❤ « Les mauvaises herbes » de Keum Suk Gendry-Kim (Delcourt, 2018)

Ce roman graphique dort depuis des mois et des mois dans ma bibliothèque. Je l’ai commencé une première fois mais je n’ai pas réussi à aller très loin car son sujet s’aborde avec un certain esprit, du temps, de la disponibilité, du calme. Il faut être entièrement à sa lecture. Un beau livre pour la mémoire, un impressionnant roman graphique de presque 500 pages et dont pas une seule n’est de trop.

Je l’ai repris et lu cette semaine suite à une actualité que souhaitais partager ici avec vous, par soutien pour ces femmes (vivantes comme décédées) qui demandent et méritent justice, reconnaissance des préjudices et à qui on refuse les excuses :

C’est un jugement lourd à l’impact diplomatique retentissant. Ce vendredi 8 janvier, un tribunal sud-coréen a jugé que Tokyo devait dédommager les victimes d’esclavage sexuel durant la Seconde Guerre Mondiale. C’est la première fois qu’une telle sanction est prononcée.

RFI, « Corée du Sud : Tokyo condamné pour esclavage sexuel durant la Seconde Guerre mondiale » 8 janvier 2021

Quatrième de couverture : « 1943, en pleine guerre du Pacifique, la Corée se trouve sous occupation japonaise. Oksun, seize ans, est vendue par ses parents adoptifs comme esclave sexuelle à l’armée japonaise basée en Chine. Après avoir vécu 60 ans loin de son pays, Oksun revient sur sa terre natale.

Cet ouvrage, témoignage à la fois bouleversant, documenté et objectif d’une femme par une femme, retrace non seulement le parcours d’une vie, mais à travers lui tout un pan de l’histoire moderne de la Corée du Sud. »

Dans toute guerre le ventre des femme devient un territoire à conquérir comme un autre. Si les femmes et les jeunes filles sont les principales victimes de ces crimes, hommes et enfants de tout sexe n’y échappent pas.

Ce roman graphique est un témoignage difficile mais nécessaire : Keum Suk Gendry-Kim a ressenti un besoin profond et urgent de parler de ces femmes. Elle s’est rendue dans une maison de partage en Corée, lieu dans lequel vivent d’anciennes femmes de réconfort (comprenez officiellement esclaves sexuelles) dès lors qu’elles ont pu quitter la Chine pour retrouver leur pays de naissance. C’est lors d’une de ses visites que l’auteure a rencontrée Lee Oksun qui a accepté, petit à petit, de lui confier son histoire afin que l’oubli ne fasse pas son oeuvre, afin qu’on n’oublie pas ces femmes qui on connu le même sort qu’elle (leur nombre est estimé à 200 000 selon les historiens).

Oksun revient sur son enfance marquée par la pauvreté, la faim, la colonisation japonaise, le début de la guerre, la séparation d’avec sa famille et son exploitation par des adultes. Vient ensuite sa jeunesse. Une adolescence (puis une vie) déplacée en Chine, brisée par le viol et l’esclavage sexuel au cours de la Seconde Guerre mondiale. Les jeunes coréennes étaient trompées, enlevées ou achetées puis envoyées près des stationnements militaires, par et pour les militaires japonais.

A travers ses mots et ses souvenirs elle explique la peur, sa déportation en Chine, l’horreur de ses conditions de détention – prisionnière d’un couple – violentée durant plusieurs années par les soldats japonais. Et dans son témoignage éprouvant pour elle, une place est aussi faite à d’autres jeunes filles qu’elle a connues. Viendra la fin de la guerre et alors la question se pose : qu’allons-nous devenir ? Qu’allons-nous faire ? Est-ce que quelqu’un nous attend quelque part ? Vers où aller ? Comment continuer à vivre ?

Oksun montre l’impact psychologique encore vif de ces années de guerre et de supplices physiques, intimes. Sa voix porte lors des rassemblements pour demander justice : que le Japon reconnaisse sa responsabilité dans l’établissement de nombreuses maisons de passe pour les soldats, qu’il reconnaisse les femmes qui y étaient envoyées de force et exploitées des victimes de guerre, des victimes de leurs soldats.

J’ai été très émue de lire ce roman graphique au regard de l’actualité, même si le verdict du tribunal de Séoul implique des tensions diplomatiques avec le Japon. Je suis d’une grande naïveté mais j’ai toujours du mal à comprendre pourquoi il est si difficile pour un État de reconnaître ses torts alors même que s’excuser est l’une des premières choses que l’on apprend à un enfant.

Concernant le travail graphique, nous reconnaissons immédiatement le style de Keum Suk Gendry-Kim, entre les traits tendres et les encrages forts, entre la douceur qu’elle porte à ses personnages et le traitement pudique et respectueux mais marquant des moments traumatiques, comme on peut beaucoup le retrouver dans Jiseul. Une identité artistique que j’apprécie beaucoup et que je vais continuer à découvrir avec plaisir et émotion.

Cette lecture entre dans le Challenge coréen organisé par Cristie du blog Depuis le cadre de ma fenêtre.

En savoir plus

Ils/Elles l’ont aussi lu et chroniqué  : Les critiques de YuyineSambaBDInstantané

Et vous, quel•s livre•s avez-vous lu•s sur ce sujet ?
Aimez-vous lire des oeuvres en lien avec l’actualité ?

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14 réflexions sur “❤ « Les mauvaises herbes » de Keum Suk Gendry-Kim (Delcourt, 2018)

    • Je rejoins ta sensibilité. 🙂 Merci à toi ! J’espère que tu auras l’occasion de le lire, il est difficile mais j’en suis ressortie reconnaissante pour la parole qu’il libère et le fait de rendre visible des plaies encore ouvertes. ♥

      Aimé par 1 personne

    • Oui, vraiment terrible. C’est pour ça qu’à ma première tentative j’ai finis par le reposer. J’avais besoin de plus de temps. Mais l’actualité m’a poussée à le lire et je ne le regrette pas. La parole de Lee Oksun est précieuse. J’ai été vraiment choquée de la honte qu’elle a longtemps portée alors qu’elle était la victime. Les coupables et les complices, eux, la ressentent rarement et moins violemment. C’est un peu la double peine, voire la triple peine si on y ajoute l’absence d’excuses et de reconnaissance du Japon. On se sent minuscule face à l’immense courage de ces femmes qui ont vécu le pire et qui continuent de se battre pour cette reconnaissance du crime.

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