans son choix de rester fidèle à ses convictions malgré les risques d’emprisonnement encourus. J’ai également été émue par la représentation du père de Yongmin, infiniment attachant. De même, l’histoire de l’engagement de Yongmin permet d’approcher l’histoire socio-politique de la Corée du Sud contemporaine, ce qui est très instructif. Il y a donc aussi du positif, je ne peux tout de même pas dire l’inverse même si ce fut un rendez-vous un peu manqué.

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Et vous, préférez-vous les témoignages adaptés ou fidèles* ?
*Dans la limite de ce qui peut être exprimé/dicible.

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« Battue » de Lilian Coquillaud et Marine Levéel (6 pieds sous terre, 2020)

D’un magnifique très grand format, ce roman graphique explore un sujet très intéressant : l’embrigadement dans un obscur groupuscule et la tentative d’enquête sur celui-ci, pour lever le masque porté par une organisation qui flirte avec les limites en public mais les dépasse probablament dès lors qu’il ne peut y avoir de preuves.

Présentation de l’éditeur : « Alors qu’elle mène une nouvelle vie, loin de sa contrée natale et de ses racines, Camille reçoit la visite d’Hassan, un ami d’enfance devenu journaliste. Des retrouvailles amères qui font ressurgir un passé qu’elle avait chassé depuis longtemps.

Hassan cherche à infiltrer la Grande Battue, chasse exclusive menée une fois l’an dans les montagnes de leur région par les Blanchistes, un groupuscule d’influence néo-païenne et réputé proche de l’extrême-droite. il voudrait mettre au jour ce mouvement et son idéologie, persuadé depuis toujours que cette chasse cache les complots ou les exactions qui permettraient de les dissoudre. Camille, fille repentie d’un Blanchiste, pourrait l’aider dans sa mission. Très froide, la jeune femme prend rapidement congé de son vieil ami : elle ne veut plus se pencher sur cette part de son histoire. Les hasards de la vie, avec la mort de son père, figure tutélaire de ce mouvement, se chargeront de brouiller ses plans et la feront replonger dans ce passé haï qu’elle avait fui enfant, grâce à sa mère. »

Alors que Camille a mis des années à se libérer de son passé et que la mort de son père l’y ramène en pensées, Hassan, un ami d’enfance, revient dans sa vie. Il est journaliste et enquête sur les Blanchistes, groupuscule présumé d’extrême droite dont le père de Camille était jusqu’alors le meneur. Son idée : faire re-rentrer la jeune femme dans ce milieu à l’occasion de la Grande battue annuelle afin d’obtenir des informations que seules les personnes admises possèdent. Des informations qui pourraient faire tomber l’organisation, en dévoilant ses vraies motivations. Une rencontre quelque peu intéressée mais qui repose sur une complicité perdue qui a comptée et sur l’envie de mettre un terme à l’impact de démons personnels.

Camille va s’engager dans cette Grand battue et c’est à travers elle que nous allons découvrir l’organisation des Blanchistes et leur mode opératoire, leur habile mode de séduction utilisant la nature et son pouvoir exaltant, les frustrations personnelles et le manque de valorisation individuelle, le pouvoir du groupe et l’orgueil de chacun, la construction d’une fierté territoriale et le besoin de compter au regard des autres et de l’histoire.

Sous-couvert de principes qui semblent ne pas être problématiques, le cheminement à tavers les forêts et les montagnes va peu à peu dévoiler une perversité que je vous laisse découvrir. Ce récit ne sera pas sans rappeler, à la fin, certains groupes existants en France (pourtant moins discrets) et qui échappent globalement à la justice malgré la violence de leurs démarches et des finalités de celles-ci.

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Ils/Elles l’ont aussi lu et chroniqué : L’accro des bullesAu fil des plumes

Et vous, quelles oeuvres dénonçant des idées extrêmistes recommandez-vous ?

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« Né coupable » de Florence Cadier (Talents hauts, 2020)

Ce roman pour adolescents explore le racisme aux États-Unis (particulièrement dans le sud) dans les années 1940, la justice expéditive qui y est liée ainsi que l’horreur de la peine de mort. Une fiction inspirée de faits réels qui sensibilisera les lecteurs et lectrices dont les valeurs citoyennes se construisent.

Quatrième de couverture : « Le 23 mars 1944, alors que l’Amérique a le regard tourné vers la fin du conflit en Europe, la ségrégation bat son plein en Caroline du Sud. George Stinney, jeune Afro-Américain de 14 ans, est arrêté pour le meurtre de deux fillettes blanches. Le garçon, qui reconnaît les avoir croisées quelques heures avant leur disparition, est le coupable parfait aux yeux du shérif, des parents des victimes et de toute la société. »

La littérature jeunesse a aussi des choses à apprendre aux adultes, j’en suis convaincue et ce roman me l’a notamment prouvé car je ne connaissais pas l’histoire du jeune George Stinney. Pourtant son histoire impacte encore le présent car en 2014 son procès et la sentence qu’il a dû affronter ont été révisés (sans que les charges retenues contre lui en 1944 n’aient été totalement abandonnées).

C’est l’histoire d’un jeune garçon noir au mauvais endroit au mauvais moment, qui va croiser deux fillettes. Plus tard, elles seront retrouvées assassinées et George fera le coupable idéal. Agé de 14 ans, il sera arrêté et jugé comme un adulte, subira les pratiques plus que controversées de l’époque (ses aveux sont faux, obtenus de force), sera séparé de sa famille, aura un jugement expéditif (sans avoir pu consulter son avocat au préalable et face à un jury composé intégralement de personnes blanches dans un État ségrégationniste) jusqu’à l’annonce de la sentence : la peine de mort, sur la chaise électrique. Un enfant assassiné qui symbolise à la fois le racisme institutionnel et l’abomination de l’erreur judiciaire irréparable, la barbarie de la peine de mort.

Décédé le 16 juin 1944, Georges Stinney est le plus jeune condamné à mort aux États-Unis au cours du 20ème siècle.

Je regrette qu’on ne reconnaisse pas plus le visage de George Stinney sur la couverture et que quelques coquilles se soient glissées dans le texte (dont une confusion de prénom), mais ce roman historique reste efficace tout en étant adapté à de jeunes adolescents. Il transmet de fortes émotions : le sentiment d’injustice met en colère, l’incroyable inextricabilité de la situation impose pourtant au lecteur de ne pas pouvoir se résoudre à sa fatalité, le manque d’empathie des autorités révolte, la douceur et la candeur du personnage de George émeuvent, l’amour de sa famille réconforte en même temps que son impuissance subie brise le coeur, la révolte et la tristesse de la fin.

Cette lecture sera autant la découverte d’une histoire honteuse des États-Unis qu’un voyage dans le vaste monde des émotions humaines. Un roman bien amené et facile d’accès dès 13 ans.

De Florence Cadier je suis désormais curieuse de découvrir La faute de Rose (Thierry Magnier, 2012) et Dans l’ourlet de nos jupes (Talents hauts, 2017).

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Ils/Elles l’ont aussi lu et chroniqué : Pas de chronique trouvée pour le moment.

Et vous, connaissiez-vous l’histoire de George Stinney ?

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« Ce genre de petites choses » de Claire Keegan (Sabine Wespieser, 2020)

Je vous retrouve aujourd’hui avec une lecture en lien avec l’actualité. Nous sommes en Irlande, dans les années 1980. Il est connu de toutes et tous que des institutions catholiques accueillent des jeunes femmes enceintes abandonnées par leur famille. Ce qui se sait moins et qu’il ne faut pas voir, c’est que les enfants sont arrachés à leur mère et que ces dernières sont exploitées et maltraitées.

Une commission d’enquête officielle a rendu, mardi [12 janvier], un rapport sur ces institutions catholiques dans lesquelles plus de 9 000 bébés sont morts de 1922 à 1998.

Le Monde, « L’Irlande demande pardon pour les victimes de ses « maisons pour mères et bébés » » 13 janvier 2021

Quatrième de couverture : « En cette fin d’année 1985 à New Ross, Bill Furlong, le marchand de bois et charbon, a fort à faire. Aujourd’hui à la tête de sa petite entreprise et père de famille, il a tracé seul sa route : élevé dans la maison où sa mère, enceinte à quinze ans, était domestique, il a eu plus de chance que d’autres enfants nés sans père.

Trois jours avant Noël, il va livrer le couvent voisin. Le bruit court que les sœurs du Bon Pasteur y exploitent à des travaux de blanchisserie des filles non mariées et qu’elles gagnent beaucoup d’argent en plaçant à l’étranger leurs enfants illégitimes. Même s’il n’est pas homme à accorder de l’importance à la rumeur, Furlong se souvient d’une rencontre fortuite lors d’un précédent passage : en poussant une porte, il avait découvert des pensionnaires vêtues d’horribles uniformes, qui ciraient pieds nus le plancher. Troublé, il avait raconté la scène à son épouse, Eileen, qui sèchement lui avait répondu que de telles choses ne les concernaient pas.

Un avis qu’il a bien du mal à suivre par ce froid matin de décembre, lorsqu’il reconnaît, dans la forme recroquevillée et grelottante au fond de la réserve à charbon, une très jeune femme qui y a probablement passé la nuit. Tandis que, dans son foyer et partout en ville, on s’active autour de la crèche et de la chorale, cet homme tranquille et généreux n’écoute que son cœur. »

Particulièrement bien accueilli par la critique, ce roman attendait son moment de lecture et l’actualité l’a guidé. Nous rencontrons Bill, sa femme et ses cinq filles. Nous rencontrons aussi son passé et les questions qui le hantent concernant ses origines.

Vendeur de combustibles, il est débordé en cet hiver particulièrement froid et livre autant les familles, les commerces que l’institution catholique du coin. Une livraison pas comme les autres va l’amener à découvrir ce genre de petites choses, comme dit son épouse.

Ces petites choses dont on parle parfois avec légèreté, à la fois soulagé de ne pas les vivre et qui alimentent une conversation sans que l’on se sente concerné. Ces petites choses qui font nos vies, qui font que l’on arrive à dormir ou qui nous rendent complices et, éventuellement, nous volent le sommeil. Ces petites choses qui nous définissent et qui peuvent sauver des vies.

Dans ce roman nous ne voyons pas les enfants privés de leur mère mais ils sont bien présents en creux tout au long de l’histoire, leur absence est palpable. Bill aurait pu être l’un d’entre eux, il symbolise une exception. Une jeune femme sans nouvelles de son bébé représente l’arrachement et la disparition : décédé, placé ou adopté. Leur présence entre les lignes est confirmée par la postface de l’auteure, qui rappelle à son tour les chiffres glaçants mais réels.

Un texte plein de bonté qui fait énormément de bien et qui nous invite à faire du bien quand les situations ne nous semblent pas justes. Un écriture envoûtante pour ce texte qui se déroule lors des fêtes de Noël, avec un personnage masculin extrêmement attachant. Une lecture qui annonce ma poursuite de la découverte de l’œuvre de Claire Keegan, sans aucun doute.

Pour finir, je souhaite relier ce sujet à la situation des jeunes filles coréennes qui vivent également une stigmatisation dès lors qu’elles portent un enfant hors du cadre traditionnel, qui subissent de fortes pression dans le but de se séparer de leur enfant pour ne pas attirer honte et commérages sur leur famille. Pour en savoir plus sur ce sujet, je vous invite à découvrir le documentaire Adoptée, pourquoi moi ? de Sun Hee Engelstoft (Arte).

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Et vous, quel autre ouvrage de Claire Keegan me conseillez-vous ?

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« Élise » de Fabian Menor (La joie de lire, 2020)

Depuis sa parution je louche sur ce livre à mi-chemin entre album jeunesse et roman graphique jeune public. Je suis très sensible aux livres qui abordent les enfances blessées et les mauvais traitements dont sont victimes les enfants et mineur•e•s, c’est donc sans surprise que je me suis tournée vers ce titre.

Quatrième de couverture : « A une époque où les professeurs ont le droit de lever la main sur les élèves, le quotidien d’Élise ressemble à celui de n’importe quelle petite fille. Enfin presque… »

Intégralement réalisé en noir et blanc, conçu à partir des souvenirs de la grand-mère de l’auteur, nous faisons un saut dans le temps, à la fin des années 1940, alors que le respect physique des enfants n’était pas encore inscrit dans les textes. Le quotidien n’est pas toujours simple, chaque jour une angoisse la poursuit : les brimades dont elle est victime, avec ses camarades, à l’école.

L’institutrice d’Élise a des méthodes qui n’ont rien de pédagogiques mais tout de sadiques. D’humiliations en coups, Élise va essayer d’ouvrir les yeux de ses parents sur ce qui se passe entre les quatre murs de la classe. Mais comment faire porter une voix d’enfant face à celle des adultes ?

Heureusement, Élise peut compter sur son chien et ses autres animaux, avec lesquels elle a un lien très fort, pour panser ses journées. Mais beaucoup de choses vont se passer en peu de temps et Élise va à la fois se rendre compte de ce dont elle est capable et grandir.

Cet album jeunesse propose une immersion dans le monde de la bande dessinée pour les jeunes lecteurs•trices et la sensibilisation de ces mêmes jeunes aux injustices du quotidien, à la possibilité de les affronter et de changer les choses. Un bel hommage de l’auteur à l’enfance parfois maltraitée de sa grand-mère, qui montre aux enfants ce que l’école a pu être par le passé et qui transmet le sens de l’indignation et de la résistance.

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Et vous, quels livres jeunesse sur les violences scolaires recommandez-vous ?

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« Jizo » de Mato et Mr Tan (Glénat, 2020)

Nous avons été nombreux•ses à remarquer cette couverture aux tons clairs-obscurs qui invitent à une méditation mélancolique. Un jeune garçon perdu dans une ville qui devra trouver des réponses avec l’aide d’un étrange compagnon, un moment de lecture émouvant pour les lecteurs•trices à partir de 12 ans (selon moi).

Quatrième de couverture : « Aki ne retrouve plus le chemin pour rentrer chez lui. Tout le monde semble indifférent à cet enfant perdu. Tous… sauf Jizo, un étrange garçon sorti de nulle part. Est-ce un enfant des rues ? Va-t-il vraiment le ramener chez lui ? A-t-il raison de le suivre dans le temple où il l’emmène ? Malgré son grand sourire, Aki peine à faire confiance à son nouvel ami. Surtout qu’une effroyable sorcière chasse les enfants à la tombée de la nuit… »

Ce manga en one-shot et d’un beau format saura atteindre votre coeur sans aucun doute. Adapté à un public jeunesse, les adultes auront également de fortes émotions en suivant les aventures des deux personnages dans une histoire mêlant réalisme, croyances traditionnelles japonaises et fantastique.

Pour ma part, j’ai deviné le climax de l’histoire assez rapidement mais même si cela a enlevé une partie de l’effet dramatique du récit cela ne m’a pas empêchée d’apprécier l’histoire dans son ensemble (et de chougner un bon coup).

Nous sommes ici avec un récit graphique qui aborde une épreuve particulière et son acceptation par un jeune garçon aidé de son nouvel ami énigmatique. Son mélange de poésie et d’action permettra aux jeunes lecteurs•trices de s’approprier la morale pour eux-mêmes mais aussi pour leur entourage, leur proposant une vision fantastique et métaphysique pour répondre à l’une des grandes inconnues de la vie.

Finalement, les auteurs abordent un sujet qui n’est pas évident à traiter auprès de la jeunesse avec talent, entre délicatesse et ambiance shōnen. Le petit plus : le récit se base sur une croyance de la culture japonaise que j’ai pris plaisir à découvrir.

Un manga qui a su m’émouvoir tant dans sa construction qu’avec ses illustrations. Une très belle découverte qui finira entre les mains de mes neveux lorsqu’ils seront assez grands. En attendant je le garde précieusement.

J’en profite pour souligner le plaisir que j’ai pris à lire un one-shot dans ce genre littéraire presque exclusivement composé de séries (celles-ci souvent longues). Personnellement c’est ce que je préfère : les volumes uniques ou les séries courtes.

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Et vous, vous êtes plutôt séries de mangas longues ou courtes ?

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« DoggyBags – Tomes 1 & 15 » (Ankama, 2011-2020)

J’ai remarqué cette série de la collection Label 619 à deux occasions : la première en voyant le sujet des histoires rassemblées dans le tome 15, Mad in America (le racisme et la violence aux États-Unis), la seconde en cherchant d’autres travaux de Run et Guillaume Singelin après avoir beaucoup apprécié Mutafukaz et ses spin-off. Run est ici rédacteur en chef tout en participant à une partie des récits graphiques présents dans chaque tome.

Quatrième de couverture : « Plus brutal qu’un coup de fusil à pompe en pleine tête et plus vicieux qu’un arrachage de dent à la pince-monseigneur, DoggyBags est un hommage aux pulps et aux comics d’horreur des années 50 qui ne fait pas dans la dentelle : les chromes rugissent, les calibres crachent et l’hémoglobine coule à flot dans la joie et la mauvaise humeur. Sortez vos p’tits sacs pour toutous, parce qu’il va y avoir de la viande en rab. »

Mad in America correspondait à mes sujets d’intérêt mais j’ai également souhaité découvrir un tome non thématique pour mieux saisir l’esprit de cette série. J’ai opté pour le premier numéro réédité cette année à l’occasion des 15 ans des éditions Ankama. Je cherchais aussi des récits graphiques à offrir à mon frère en sachant qu’il est amateur de l’univers de Quentin Tarantino. Je vous le dis tout de suite : si vous appréciez aussi ce réalisateur, ses choix de scénarios, ses ambiances et sa passion pour la décoration intérieure à base d’hémoglobine, vous pourriez trouver là votre bonheur !

Je suis une ignare absolue en ce qui concerne les pulp magazines. Voilà, c’est dit. Mais est-ce que ça empêche de s’immerger dans la lecture et d’en profiter ? Non. Et ce que j’ai encore plus apprécié c’est la présence de pages documentaires qui apportent des contenus complémentaires aux histoires. Bon, quand ça concerne des armes ça me passe un peu au-dessus, mais quand il est question de sujets de société je suis complètement absorbée. C’est ce que j’avais aussi adoré dans Mutafukaz Puta Madre. C’était aussi pertinent que glaçant.

Je vous donne quelques indications ci-dessous sur chaque histoire, très rapidement, pour vous donner une rapide idée car sagissant d’histoires courtes, je ne veux surtout pas vous gâcher la moindre surprise (mais quand même vous donner envie de les découvrir).

Concernant le tome 1, nous sommes ici sur trois histoires qui n’ont pas de thématique commune :

  • Fresh Flesh & Hot Chrome par Guillaume Singelin : une histoire de loups-garous et de bikers qui souligne de poids de l’appartenance au groupe dans ces organisations. Je n’ai pas spécialement accroché à l’histoire même si j’ai adoré, une nouvelle fois, le style graphique de Guillaume Singelin.
  • Masiko par Florent Maudoux : ambiance Kill Bill mais en différent (et là, vous me dites merci mais pas merci pour la précision de l’information). J’ai beaucoup aimé cette dose d’adrénaline qui mêle organisations louches, têtes mises à prix, vengeance, amour, maternité, fantastique, humour potache et sacrées échanges de coups. Un personnage principal auquel je me suis tout de suite attachée et un rythme narratif irréprochable.
  • Mort ou vif par Run : alors là, grosse ambiance épaisse qui renifle le cadavre abandonné en plein soleil. Une course poursuite endiablée dans la chaleur du désert : un flic, un malfrat et une flopée de vautours. Non loin de là, la frontière du Mexique.

Concernant le tome 15, Mad in America, les trois histoires tournent autour du racisme et de la violence aux États-Unis :

  • Manhunt par Peter Klobcar : deux hommes blancs ont pour projet de lyncher un jeune homme noir, Sydney. Leurs plans ne tournent pas comme ils l’ont prévu et une bête rôde dans le bayou. Une bête qui a faim de chair fraîche. Sentiment mitigé pour ce récit dont je n’ai pas vraiment saisi la tournure, mais glaçant dès le départ, sans le moindre doute.
  • Conspi Racism par Run et Ludo Chesnot : j’ai trouvé cette histoire exceptionnellement menée ! Elle décortique la force des idées complotistes, leurs rouages et leur fond de commerce : la frustration individuelle en lui donnant un poids collectif. Il est question des ravages de ces idées cumulées au racisme déjà effroyablement mortifère et à la circulation non contrôlée des armes, aux tueries de masse. Dans ce contexte complotiste que l’on peut lier sans problème au réel se déploie une fiction passionnante qui tient en haleine du début à la fin et qui donne un sentiment d’inextricabilité. Puissant.
  • Heritage par Run et Gasparutto : ici nous abordons la question du racisme par l’haleine puante de haine des membres du Ku Klux Klan. Une façon de souligner qu’aujourd’hui encore l’organisation n’est pas morte. Il est question de vengance et de questionnement sur la vengeance : si chacun venge quelqu’un, jusqu’où cela ira ? Entre justice personnelle (mais collective d’une certaine façon aussi) et escalade de la violence, chacun hérite de son histoire personnelle mais aussi de l’histoire du pays. Une histoire qui se conclue sur une citation de Martin Luther King toujours d’actualité, toujours d’une grande justesse.

Vous l’aurez probablement compris, j’ai davantage été séduite et marquée par le tome 15 de DoggyBags pour les sujets des nouvelles graphiques. C’est une sensibilité qui m’est propre et je pense que chaque volume de cette série saura trouver son public. Pour ma part, je vais rester très attentive à leurs parutions car j’ai pris plaisir à découvrir les deux volumes.

Dernière précision concernant les contenus et leur niveau de violence : les volumes précisent qu’il s’agit de contenus pour lecteurs avertis. J’avais un peu peur mais finalement ça reste très raisonnable. Je ne peux pas me positionner sur les autres volumes mais j’ai déjà été extrêmement choquée par des contenus (ici je parle de séries) qui ne prenaient pas autant de précautions et qui se sont révélées insoutenables. Ici, ce n’est pas le cas. Je pense donc qu’un lectorat adulte de manière générale (ou même de grands ados à partir de 16 ans) devrait faire face sans souci.

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Et vous, avez-vous une petite envie de pulp magazine ?

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« Compte les étoiles » de Lois Lowry (L’École des loisirs, réed. 2020)

Initialement publié en France en 1990, ce roman jeunesse a été réédité en début d’année. L’histoire du sauvetage de la majorité des Danois juifs durant la Seconde Guerre mondiale, du point de vue d’une enfant, qui pourra transmettre aux jeunes lecteurs•trices les valeurs du courage et de l’engagement pour autrui.

Quatrième de couverture : « 1943. Pour Annemarie Johansen, la vie à Copenhague est un mélange compliqué de vie familiale, d’école, de rationnement alimentaire et d’occupation allemande. Le courage semble une vertu lointaine. Au moment où les Nazis commencent à organiser les déportations des Juifs du Danemark, les Johansen recueillent la meilleure amie d’Annemarie, Ellen Rosen, désormais présentée comme faisant partie de la famille. Ellen et Annemarie doivent réfléchir très vite lorsque les soldats perquisitionnent et demandent en pleine nuit pourquoi Ellen n’est pas blonde comme ses soeurs. A travers les yeux d’Annemarie nous voyons comment la résistance danoise réussit à faire traverser le bras de mer les séparant de la Suède à la quasi-totalité de la communauté juive, qui compte alors près de sept mille personnes. »

En suivant le quotidien d’une jeune fille dans la guerre, le point de vue principal s’adapte à l’âge des lecteurs•trices, à mon sens à partir de 12 ans. Nous découvrons les familles Johansen et Rosen, amies par voisinnage mais aussi car Annemarie Johansen et Ellen Rosen sont inséparables. La veille du nouvel an juif, le 29 septembre 1943, la communauté juive de Copenhague est prévenue : des rafles auront lieu à leurs domiciles le lendemain en vue de déportations. Dès lors, il faut trouver où se cacher, se séparer en espérant pouvoir, plus tard, se retrouver.

En suivant Annemarie et Ellen, nous sommes au départ à distance des événements, ayant conscience de l’occupation allemande et du danger ambiant mais en même temps protégés des discussions des adultes et donc des faits très concrets. C’est peu à peu que la réalité se révèlera et que le courage d’Annemarie s’exprimera, pour son amie, sa famille mais aussi les personnes qu’elle ne connaît pas mais qu’elle sait en danger. Mais, au-delà de la jeune fille, c’est tout un réseau de proches qui s’engage, montrant au lecteur l’organisation d’un groupe de résistance.

Je ne connaissais pas spécialement l’histoire de la résistance danoise et j’ai été contente de la découvrir, d’en apprendre plus sur ce pays en particulier durant la Seconde Guerre mondiale, sur le passage en Suède et l’implication des pêcheurs pour cela. Je ne doute pas une seconde que ce roman tiendra eveillés jusque tard dans la nuit nombre de jeunes lecteurs•trices, aux côtés d’Annemarie, d’Ellen et de leurs familles.

Je regrette cependant qu’il n’ait pas été fait mention des dénonciations, des danois engagés volontaires aux côtés des nazis ou encore des civils ayant souscrit aux idées antisémites. Car si le sauvetage a été exceptionnel au Danemark, cela aurait renforcé l’importance de la résistance et de l’engagement, car tout le monde n’a pas résisté et je pense que c’est un élément à souligner. La notion d’argent dans le fait de faire passer les personnes en Suède aurait été intéressante aussi à aborder, car bien que des pêcheurs aient transporté gratuitement des personnes, il est clairement admis que la fuite avait un prix, l’argent étant souvent investi ensuite dans les actions de résistance. Egalement, j’imagine que, comme partout, des personnes juives ont participé à la résistance et cela m’a manqué ici.

Enfin, j’ai noté une maladresse dans la postface concernant une distinction entre Juifs et Danois. J’ai été dérangée par cette séparation (tous ou presque n’avaint-ils pas la nationalité danoise ?) ainsi que par une sorte d’infantilisation, insinuant presque d’un côté un activisme total et de l’autre une passivité : C’est ainsi que les Juifs, tous à part ceux qui n’avaient pas cru à cet avertissement, purent échapper aux premières rafles. Ils allèrent se réfugier dans les bras des Danois, qui les accueillirent, les nourrirent, les habillèrent, les cachèrent et les aidèrent à gagner la Suède. (p. 180) Je ne veux pas enlever de mérite aux résistants, aux personnes ordinaires qui ont agi de façon extraordinaire, mettant leur propre vie en danger pour les autres, mais je pense que le propos très généraliste cité ci-avant est à pondérer bien que la majorité des Danois furent hostiles à l’occupation allemande.

Je cherche la petite bête mais globalement le roman est prenant et nous donne envie, nous aussi, de pouvoir être courageux si jamais il fallait l’être. Et je crois que c’est peut-être l’essentiel. Un récit de fiction intéressant qui permet de connaître ce fait historique qu’est le sauvetage exceptionnel de presque tous les Danois juifs, permis grâce à une partie de la population et à la Suède.

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