« La Seine était rouge » de Leïla Sebbar (Thierry Magnier, 1999 ; Actes Sud-Babel, 2009)

Afin de commémorer les 60 ans du 17 octobre 1961, jour de honte dans l’histoire française, j’ai choisi de vous parler de deux romans. Hier faisait place à un inédit en français de William Gardner Smith, aujourd’hui je partage un roman de Leïla Sebbar, autrice que j’apprécie profondément. Un roman frontal et sans équivoque sur cette soirée sanglante, publié dès 1999.

Quatrième de couverture : « Paris, 17 octobre 1961. La fin de la guerre d’Algérie est proche. En réponse au couvre-feu imposé aux Algériens par Maurice Papon, alors préfet de police, le FLN organise à Paris une manifestation pacifi que. La police charge : violences, arrestations massives, matraquages, meurtres, Algériens jetés dans la Seine. Nanterre, 1996. Amel a seize ans. Elle entend parfois sa mère et sa grand-mère discuter de choses graves dans une langue, l’arabe, qu’elle comprend mal. Quand elle pose des questions, les femmes se dérobent. Avec Omer, journaliste algérien réfugié, et grâce au film documentaire de Louis, fils d’une Française ayant adopté la cause algérienne, elle cherche à comprendre.

Roman polyphonique dense, essentiel, poignant, La Seine était rouge lève le voile de l’oubli sur l’une des pages les plus douloureuses de l’histoire de la France contemporaine. »

Ce n’est pas la première fois que je remarque qu’un roman publié initialement en littérature adolescente se trouve réédité pour le public adulte. Cela a notamment déjà été le cas avec un texte d’Hubert Mingarelli qui, en effet, peut s’adresser aux deux publics, chacun le lisant à sa hauteur.

Polyphonique et presque pensé avec une logique de montage cinématographique, ce roman nous emmène en quête de la mémoire du 17 octobre 1961 aux côté d’Amel. La jeune femme a éperdument besoin de réponses aux silences familiaux, aux échanges qu’ont sa mère et sa grand-mère en arabe, langue qu’elle ne comprend pas. Quel événement s’est dont passé pour que l’on en parle que de cette façon, presque cachée ? Que s’est-il passé dans ce pays qui est le sien ?

Louis, l’un de ses amis dont la mère a fait partie de la résistance à la guerre d’Algérie en tant que française, a pour projet de réaliser un film documentaire sur les porteurs de valises. Un film qui va libérer la parole de la mère d’Amel. Un film qu’Amel va voir et qui va l’emmener, avec son nouvel ami Omer, dans différentes rues parisiennes…

A la fois puissant et didactique, ce roman parle de la nécessité de la mémoire, de la douleur de celle-ci aussi, tout en mettant en avant les actualités politiques et algériennes d’alors. Nous sommes en 1996, l’Algérie souffre des années noires, de la répression de la population, des assassinats des intellectuels et résistants au régime islamiste. Nous sommes en 1996, en pleine Affaire Papon, à la veille de son procès, qui réveille différentes douleurs et révèlent des dossiers jusqu’alors maintenus fermés.

Lire ce roman aujourd’hui c’est aussi découvrir ce que fut l’écriture de la mémoire de l’histoire contemporaine dans la littérature des années 1990. Vingt-deux ans après, ce roman est toujours remarquable.

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Et vous, quel·s roman·s de Leïla Sebbar conseillez-vous ?

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« Strange Fruit » de David Margolick (Allia, 2009 – réed. 2021).

Nous sommes en 1939, la ségrégation mortifère fait rage dans les États du Sud et une jeune femme monte sur scène. Dans un club progressiste du Nord – région qui n’était pas un paradis de l’égalité – où se côtoient sans discrimination personnes noires et blanches, une chanson sur le lynchage va marquer la naissance d’un hymne encore porté aujourd’hui comme un symbole au sein de différentes luttes. Un titre culte et inoubliable qui continue de déranger certaines personnes aussi.

Présentation de l’éditeur : « En 1939, quand Billie Holiday interprète pour la première fois Strange Fruit, elle n’a que 24 ans et déjà un nom dans le milieu du jazz. Or, peu de poncifs racistes et sexistes lui furent épargnés. Non sans susciter le scandale, Billie Holiday chanta Strange Fruit, évoquant l’assassinat des noirs par lynchage seize ans avant que Rosa Parks refuse de céder sa place à un Blanc dans un bus en Alabama. Protest song avant l’heure et figure symbolique de la marche des Noirs vers l’émancipation, cette chanson fut écrite par un Juif blanc new-yorkais, Abel Meeropol, qui recueillit les enfants Rosenberg après que leurs parents furent exécutés. Selon Angela Davis, cette chanson a replacé la protestation et la résistance au centre de la culture musicale noire contemporaine. La revue musicale britannique Q, a classé Strange Fruit parmi les dix chansons qui ont véritablement changé la face du monde. David Margolick montre son importance, aussi bien musicale qu’historique, en s’appuyant sur de nombreux témoignages. »

La chanson Strange Fruit a une place singulière dans la musique du 20ème siècle. Elle est entourée d’histoire et de l’aura de Billie Holiday – qui eue elle-même une vie singulière. Née en 1915 et décédée en 1959 des suites d’une consommation abusive de drogues et d’alcool.

Dans cet essai, David Margolick revient sur l’histoire d’une chanson qui se fait aussi une analyse de la société américaine. Il montre le succès du morceau et de son interprétation par Billie Holiday, l’excellente réception de la part du public lettré et engagé mais sa méconnaissance de la part d’une grande partie de l’Amérique populaire, voire illettrée. Egalement, il y aura un rejet de ce titre : pour des raisons racistes, par gêne de Blancs vis-à-vis du sujet mais également par douleur de la part de personnes ayant été traumatisées par un lynchage ou d’autres violences racistes.

Année après année, le succès ne faiblira pas auprès d’un public acquis à la cause et il traversera l’Atlantique. Mais l’auteur constate qu’encore aujourd’hui il est rare d’entendre cette chanson à la radio malgré son poids historique et sa qualité artistique. Encore aujourd’hui, elle dérange. Raison de plus de l’écouter et de la faire découvrir, non ?

De son écriture par Abel Meeropol (qui dû prouver sa paternité) à sa survivance aujourd’hui, ce texte montre comment une œuvre musicale peut impacter un pays et le monde tout en nous faisant rencontrer une artiste unique qui osa défier l’ordre établi alors qu’on attendait d’elle des chansons d’amour contrariées.

Cette chanson avait un son particulier à mes oreilles mais, après cette lecture, elle ne sera plus jamais pareille. Encore plus forte, si toutefois c’était possible. Encore reprise aujourd’hui, j’ai passé de nombreux moments à découvrir sa réinterprétation. A mon sens, seule Nina Simone tient la comparaison. Parce que Nina a une place toute particulière dans mon cœur. Et il y a désormais aussi une place pour Billie.

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Et vous, connaissez-vous cette chanson historique ?

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« Le show de la vie » de Chi Li (Actes Sud, 2011 ; Babel, 2019)

Pour une première rencontre avec Chi Li j’ai choisi ce roman car Wuhan est estampillé depuis plus d’un an comme la ville d’origine du virus qui s’est depuis mondialement répandu. Or, parler de Wuhan pour en dire autre chose est une idée qui me plaît bien. J’ai été impressionnée par l’énergie et les rythmes que dégage Chi Li par son écriture tantôt poétique et mélancolique, tantôt crue et vigoureuse.

Quatrième de couverture : « Chaque soir, dans la rue animée du Bon-Augure, au cœur de la grande ville de Wuhan, Célébrité tient son étal de cous de canard. Originaire de ce quartier populaire qu’elle n’a jamais renié, dotée d’une intelligence qui lui a permis de sortir du lot, Célébrité est le pilier de sa famille : elle porte à bout de bras son jeune frère drogué et se dépense sans compter pour assurer l’avenir de son unique neveu, négligé par une mère frivole. Courageuse, persévérante, dure à la tâche, mais aussi, à l’occasion, impitoyable et rusée, Célébrité est une de ces figures de femmes fortes qu’affectionne Chi Li. À travers elle, c’est le petit peuple de Wuhan, pragmatique et pugnace, qui s’exprime par le biais d’une écriture imagée et efficace.

L’histoire, adaptée sous de multiples formes, a connu un tel succès en Chine que les cous de canard sortis tout droit de l’imagination de la romancière sont devenus la spécialité du lieu, et qu’on vient désormais les déguster des quatre coins du pays. »

Célébrité est un sacré personnage, je ne risque pas de l’oublier, pour le meilleur et pour le pire ! Si elle est devenue la femme qu’elle est c’est notamment du fait de son passé : une mère décédée en donnant naissance au petit frère, un père qui abandonne ses enfants pour s’investir dans une deuxième noce, une belle-mère qui n’accepte pas ces enfants nés du premier mariage, la perte d’un enfant, un jeune frère qui se tue à petit feu avec une addiction à la drogue, un commerce qui demande de ne pas montrer de faiblesses, un neveu qu’elle aime comme une mère et pour qui elle doit garder le cap et ne rien lâcher. Une vie faite d’adversité et de conflits, avec la famille ainsi qu’avec le système en place.

Chi Li nous propose des passages inoubliables, qu’ils soient satiriques, drôles, dramatiques ou pathétiques. Mélangeant parfois les tons. Le show de la vie est une histoire de femme prise dans les difficultés de la vie et qui ne recule devant rien pour obtenir ce qu’elle considère comme nécessaire ou juste. Parfois le·la lecteur·trice se rangera de son côté, parfois non. A travers cette tranche de vie, c’est aussi celle de la rue Bon-Augure qui se dévoile, avec ses rituels et ses règles culturelles. La vie de cette rue nous montre aussi des mœurs, souvent impitoyables envers les femmes. Célébrité y est connue comme personne d’autre : crainte ou respectée, souvent un peu les deux à la fois.

Alors qu’un nouveau rebondissement familial a lieu, Célébrité va devoir mener de front plusieurs combats. Et pour capturer le loup, il faut parfois sacrifier l’enfant… Mais tout ce qu’elle fera, que ce soit moral ou immoral, n’aura qu’une finalité : permettre à son neveu de faire des études et de s’extirper d’une condition incertaine.

Si j’ai été peu captivée par le début du roman et que je craignais une déception, mon intérêt n’a fait que grandir jusqu’à réaliser, au moment où je tournais la dernière page, que j’aurais pu suivre Célébrité encore un bon moment malgré ses choix et ses paroles qui m’ont parfois fait froid dans le dos. Quelques considérations un peu à l’emporte-pièce présentes tout au long du roman m’ont cependant quelque peu interrogée : ironie que je n’ai pas saisie ou convictions ? Je n’ai pas la réponse. J’en ressors avec une héroïne singulière en tête et la curiosité de découvrir un autre roman de Chi Li. Mon choix se portera certainement sur Une ville à soi qui m’emmènera de nouveau à Wuhan.

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Et vous, quel·le auteur·trice chinois·e avez-vous envie de découvrir ?

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« Taxi » de Khaled Al Khamissi (Actes Sud, 2009)

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Je crois que c’est la première fois que je lis un auteur égyptien et Khaled Al Khamissi m’a fait forte impression. Journaliste, documentariste, son écriture est infiniment sociale et montre une société qui oscille entre fatalisme, révolte et espoir.

Quatrième de couverture : « Portant chacune sur un aspect particulier de la vie sociale, économique ou politique en Egypte, ces cinquante-huit conversations avec des chauffeurs de taxi du Caire composent un tableau fascinant de ce pays à un moment clé (avril 2005-mars 2006) du règne du président Hosni Moubarak – qui sollicitait alors un cinquième mandat. Tout y est, en effet : les difficultés quotidiennes de la grande majorité de la population, la corruption qui sévit à tous les échelons de l’administration, l’omniprésence et la brutalité des services de sécurité, le blocage du système politique, les humiliations sans fin que la population subit en silence, les ravages du capitalisme sauvage…

Consignés en dialecte égyptien avec un humour décapant et un admirable sens de la mise en scène, ces échanges librement reconstitués par l’auteur, sinon entièrement inventés par lui, relèvent à la fois de la création littéraire et de l’enquête de terrain. S’ils font connaître les griefs des gens d’en bas, ils laissent aussi entrevoir les raisons pour lesquelles le pouvoir en place tient bon malgré sa décrépitude et son impopularité.

C’est sans doute cette combinaison inédite de lucidité politique, de tendresse pour les plus faibles et d’humour qui explique la diffusion de Taxi, dans sa version originale, à plus de cent mille exemplaires. »

Ce livre est entièrement composé de rencontres fictives inspirées du réel. De petits chapitres dans différents taxis, avec différents conducteurs, différents parcours et points de vues sur la situation du pays. J’ai vraiment apprécié ce pluralisme de positions qui montrent que rien n’est jamais simple ou tranché et que, malgré les difficultés, un gouvernement impopulaire en place fait parfois moins peur que l’inconnu.

Publié en 2009, ce livre donne à entendre des voix avant la Révolution égyptienne de 2011. On sent déjà monter la colère. Les chauffeurs de taxi, des hommes jeunes ou plus âgés, expriment un quotidien presque exclusivement étouffé par le manque d’argent. Les salaires sont de misère alors que le prix de la vie explose. Chacun a beau dépenser au minimum, chaque mois enfonce dans la pauvreté. Alors, les chauffeurs travaillent comme des forcenés, s’épuisent au travail, ne voient presque plus leur famille. Les enfants vont à l’école mais l’enseignement traditionnel ne suffit pas et de très nombreuses familles ont recours aux cours particuliers qui coûtent une petite fortune. Chaque jour devient une course pour gagner de l’argent pour les nombreux taxis du Caire. Et pour être taxi et le rester, les frais sont chers et réguliers, officiels et officieux. Il y a toujours une patte qui demande à être graissée. Les chauffeurs parlent pour l’ensemble de la société, entre leurs histoires propres et celles de leurs passagers, ils sont un miroir de la société.

La vie est comme un serpent qui se mord la queue et, pour ceux qui voudraient que le gouvernement change, la fatalité des élections truquées ronge le moral.

En 2013, un coup d’Etat met sur le siège de la présidence Abdel Fattah al-Sissi et les libertés et droits de l’homme connaissant à nouveau un recul. Mais des hommes et des femmes continuent de faire porter leur voix pour une société plus juste. Les différents événements politiques et sociaux rendent ce livre de Khaled Al Khamissi actuel malgré le fait que la situation ne soit pas tout à fait la même. Les sujets au coeur de ces textes : le pouvoir faussement démocratique, la corruption, le peuple qui en paie le prix au quotidien, les libertés individuelles (notamment des femmes), la place de la religion, la culture égyptienne.

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Et vous, quel•le auteur•e égyptien•ne recommanderiez-vous ?

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👁 « La promesse » d’Hubert Mingarelli (Seuil, 2009)

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Ce roman nous parle d’un dernier au-revoir, d’une rencontre du passé qui a compté, de la distance qui s’est installée et de sa marque, toujours présente des années plus tard. Avancer sur la rivière et trouver l’endroit parfait pour déposer cette petite boîte. Avancer, et trouver la source, là où tout commence.

Quatrième de couverture : « Naviguer sur un lac peut réserver des émotions tellement particulières qu’il est impossible de les partager avec qui que ce soit. D’habitude, Fedia emmène son fils avec lui, mais cette fois non. Et pourtant, Fedia ne cessera de penser à lui. Aux paroles qu’il va devoir trouver pour lui dire ses intentions, ce qu’il était parti faire sur l’eau ce jour-là. Dans le fond de sa poche, une petite boîte en carton fermée par un élastique. Le chagrin est dépassé, du moins le croit-il. La nuit s’avance, la rivière a remplacé le lac, et Fedia continue de frapper avec ses avirons la surface baignée de lune. Il était une fois deux âmes en perdition. Deux jeunes matelots qui s’étaient fait une promesse. »

Fedia est un personnage très touchant, dans son histoire passée mais aussi dans son histoire présente : dans son rapport à son fils, plein d’amour et de pudeur, mais aussi dans le mal qu’il se donne pour déposer la petite boîte qui renferme des émotions passées, un ami proche qui l’a aidé à dépasser des épreuves alors qu’il sortait tout juste de l’enfance.

Dans ce roman, Hubert Mingarelli nous parle de la force de l’amitié entre les hommes, exacerbée pas le contexte d’un centre exclusivement masculin, viril, et régi par des règles strictes et par l’humiliation des supérieurs. Un amitié qui se voulait unique, une amitié qui s’est perdue au large. Et pourtant, aujourd’hui le voilà avec une mission qu’il va accomplir avec sérieux, pour son ami, pour lui, pour son fils.

Comment bien faire les choses (parce qu’une promesse a été faite) et comment bien les dire lorsqu’elles remuent des émotions enfouies et des douleurs que l’on pensait enterrées ? C’est à ces questionnements que Fedia devra répondre, au cœur des bruits puis des silences de la rivière.

La langue d’Hubert Mingarelli est belle comme les tâches de soleil sur la surface de l’eau, malgré cela il m’a manqué un tout petit rien pour me laisser emmener entièrement dans cette histoire. Un très beau récit que je conseille aux admirateurs de l’auteur, mais peut-être pas le premier à découvrir pour les lecteurs qui ne le connaissent pas encore. En ce qui me concerne, même lorsque le coup de cœur n’est pas là, c’est un plaisir immense de le lire et de voyager dans son univers.

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Et vous, quel livre sur le deuil vous a conquis par sa délicatesse ?

❤ « Le rapport de Brodeck » de Philippe Claudel (Stock, 2007 / Le Livre de Poche, 2009)

J’ignore depuis combien de temps je m’étais promis de lire ce livre cultissime de Philippe Claudel. Mais ce que je sais, c’est que j’ai bien trop attendu. Ce livre, il faut le lire dès qu’on en a l’occasion, car une fois refermé, on se demande comment on a pu passer à côté. Un énorme coup de cœur !


Quatrième de couverture : « Je m’appelle Brodeck et je n’y suis pour rien. Je tiens à le dire. Il faut que tout le monde le sache. Moi je n’ai rien fait, et lorsque j’ai su ce qui venait de se passer, j’aurais aimé ne jamais en parler, ligoter ma mémoire, la tenir bien serrée dans ses liens de façon à ce qu’elle demeure tranquille comme une fouine dans une nasse de fer. Mais les autres m’ont forcé : Toi, tu sais écrire, m’ont-ils dit, tu as fait des études. J’ai répondu que c’étaient de toutes petites études, des études même pas terminées d’ailleurs, et qui ne m’ont pas laissé un grand souvenir. Ils n’ont rien voulu savoir : Tu sais écrire, tu sais les mots, et comment on les utilise, et comment aussi ils peuvent dire les choses […]. »


Brodeck va chercher du beurre au village. Tout va alors basculer. L’Anderer vient d’être assassiné et les hommes présents sur le lieu du crime vont lui demander (sans laisser le choix de la réponse) d’écrire un rapport expliquant l’acte final.

La tension s’installe dès les premières pages et c’est un survivant que nous découvrons à travers les lignes que Brodeck rédige comme une urgence. Une urgence qui prend parfois son temps, qui se perd dans des descriptions de la nature et de son pays d’adoption, mais une urgence quand même de dire les choses. Celles du présent et celles du passé, car il montre parfaitement comment les deux peuvent se lier.

L’Anderer lui, c’est l’autre, l’étranger. Arrivé un jour au village, installé à l’auberge où il sera assassiné, c’est un personnage trop original pour passer inaperçu et trop singulier pour ne pas éveiller les soupçons. Mais soupçonner de quoi ? Alors la guerre qui appartient au passé s’invite à nouveau dans le présent. Un personnage magnifique de subtilité et de douceur, presque insaisissable et qui dérange par sa différence.

Menacé, pressé par les hommes du village, Brodeck va avancer dans la rédaction de son rapport. Mais ce que les villageois ignorent, c’est que deux rapports sont en cours de rédaction : l’officiel qui sera donné au maire, l’officieux qui est plus personnel et va plus loin dans les révélations. L’officieux, c’est celui que nous avons entre les mains, faisant de nous les dépositaires d’un récit précieux.

Brodeck va y transcrire les relations entre les hommes, les travers, les lâchetés et les courages, parfois – trop rarement. Il va également revenir sur la guerre, sa déportation et l’épreuve des camps. Il va revenir dessus car cette période dit des choses des hommes du village, de l’homme qu’il est lui-même re(de)venu et de sa femme. Cette femme qui m’a émue aux larmes même si elle ne dit rien et ne fait que murmurer une chanson, encore et encore. Les personnages proches de Brodeck sont beaux, heureusement. Ils sont la lumière dans la noirceur du village.

Fermer les yeux et faire comme si rien ne s’était jamais passé ne fait pas disparaître les fautes. Philippe Claudel le prouve de façon impressionnante. Comme dans d’autres romans, Philippe Claudel ne date pas et ne localise pas avec précision les événements. Il donne des pistes, laisse des indices et fait écho à l’histoire sans cloisonner le récit pour lui donner une dimension plus large. Si je peux donner un conseil à celles et ceux qui ne l’ont pas encore lu, allez-y sans hésiter, ce livre est un mélange de philosophie, de témoignage fictif mais malgré tout très réel et d’humanisme.

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Ils/Elles l’ont aussi lu et chroniqué : La Bulle de RealitaLes lectures de LéonPresse-KiwiHannibal le lecteur • Un bouquin dans la poche


 

Et vous, quel est votre livre préféré de Philippe Claudel ?

❤ « Je sais pourquoi chante l’oiseau en cage » de Maya Angelou (Les Allusifs, 2008 / Le livre de poche, 2009)

J’avais vu passer ce livre il y a des années, la couverture m’avait interpelée, le titre aussi, mais je n’avais pas répondu aux sirènes de la tentation. J’aurais dû. Car ce livre est une pépite. Premier volet de l’autobiographie de Maya Angelou, il peut se lire comme un one shot qui exprime une jeunesse blessée, que ce soit par les adultes mal intentionnés ou égoïstes, que ce soit aussi par la ségrégation. Un morceau d’histoire personnelle qui rejoint l’histoire des États-Unis.


Quatrième de couverture : « Dans ce récit, considéré aujourd’hui comme un classique de la littérature américaine, Maya Angelou relate son parcours hors du commun, ses débuts d’écrivain et de militante dans l’Amérique des années 1960 marquée par le racisme anti-Noir, ses combats, ses amours. Son témoignage, dénué de la moindre complaisance, révèle une personnalité exemplaire. à la lire, on mesure – mieux encore – le chemin parcouru par la société américaine en moins d’un demi-siècle… »


En lisant ce livre, je ne me suis pas ennuyée une seule seconde. Maya Angelou chausse ses yeux d’enfants et nous fait remonter le temps. Elle nous dit les choses avec les mots tantôt de la petite fille qui sommeille encore en elle, blessée mais résiliente, tantôt de la femme qu’elle est devenue, engagée et amoureuse de liberté.

Maya (Marguerite de son prénom de naissance) est née en 1928 à Saint-Louis. Après une enfance dans le sud et des épreuves innommables à surmonter, elle sera l’un des visages de la lutte pour les droits civiques aux États-Unis. Un visage, j’ai l’impression, peu connu en France.

Autour de la petite Maya gravite une famille qui a du mal à se rassembler. Ce sera l’occasion pour elle et pour son frère, dont elle est très complice, de voyager dans le nord des États-Unis, de découvrir autre chose que le sud et ses lois raciales plus qu’assumées. Elles sont même appréciées, savourées. Le nord lui donnera le sentiment de pouvoir être quelqu’un mais avec des parents dysfonctionnels, la grand-mère restée au sud est un phare. Un phare qui ne répond pas aux brimades et aux provocations. Qui chante pour rester calme.

Maya Angelou nous parle de son quotidien, étouffé par la chaleur et la peur, structuré par l’éducation stricte d’une grand-mère qui veut garder ses petits en vie, stimulé par une envie de liberté, divisé par une famille dispersée entre plusieurs États. Elle nous rappelle l’importance de faire face aux injustices et de protéger les enfants de la folie et de l’inconstance de certains adultes. Elle exprime magnifiquement aussi la capacité qu’ont les enfants à avancer et à se reconstruire sans effacer ni excuser ce qui l’a forcée, elle, à panser ses blessures.

Une œuvre que l’on comprend aisément comme devenue classique aux États-Unis, à replacer dans un contexte historique et linguistique parfois, qui éclaire l’histoire du pays et qui a été pour moi un grand coup de cœur.

Préférant les grands formats aux poches, j’ai réussi à me procurer ce livre en occasion dans son édition aux Allusifs mais qui n’est plus édité. Pour le trouver facilement, je pense qu’il vous faudra choisir celui paru au Livre de poche.

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Ils/Elles l’ont aussi lu et chroniqué : Journal d’une Book Addict


 

Et vous, avez-vous ce livre ou un autre de Maya Angelou ?

❤ « Les invités » de Pierre Assouline (Gallimard, 2009)

J’ignore depuis combien de temps je dois découvrir cet auteur et ce n’est pas faute d’avoir plusieurs de ses livres, souvent en lien avec mes centres d’intérêt. J’ai commencé en 2018 Retour à Séfarad sans vraiment réussir à rentrer dedans, il est donc un peu mis de côté. Les invités m’a quant à lui très fortement accrochée.


Quatrième de couverture : « Un dîner, de nos jours, dans la grande bourgeoisie parisienne. Afin de séduire son invité d’honneur – un puissant homme d’affaires étranger – la maîtresse de maison a convié ses amis les plus remarquables. Mais à la dernière minute, l’un d’entre eux se décommande : il n’y a plus que treize convives… Comme le dîner doit commencer à tout prix, la nouvelle invitée est choisie au mépris de la bienséance. Une véritable transgression.

La quatorzième convive devient alors le grain de sable qui fait déraper la soirée. Pour l’émerveillement des uns, pour le désespoir des autres.

Tout dîner est une aventure. »


Qui est donc cette quatorzième convive ? Il s’agit de Sonia ou plutôt Oumelkheir de son véritable prénom, jugé trop difficile à prononcer par son employeure qui a trouvé plus pratique de la renommer. Ca ne vous fait penser à rien ? Oui, oui. C’est bien cela, à la ségrégation au Etats-Unis par exemple. Le principe de propriétaire se substitue alors à celui d’employeur au principe du : tu m’appartiens, je peux changer ton identité. Car oui, Oumelkheir est l’employée de maison et, pour les personnes invitées au dîner, elle est avant tout identifiée ainsi. La bonne. Alors quand elle s’installe à table sans l’avoir choisi, cela crée chez certain/es une excitation malsaine.

Tout au long du repas, Oumelkheir sera la cible de curiosités (souvent mal placées) et d’attaques. Elle trouvera cependant certains soutiens et, s’ils sont parfois maigrelets face à la bêtise, ils ont le mérite d’exister et de ne pas faire couler la principale visée. Mais, dans la bonne société il faut remettre en place avec bon goût et sans vagues, surtout quand il y va de garder un emploi qui finance des études longues et coûteuses. Nous avons juste envie de mettre un coup de pied dans la fourmilière de la diplomatie. Mais sortir du cadre pour le faire ce serait aussi faire gagner les détracteurs, et ça il n’en est pas question. Ne pas leur faire ce plaisir, plutôt les prendre à leur jeu.

Ce qui est certain, c’est que ce dîner, chacun s’en souviendra. Chaque lecteur aussi.

« Séparément, ce sont des gens de qualité… Oui, presque tous, je vous l’accorde. Mais une fois ensemble, ils deviennent parfois imbuvables. Allez expliquer ça ! Au-delà de deux, la vie en société agit comme une compétition d’ego où la surenchère révèle ce que l’âme a de plus noir. C’est bizarre… » (p. 159)

J’ai adoré ce livre car il est une critique sociale mordante, pleine de verve, de finesse et d’intelligence. Il confronte des personnes qui évoluent dans un microcosme loin des réalités à leurs stéréotypes et leurs préjugés. Lorsque l’on pense que le trait est grossi on se rend finalement compte qu’il s’agit en fait de discriminations que l’on peut croiser au coin de la rue : qu’elles soient sociales, culturelles, racistes, religieuses, etc., tout y passe !

Mais, n’allez pas croire, il y a aussi des différences et des combats entre personnes de cette société dans la société : que ce soit de fonctions, de carrières, de philosophies de vie (comprenez de la façon de dépenser son argent), de codes et références, d’arbres généalogiques.

Ce livre est un florilège de remarques déplacées remises en place (ou qui donnent envie de le faire). Merci Pierre, ça fait un bien fou et réveille notre propre mordant !

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Ils/Elles l’ont aussi lu et chroniqué : Les plumes qui papotent


 

Et vous, quel roman de Pierre Assouline conseilleriez-vous ?

« L’A26 » de Pascal Garnier (Zulma, 2009)

Il me tardait de retrouver Pascal Garnier depuis ma lecture de Lune captive dans un œil mort. J’ai profité d’une grosse commande chez Gibert Joseph pour prévoir un petit stock d’avance de romans de cet auteur. Le ciel peut tomber, je suis parée.


Quatrième de couverture : « D’abord il y a Yolande, tondue à la Libération. Qui depuis ne sort plus. Regarde juste à travers le trou de la serrure. Et puis il y a Bernard, le frère, ancien de la SNCF. Qui a sacrifié sa vie pour Yolande. Qui se débat entre sa sœur et les pinces du cancer.

C’est dans le Nord, au milieu de sombres champs de boue, non loin de l’A 26 encore en construction, prête à servir, en coulées de béton, de cimetière discret pour jeunes filles égarées…

Après Comment va la douleur ? ou La Théorie du panda (Prix du polar 2008 de Montigny-lès-Cormeilles), Pascal Garnier confirme son art du suspense et du scénario, comme sa virtuosité diabolique dans le flegme qu’il tient du roman noir. On ne s’étonnera pas qu’il ait reçu le Grand Prix de l’Humour noir pour Flux en 2006. »


Ce court roman représente une tranche de vie. Celle de Bernard qui va commettre l’irréparable, lui qu’il n’est plus possible de réparer non plus. D’une vie passée à protéger sa sœur Yolande, il conserve une amertume et se confronte régulièrement aux actes manqués du passé.

Yolande, elle, passe pour folle et sûrement l’est-elle d’avoir passé sa vie enfermée, sans passer le pas de la porte, celle-ci qu’elle a franchi pour la dernière fois après avoir été tondue lors de l’épuration. Tondue, et par l’un des villageois dont la descendance a encore sont troquet. Une descendance qui ne manque pas de violenter sa propre femme.

Nous suivons ces quelques jours, ces quelques semaines en compagnie principalement de Bernard, sur la route glissante de l’A26, une route malsaine qui ne le mènera nulle part. Et, avec les différents personnages, nous sommes projetés dans un des tableaux de Jérôme Bosch, aux visages tordus et angoissants.

Ce livre est à la fois intimiste et lugubre, appelle à un mélange d’émotions que je n’ai pas l’habitude de faire se rencontrer. Une lecture intéressante mais qui m’a moins convaincue que la précédente malgré la qualité de l’écriture qui me plaît toujours autant. Mais attend, Pascal, je fais encore un peu de chemin avec toi.

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Et vous, quel est votre roman préféré de Pascal Garnier ?

« Lune captive dans un œil mort » de Pascal Garnier (Zulma, 2009)

Première rencontre de lecture avec Pascal Garnier et une chose est sûre : j’en redemande !


Quatrième de couverture : « Martial et Odette viennent d’emménager dans une résidence paradisiaque du sud de la France, loin de leur grise vie de banlieue. Les Conviviales offrent un atout majeur : protection absolue et sécurité garantie – pour seniors uniquement.

Assez vite, les défaillances du gardiennage s’ajoutent à l’ennui de l’isolement. Les premiers voisins s’installent enfin. Le huis clos devient alors un shaker explosif : troubles obsessionnels, blessures secrètes, menaces fantasmées du monde extérieur. Jusqu’à ce que la lune, une nuit plus terrible que les autres, se reflète dans l’œil du gardien…

Avec beaucoup d’humour et de finesse, malgré la noirceur du sujet, Pascal Garnier brosse le portrait d’une génération à qui l’on vend le bonheur comme une marchandise supplémentaire. Une fin de vie à l’épreuve d’un redoutable piège à rêves. »


Lune captive dans un œil mort est un roman qui se lit comme un thriller psychologique, sur fond de critique d’une société qui cloisonne une partie de sa population en jouant sur la corde aussi sensible que facile de la protection.

Qui n’a jamais entendu parler de ces quartiers pour les seniors, ultra sécurisés, au soleil soit-disant toute l’année, comme un club de vacance à vie, enfin, pour ce qui en reste. Le décor est planté. Mais ce quartier est neuf et la solitude pèse sur les premiers habitants, qui attendent comme ils redoutent les futurs résidants.

Peu à peu, un groupe de six (à sept) personnages va s’installer et les travers de chacun vont se dévoiler pour construire une intrigue tendue, qui tient en alerte et en haleine. Le dénouement a été une surprise et j’ai adoré ce suspens sans que le livre tombe complètement dans un univers noir. Nous oscillons tout au long de la lecture entre les portraits abîmés, les tranches de vies passées et la tension qui s’installe doucement mais sûrement.

Se confrontent également différentes vision du monde et de la société selon les personnes et les couples des Conviviales et les sujets de discussion. Un ton très libre qui permet autant de rire (souvent jaune) que d’adorer détester certains personnages et de souffrir avec d’autres. Un voisinnage dysfonctionnel dans un univers loin du réel et de l’idéal convoité. Comment ce savoureux mélange pourrait-il bien finir ?

Un huis clos sur un sujet qui change (en tout cas pour ma part) et qui se lit avec une facilité déconcertante tant nous sommes presque un œil discret, peut-être l’une des caméras du quartier, là pour voir sans pouvoir agir.

Décédé en 2010, Pascal Garnier a laissé derrière lui de nombreux romans adultes et recueils de nouvelles, dont une grande partie a été publiée aux éditions Zulma. Il a également réalisé une somme impressionnante de romans pour la jeunesse. Il n’y a que très peu de doute : cet auteur risque de m’accompagner à nouveau dans mes voyages littéraires.

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Et vous, est-ce un auteur que vous aimez ou que vous voudriez découvrir ?

« Les encombrants » de Dominique Sampiero (Grasset, 2009)

Ce livre est un nouvel arrivé dans ma bibliothèque, suite à mon braquage organisé des rayons d’Emmaüs du week-end dernier. La quatrième de couverture m’a beaucoup intriguée et elle promettait encore de bien laides réactions humaines face à la différence. Que de promesses !


Quatrième de couverture : « Un petit village du nord de la France. Tout le monde se connaît. Tout le monde feint d’ignorer ce qu’il sait des autres. Jean l’orphelin a grandi dans les bois voisins.

Devenu adulte, il est l’idiot, qu’on injurie ou qu’on bénit. Il est un peu comme ces encombrants dont on se débarrasse sur le trottoir, une fois par an, le jour des monstres, et dont il meuble sa baraque perchée sur la fourche d’un arbre… au pied duquel, un matin, on retrouve le corps sans vie d’une jeune fille. »


Dans ce roman, nous suivons plusieurs personnages, en particulier Jean, vu comme l’idiot du village, et Ciara, une belle jeune fille de seize ans.

Dominique Sampiero prend le temps de décrire le petit village du Nord où va dérouler le récit. Les on dit qui se sèment et sont portés par le vent, qui font réagir et puis laissent place à l’indifférence. Dans ce village, Jean vit de ce qu’il trouve et de ce qu’il glane aux habitants inattentifs qui laissent sur les fils du linge à portée de main. Celui que l’on appelle Hérisson rouge, car son nom n’est plus prononcé par les habitants, se sert et donne en échange de l’eau de pluie qui récupère dans la forêt. L’eau et les reflets de la lumière le fascinent, il est dans son monde, il a créé une bulle qui le protège, loin de tout sauf de la nature. Sa différence inquiète comme elle attire, en particulier les jeunes filles qui s’amusent de ce beau garçon roux qui, caché, les observe.

« Madame Lamant sait que Jean est le fils de Jeanne et de Victor et qu’à sa naissance, Jeanne est morte avec le jumeau de Jean coincé dans son ventre. Victor a enterré sa femme et son autre fils le même jour.

Cet après-midi-là, le ciel se retira du ciel jusqu’à la nuit. Tout le village marcha en silence derrière le corbillard. Le poison de la rumeur noircissait les langues. Un bébé qui tue deux innocents est l’enfant du diable. »

Recueilli jusqu’à ses douze ans par Madame Lamant, Jean développera une peur des hommes en même temps qu’un mutisme important, avant de fuir dans la forêt pour y vivre dans un cabane construite il y a longtemps par son père. Car la rumeur a le pouvoir de détruire et d’isoler, la superstition aussi. Et quand la rumeur et la superstition sont partagées par la plupart des habitants, elles deviennent une vérité à leurs yeux.

Ciara est une jeune fille de seize ans qui évolue dans un milieu familial un peu étouffant de protectionnisme (surtout de la part de son père Marco). Elle va mal. Elle a mal au ventre, elle veut même peut-être mourir. Elle se pose la question en tout cas. Un jour, elle part. La pluie tombe sur la forêt et elle se réfugie dans la cabane de Jean, la pensant abandonnée. Ils vont se rencontrer, à leur manière, car elle aussi s’amuse de l’eau et de ses jeux de reflets et de sons.

La famille puis le village apprennent sa fugue, sa disparition et la peur s’installe. La suspicion aussi. Les regards se tournent vers la forêt et vers le Hérisson. Son corps sans vie, violenté est retrouvé à proximité de la cabane. L’auteur du crime est tout désigné. Mais est-ce les preuves qui pointent le doigt vers Jean ou est-ce la rumeur qui le trouve à son goût ?

Une terrible leçon est à tirer de ce roman, quand les mauvaises langues détruisent avec la même puissance qu’une moissoneuse lancée à vive allure.

Une découverte de Dominique Sampiero qui arrive à mettre de la poésie dans l’horreur et l’injuste, et qui me donne très envie de poursuivre ma découverte avec Holy Lola.

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Ils/Elles l’ont aussi lu et chroniqué : Allumelettres


 

Et vous, avez-vous déjà lu cet auteur ?

« Trompe la mort » d’Alexandre Clérisse (Dargaud, 2009)

En voyant la couverture de cette bande-dessinée, je n’ai pas pu résister à la poésie de l’illustration ! Je suis tombée sous le charme de ce petit papi qui à l’air bien dans son monde.


Quatrième de couverture : « Marcel est à la retraite et veuf. Il aime dire au cimetière du village que son heure n’est pas encore venue. Il tombe un jour sur un clairon qui lui rappelle le sien et la guerre. Cette drôle de guerre qui s’est achevé par la débâcle, au cours de laquelle il perdit son instrument. Marcel s’est mis en tête de trouver son clairon quand sa petite-fille passe le voir. Andréa est à la tête d’une petite entreprise : elle conduit un bus qui va de village en village, en prenant son temps. Le grand-père et la petite-fille partent de concert à la rechercher de l’instrument et des souvenirs de cette période troublée. »


J’ai beaucoup ri en lisant cette bande-dessinée qui est d’une ronchonitude autant que d’une mignonitude folle ! Papi Marcel est vraiment le roi des casses-pieds, il est réac’ et a un franc parler qui peut attirer les ennuis. Sa petite-fille, Andréa, est assez zen et détendue pour lui rendre visite sans fuir à toute vitesse face aux fions qu’il lui envoie, mais aussi pour le remettre en place. Le duo de l’histoire est posé. Un duo aussi drôle qu’émouvant car les histoires de partage intergénérationnelles me touchent toujours beaucoup.

Marcel croit savoir où est son clairon et il veut le retrouver. À partir de là nous voyons arriver les péripéties : où est-il, comment le récupérer, pour en faire quoi ? Si l’histoire est bien construite, je regrette quand même qu’elle soit si courte. L’album ne fait que 48 pages et j’aurais tellement aimé suivre les personnages plus longtemps !

Au-delà de l’humour et des caractères bien trempés qui peuplent ce livre, il est malgré tout question de la guerre. L’histoire au présent est en effet entrecoupée de souvenirs de guerre et de souvenirs liés au clairon (les deux revenant ici un peu au même). Sont présentes des réflexions sur l’autre, sur l’engagement et le courage, sur le souvenir aussi.

Ce livre, conseillé à tout le monde à partir de 12 ans, risque de bien faire rire dans les chaumières, vous pouvez aussi l’offrir à votre grand-père un peu grognon si vous en avez le courage.

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Et vous, avez-vous une bande-dessinée amusante à partager ?

« Femme de chambre » de Markus Orths (Liana Levi, 2009)

Acheté un peu par hasard, au fil des rayonnages d’Emmaüs (encore et toujours), la quatrième de couverture de ce livre m’a clairement intriguée. Un point de départ qui offrait mille possibilités et rebondissements pour la suite et j’avais clairement envie d’être surprise !


Quatrième de couverture : « Femme de chambre dans un hôtel, Lynn y satisfait sa manie obsessionnelle du nettoyage. Même les affaires personnelles des clients font l’objet d’une inspection approfondie et indiscrète. Un soir, dans la chambre 303, la jeune fille enfile par-dessus son tablier le pyjama du client, et lorsque ce dernier tourne la clé dans la serrure, il ne lui reste qu’à se glisser sous le lit. La nuit qu’elle y passe constitue un pas de plus dans l’intrusion amorcée. Un pas qui va la mener très loin…

Femme de chambre brosse le portrait d’une femme lentement dévorée par l’obsession des autres, une femme qui cherche à savoir comment ils réussissent là où elle échoue: vivre. Markus Orths entraîne insensiblement son lecteur dans l’univers psychologique de Lynn, l’absurde devient normalité, et la perversité de l’héroïne s’impose à l’esprit du lecteur avec une simplicité enfantine. »


Autant le dire dès maintenant, je n’ai pas vraiment aimé ce roman. Je m’attendais à plus de perversité (sans tomber dans le trash), de travers dans la personnalité de l’héroïne, et contrairement à ce qui est annoncé, ce qui existe ne s’est en aucun cas imposé comme une normalité pour moi. J’ai juste trouvé le personnage paumé. Je ne me suis pas attachée à Lynn et je n’ai pas vraiment saisi les raisons de ses troubles : elle passe six mois en clinique mais nous n’en savons quasiment rien de plus, c’est à peine égrainé au fil du roman.

On comprend que Lynn est cassée, seule, qu’elle souffre de cette solitude, que sa vie ne lui convient pas et se retrouver seule face à elle-même lui est insupportable. C’est un personnage brisé, qui tente de s’accrocher à la vie par des hobbies singuliers, mais ce n’est pas un personnage que j’ai apprécié suivre. Le roman introduit une rencontre qui va la faire revivre temporairement, mais qui la laissera encore plus seule qu’avant. Le besoin de se remplir de la vie des autres pour ne pas avoir à faire le constat de la sienne, pour ne pas sombrer, est très intéressant, mais je suis vraiment restée sur ma faim, je pense j’attendais des réponses qui ne sont pas venues.

Je terminerai en précisant que ce roman a été un succès en librairie à sa sortie, traduit dans neuf langues, ce n’est pas rien, j’imagine donc qu’il peut plaire à beaucoup de monde. Il faut dire que je suis assez peu sensible aux sujets abordés, la romance en faisant partie, et que j’aime être davantage accompagnée par l’auteur, j’aime les descriptions et la compagnie de narrateurs bavards, omniscients.

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❤ « Le goût âpre des kakis » de Zoyâ Pirzâd (Zulma, 2009)

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J’aime dévorer les parutions récentes, mais les lectures rétrospectives portent moins en elles cette urgence induite par le temps qui passe et les nouveautés qui s’accumulent. Pour prendre une grande inspiration sans pression, j’ai choisi, il y a quelques temps maintenant, ce recueil de nouvelles persanes.

Quatrième de couverture : « Un bassin, des massifs de roses et un plaqueminier donnent de quoi s’occuper au jardinier d’une vieille dame qui, depuis la mort de son mari, se sent très seule et en danger dans sa grande maison au cœur de la ville. Les fleurs donnent des fruits, les kakis mûrissent et elle ne se prive pas d’en offrir, notamment à son locataire.

Des liens subtils se tissent entre eux, que vient troubler l’apparition d’une fiancée…

Dans le Goût âpre des kakis, Zoyâ Pirzâd explore sous divers angles, avec subtilité, lucidité, tendresse et une certaine nostalgie, la vie de couple en Iran. Une quête passionnante et universelle qu’on retrouve et qu’on a déjà pu apprécier dans son recueil de nouvelles Comme tous les après-midi ou son roman On s’y fera. »

La quatrième de couverture ne propose qu’un aspect des différentes nouvelles du recueil, qui se répondent parfois. Ce livre propose une série de nouvelles, donc, qui décrivent des situations de couples, du point de vue des femmes en particulier, dans une société iranienne non située dans le temps (du moins, je n’ai pas réussi à la situer). On assiste à l’échec de couples, à des compromis ainsi qu’au passage du temps qui implique le deuil et la solitude.

Les principaux personnages sont des femmes, qui ont chacune leurs forces et leur caractère et qui sont liées à des espaces de vie, que ce soit des appartements ou une maison : trop petite pour les souvenirs de toute une vie, trop grande pour une vieille femme seule ou presque.

J’ai été très séduite par ce livre, j’ai eu beaucoup de mal à le lâcher, comme c’est souvent le cas avec les livres des éditions Zulma. Zoyâ Pirzâd a une écriture qui vous embarque, elle a une justesse dans la description des émotions humaines qui se savoure du début à la fin, avec toujours le même délice, malgré les situations difficiles décrites.

Je recommande absolument ce livre et je prévois de m’offrir toutes les œuvres de cette auteure publiées chez Zulma. Attention, coup de cœur !

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Ils/Elles l’ont aussi lu et chroniqué : Navigare necesse est


 

Et vous, quel livre de cette auteure recommanderiez-vous ?