❤ « Blues pour l’homme blanc » de James Baldwin (Zones, 2020)

Quand un inédit de James Baldwin est annoncé il y a une règle : se jeter dessus. Après avoir lu le dense La prochaine fois, le feu (je ne me suis pas sentie à la hauteur pour le chroniquer), je n’ai pu résister à cette pièce de théâtre, écrite suite à l’assassinat de Medgar Evers mais aussi en souvenir d’Emmett Till. Une pièce qui veut dénoncer les mécaniques racistes persistantes et le sentiment d’impunité qui entretient la confiance et la violence des suprémacistes blancs.

Quatrième de couverture : « James Baldwin a écrit cette pièce en 1964 en réaction à l’assassinat de son ami Medgar Evers, militant des droits civiques, abattu devant son domicile du Mississippi le 12 juin 1963 par un suprémaciste blanc.

L’accumulation des meurtres racistes aux États-Unis (dont celui de quatre jeunes filles noires dans un attentat à la bombe contre une église baptiste de Birmingham, Alabama, le 15 septembre 1963) constitue l’arrière-plan de ce cri de révolte scénique. La quasi-impunité qui suit ces actes sera l’élément déclencheur de ce travail.

C’est aussi le meurtre atroce en 1955 de l’adolescent Emmett Till qu’il décide d’évoquer : Dans ma pièce, écrit-il, il est question d’un jeune homme qui est mort ; tout, en fait, tourne autour de ce mort. Toute l’action de la pièce s’articule autour de la volonté de découvrir comment cette mort est survenue et qui, véritablement, à part l’homme qui a physiquement commis l’acte, est responsable de sa mort. L’action de la pièce implique l’effroyable découverte que personne n’est innocent […]. Tous y ont participé, comme nous tous y participons. »

Je ne lis pas souvent de pièces de théâtre et James Baldwin m’a en quelque sorte réconciliée avec cette forme littéraire. Si j’aime les textes taiseux, je me surprends à aimer les textes dont le corps est surtout composé de dialogues. C’est un tout autre exercice de lecture et de projection auquel j’ai vraiment apprécié me prêter.

Pour entrer plus directement dans le sujet, nous sommes dans une petite ville du sud des États-Unis – la Ville de la peste -, où la ségrégation est toujours légale et où un meurtre a été commis. Le fils du pasteur Meridian Henry, Richard, revenu du nord où il rêvait de vivre libre, a été tué et va être inhumé. Alors qu’au présent la population noire demande un procès et qu’un certain Lyle Britten nous colle la nausée, nous repartons quelques jours dans le passé pour faire la connaissance de Richard jusqu’au basculement dramatique.

James Baldwin explore de nombreuses personnalités qui composent le paysage humain de la ville. Deux communautés qui se font face, l’une qui écrase ou ferme les yeux, l’autre qui ne veut plus subir d’une quelconque manière. Le temps de la justice doit arriver. Entre les deux communautés, un homme, Parnell James. Un personnage très intéressant : sous la pression de la population blanche mais partisan de l’égalité, qui tente de faire enfin les choses du mieux possible sans pour autant camper un rôle de sauveur blanc.

L’auteur aborde beaucoup d’aspects du racisme quotidien dans cette pièce : le sentiment d’être dans son bon droit en faisant passer les Blancs avant les Noirs (renforcé par les difficultés économiques), celui de ne pas être pire que les autres dans son racisme assumé, l’infantilisation, l’hypersexualisation des corps noirs et le viol des femmes. En somme, la domination et un mélange de dépossession-possession destructeur. L’idée est de comprendre la violence et la reproduction des théories racistes en donnant la parole à des personnages qui le sont pour mieux les dénoncer et les déconstruire. James Baldwin nous parle aussi des premiers temps du mouvement des droits civiques, entre le besoin de lutte frontale et le potentiel de la non-violence. J’ai senti Meridian Henry proche de Martin Luther King et Richard plus de Malcolm X.

La tension monte encore d’un cran face à l’injustice de la justice du Sud. Calqué sur des réalités, la composition du procès, son déroulement et son issue aboutissent indéniablement à une immense indignation. Medgar Evers, assassiné en 1963, son meurtrier sera reconnu coupable en 1994, après avoir été innocenté deux fois en 1964. Emmett Till, torturé et assassiné en 1955, ses deux meurtriers seront acquittés la même année et ne seront plus inquiétés malgré le fait d’avoir reconnu publiquement le meurtre. Deux procès pour une même accusation ne pouvant avoir lieu. Quatre jeunes filles sont tuées lors de l’attentat de l’église baptiste de Birmingham en 1963, les responsables, membres du Ku Klux Klan, ne seront condamnés que sur le tard et l’un d’eux finira ses jours sans être jugé.

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