❤ « La brebis galeuse » d’Ascanio Celestini (Le Sonneur, réed. 2021)

Traduit par Olivier Favier • 120 p. • 15,50 €

Vous cherchez à vous prendre une petite claque ? Vous avez été impressionné·e par Le démon de la Colline aux loups de Dimitri Rouchon-Borie ? Vous cherchez un texte qui pourrait s’approcher de ce style direct et incarné tout y allant un peu plus léger sur le côté sordide de l’histoire ? Alors ne cherchez plus, vous êtes au bon endroit.

Quatrième de couverture : « Nicola se souvient de son enfance, alors qu’il vient tout juste de mourir, après trente-cinq années d’internement dans un hôpital d’aliénés.

Explorant l’univers tragi-comique des asiles de fous, La Brebis galeuse s’attaque sans pitié à la société de consommation. Dans la lignée de Pier Paolo Pasolini et Dario Fo, Ascanio Celestini s’érige ainsi, avec humour et poésie, contre un monde où tout s’achète. »

Acteur, réalisateur et auteur italien, Ascanio Celestini a littéralement secoué mes émotions lors de cette lecture. J’ai craqué sur ce livre en pensant qu’il s’agissait d’une nouveauté de la rentrée littéraire, hors il n’en est rien et ce texte a un sacré bagage : initialement pièce de théâtre narratif, il a été transcrit publié en Italie en 2006 avant d’été traduit en français en 2010. En 2011, Ascanio Celestini adapte lui-même en film cette histoire. Du coup, je n’ai qu’une envie : le trouver et le regarder, m’en imprégner encore.

C’est l’histoire de Nicola, qui est né dans les années soixante. Les fabuleuses années soixante. Ces années désirées, ces année craintes. Petit garçon, il nous raconte son enfance et nous apprenons à le connaître d’anecdote en anecdote, d’éclats de rires en inquiétudes et indignations. Un jour, Nicola – toujours enfant – est interné dans un asile. Alors que nous lisons ces lignes, il est désormais mort et nous raconte, simplement, avec ses mots et ses compréhensions, avec son innocence, sa clairvoyance particulière et les blessures qui lui ont été infligées.

Ascanio Celestini nous confie une histoire sur l’enfermement et interroge la folie et la façon dont elle est perçue et traitée par la société. J’ai été très impressionnée, complètement saisie par ce personnage resté en enfance faute d’avoir pu devenir vraiment adulte, fort de son éternelle espièglerie et de son imagination. Ce texte se fait aussi critique de la violence des adultes, de l’institution religieuse et de la société de consommation.

J’ai refermé ce livre et j’ai bondi sur mon ordinateur, espérant que d’autres oeuvres d’Ascanio Celestini soient traduites. Il y en a. Je vous en reparle. Mais, d’ici-là, je vous invite vivement à découvrir La brebis galeuse. Je vous mets au défi de ne pas être ému·e·s, de ne pas passer du rire au sentiment d’effroi.

Cette lecture me donne envie d’explorer des textes, récents ou non, se déroulant ou ayant un lien avec ces lieux autrefois appelés asiles. Ma bibliographie est prête, ne reste plus qu’à sélectionner les livres qui m’attirent le plus, accrocher solidement mon coeur et les lire.

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Et vous, avez-vous une claque littéraire à partager ?

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👁 « Le silence des esprits » de Wilfried N’Sondé (Actes Sud, 2010 ; Babel, 2018)

L’un de mes petits défis de ces dernières semaines a été de trouver un roman parlant d’exil et comprenant le mot silence dans son titre afin de participer au challenge Un mot, des titres du blog Les lectures d’Azilis. Ce fut l’occasion de découvrir Wilfried N’Sondé et je ne le regrette pas une seule seconde. J’ai été chamboulée par son énergie et sa poésie.

Quatrième de couverture : « Ils se sont rencontrés dans un train de banlieue. Clovis Nzila, émigré clandestin sans ressources ni abri, a sauté dans le wagon pour échapper à un contrôle de police. Il s’installe sur une banquette en face de Christelle, aide-soignante qui rentre du travail, triste et fatiguée. Il suffit d’un échange de regards pour que l’un et l’autre se reconnaissent dans leur solitude, leur fragilité. Elle lui tend la main et lui propose de l’héberger pour la nuit. Dans le modeste appartement, ils créent une bulle de confiance et de tendresse, se racontent, tentent de réécrire leur histoire et de s’offrir une seconde chance.

De la violence d’une guerre civile en Afrique à la morosité d’un quotidien de banlieue parisienne, Wilfried N’Sondé habille notre époque d’espoir et de sensualité au fil d’une douce ballade mélancolique. »

Clovis arpente les rues de la ville à la recherche d’un endroit où se poser, quelques minutes ou quelques heures. Christelle traverse les couloirs de l’hôpital, prenant soin de tous ses patients. Clovis a fui son pays, Christelle fuit ses pensées. Tous les deux essaient d’échapper à leurs souvenirs et traumatismes, tous les deux vont prendre le même train et se rencontrer.

Leur recontre est de celles qui changent une vie.

A travers Clovis nous découvrons l’histoire d’un pays martyrisé par la colonisation et dont il fut victime de différentes façons, toujours terribles. Un pays ravagé par la guerre qui n’épargne pas les enfants. Il nous ouvre une fenêtre sur l’histoire de son enfance et celle de sa soeur, Marcelline – qu’il voit dans ses rêves -, son ultime lieu de recueillement également habité par l’esprit Nzambi A Mpoungou. Christelle, de son côté, témoigne des violences familiales et déceptions amoureuses.

Du trauma colonial aux violences contemporaines envers les personnes en situation dite irrégulière, Wilfried N’Sondé invoque des douleurs et des blessures avec puissance et comme pour les exorciser. Si cela est possible. A la fois hors du temps et ancré dans le présent, ce roman montre à la fois beauté de la renaissance et la violence d’une société du rejet.

Deux vies abîmées qui se rencontrent et se pansent. Une fulgurante envie de vivre qui renaît sous les cendres. Un roman puissant en ce qu’il révèle des vies passées et présentes, du visible et de l’invisible.

Le nouveau mot du challenge est sorti, il s’agit de jamais. Étant donné que j’adore faire des recherches bibliographiques et des listes (imaginez l’ambiance folle de mes soirées) je me suis amusée à sélectionner neuf potentielles lectures. Vous pouvez les découvrir ci-dessous :

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Et vous, quel est votre roman préféré de Wilfried N’Sondé ?

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« Terre et cendres » d’Atiq Rahimi (Folio Gallimard, 2010)

Cela fait longtemps que je dois découvrir Atiq Rahimi et, au détour d’un papillonnage en librairie, je suis tombée sur ce court roman dont je n’avais jamais entendu parler. Un texte sur la guerre d’Afghanistan, entre décembre 1979 et février 1989. Une guerre qui a depuis été remplacée par d’autres qui n’en finissent pas.

Quatrième de couverture : « Un pont, une rivière asséchée dans un paysage désolé, la guérite d’un gardien mal luné, une route qui se perd à l’horizon, un marchand qui pense le monde, un vieillard, un petit enfant, et puis l’attente. Rien ne bouge ou presque. Nous sommes en Afghanistan, pendant la guerre contre l’Union soviétique. Le vieil homme va annoncer à son fils qui travaille à la mine, le père du petit, qu’au village tous sont morts sous un bombardement. Il parle, il pense : enfer des souvenirs, des attentes, des remords, des conjectures, des soupçons… C’est une parole nue qui dit la souffrance, la solitude, la peur de n’être pas entendu. »

Tout le roman est porté par le regard et les pensées d’un vieil homme, Dastaguir, dont la famille a été assassinée lors du bombardement de leur village. Seul son petit-fils, blessé, et lui ont survécu. Son fils, parti travailler à la mine ne sait pas ce qui est arrivé. Le vieil homme doit le lui dire. Comment annoncer une telle nouvelle ? L’ignorance ne vaut-elle pas mieux que le deuil insurmontable ? Est-ce qu’informer son fils n’est-ce pas aussi prendre le risque de le voir partir se battre, se sacrifier au nom de la justice pour les siens, et mourir à son tour ?

Son petit-fils Yassin, garçonnet, ne comprend pas le nouveau monde dans lequel il doit évoluer. Un monde envahit par le silence et les incompréhensions, un monde qui l’a privé de sa mère, de son foyer, du minimum vital. Un personnage central car témoin d’un monde qu’il n’a connu qu’en guerre et qui sera marqué à vie par elle. Car la guerre ne s’arrête pas avec la signature de traités de paix, elle laisse des marques et des blessures indélébiles. Cet enfant, qui ne peut laisser personne insensible, est la victime extrême. Cet enfant est aussi l’avenir, mission bien grande quand tout est à reconstruire.

Pour aller informer son fils, le grand-père attend une voiture, un camion, l’un des rares véhicules passant par la route au bord de laquelle, avec l’enfant, il attend en pleine chaleur, dans la poussière brûlante. Cette attente sera faite de rencontres qui montreront d’autres vies d’hommes marquées par le conflit, chacun composant à sa façon pour affronter un quotidien de ruines et de bombes.

Ce roman est de ceux qui transcrivent le quotidien de la guerre. Il montre aussi qu’il y a toujours un profit à tirer des territoires et des corps ravagés.

Il n’y a pas de conflit dans lequel les civils n’ont pas été sacrifiés impunément, salement. Situé dans un contexte précis, il illustre pourtant toutes les guerres. Chaque jour voit un vieil homme et un enfant, au bord d’une route, qui doivent porter un deuil inacceptable et porter une terrible nouvelle aux vivants.

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Et vous, quel roman d’Atiq Rahimi ou sur l’Afghanistan conseillez-vous ?

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❤ 👁 « L’année du soulèvement » d’Hubert Mingarelli (Seuil, 2010)

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Nous sommes dans un lieu qui ne dit pas son nom, à une époque qui pourrait être hier comme demain, avec des hommes impliqués dans deux bords qui s’affrontent lors d’un soulèvement. Un roman sur des hommes entre eux comme savait si bien les écrire Hubert Mingarelli (le passé de cette phrase me fait mal au cœur), secoués par des événements qui impactent directement leur histoire personnelle et leur part d’humanité restée en éveil malgré le réveil des colères prédatrices.

Quatrième de couverture : « Alors il pensa aux forêts sous la neige et aux premières branches des sapins, si lourdes qu’elles ploient jusqu’au sol. Il se souvint du renard qui dormait au pied d’un sapin, sous l’une de ces branches, à l’abri du froid et de la neige. Il avait les couleurs de son lit d’aiguilles de pin. Il se souvint de l’impression de chaleur qu’il avait ressentie en le voyant, pour lui-même et pour le renard, alors que la température était tombée en dessous de zéro. Il l’avait laissé dormir, le museau posé sur ses pattes de derrière, soufflant des petits nuages d’haleine blanche. En s’en allant il lui avait dit : ‘Je te laisse parce que tu dors.’ Puis il lui avait souhaité que leurs chemins ne se croisent plus jamais.

Souvenir d’une partie de chasse, d’un renard qui dort. Construire un feu et écouter la voix paisible du vent. Oublier que les hommes ont été ennemis. Notre besoin de consolation est impossible à rassasier, écrivait Stig Dagerman. »

Ce roman m’a littéralement absorbée du début à la fin tellement les personnages semblaient être proches, j’avais presque l’impression d’être à leurs côtés, en haut de la montagne, à proximité du feu de fortune, angoissée par la situation et la variation des humeurs, cherchant moi aussi un coin de mur ou une chaise pour m’asseoir et guetter les bruits venant d’en bas, pour la sentence.

Trois hommes : deux hommes accompagnent le troisième en haut d’une montagne sur ordre d’un responsable vainqueur du soulèvement en cours. Le prisonnier le sait, son jugement relèvera de l’expéditif et de la vengeance. Son crime : avoir été du bord des vaincus. Car la question en réside pas dans les crimes : les deux bords ont sombré dans la folie au cours d’une nuit qui a marqué les esprits.

Alors, dans le silence brisé uniquement par le crépitement du feu de bois, les hommes vont parler, tantôt en respectant leur place, tantôt entre hommes qui peuvent comprendre la souffrance et la peur de l’autre. L’attente du groupe qui tranchera est interminable. Des rancœurs et remords ressortent : de celui qui n’a pas combattu et rêve de faire ses preuves, de celui qui rêvait de défendre sa cause et qui en ressort traumatisé par la mort qu’il a infligé à un homme, qu’il a visé car il lui semblait le plus faible. La peur de la mort, de celle qui a été donnée, de celle qui va venir.

Hubert Mingarelli ne prend pas parti entre les factions et n’invite pas le lecteur à le faire. La seule invitation est celle de l’humanité et de la violence qui bouleverse les vies, de la tristesse que rien ne soulage, pas même les souvenirs les plus purs, derniers refuges de l’esprit. Un grand roman.

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Et vous, quel est le dernier livre que vous n’avez pas pu poser avant de l’avoir terminé ?

👁 « Un petit nuage : Pologne 1942 » de Patrick Tillard et Barroux (Kilowatt, 2010)

Ce livre a été une grosse claque. Il m’a complètement retournée. C’est le premier livre auquel a participé Barroux que j’ai découvert il y a un peu plus d’un an. Un livre adressé à la jeunesse qui m’a largement faite chougner, du haut de mes 28 ans. *Robustesse*


Quatrième de couverture : « Pologne 1942, Yoël et son père sont pris dans une rafle. Pourtant, à travers des mots et des regards, leur amour réciproque sera plus fort que la fin tragique qui les attend. Un jour ailleurs, une histoire à lire et des pages Rerères pour mieux comprendre un moment marquant de l’Histoire du XXe siècle. »


Les auteurs nous confrontent aux assassinats de masse commis en Europe de l’Est durant la Seconde Guerre mondiale. Ces massacres qui seront plus tard appelés Shoah par balles.

Un sujet difficile à aborder avec des enfants, mais après tout, comme dit Jean-Claude Grumberg : On peut tout dire à un enfant mais il faut lui laisser le goût de vivre. D’accord. Alors on y va.

Le chemin que nous allons parcourir avec Yoël et son père va de leur arrestation à leur assassinat, au bord d’une fosse commune. Mais dans cette marche terrifiante le père de Yoël va apporter toute l’humanité qu’il pourra, en appelant aux nuages qui les accueilleront et dans lesquels ils se retrouveront vite, à un corps qui protège autant qu’il le peut, qui rassure et étreint.

J’ai été vraiment bouleversée par ce livre *c’est rien de le dire* mais je garde malgré tout une réserve. J’ai le sentiment que le texte et la trame de l’histoire sont décalés par rapport aux illustrations : les premiers sont plus pour des grands, les secondes recouvrent une forme qui attirera davantage les plus jeunes. Mais j’ai bien envie d’être contredite car c’est un livre qui a un gros potentiel de sensibilisation à l’histoire.

 

Et vous, est-ce un livre que vous avez lu ?

« Vent printanier » de Hubbert Haddad (Zulma, 2010)

Cela faisait un moment que je souhaitais retenter l’expérience avec Hubert Haddad, secouée que j’avais été par la lecture de La Cène. L’avantage c’est qu’il s’agit d’un auteur très prolifique. J’ai cependant opté pour un sujet proche de mes lectures habituelles pour renouer le contact littéraire.


Quatrième de couverture : « Un jour de printemps, Michaï, vieux musicien ambulant rescapé des camps, se retrouve devant la gare de Bobigny. Un campement de Tziganes vient d’en être expulsé pour les commémorations de la déportation. Le vieil homme y rencontre un petit garçon en quête des siens, Nicolaï…

C’est du point de vue de l’enfance que les nouvelles de Vent printanier (nom de code de la rafle du Vel’ d’hiv’) évoquent l’épouvantable connivence de Vichy avec la « solution finale ».

De retour sur les lieux de l’impensable, Hubert Haddad écrit ces histoires vraies de tout leur poids d’imaginaire, vraies des milliers de fois hier à Drancy ou ailleurs, et aujourd’hui comme en filigrane dans les regards effrayés des exclus sur un monde en lente perte d’humanité. »


Les quatre nouvelles qui constituent ce petit livre sont en lien avec la rafle des 16 et 17 juillet 1942, acte collaborationniste s’il en est de la part de la France dans la déportation des Juifs. Nous suivons différents personnages marqués dans leur chair par les camps, par Pitchipoï. Des relations sont parfois faites avec les réfugiés et les communautés encore stigmatisées de nos jours et si c’est évident à la lecture c’est aussi d’une intelligence essentielle qui remplace les idées parfois courtes actuelles.

Nous voyageons dans les mémoires, car c’est de cela qu’il s’agit pour et par les survivants, qui ont souvent vécu l’horreur étant enfants. Nous les accompagnons dans leurs pèlerinages, dans leurs recherches de visages parentaux, dans les morceaux de passé qui leur échappent encore, interminablement.

Ce livre en lui-même est un objet de mémoire qui permet à chacun d’entre nous de nous souvenir, de la déportation bien sûr, mais également de la responsabilité de la France alors que certains veulent s’y soustraire. Oui, Vichy était la France et la France, connue comme le pays de la Déclaration des droits de l’homme, a envoyé ses enfants dans la gueule de la mort.

« Toutes les fleurs des jardins ne sauraient cacher les charniers de la mémoire. »

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Et vous, avez-vous un livre de Hubert Haddad à conseiller ?